Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool
I. Consommations d’alcool : les risques, les dommages et leur environnement

2021


ANALYSE

1-

Épidémiologie des consommations d’alcool : données récentes

Les chiffres en termes de consommation d’alcool recueillis au cours d’enquêtes ou d’études revêtent pour certains un caractère clé dans le suivi et l’étude des caractéristiques de cette consommation dans la population. Dans ce chapitre focalisé sur l’épidémiologie des consommations d’alcool, nous détaillerons les données les plus récentes à notre disposition. La consommation d’alcool et ses caractéristiques étant mesurées depuis de nombreuses années, il est également possible de tirer des conclusions sur leurs évolutions au sein des différentes populations de consommateurs.

Mesure de la consommation d’alcool :
éléments méthodologiques

Dans de nombreux pays dont la France, la consommation d’alcool est ubiquitaire. En effet, on estime que 42,8 millions de personnes en France sont consommateurs actuels1 . Néanmoins, les niveaux de consommation d’alcool sont très variables, et il est nécessaire de distinguer différentes définitions utilisées pour mesurer la fréquence et l’impact de ces consommations. Si la plupart des enquêtes en population générale, telles que le Baromètre Santé, distinguent la consommation au cours de la vie, au cours de l’année et au cours du mois, ce sont les consommations importantes qui font particulièrement l’objet d’un suivi épidémiologique du fait de leurs effets majorés sur la santé (Griswold, 2018renvoi vers).
Il est important de noter, avant de décrire les tendances en termes de consommation d’alcool, que les définitions de l’abus d’alcool ont récemment évolué (US Department of Health and Human Services et Office of the Surgeon General, 2016renvoi vers).
Dans la version IV de la classification de l’association des psychiatres américains qui définit les troubles psychiatriques (Diagnostic and Statistical Manual, DSM) (APA, 1994renvoi vers), deux types de consommations problématiques étaient distingués : l’abus et la dépendance à l’alcool. L’abus d’alcool était caractérisé par une consommation engendrant des conséquences négatives sur la vie professionnelle, familiale ou les liens avec la justice, ou encore un comportement dangereux pour soi ou pour les autres sous l’emprise du produit. Quant à la dépendance à l’alcool, elle était définie par au moins trois symptômes parmi la tolérance au produit, les symptômes de sevrage en cas de non-consommation, la perte de contrôle sur la consommation et l’exclusion d’autres activités du fait de la consommation.
Compte-tenu des données suggérant que les addictions suivent un continuum, la version V du DSM, mise en circulation à partir de 2013 (APA, 2013renvoi vers), a remplacé les notions d’abus et de dépendance par celles de trouble lié à l’usage d’un produit psychoactif – dont l’alcool. Ce trouble est identifié par 11 symptômes et peut être léger (2-3 symptômes), modéré (4-5), ou sévère/addiction (≥ 6) (encadré 1.1).

Encadré 1.1 : Critères diagnostiques du trouble lié à l’usage de l’alcool
d’après le DSM-5

1. L’alcool est souvent pris en quantité plus importante ou pendant une période plus longue que prévu.
2. Désir persistant de diminuer ou de contrôler l’usage d’alcool ou efforts infructueux.
3. Beaucoup de temps est consacré à des activités nécessaires pour obtenir et utiliser l’alcool ou récupérer de ses effets.
4. Envie, fort désir ou besoin de consommer de l’alcool.
5. L’usage récurrent de l’alcool conduit à des manquements à des obligations majeures, au travail, à l’école ou à la maison.
6. Poursuite de l’utilisation d’alcool malgré des problèmes sociaux ou interpersonnels, persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de l’alcool.
7. Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’usage de l’alcool.
8. Usage récurrent d’alcool dans des situations où il est physiquement dangereux (ex. avant de conduire).
9. Usage d’alcool poursuivi bien que la personne sache avoir un problème physique ou psychologique persistant ou récurrent qui est susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par l’alcool.
10. Tolérance, telle que définie par l’un des éléments suivants :
- Un besoin de quantités notablement plus grandes d’alcool pour atteindre l’effet désiré.
- Un effet notablement diminué avec l’utilisation continue de la même quantité d’alcool.
11. Sevrage, tel que manifesté par l’un des éléments suivants :
- Syndrome de sevrage d’alcool caractéristique.
- L’alcool (ou une substance très proche, comme un médicament benzodiazépine tel que le Xanax [liste]) est pris pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage.

