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Med Sci (Paris). 36(6-7): 607–615.
doi: 10.1051/medsci/2020095.

La thérapie génique des rétinites pigmentaires héréditaires

Jean-Baptiste Ducloyer,1,2* Guylène Le Meur,1,2 Thérèse Cronin,2 Oumeya Adjali,2 and Michel Weber1,2

1Centre hospitalier universitaire de Nantes, Nantes Université, service d’ophtalmologie, 1 place Alexis Ricordeau, 44093Nantes, France
2Inserm UMR 1089, thérapie génique translationnelle des maladies génétiques, IRS 2 - Nantes Biotech, 22 boulevard Benoni Goullin, 44200Nantes, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm - Marion Vincent).

La rétine est le tissu neurosensoriel tapissant le fond de l’œil. La transformation du signal lumineux en un signal électrique est un processus complexe mettant en jeux de nombreux types cellulaires rétiniens (Figure 1). Le photorécepteur, activé par l’influx lumineux, transmet l’information visuelle aux cellules bipolaires qui intègrent le signal, avant de le transmettre aux cellules ganglionnaires, dont les axones constituent le nerf optique. Deux types de photorécepteurs co-existent : les bâtonnets, disséminées sur tout le fond de l’œil, assurent la vision périphérique. Leur seuil d’activation permet la vision en basse luminosité ; les cônes, concentrés dans la macula, assurent l’acuité visuelle, la stéréoscopie et la vision des couleurs. Situé entre les photorécepteurs et la choroïde, l’épithélium pigmentaire (EP) est une couche monocellulaire en contact étroit avec les segments externes des photorécepteurs via leurs microvillosités. L’EP joue un rôle de barrière hémato-rétinienne, de nutrition et de régénération des photorécepteurs, et dans le renouvellement du 11-cis retinal1 (étape indispensable du cycle visuel).

Les rétinites pigmentaires

Les rétinites pigmentaires (RP) sont des maladies rétiniennes dégénératives héréditaires qui constituent un ensemble génétiquement hétérogène impliquant plus de 90 gènes2. Elles affectent 1 personne sur 4 000 dans le monde. Elles sont sporadiques dans 30 % des cas et se transmettent le plus souvent de façon autosomique récessive (dans 50-60 % des cas), parfois autosomique dominante (30 à 40 % des cas) ou rarement liée à l’X (5 à 15 % des cas) [1]. Les mutations altèrent le plus souvent les photorécepteurs, parfois les cellules de l’EP. Elles mènent toutes, à plus ou moins long terme, à la destruction des deux types cellulaires et à la perte de la fonction visuelle. La baisse de vision se manifeste en général à l’âge adulte par une héméralopie3, puis une baisse du champ visuel périphérique (due à la perte des bâtonnets), et tardivement, par une baisse de l’acuité visuelle et de la vision des couleurs (due à la perte des cônes) : c’est la forme habituelle de RP de l’adulte ou « rod-cone » (pour bâtonnet et cône). L’atteinte dans l’ordre inverse, « cone-rod », est plus rare. Si l’atteinte est très précoce, elle altère le développement visuel du nourrisson et se manifeste par une malvoyance et un nystagmus4, dans les six premiers mois de vie : on parle alors d’amaurose5 congénitale de Leber (ACL). Il existe cependant un continuum entre ces deux phénotypes, car des enfants peuvent présenter une forme intermédiaire entre l’ACL et la RP de l’adulte : c’est la early onset severe retinal dystrophy (EOSRD). L’atteinte est uniquement oculaire dans 80 % des cas, mais elle peut aussi s’intégrer dans un ensemble syndromique (ciliopathies, dont les syndromes d’Usher, ou certaines maladies métaboliques). Ces mladies sont cécitantes et aucun traitement pharmacologique n’est actuellement disponible pour les guérir ou même stopper leur évolution.

