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| Med Sci (Paris). 36(6-7): 642–646. doi: 10.1051/medsci/2020111.Épidémies: Leçons d’Histoire Patrice Debré1* 1Académie nationale de médecine, Sorbonne université, Département
d’immunologie et CIMI Paris, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
83 boulevard de
l’hôpital, 75013Paris,
France |
Vignette (Photo © Inserm - Gérard Lafont). Les maladies infectieuses sont à l’origine de 14 millions de décès chaque année. Ces
derniers surviennent, en quasi-totalité, dans l’hémisphère sud, où ils constituent
près de la moitié des causes de mortalité. C’est ainsi que la plupart des 330
maladies infectieuses nouvelles apparues entre 1940 et 2004 ont été identifiées dans
les pays du Sud. De nombreuses espèces de virus, parmi lesquelles Ebola, Chikungunya,
Monkey Pox, filovirus, et bien sûr le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), n’ont
été découvertes qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle, tandis
que d’autres, tels le SARS-CoV, le MERS-CoV ou le SARS-CoV-2 sont la marque des vingt
premières années du XXIe siècle. Quatre-vingt-dix pour cent des virus et des
bactéries étaient inconnus il y a trente ans ! Les infections émergentes proviennent,
pour deux tiers d’entre elles, de la faune domestique ou sauvage, tandis que d’autres
sont liées à la ré-émergence de maladies oubliées, qui ré-apparaissent en raison
d’un déficit de vaccination, de troubles politiques ou de guerres civiles, comme c’est
le cas de la peste en Afrique. Cependant, émergence et ré-émergence appellent une
vigilance et un combat communs, car toutes deux font peser une égale menace sur nos
sociétés et posent un problème d’expertise scientifique identique. Les épidémies
ont marqué l’histoire. Elles ont ruiné les économies, amplifié l’analphabétisme et
fait reculer la civilisation. Chaque épisode infectieux se solde par des coûts
astronomiques. La banque mondiale estime ainsi entre 3,8 et 32,6 milliards de dollars (environ 3,4-29,4
milliards d’euros) les pertes économiques dues à Ebola pour l’Afrique sur les deux
années 2014 et 2015. Les pays du Nord paient aussi un lourd tribut aux épidémies. Ainsi,
le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui a fait environ 800 victimes et
paralysé 28 pays après son émergence en République Populaire de Chine entre 2002 et
2003, a coûté 70 milliards d’euros en moins de cinq mois. On attend désormais avec
effroi les conséquences de la maladie COVID-19 en vies et en recul de l’économie
mondiale. Un regard sur l’histoire des épidémies incite à la réflexion. |
Les leçons des épidémies du passé Pendant longtemps les maladies infectieuses n’existaient que par leurs symptômes, et
les épidémies étaient subies sans être comprises. Peste, choléra, typhus ou
même syphilis, semblaient le fruit de forces divines ou occultes, qui gouvernaient
non seulement leur apparition, mais aussi leur évolution vers la guérison ou vers
une issue fatale. Il a fallu attendre l’arrivée du microscope, la maîtrise de la
fermentation et des milieux de culture, pour que les bactéries apparaissent
autrement que comme des fruits de l’imagination : Robert Koch (1843-1910) puis Louis
Pasteur (1822-1895) furent les premiers à démontrer le rôle joué par des agents
infectieux [1]. Si la démonstration du rôle des microbes s’est faite tardivement, l’apparition des
épidémies date du Néolithique. Celles-ci ont accompagné l’avènement des sociétés
sédentaires, l’apparition de l’agriculture et de la domestication des animaux, puis
de la concentration de ces sociétés dans des villes. Ce passage à un nouvel espace
socioculturel de l’humanité est appelé « première transition épidémiologique ». Avec
l’élevage, l’agriculture et les modifications consécutives du paysage, l’écologie
microbienne va se modifier : de nouveaux vecteurs et de nouveaux réservoirs animaux
apparaissent ; les concentrations humaines dans les villes et la précarité de
l’hygiène allaient faire le reste, pour offrir aux microorganismes pathogènes de
multiples occasions d’émergence. Les animaux domestiques, la fameuse pentade de
Pandore1, le bœuf, le mouton, la chèvre,
le porc et le chien transmettent aux hommes ces germes qui ne demandent qu’à
franchir la barrière d’espèce. Le bœuf a ainsi transmis la variole, la lèpre, la