Ce changement de définition doit être pris en compte dans l’étude des évolutions temporelles de la consommation d’alcool, et plus particulièrement de la consommation problématique. De plus, les termes utilisés pour décrire la consommation problématique d’alcool varient, d’« abus » à « dépendance » ou « alcoolisme », en passant par « mésusage ». Par ailleurs, particulièrement chez les jeunes, sont également mesurées la fréquence des ivresses et celle des épisodes d’alcoolisation ponctuelle importante (API, définie la plupart du temps par 5 verres ou plus en une même occasion). Cette multiplicité de termes peut rendre difficile la comparaison des résultats entre études. Dans cette expertise, nous avons choisi d’utiliser le terme « consommations à risque » afin d’uniformiser le propos.
En France, le dispositif de suivi des niveaux de consommation de l’alcool, comme d’autres produits psychoactifs, est complet et riche en population générale. Chez les adultes, les enquêtes Baromètre Santé2 réalisées par Santé publique France renseignent régulièrement depuis 25 ans la consommation d’alcool habituelle ainsi que la consommation problématique des 18-65 ans (via le test AUDIT – Alcohol Use Disorders Identification Test). Chez les adolescents, les enquêtes HBSC3 (Health Behavior in School-Aged Children) de l’Organisation mondiale de la santé ainsi qu’ESPAD4 (European School Project on Alcohol and Other Drugs), et ESCAPAD5 (Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l’Appel de Préparation À la Défense), réalisées par l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT) depuis les années 2000 et pour les deux premières fusionnées récemment dans le dispositif EnClass6 renseignent le niveau de consommation d’alcool des jeunes de 12 à 17 ans de manière quasi-annuelle.