Les principes de la thérapie génique

La thérapie génique est une stratégie innovante particulièrement intéressante dans les RP. Elle vise à restaurer la fonction moléculaire déficiente en transférant dans les cellules cibles un gène thérapeutique. L’apport du gène peut suivre plusieurs stratégies distinctes : supplémentation, correction, inactivation, inactivation et supplémentation, compensation. La supplémentation (apport du gène défaillant) est particulièrement adaptée pour les maladies à transmission récessive. La correction et l’inactivation d’un gène pathogène est plus pertinente en cas de maladie à transmission dominante. La compensation correspond, quant à elle, à l’apport d’un gène différent de celui qui est déficient afin de compenser la perte fonctionnelle. Cette approche est particulièrement adaptée si le gène malade n’est pas connu ou si la maladie est à un stade avancé. En effet, le transfert de gènes thérapeutiques n’a de sens que si les cellules ciblées sont encore présentes et fonctionnelles dans l’organe concerné. Dans le cas des RP à un stade avancé, où les photorécepteurs et les cellules de l’EP ont dégénéré, la supplémentation n’aura pas d’effet. L’optogénétique est une approche de compensation dont l’objectif est de faire exprimer par d’autres cellules rétiniennes (cellules bipolaires, cellules ganglionnaires, cônes dormants) des protéines photosensibles à même de restaurer la transduction du signal lumineux en signal électrique. À ce jour, la preuve du concept a été obtenue chez l’animal, et deux études de phase I/II chez l’homme sont en cours [2]. Une autre approche compensatrice consiste à reprogrammer des cellules gliales de la rétine afin de stimuler la régénération rétinienne [3].

L’œil, un organe cible idéal pour la thérapie génique

De petite taille, l’œil peut être traité par de fortes concentrations de vecteurs délivrées dans un petit volume. Clos et isolé du reste de l’organisme par la barrière hémato-rétinienne, l’œil est un organe immuno-privilégié, ce qui permet de limiter la dissémination du vecteur et la réaction immunitaire qu’il pourrait induire. Constituée de cellules post-mitotiques (i.e. ne se divisant pas), la rétine permet une expression du gène sur le long terme sans risque d’intégration accidentelle mutagène en cas de division cellulaire [4] ().

(→) Voir la Synthèse de A. Rossi et A. Salvetti, m/s n° 2, février 2016, page 167

La transparence des milieux qui l’entourent rend la rétine accessible à de multiples examens fonctionnels et d’imagerie non invasive, et permet de suivre la dissémination et l’activité du gène transduit. L’atteinte bilatérale et relativement symétrique des RP permet de traiter un seul œil et de le comparer à l’autre œil, qui sert alors de contrôle. La rétine est facilement accessible chirurgicalement par voie intra-vitréenne ou sous-rétinienne (Figure 2). L’injection sous-rétinienne par voie de vitrectomie6 est une procédure chirurgicale à risque. Elle est cependant préférée actuellement à la voie intra-vitréenne car la transduction du gène thérapeutique y est beaucoup plus efficace [5]. Si l’apport du gène thérapeutique peut s’effectuer ex vivo, (des cellules du patient sont prélevées, modifiées in vitro, puis réinjectées dans l’organe cible), la stratégie in vivo (injection du gène directement dans l’organe cible) est privilégiée en ophtalmologie.

Le vecteur idéal

Pour atteindre la cellule cible, le gène thérapeutique nécessite un véhicule : le vecteur. Les vecteurs non viraux synthétiques sont faciles à produire. Ils peuvent transporter des séquences d’ADN de grande taille et présentent peu de risques de pathogénicité. Malheureusement, leur efficacité in vivo reste faible [6] ().

(→) Voir le Dossier technique de H. Khabou et D. Dalkara, m/s n° 5, mai 2015, page 529