tuberculose, la typhoïde, ainsi que le ténia. Le mouton nous a légué le charbon,
le porc et le poulet, la grippe, et le cheval, le tétanos. Au cours du premier millénaire, les populations ont été frappées par des maladies
endémiques d’origine zoonotique2 (tuberculose,
lèpre, peste, typhus, etc.). Les grandes épidémies empruntent, elles, les routes
maritimes, gagnent l’Europe, puis l’Amérique. La mortalité est effroyable, en même
temps que l’ignorance de leur mode de transmission interdit tout moyen rationnel de
prévention autre que quarantaine ou mise à l’écart. La première étude
épidémiologique significative remonte à 1854 avec les travaux du médecin britannique
John Snow (1813-1858) sur les épidémies de choléra. La « seconde transition
épidémiologique » est apparue à la fin du XIXe siècle, grâce aux progrès
de la médecine et de l’alimentation. Avec la multiplication des vaccins, depuis la
vaccination contre la variole due à Edward Jenner (1749-1823), puis la découverte
des antibiotiques par Alexandre Fleming (1881-1955), des maladies autrefois
destructrices – comme la scarlatine, la rougeole, la rubéole, les oreillons, le
tétanos ou la diphtérie – ont vu leur impact sur la mortalité des pays
industrialisés reculer de manière spectaculaire. La poliomyélite n’existe plus en
Occident et la variole a été éradiquée du globe au début des années 1980. Pourtant,
avec l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, telles que le sida (syndrome
d’immunodéficience acquise) ou la légionellose, la ré-émergence de maladies que l’on
croyait sous contrôle, et avec l’apparition des épidémies à coronavirus, nous sommes
entrés au cours des quarante dernières années du XXe siècle et en ce
début de XXIe siècle dans une nouvelle transition que favorisent de
nouveaux facteurs liés à la mondialisation. |
La mondialisation et les facteurs d’émergences infectieuses La densité des populations joue un rôle considérable dans la dynamique des
épidémies alors que le monde d’aujourd’hui connaît d’importantes évolutions
démographiques : pendant la seconde moitié du XXe siècle, la
population mondiale a presque doublé pour atteindre 7,6 milliards d’individus en
2020, soit une augmentation de 4,6 milliards de Terriens en un peu moins de
cinquante ans. Les estimations prévoient plus de 9 milliards d’habitants en 2050. À
ces préoccupations s’ajoutent celles qui concernent les migrants. D’une part parce
que ceux-ci trouvent dans les pays d’accueil ou ceux qu’ils traversent des microbes
inconnus. De l’autre, parce qu’ils sont eux-mêmes parfois porteurs de bactéries
et/ou de virus susceptibles d’induire de nouvelles pandémies. En 1965, 75 millions
d’entre eux ont transité d’une région du monde à l’autre. En 2009, ils étaient
191 millions. Ce phénomène, qui concerne 3 % de la population mondiale, est
inégalement réparti, car la majorité des migrants sont originaires d’un petit
nombre de pays. À ces évolutions démographiques et migratoires, s’ajoute
l’inégalité de répartition des populations d’un pays à l’autre, voire à
l’intérieur d’un même pays, du fait de leur concentration dans les mégalopoles.
Les risques potentiels d’explosion virale se situent en majorité dans les nappes
urbaines des pays de l’hémisphère Sud et de l’Asie du fait de leur proximité avec
les zones à forte biodiversité et de la mitoyenneté avec la faune sauvage,
principale source des zoonoses. Les facteurs de diffusion épidémique dépendent aussi des voyages et des échanges
commerciaux. Si la Route de la soie a facilité la rencontre des hommes, des rats et
de la peste, si le commerce triangulaire des esclaves a apporté au Nouveau Monde le
moustique Aedes aegypti et la fièvre jaune, si les conquistadors
espagnols ont véhiculé le virus de la variole qui a décimé les populations andines,
les transports d’aujourd’hui facilitent le brassage des germes autant que celui des
peuples. En 2019, on signalait que le trafic aérien progressait en moyenne de 6 %
par an. Cette tendance s’amplifie et représente un danger de propagation des
maladies infectieuses émergentes à période d’incubation courte, telles que
l’infection par le virus West Nile aux États-Unis en 1999, le SRAS au Canada en
2003, le Covid-19 dans le monde entier actuellement. L’homme n’est pas seul en cause : il forme avec l’animal un couple indissociable.