Consommation d’alcool chez les adolescents en France

L’adolescence (12-18 ans) est la période au cours de laquelle les jeunes expérimentent pour la première fois l’alcool. L’étude EnClass (publiée en juin 2019) montre que parmi les jeunes scolarisés dans un établissement d’enseignement secondaire, plus de 50 % ont déjà bu de l’alcool en classe de 5e et près de 89 % en classe de terminale (figure 1.1Renvoi vers) (Spilka et coll., 2019renvoi vers).
Figure 1.1 : Usages d’alcool, de tabac et de cannabis selon le niveau scolaire en 2018 (en %) (Source : EnClass 2018) (d’après Spilka et coll., 2019*renvoi vers)
Ces chiffres sont concordants avec ceux de l’enquête ESCAPAD (figure 1.2Renvoi vers) qui montrent qu’environ 86 % des jeunes de 17 ans ont déjà bu de l’alcool (Spilka et coll., 2018arenvoi vers). Ces deux enquêtes indiquent qu’à la fin de l’adolescence la consommation régulière (≥ 10 fois dans le mois) concerne entre un jeune sur dix en classe de seconde et un jeune sur quatre en terminale, et environ 8 % des jeunes de 17 ans en France, tandis qu’entre 40 et 50 % déclarent avoir eu au moins une alcoolisation ponctuelle importante (API) et 16 % au moins trois API dans le mois précédant l’enquête (Spilka et coll., 2018arenvoi vers ; Spilka et coll., 2019renvoi vers). Ces chiffres, bien qu’élevés en valeurs absolues et par rapport à ceux observés dans d’autres pays européens (ESPAD Group et EMCDDA, 2016renvoi vers), sont en net recul par rapport à la période 2008-2014. Ainsi, entre 2014 et 2017, parmi les jeunes de 17 ans, l’expérimentation de l’alcool a baissé d’environ 4 points (de 89,3 à 85,7 %), l’usage régulier d’environ 4 points (12,3 à 8,4 %), les ivresses de 8 points (de 58,9 à 50,4 %) et les API de près de 5 points (48,8 à 44,0 %). Ces baisses sont similaires à celles observées pour d’autres produits (notamment le tabac et le cannabis), et nécessitent un suivi au long cours.
Une question clé est celle des trajectoires de consommation, c’est-à-dire du risque de développer une addiction à moyen ou long terme parmi les jeunes qui consomment de manière excessive. Si peu d’études permettent de produire des estimations précises, il semblerait qu’environ 3 % des adultes ayant une consommation « à risque » soient dans ce cas depuis l’âge de 15 ans ; 11 % depuis l’âge de 16 ans, 60 % depuis l’âge de 18 ans (Brunborg et coll., 2018renvoi vers), tandis que parmi les jeunes qui ont une consommation à risque environ 25 % poursuivent le même type de consommation au moment de l’entrée dans la vie adulte (Yaogo et coll., 2015renvoi vers ; Mahmood et coll., 2016renvoi vers ; Enstad et coll., 2019renvoi vers).
Figure 1.2 : Évolution 2000-2017 des niveaux d’usage de tabac (cigarettes), boissons alcoolisées et cannabis à 17 ans (en  %) (Source : enquêtes ESCAPAD [France métropolitaine], OFDT) (d’après Spilka et coll., 2018a*renvoi vers)
Les alcools les plus fréquemment consommés par les adolescents sont les alcools forts (whisky, vodka – entre 70 et 80 % de ceux qui déclarent avoir bu dans le mois précédent en ont consommé), suivis par la bière (environ 70 %), le champagne (moins de 60 %) puis le vin (plus de 50 %) (Spilka, 2013renvoi vers). Les jeunes qui déclarent boire de l’alcool le font majoritairement le week-end (90 %), avec des amis (90 %), chez eux ou chez des amis (65 %). La proportion de ceux qui déclarent consommer des boissons alcoolisées dans un bar/restaurant ou en discothèque a nettement baissé au cours du temps (entre 2005 et 2017, respectivement de 36 à 29 %, et de 32 à 19 %) (Spilka, 2013renvoi vers).
Si en moyenne les garçons consomment toujours plus d’alcool que les filles, le ratio entre les sexes a diminué au cours du temps (tableau 1.Irenvoi vers), en particulier pour l’expérimentation (sex-ratio en 2017 = 1,02), l’usage dans l’année (1,07), et l’usage dans le mois (1,11), ou encore l’API dans le dernier mois (1,30). Les garçons ont, en revanche, toujours tendance à avoir des niveaux plus élevés de consommation régulière, c’est-à-dire ≥ 10 fois dans le mois (sex-ratio en 2017 = 2,62), ou de présenter des API répétées, c’est-à-dire ≥ 3 fois dans le mois (1,99) ou régulières, c’est-à-dire ≥ 10 fois dans le mois (4,28) (Spilka et coll., 2018brenvoi vers).

Tableau 1.I Niveaux d’usage de substances psychoactives à 17 ans en 2017 (Source : enquêtes ESCAPAD 2014, 2017 France métropolitaine, OFDT) (d’après Spilka et coll., 2018brenvoi vers)

Produits
Usage
Garçons
2017
Filles
2017
Sex-ratio
Ensemble
2017
Ensemble
2014
Évolution
(en points)
Évolution
(en %)
Alcool
Expérimentation
86,6
84,6
1,02 ***
85,7
89,3 ***
-3,6
-4,1
Actuel (au moins un usage dans l’année)
80,1
75,2
1,07 ***
77,7
82,4 ***
-4,7
-5,7
Récent (au moins un usage dans le mois)
69,9
62,9
1,11 ***
66,5
72,0 ***
-5,5
-7,7
Régulier (au moins 10 usages dans le mois)
12,0
4,6
2,62 ***
8,4
12,3 ***
-3,8
-31,3
Quotidien ou 30 usages dans le mois
2,1
0,5
4,04 ***
1,3
1,8 ***
-0,4
-24,9
Ivresse
Expérimentation
55,1
45,6
1,21 ***
50,4
58,9 ***
-8,5
-14,4
Alcoolisation ponctuelle importante (API)
Récente (au moins un usage dans le mois)
49,6
38,1
1,30 ***
44,0
48,8 ***
-4,8
-9,9
Répétée (au moins 3 fois dans le mois)
21,7
10,9
1,99 ***
16,4
21,8 ***
-5,4
-24,7
Régulière (au moins 10 fois dans le mois)
4,3
1,0
4,28 ***
2,7
3,0 *
-0,3
-10,4

*, *** Test du chi-2 significatif respectivement au seuil 0,05 et 0,001.

