Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool
I. Consommations d’alcool : les risques, les dommages et leur environnement
2021
ANALYSE |
6-
Facteurs de risque et de protection de consommation
Les consommations d’alcool, comme d’autres comportements en lien avec la
santé sont multifactorielles, et dues à la fois à des facteurs
structurels/collectifs et à des facteurs individuels. Un des modèles les
plus exhaustifs des facteurs associés à la consommation d’alcool a été
proposé par l’OMS (WHO, 2018) (figure 6.1).
Facteurs de risque collectifs
Les facteurs de risque collectifs distingués par le modèle de l’OMS
incluent le niveau de développement du pays de résidence (plus il est
élevé plus la consommation d’alcool est élevée), la culture relative à
l’alcool, le contexte des consommations d’alcool ainsi que le niveau de
production, de distribution et de régulation des produits alcoolisés. En
particulier, des facteurs tels que la législation relative à la vente
d’alcool (US Department of Health and Human Services et Office of the
Surgeon General, 2016), le prix des produits alcoolisés (Heckley
et coll., 2017 ;
Thompson et coll., 2017b), la disponibilité de l’alcool, mesurée
notamment par la densité des points de vente ou des boîtes de nuit (Azar
et coll., 2016 ;
cf. chapitre « Efficacité des mesures visant à restreindre l’offre et la
demande de boissons alcooliques ») ou encore les normes relatives à la
consommation d’alcool (Roche et coll.,
2015 ; Braker
et Soellner, 2017) sont associées aux perceptions positives de l’alcool et aux
tendances de consommation. De plus, la publicité et le marketing de
l’alcool (Moure-Rodriguez et coll.,
2016 ; Golpe
et coll., 2017)
peuvent influencer les niveaux et modes de consommation (cf. chapitre
« Marketing des produits alcoolisés »). Il a également été montré que la
dégradation des conditions socio-économiques, par exemple l’augmentation
du taux de chômage (Bosque-Prous et coll.,
2015b)
peuvent influencer les tendances de consommation d’alcool. Enfin, des
caractéristiques sociétales comme le niveau d’équité hommes-femmes
(Bosque-Prous et coll., 2015a) ou les discriminations vis-à-vis des personnes
appartenant à des minorités ethniques (Savage et Mezuk,
2014) ou
sexuelles (Bryan et coll., 2017) sont également associées à des niveaux élevés
de consommation d’alcool – et en particulier de consommation à risque –
à l’échelle de la population.
Au-delà des facteurs collectifs, des caractéristiques familiales ou
relatives à l’entourage des personnes, peuvent également influer sur les
consommations d’alcool.
Facteurs de risque familiaux/environnementaux
De nombreuses recherches documentent l’excès de risque de consommation
problématique d’alcool chez les personnes qui ont des antécédents
familiaux de problèmes liés à l’alcool (Bucholz et coll.,
2017 ;
McCutcheon et coll., 2018). Chez les adolescents, les difficultés
socio-économiques ou psychologiques au sein de la famille (Torikka et
coll., 2017) ou
encore l’absence de supervision parentale (Golpe et coll.,
2017 ;
Lipperman-Kreda et coll., 2017 ; Lindfors et coll.,
2018), les
conflits familiaux et l’exposition à la violence intrafamiliale (Leung
et coll., 2016 ;
Soloski et coll., 2016 ; McCutcheon et coll.,
2018), ainsi
que la proposition d’alcool par les parents (Mattick et coll.,
2018) sont
associés aux consommations des jeunes. Enfin, la consommation d’alcool
par les pairs (Soloski et coll., 2016 ; Kim et coll.,
2017 ; Li et
coll., 2017 ;
Thompson et coll., 2017a ; Wang et coll.,
2018), est
également un facteur de risque de consommation établi, ce qui peut en
partie être dû au fait que les jeunes qui sont intéressés par la
consommation d’alcool s’entourent d’autres jeunes qui ont les mêmes
centres d’intérêt (Long et coll., 2017). Si chez les adolescents, la consommation
d’alcool est un comportement de groupe, chez les adultes, au contraire,
les recherches montrent que c’est plutôt l’isolement relationnel qui
induit un risque élevé d’avoir une consommation problématique d’alcool
(Mikkelsen et coll., 2015).
Facteurs de risque individuels des consommations d’alcool
Parmi les facteurs individuels associés à la consommation d’alcool, en
particulier la consommation à risque, il faut citer en premier lieu les
facteurs génétiques. En effet, les études estiment qu’entre 50 et 70 %
du risque d’addiction à l’alcool est héritable, c’est-à-dire que la
probabilité d’avoir une consommation problématique est plus importante
parmi les jumeaux monozygotes que parmi les jumeaux dizygotes (Verhulst
et coll., 2015 ;
Seglem et coll., 2016 ; Waaktaar et coll.,
2018).