Ainsi, lors de la pandémie de 2005, le virus de la grippe aviaire H5N1 pourrait
avoir été transporté par des oiseaux migrateurs, mais c’est plus probablement par
des volailles importées dans le cadre d’un trafic illégal qu’il s’est introduit
dans l’hémisphère Nord. De fait, l’intensification des échanges de marchandises
favorisés par la mondialisation de l’économie a une conséquence : la disparition
des moyens de quarantaine et la disparition quasi totale des contrôles sanitaires
des voyageurs aux frontières. Quand l’homme n’est pas directement impliqué par le
biais des contacts entre individus à la faveur des regroupements urbains, des
migrations ou des transports, il l’est par la multiplication des rencontres avec
l’animal. Les occasions ne manquent pas, nombre de pratiques agricoles le
facilitent. La destruction des forêts d’Afrique tropicale, d’Amazonie et
d’Indonésie a bouleversé le biotope et favorisé le contact entre l’homme et la
faune. L’exploitation de bois exotiques a rapproché l’homme des grands singes,
réservoirs des virus VIH à l’origine du sida, ainsi que des populations de
chauves-souris, hôtes des virus Ebola et Marburg, et très probablement du
SARS-CoV-2. Le risque est grand de nouvelles transmissions inter-espèces.
Toutefois, les contacts avec la faune sauvage ne sont pas seuls en cause :
l’élevage intensif de poulets, cochons ou ruminants, qui facilite la recombinaison
entre virus animaux et humains, est également à l’origine de nombreuses
épidémies, à commencer par celles des grippes. Depuis leurs premiers usages, les méthodes antiseptiques peuvent entraîner la
sélection de microbes résistants. Ce phénomène, déjà constaté par les
pionniers de l’antibiothérapie, dont Alexander Fleming, a conduit à l’utilisation
de cocktails à base de plusieurs antibiotiques pour venir à bout des microbes les
plus tenaces. Cela n’a cependant pas empêché la survenue de nouvelles
résistances. L’un des exemples les plus dramatiques est celui de la tuberculose.
Les premières observations sur ces résistances ont été rapportées aux États-Unis
à partir de 1985, de nombreuses circonstances, telles que l’épidémie de sida,
favorisant l’apparition de ces bacilles insensibles aux traitements. En 2018, l’OMS
(Organisation mondiale de la santé) évaluait à 10 millions le nombre de nouveaux
cas de tuberculose, dont 484 000 présentaient une résistance à la rifampicine,
l’antibiotique de première intention, parmi lesquels 78 % étaient des cas de
tuberculose multirésistante. De multiples paramètres expliquent ces nouvelles
résistances, notamment la mauvaise utilisation des antibiotiques, leur prise
insuffisante ou insuffisamment prolongée. Mais ces phénomènes de résistance ne
sont pas limités aux antibiotiques. Ils intéressent l’arsenal thérapeutique
anti-infectieux dans son ensemble. Ils suscitent des préoccupations croissantes
dans la lutte contre le sida et le paludisme, des cas de résistance étant
également apparus avec les traitements les plus récents de ces deux maladies. Le changement climatique pourrait également jouer un rôle dans la sélection des
microbes. La hausse des températures moyennes et les perturbations météorologiques
pourraient contribuer à l’apparition de souches plus ou moins virulentes, mais
aussi agir sur les animaux réservoirs ou vecteurs, dont l’abondance, la
répartition et les migrations se trouvent modifiées. Ainsi, on a vu récemment
apparaître des espèces de moustiques, comme Aèdes albopictus
notamment, susceptibles de propager des infections de dengue et de Chikungunya, dans
le sud de la France. À cet égard, le réchauffement climatique et l’augmentation des
concentrations de gaz à effet de serre méritent notre vigilance car susceptibles
de modifier l’habitat et le comportement des vecteurs. |
Entre réservoirs animaux et humains : le rôle des vecteurs La grande majorité des maladies infectieuses provient de l’animal. Une fois la