Consommation d’alcool chez les adultes en France

Bien que la consommation d’alcool des adultes en France ait beaucoup baissé depuis 50 ans (Beck et coll., 2015renvoi vers), elle est d’environ 27 g d’alcool pur (c’est-à-dire la quantité d’alcool consommée indépendamment de la boisson) par personne/jour d’après les dernières estimations (Hill et Laplanche, 2010renvoi vers). On estime qu’environ 23,3 % de la population aurait une consommation à risque ponctuel selon le score AUDIT et environ 7,2 % une consommation à risque chronique ou présentant la possibilité d’une dépendance (Com-Ruelle, 2013renvoi vers). En 2014, les prévalences estimées de trouble de l’usage de l’alcool dans la cohorte CONSTANCES en utilisant le score total à l’AUDIT en 10 questions étaient : chez les hommes : 19,8 % dans la catégorie à risque dangereux (score total de 8 à 15) et 4,4 % dans la catégorie à risque problématique ou de dépendance probable (score total > 15) ; chez les femmes : 7,9 % dans la catégorie à risque dangereux et 1,1 % dans la catégorie à risque problématique ou de dépendance probable. Les prévalences de la consommation à risque de l’alcool étaient les plus élevées pour les sujets de moins de 35 ans : chez les hommes de moins de 35 ans, 30,7 % d’entre eux avaient un usage dangereux de l’alcool, et 5,8 % d’entre eux avaient un usage problématique ou étaient probablement dépendants ; chez les femmes de moins de 35 ans, 12,9 % d’entre elles avaient un usage dangereux de l’alcool, et 1,6 % d’entre elles avaient un usage problématique ou étaient probablement dépendantes. Chez les hommes, les catégories professionnelles moins favorisées étaient associées à des prévalences augmentées d’usage à risque (c.-à-d. un usage dangereux et au-delà). Plus précisément, les prévalences d’usage à risque étaient de 28,0 %, 30,6 %, 23 % et 19,2 %, respectivement pour les ouvriers, employés, professions intermédiaires et les cadres. Chez les femmes, ce gradient n’était pas retrouvé. Plus précisément, les prévalences d’usage à risque étaient de 8,6 %, 7,8 %, 8,6 % et 11,7 % respectivement pour les ouvrières, employées, professions intermédiaires et les cadres. Chez les hommes comme chez les femmes, l’état dépressif était associé à des prévalences plus élevées d’usage à risque. Plus précisément, en l’absence d’état dépressif, les prévalences d’usage à risque étaient de 22,5 % chez les hommes et de 8,1 % chez les femmes. En présence d’un état dépressif, ces prévalences étaient respectivement de 37,4 % et de 12,5 %.
Si la prévalence des API est plus faible que dans d’autres pays en Europe (où la moyenne est de 30 % de prévalence par an ; Peacock et coll., 2018renvoi vers), la consommation globale est dans la moyenne européenne (Palle et coll., 2017renvoi vers ; WHO, 2019renvoi vers). Ces tendances séculaires peuvent en partie être observées en examinant la prévalence de différentes formes de consommation selon le groupe d’âge (figure 1.3Renvoi vers). En effet, si les 18-25 ans continuent majoritairement à consommer de l’alcool de manière comparable aux adolescents (30 % déclarent une API dans le dernier mois et près de 25 % rapportent au moins 3 ivresses dans l’année, 2,6 % seulement déclarent boire de l’alcool de manière quotidienne), les personnes âgées de plus de 55 ans sont celles qui ont la probabilité la plus élevée de rapporter une consommation quotidienne (21 % chez les 55-64 ans, 29 % chez les 65-75 ans), ce qui correspond à un mode « traditionnel » de consommation d’alcool en France et dans les pays du Sud de l’Europe où le vin est la principale boisson alcoolisée consommée. Entre ces deux groupes d’âge extrêmes, les adultes de 35 à 54 ans ont des niveaux intermédiaires d’API mensuelle (environ 17 %) et de consommation quotidienne (6 à 10 %) (Richard et coll., 2015renvoi vers ; Grant et coll., 2017renvoi vers).