Certains gènes associés à une augmentation ou diminution du risque de
consommation problématique d’alcool ont été identifiés (par ex.
ALDH2), mais globalement la susceptibilité aux problèmes
d’alcool semble partagée avec d’autres formes de conduites addictives,
en lien avec les gènes qui déterminent les systèmes de
neurotransmetteurs (par ex. les systèmes dopaminergique, opioïdergique,
GABAergique, sérotoninergique, cholinergique, glutamatergique).
Néanmoins il est à noter que parmi les SNP (Single Nucleotide
Polymorphism) identifiés à ce jour, aucun n’explique plus de 1 %
du risque de consommation problématique d’alcool. Plusieurs chercheurs
ont proposé des scores polygéniques, regroupant plusieurs gènes, dont le
pouvoir de prédiction semble plus important que des SNP isolés mais qui
reste néanmoins faible (0-1 %) (Savage et coll.,
2018 ;
Johnson et coll., 2019). Dans l’ensemble, l’importance des facteurs
génétiques augmente avec l’âge jusqu’à 25 ans environ et semble plus
importante dans un contexte permissif (Savage et coll.,
2017). De
plus, les facteurs génétiques interagissent avec les expériences de vie
et les caractéristiques de l’environnement de vie des personnes, et les
recherches actuelles examinent en détail les mécanismes épigénétiques
qui pourraient contribuer aux difficultés relatives à la consommation
d’alcool (cf. chapitre « Prévention et réduction des risques : impact
des données en épigénétique »).
Au-delà des facteurs génétiques, de nombreuses caractéristiques des
expériences vécues par les personnes ou de leurs traits de caractère,
sont associées à la consommation d’alcool. Il est utile ici de
distinguer les facteurs de risque individuels identifiés dès
l’adolescence. Ainsi, parmi les facteurs les plus fortement associés aux
problèmes de consommation d’alcool on trouve les expériences de
maltraitance ou d’abus sexuels – particulièrement au cours de l’enfance
(Cheng et Lo, 2017 ; Bendre et coll., 2018). D’autre part, une orientation homosexuelle ou
bisexuelle est également associée à des niveaux de consommation d’alcool
élevés dès l’adolescence et tout au long de l’âge adulte –
particulièrement chez les jeunes filles (Windle, 2016), et ce
probablement en partie du fait des discriminations subies (Fish et
coll., 2019) et
de certains modes de vie plus volontiers communautaires (rencontres dans
des bars ou des lieux de convivialité, réunions, regroupement militant
d’associations (Hughes et coll., 2016). Les hommes homosexuels ou bisexuels sont
également plus à risque que les hommes hétérosexuels d’avoir une
consommation élevée de boissons alcoolisées particulièrement dès
l’adolescence (Grosso et coll., 2019). La différence est toutefois moins importante
que pour les femmes (Lhomond et coll.,
2014).
Parmi les facteurs psychologiques, les problèmes de comportement, ainsi
que l’impulsivité/faible maîtrise de soi ont été identifiés comme étant
associés aux conduites addictives dont les consommations problématiques
d’alcool (Edwards et coll., 2016 ; Bucholz et coll.,
2017 ;
Puttler et coll., 2017 ; Brunborg et coll., 2018). C’est également le
cas de la recherche de sensations (Sznitman et Engel-Yeger,
2017) qui
peut induire l’expérimentation précoce (Maimaris et McCambridge,
2014 ;
Elisaus et coll., 2018) et le désinvestissement scolaire (Patte et
coll., 2017). Les
données concernant le rôle de problèmes émotionnels sont moins
concordantes, néanmoins certaines études ont rapporté que des symptômes
d’anxiété prédisent les consommations d’alcool (Birrell et coll.,
2015). Par
ailleurs, des recherches récentes soulignent l’effet prédicteur de
difficultés de sommeil – un endormissement tardif (Hasler et coll.,
2017) ou des
problèmes de sommeil (Hasler et coll.,
2016 ;
Marmorstein, 2017 ; Miller et coll., 2017 ; Warren et coll.,
2017). Enfin,
il a été observé au cours des dernières années que la consommation de
boissons énergisantes prédit la consommation d’alcool – conjointe ou
non, sans que l’on ne sache à ce jour si cette relation est causale
(Velazquez et coll., 2012 ; Emond et coll.,
2014 ; Choi
et coll., 2016 ;
Polak et coll., 2016).