contagion humaine avérée, celle-ci se propage, comme signalé plus haut, par contact
direct ou proche (nébulisation aérienne, contact avec des surfaces où le virus peut
survivre quelque temps, etc.). L’élément essentiel est la rencontre avec une
personne infectée. Il est cependant de multiples circonstances où le microbe passe
du foyer animal, qu’il soit sauvage ou domestique, à l’homme, grâce à un vecteur
animal. Une des premières découvertes de ce phénomène remonte à Pasteur, lors d’une
circonstance particulière, durant l’été 1878. Il s’agissait de comprendre, à la
demande du ministère de l’Agriculture, comment les bactéries charbonneuses
infectaient les troupeaux. Entre l’agent pathogène, contenu dans des animaux
infectés, morts et enfouis dans la terre, et les animaux qui paissaient dans les
pâtures, persistait une énigme. Comment admettre que les germes puissent revenir à
la surface des champs, alors que les cadavres étaient profondément enfouis dans la
terre ? Un jour où il se rend sur les lieux, Pasteur remarque un emplacement plus
noir, où la terre paraît avoir été remuée. Il remarque également de nombreux et
minuscules édifices en forme de tortillons, de ceux que les lombrics déposent sur le
sol en expulsant la terre. Avec cette observation, Pasteur vient de trouver le
chaînon manquant à la transmission du charbon. Ce sont les vers de terre qui
véhiculent la spore de la bactérie3,, 4. La découverte des animaux vecteurs conduisit à de nouvelles actions de prévention des
épidémies. Il fallut cependant de nombreuses années, après la description princeps
du portage vectoriel, pour faire la preuve de ce phénomène à partir des insectes. La
première étude remonte au travail pionnier de Patrick Manson (1844-1922). C’est en
1877, en Chine, pour la première fois, que l’entomologie entre dans l’histoire de la
médecine, grâce aux découvertes de ce médecin anglais sur la filariose lymphatique
(communément appelée éléphantiasis). Il ouvre un nouveau champ de la pathologie
tropicale en résolvant le problème du cycle génétique de la filaire. Il établit
d’abord que le développement des embryons du parasite ne peut avoir lieu dans le
même lieu que celui qui contient les formes adultes. Partant de ce constat, Manson
imagine que ces embryons doivent être prélevés dans le sang des malades par un
animal vecteur, à l’intérieur duquel s’effectueraient leurs étapes de vie
ultérieure. Il passe alors en revue les insectes ayant une distribution géographique
identique à celle de la maladie parasitaire, élimine puces, punaises, sangsues, et
retient l’espèce la plus commune de moustiques, là où sont observés de nombreux cas
de filarioses, le moustique du genre Culex, Culex quinquefasciatus.
En 1879, il passe des hypothèses aux démonstrations et prouve que les microfilaires
sont adaptées aux habitudes nocturnes des moustiques. Dans un ballet remarquablement
orchestré par la sélection naturelle, les embryons envahissent la circulation
sanguine, en disparaissent le jour et réapparaissent la nuit suivante pour être la
proie des moustiques. Le moustique du genre Culex apparaît ainsi
comme un hôte intermédiaire de la filaire. Établi à partir de cette maladie, un long travail va débuter pour prouver que les
moustiques sont aussi les vecteurs d’un des plus grands fléaux de l’humanité, le
paludisme. C’est au Français Alphonse Laveran (1845-1925) que l’on doit la
découverte du Plasmodium, un parasite agent du paludisme, qu’il observe dans le sang
d’un malade. Il en fera une publication princeps, mais cela ne suffira pas à
expliquer l’apparition et la transmission du parasite. Il fallut attendre les
découvertes d’un anglais, Ronald Ross (1857-1932), qui recevra le prix Nobel de
physiologie ou médecine avant lui. Celui-ci reprit à son compte l’hypothèse de
Manson, qui avait évoqué le rôle du moustique dans la transmission de paludisme,
mais n’en avait pas fait lui-même la démonstration. Celle-ci prit plusieurs années.