En 2014, les prévalences estimées d’API (≥ 6 verres en une occasion) au moins une fois par mois dans la population générale française étaient de 27,5 % chez les hommes et de 11,5 % chez les femmes. On note des prévalences très élevées pour les moins de 35 ans (39,8 % des hommes et 16 % des femmes). Plus précisément, chez les hommes de moins de 35 ans, 25,5 % présentaient des API entre une fois par mois et une fois par semaine et 14,3 % en présentaient au moins une fois par semaine. Chez les femmes de moins de 35 ans, 11,6 % présentaient des API entre une fois par mois et une fois par semaine et 4,4 % en présentaient au moins une fois par semaine. Il existait une diminution importante de ces prévalences chez les plus âgés.
Chez les moins de 35 ans, les API touchaient davantage les sujets ayant un niveau supérieur au baccalauréat, alors que c’était le contraire chez les plus de 35 ans. De plus, être issu d’une catégorie socioprofessionnelle moins favorisée était associé à des prévalences plus élevées d’API uniquement chez les plus de 35 ans. Par ailleurs, le chômage était associé à une fréquence plus élevée d’API dans toutes les classes d’âge, à l’exception des femmes de moins de 35 ans pour lesquelles la prévalence d’API ne différait pas en fonction du statut vis-à-vis de l’emploi. Dans toutes les classes d’âge, des revenus plus faibles étaient associés à des prévalences plus élevées d’API, de même que le fait d’être seul plutôt qu’en couple. Enfin, les API étaient moins associées à l’état dépressif chez les moins de 35 ans que chez les personnes plus âgées.
Il est probable qu’au fil des générations la consommation quotidienne continue à diminuer, néanmoins il est nécessaire d’observer l’évolution des tendances en termes d’API pour vérifier que celle-ci n’augmente pas à mesure que les jeunes d’aujourd’hui avancent en âge. En effet, dans d’autres pays européens, la pratique des API est largement diffusée parmi les jeunes adultes (Grant et coll., 2017renvoi vers) et se maintient pour une fraction non négligeable d’entre eux, avec des conséquences en termes de risque d’addiction et d’impact sur la santé (WHO, 2019renvoi vers). En France, alors qu’on observe une baisse de 12 points de la consommation quotidienne d’alcool entre 2000 et 2014 (passée de 22 à 10 %) (Beck et coll., 2015renvoi vers), la fréquence des API a en parallèle augmenté, portée notamment par l’augmentation des consommations importantes d’alcool chez les jeunes adultes. En effet, entre 2005 et 2014, les ivresses et les API chez les 18-25 ans ont significativement augmenté (Beck et coll., 2015renvoi vers ; Richard et coll., 2015renvoi vers), et depuis semblent relativement stables. Néanmoins les consommations importantes (au moins 10 ivresses et au moins 1 API hebdomadaire dans les 12 mois précédents) ont très légèrement baissé (Richard et coll., 2015renvoi vers). En 2014, parmi les 18-25 ans, 57 % déclaraient au moins 1 API dans les 12 mois précédents, 29 % au moins 3 ivresses7 .
Figure 1.3 : Évolution des ivresses, de la consommation quotidienne d’alcool et des épisodes d’alcoolisation ponctuelle importante (API) selon l’âge, France, 2010 (Source : Baromètre santé 2010, INPES)
Dans ce groupe d’âge, les étudiants semblent particulièrement à risque de fortes consommations d’alcool, notamment ceux qui fréquentent une école de commerce (Tavolacci et coll., 2016renvoi vers). Comme chez les adolescents, chez les jeunes adultes, la consommation d’alcool des femmes a augmenté et le sex-ratio a diminué en conséquence, ce qui est concordant avec les résultats d’études menées dans d’autres pays industrialisés (Alati et coll., 2014renvoi vers ; Windle, 2016renvoi vers).
Chez les jeunes adultes, l’alcool le plus fréquemment consommé est la bière (27 % de consommation hebdomadaire), suivi par le vin (24 %), et les alcools forts (20 %), la consommation des deux premiers types d’alcool ayant augmenté depuis 2005, en particulier chez les femmes (Beck et coll., 2015renvoi vers ; Richard et coll., 2015renvoi vers).