Les vecteurs viraux sont par contre beaucoup plus efficaces pour acheminer l’ADN dans le noyau de cellules hôtes. Pour être efficace et sûr, le « bon vecteur » nécessite d’être non pathogène, non réplicatif, non immunogène et non intégratif, pour éviter le risque de mutagenèse. Il doit cibler spécifiquement le type cellulaire désiré et permettre une expression du gène sur le long cours. Pour obtenir le profil souhaité en fonction de la maladie et de la cellule cible, il est possible de faire varier de multiples paramètres : la famille du virus utilisé (herpès, adénovirus, lentivirus), son sérotype, sa capside, le promoteur du gène thérapeutique qu’il transporte. Actuellement les virus adéno-associés (AAV) sont les vecteurs les plus utilisés pour le traitement des maladies rétiniennes. Leur principal défaut est la taille relativement petite de la cassette d’expression qu’ils sont capables de transporter et qui ne permet de vectoriser qu’un gène de taille restreinte. Les lentivirus d’origine équine leur sont parfois préférés, du fait de leur capacité de transport plus importante [6]. D’autres facteurs entrent également en compte pour optimiser le transfert du gène : le volume de liquide injecté, la concentration virale, la voie d’injection, le site d’injection (rétine saine ou dégénérée), le stade évolutif de la maladie et la gestion de la fenêtre thérapeutique.

Intérêts et limites des modèles animaux

L’utilisation de modèles animaux est un prérequis, en fonction de leur disponibilité. Des modèles animaux, sauvages ou mutés, sont disponibles pour de nombreuses mutations responsables de RP. Les rats et les souris sont très utilisés en première intention, pour des raisons pratiques et financières. Malheureusement, le faible ratio cônes/bâtonnets, l’absence de macula et des différences dans la transduction limitent la pertinence de ces modèles. Le recours à des grands animaux, tels que le chien et surtout les primates non humains, est nécessaire pour confirmer l’efficacité et la sécurité du traitement avant d’envisager des essais cliniques chez l’homme.

Les données actuelles

Les études cliniques actuelles sont le plus souvent fondées sur une approche (supplémentation et/ou inactivation) qui dépend du gène en cause. Nous présentons ici les résultats des études liées au gène RPE65, seul gène pour lequel un médicament est disponible. Nous citerons ensuite les avancées réalisées pour d’autres gènes (Tableau I).

Amaurose congénitale de Leber et RPE65

Le gène RPE65 (retinal pigment epithelium-specific 65) code une rétinoïde isomérohydrolase de 65 kDa. Exprimée dans les cellules de l’EP, elle est indispensable au cycle de la transduction du signal visuel en régénérant le 11-cis rétinal après exposition lumineuse. La mutation bi-allélique de ce gène est responsable de 6 à 16 % des ACL, mais aussi de certaines EOSRD et RP de l’adulte [7]. Cette forme génétique est un bon candidat car, malgré une baisse sévère de la vision dès le jeune âge, les cellules rétiniennes sont encore relativement préservées [8]. Les études précliniques utilisant l’injection sous-rétinienne du gène thérapeutique RPE65 dans un vecteur AAV ont été réalisées chez la souris, puis dans un modèle de chien Briard dépourvu d’expression du gène (RPE65 -/-). Ces études ont démontré l’amélioration des réponses rétiniennes à l’électrorétinogramme et de la fonction visuelle grâce à des tests comportementaux [9-12]. Plusieurs études de phase I/II ont établi la sécurité de la transduction du gène RPE65 thérapeutique et ont révélé une amélioration visuelle chez les patients [13-16]. En 2017, Russel et al. ont publié les résultats d’une étude de phase III, incluant des patients présentant une mutation bi-allélique du gène RPE65 [17]. C’était la première étude randomisée portant sur une thérapie génique en ophtalmologie. Vingt patients ont reçu une injection sous-rétinienne bilatérale de 0,3 ml d’un vecteur AAV2 contenant le gène thérapeutique RPE65 (voretigene neparvovec, ou Luxturna®). Ces 20 patients ont présenté une amélioration modérée mais significative du test de mobilité (critère de jugement principal) par rapport aux neuf patients témoins. Cette amélioration a été observée dès le trentième jour après l’injection dans le deuxième œil et est restée stable pendant un suivi de un an. À un an, 65 % des patients injectés ont réussi le test de mobilité à la plus faible luminosité (1 Lux), contre aucun dans le groupe témoin. Suite à cette étude, la food and drug administration (FDA) et la European medicines agency (EMA) ont donné leur accord pour la commercialisation du Luxturna® (Spark Therapeutics Inc.). Il est actuellement commercialisé aux États-Unis, au prix de 850 000 dollars (environ 765 000 euros) pour les deux yeux. En France, ce produit est pris en charge par l’Assurance maladie et plusieurs patients ont déjà bénéficié de ce traitement dans des centres de référence, notamment au Centre hospitalier national des Quinze-Vingts (CHNO XV-XX) et au Centre hospitalier universitaire de Nantes.