Une des premières séries d’expériences fut de mettre des moustiques du genre
Anopheles en contact avec un malade cloué au lit par le
paludisme. Après avoir recueilli les anophèles, Manson eut la sagesse d’attendre
pour détecter, au bout de quelques jours, les premiers parasites. Cela ne suffisait
cependant pas à apporter la preuve de la transmission. Muté dans une région
désertique de l’Inde où n’existent ni moustiques ni paludisme humain, il trouve
alors le moyen de mettre à profit son séjour dans cet environnement quasi aride pour
se focaliser sur une autre forme de paludisme, celui des oiseaux ! L’obstination
paya : l’expérience inverse de celle qu’il avait pratiquée plusieurs mois auparavant
démontra que les insectes rassasiés du sang de moineaux infectés regorgeaient de
parasites. Mieux encore, il constate que les parasites, d’abord présents dans
l’estomac des moustiques, gagnent ensuite leur thorax puis leurs glandes salivaires,
d’où ils peuvent être injectés à une autre victime. Néanmoins, ces travaux ne
convainquirent pas. Il fallut des essais chez l’homme. On les doit à nouveau à
Manson qui fit impaluder son fils par des moustiques infectés, pour la bonne cause !
Ce fut lui encore qui allait inspirer Carlos Finley (1883-1915) et Walter Reed
(1851-1902) pour la découverte, à Cuba, de la transmission du virus de la fièvre
jaune par les moustiques. Ces découvertes sur le rôle des insectes ne furent pas
isolées. Au début du XXe siècle, la démonstration de la transmission par
les poux des rickettsies, responsables du typhus, et par la puce, du bacille de la
peste, ouvrirent la voie à nombres de recherches montrant le rôle des animaux
vecteurs dans la transmission des épidémies. Hôtes intermédiaires, capables de
transporter les microbes, parfois d’en compléter le cycle, ils sont à même de
propager nombre d’infections. En même temps, ils contribuent aux mutations, parfois
nombreuses, qui facilitent l’adaptation de ces microbes à de nouveaux territoires
et, ainsi, leur transmission. Le bacille de la peste, Yersinia
pestis, en est, à cet égard, l’un des plus remarquables exemples.
Provenant d’une bactérie entérique, Yersinia pseudotuberculosis,
qui a d’abord gagné les vaisseaux sanguins des rats à l’occasion de famines pour y
trouver un meilleur métabolisme, gagne ensuite la puce et s’adapte. Fait notable, le
bacille acquiert des propriétés qui lui permettent de se localiser dans le
pro-ventricule de la puce et, mieux, d’y créer un bouchon. De fait, affamant
l’animal qui cherche une nourriture en piquant sa proie, il crée ainsi un obstacle
qui permet au sang régurgité qui regagne la plaie de s’enrichir en nouveaux bacilles
et ainsi d’y propager l’infection. Chaque étape est née de modifications de
l’environnement, le rat et ses compartiments, la puce et ses localisations. Le
microbe agit pour étendre ses territoires et sa virulence. |
Lèpre et peste : deux gestions pour éviter la contagion Lèpre et peste symbolisent parfaitement les maladies contre lesquelles des mesures
sociétales ont été prises pour réduire la transmission des microbes : la lèpre par
l’exclusion, la peste par la quarantaine. Classiquement, la dimension divine de la
lèpre et la nécessité des mesures d’éviction s’appuient sur les citations dont
celle-ci fait l’objet dans l’ancien testament. En effet, dans le Pentateuque5,, le judaïsme fait obligation aux prêtres de
reconnaître la lèpre et les lépreux, et l’on signale, dans le livre du Lévitique,
comment s’y prendre. Dans les Évangiles des églises chrétiennes, il est dit que
Jésus guérit le lépreux. Le malade est alors vu comme une image vivante du Christ
souffrant. Ces élans de charité ne doivent pas dissimuler l’abominable condition des
ladres6, entre le XIe siècle,
date à laquelle le nombre de cas augmente fortement, et le XIVe siècle,
lorsque la maladie amorce un net déclin. Cette période qui recouvre le temps des
croisades est marquée par une telle exclusion que certains en parlent comme une
grande chasse aux lépreux. Les « Maladreries »7,
existaient avant le Moyen Âge. Elles étaient en nombre limité et les religieux
avaient pour mission de porter assistance. La pratique de l’isolement se
généralisera au XIIe siècle, en même temps que les léproseries se
multiplieront et que leur vocation changera. En 1779, le troisième concile de
Latran8 émit un décret qui interdisait aux
lépreux de se mélanger aux personnes saines, de partager leurs lieux de culte et