Par ailleurs, des facteurs spécifiques à l’âge adulte ont été observés.
En ce qui concerne les facteurs psychologiques, l’hostilité (Airagnes et
coll., 2017) et
plus généralement l’affectivité négative (Gates et coll.,
2016 ;
Brunborg, 2017)
et les symptômes de dépression/anxiété (Colell et coll.,
2016 ;
Mahmood et coll., 2017). Alors que les liens entre situation sociale
et consommation d’alcool chez les adolescents sont complexes, on observe
des inégalités sociales marquées dans ce domaine chez les adultes que
l’on prenne en compte les difficultés socio-économiques auto-rapportées
(Thompson et coll., 2017a), ou le fait d’être au chômage (Bosque-Prous
et coll., 2015b ;
Melchior et coll., 2015 ; Backhans et coll.,
2016 ;
Virtanen et coll., 2016), même si celui-ci peut parfois être
protecteur (Lee et coll., 2018). Enfin, parmi les conditions de travail sont
associés à la probabilité de boire de l’alcool de manière excessive,
notamment un nombre important d’heures de travail (≥ 48/semaine)
(Virtanen et coll., 2015), le fait d’être en contact avec le public
(Airagnes et coll., 2018), et des facteurs psychosociaux défavorables
(faible soutien au travail, conflits, harcèlement) (Roche et coll.,
2015). Enfin,
les activités de loisirs, et notamment l’utilisation importante des
réseaux sociaux pourraient également être associées à des consommations
d’alcool – et d’autres produits – élevées (Gutierrez et Cooper,
2016).
Facteurs de protection des consommations d’alcool
Tout comme pour les facteurs de risque, la plupart des études sur les
facteurs de protection des consommations d’alcool portent sur des
consommations de niveau élevé ou problématique. Ils peuvent également se
situer à un niveau collectif, familial ou individuel. Les principaux
facteurs de protection collectifs sont le prix de l’alcool (Gilmore et
coll., 2016 ;
Jiang et coll., 2016 ; Nelson et McNall,
2016 ; Sharma
et coll., 2017 ;
Kalsi et coll., 2018), la régulation du nombre et de la
concentration de lieux de vente (Azar et coll.,
2016), la
réduction des horaires de vente (Wilkinson et coll.,
2016) et le
respect de l’interdiction de vente aux mineurs (van Hoof et coll.,
2015 ;
Schelleman-Offermans et coll., 2017) (cf. chapitre « Efficacité des mesures visant
à restreindre l’offre et la demande de boissons alcooliques »). Enfin,
pour les adolescents, l’accès – physique et financier, à des activités
sociales et récréatives favorables à la santé est associé à une
diminution des consommations problématiques d’alcool et d’autres
substances psychoactives (US Department of Health and Human Services
et Office of the Surgeon General, 2016 ; Kristjansson et coll.,
2019). À
l’échelle des familles, le soutien parental (Elisaus et coll.,
2018) et le
soutien aux parents et à la parentalité (Koning et coll.,
2015 ; Glatz
et Koning, 2016 ;
Newton et coll., 2017 ; Wurdak et coll.,
2017 ;
Kristjansson et coll., 2019) semblent très efficaces pour prévenir ou
réduire les consommations d’alcool chez les jeunes. À l’échelle
individuelle, l’investissement dans la scolarité ou dans des activités
sociales et récréatives favorables à la santé (artistiques, sportives)
semblent protecteurs. Enfin, le développement de capacités de
coping (par ex. l’estime de soi, la possibilité de gérer des
conflits) (Roos et coll., 2017), ou encore la spiritualité et la pratique
religieuse (Haber et coll., 2013 ; Burke et coll.,
2014 ;
Drabble et coll., 2016 ; Baheiraei et coll.,
2017 ; Kathol
et Sgoutas-Emch, 2017 ; Charro Baena et coll.,
2018) sont
des facteurs protecteurs d’importance.
Conclusion
La littérature internationale montre que les facteurs de risque comme les
facteurs de protection vis-à-vis des consommations problématiques
d’alcool sont à la fois collectifs et individuels, et les efforts de
prévention visant à réduire le nombre de personnes touchées par des
problèmes d’alcool doivent certainement agir à ces différents niveaux.
En particulier, afin de faire évoluer les tendances de consommation à
l’échelle de la population, les politiques publiques visant à réduire
l’accès à l’alcool ont montré leurs preuves – notamment chez les jeunes
– et mériteraient d’être renforcées.
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