Outre les types d’alcool consommés, les recherches récentes menées dans différents pays industriels ont décrit la diffusion de la consommation de mélanges entre alcool et boissons énergisantes (Kristjansson et coll., 2015renvoi vers). Par exemple, en Israël ou au Canada, environ 17 % des adolescents/jeunes adultes rapportent avoir consommé de l’alcool mélangé avec des boissons énergisantes cafféinées (Magnezi et coll., 2015renvoi vers ; Reid et coll., 2015renvoi vers). En parallèle, la consommation d’alcool mélangé à des sodas light semble s’être répandue, notamment aux États-Unis (Stamates et coll., 2016renvoi vers). Ce type de mélange pose des risques particuliers, les boissons énergisantes masquant le goût de l’alcool et diminuant ses effets somnifères, ce qui peut entraîner une augmentation de la consommation. Il est à noter qu’en France ce type de pratique n’est pas renseigné dans les enquêtes en population générale et on ne dispose pas de chiffres concernant sa fréquence.
Par ailleurs, les enquêtes récentes soulignent la forte proportion de consommation problématique d’alcool chez les personnes de plus de 50 ans : 69 % des 55-64 ans et 62 % des 65-75 ans consomment plus de 2 verres d’alcool par jour, et respectivement 80 et 81 % consomment de l’alcool plus que 5 jours par semaine, et au total respectivement 13 et 14 % des femmes et 35 et 37 % des hommes dans ces groupes d’âge dépassent les repères de consommation problématique (> 2 verres d’alcool ou > 5 jours de consommation par semaine) (Andler, 2019renvoi vers). Chez les hommes, c’est parmi les 65-75 ans que la probabilité de consommer plus de 10 verres d’alcool par semaine est la plus importante (23 %). Ces chiffres rejoignent des tendances observées dans d’autres pays, montrant qu’au cours du temps les niveaux de consommation d’alcool des personnes de plus de 50 ans ont augmenté (Ilomaki et coll., 2013renvoi vers ; Wilson et coll., 2014renvoi vers ; Gell et coll., 2015renvoi vers ; Nuevo et coll., 2015renvoi vers ; Bosque-Prous et coll., 2017renvoi vers), et notamment les niveaux d’API (23 % de prévalence aux États-Unis en 2012-2013) (Wilson et coll., 2014renvoi vers ; Han et coll., 2017renvoi vers) et de troubles liés à l’alcool (5 % de prévalence aux États-Unis) (Grant et coll., 2017renvoi vers). La consommation des personnes de plus de 50 ans pose des problèmes spécifiques, notamment en raison de la présence de comorbidités et de traitements médicamenteux (ex. : des traitements cardiovasculaires, métaboliques ou psychotropes) (Ilomaki et coll., 2013renvoi vers ; Breslow et coll., 2015renvoi vers ; LaRose et Renner, 2016renvoi vers ; Tevik et coll., 2017renvoi vers ; Wolf et coll., 2017renvoi vers). Si la tendance concernant la transformation des modalités de consommation d’alcool en France – avec une évolution de la consommation quotidienne vers une pratique plus ponctuelle, mais marquée par un niveau de consommation qui peut être important – se confirme, la surveillance des consommations d’alcool des personnes de plus de 50 ans et leurs effets éventuels sur la santé, sera à renforcer.
En dehors de traitements psychotropes, il est à noter que chez les adolescents aussi bien que chez les adultes, la consommation d’alcool est souvent associée à celle d’autres produits psychoactifs tels que le tabac (Beck et Richard, 2014renvoi vers ; Parikh et coll., 2015renvoi vers ; Beard et coll., 2017renvoi vers ; Daw et coll., 2017renvoi vers) ou le cannabis (Redonnet et coll., 2012renvoi vers ; Haardörfer et coll., 2016renvoi vers ; O’Hara et coll., 2016renvoi vers ; Weinberger et coll., 2016renvoi vers).

Conclusion

Au total, les consommations d’alcool sont très fréquentes en France comme dans la plupart des autres pays occidentaux, et les niveaux élevés de consommations problématiques voire de troubles liés à l’usage d’alcool sont à mettre en parallèle avec des niveaux de consommation moyenne élevés. La consommation d’alcool diminue au cours du temps, et au cours des dernières années il semble que la baisse des consommations excessives ait été amorcée, chez les adolescents et chez les adultes. Si on manque de données fiables sur la proportion de personnes ayant en France une consommation à risque d’alcool, on peut penser que cette proportion est proche de celle des buveurs problématiques (environ 10 %).

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