même d’être enterrés avec elles. Le bannissement débutait par un procès au cours
duquel le suspect, souvent victime de dénonciation, était déféré devant un
représentant de l’évêque, ou devant un jury comportant des lépreux experts et, plus
tardivement, des médecins ou des chirurgiens. Sous le règne de Louis-Philippe, pas
une ville, pas une bourgade qui n’avait sa propre maladrerie. Lorsque l’accusé était
convaincu de ladrerie, son exil était consacré par une cérémonie de « mises hors du
siècle », semblable à l’office des morts. Le lépreux endossait alors l’habit de
ladre et recevait la cliquette, la crécelle, ou la cloche, destinée à signaler sa
présence lorsqu’il mendiait du pain. Reclus dans une léproserie, ou relégué dans une
cabane au bord de la route, le mariage lui était défendu et il était tenu d’annuler
toute union antérieure. Avec la peste naissent les quarantaines et les cordons sanitaires. Le concept de
quarantaine, c’est-à-dire l’isolement coercitif mais transitoire des hommes et des
marchandises suspects d’avoir été contaminés par une « pestilence », date de 1377,
lorsque le recteur de Raguse9, imposa à tous
ceux en provenance d’une zone infectée un isolement de 30 jours sur l’îlot de
Mercado10. La loi stipulait que tout
visiteur en provenance d’une région contaminée devait se plier à la règle de
l’isolement. En 1423, le Sénat de Venise adopta une loi comparable, en augmentant la
durée du confinement à 40 jours, d’où le terme de quarantaine. Le premier édifice
consacré à la rétention sanitaire se construisit sur l’île Santa Maria de Nazareth
qui, par déformation, légat son nom à ce type de bâtiment, les lazarets. Au cours de
la réclusion, les voyageurs étaient séparés du personnel de l’établissement et les
marchandises dispersées sur une esplanade ouverte aux vents. Au cours du siècle
suivant, les lazarets se généralisèrent en Europe, dans les grands ports de la
Méditerranée. À chaque escale, une patente, premier document médico-administratif de
l’histoire, imaginée pour favoriser les échanges sécurisés, est tendue « à l’échelle
», afin d’éviter tout contact direct, puis vérifiée par le responsable de la «
consigne », le guichet dédié à ce ministère. À l’intérieur des terres, une
organisation comparable, mais différente se met en place. Elle se développe à
l’échelle des villes, lorsqu’une épidémie est déclarée dans une cité ou une région
voisine. Une liste des lieux affectés est publiée, avec interdiction d’échanger avec
ces territoires. Une garde renforcée est déployée à l’entrée de la ville pour
refouler les indésirables. Chaque cité agit pour son propre compte. Le contexte
changera avec l’arrivée au pouvoir de Louis XIV et la prise en main de l’affaire de
l’État par Colbert. Le roi nommera des intendants, qui donneront une vision plus
globale des événements et reprendront à leur compte la gouvernance des épidémies.
Cette gouvernance dure toujours… |
L’émergence d’une crise sanitaire crée une situation particulière où
s’additionnent les menaces sur la santé publique et celles en rapport avec les
réactions des citoyens. Cette situation justifie une information, une communication
et une éducation adaptées. L’information doit se fonder sur une analyse rigoureuse,
qui nécessite un perfectionnement continu des méthodes de recueil
épidémiologique et de coordination des données collectées. La communication
officielle est essentielle, car de la diffusion des connaissances sur une épidémie
dépendent en grande partie les réactions face à la crise. Mais il faut surtout
privilégier, entre les crises, l’éducation, éducation sur les microbes et la
vulnérabilité des hommes, sur les modes de contagion, les risques d’émergence, ainsi
que sur les moyens de prévenir les risques infectieux, notamment les vaccins.
Développer une culture du risque est indispensable. À ce prix, les peurs seront
efficacement raisonnées, les décisions politiques mieux comprises, les fausses
rumeurs supprimées. C’est en comprenant mieux les épidémies du passé et celles
à venir que le citoyen pourra davantage participer à une telle ambition. |
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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Footnotes |
1.
Debré P..
Louis Pasteur.
1994 ; Paris:
Éditions Flammarion;
2.
Debré
P
, Gonzalez
JP
. Vie et mort des épidémies.
2013 ; Paris:
Éditions Odile Jacob;
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