Profil d’efficacité et de sécurité

L’ensemble des études précliniques et cliniques ont montré la bonne tolérance de l’administration sous-rétinienne de vecteurs AAV. Néanmoins, certains points méritent d’être soulignés. Le risque de mutagenèse par insertion accidentelle du gène thérapeutique, avec formation de tumeur, a été documenté pour l’AAV dans le foie de souris nouveau-née [4]. Il semble cependant limité dans la rétine du fait de l’absence de division cellulaire au sein de ce tissu. Une toxicité du vecteur est également possible. Elle dépend de la dose utilisée et du promoteur qui a été choisi our l’expression du gène thérapeutique [18]. Injecté par voie sous-rétinienne chez le rat et le chien, le vecteur a pu être retrouvé dans le nerf optique et les voies visuelles, mais pas dans d’autres organes [19]. La dose de vecteur injectée doit être limitée au minimum nécessaire. Une attention particulière doit également être portée sur les résultats visuels à long terme. En effet, certaines études ont révélé une perte d’efficacité plusieurs années après injection [20, 21].

Technique chirurgicale

Actuellement, l’injection sous-rétinienne est préférée à l’injection intra-vitréenne, car elle met le vecteur injecté directement au contact des cellules cibles, ce qui augmente l’efficacité de vectorisation et diminue les réactions immunitaires et l’exposition inutile d’autres tissus oculaires. Malheureusement, cette technique est invasive. Elle nécessite la réalisation d’une vitrectomie par un chirurgien expérimenté et présente de potentiels effets indésirables : uvéite, cataracte, déchirure rétinienne, décollement de rétine, endophtalmie, pli maculaire, trou maculaire [17, 22]. De nouvelles recherches sont donc nécessaires pour améliorer l’efficacité de la voie intra-vitréenne, la sécurité de l’injection sous-rétinienne, ou pour développer une voie supra-choroïdienne7 [23].

Perspectives
Les autres thérapies géniques de supplémentation
Plusieurs études cliniques de phase I/II évaluent actuellement d’autres traitements de supplémentation ciblant les gènes RPE65, PDE6b (phosphodiestérase 6b), RLPB1 (retinalaldehyde-binding protein 1) et MERTK (myeloid-epithelial-reproductive tyrosine kinase) (Tableau I). Pour la RP liée à l’X (due à des altérations du gène RPGR [retinitis pigmentosa GTPase regulator]), deux études de phase I/II et une de phase I/II/III sont en cours.
L’optogénétique
L’optogénétique consiste à faire exprimer par des cellules rétiniennes des photopigments capables de restaurer la transduction du signal lumineux en signal électrique. Cette méthode présente l’avantage d’être indépendante de la mutation causale, et de la fonctionnalité des photorécepteurs et des cellules de l’EP. Elle serait utilisable à des stades plus avancés d’atrophie rétinienne que pour les stratégies conventionnelles, tant que les cellules bipolaires et/ou ganglionnaires sont fonctionnelles. À ce jour, la preuve de concept a été réalisée chez l’animal et deux études de phase I/II chez l’homme sont prévues8, [2].
Édition de gène : l’apport du système CRISPR/Cas9
Le système CRISPR/Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeats/CRISPR-associated protein 9) est une découverte majeure du XXIe siècle. Il permet de modifier des séquences nucléotidiques. D’autres techniques d’édition de gène sont également disponibles : l’utilisation de zinc finger nucleases (ZFN), les transcription activator-like effector nucleases (TALEN), ou les méganucléases. Mais le système CRISPR/Cas9 présente plusieurs avantages par rapport à ces autres techniques : il est plus rapide à modéliser et à produire, plus efficace et plus spécifique, il permet aussi l’édition simultanée de plusieurs gènes [24]. Des modèles animaux de RP ont ainsi été développés grâce à ce système. Chez le rat, il permet d’inactiver, par une injection sous-rétinienne unique, l’expression du gène RHO qui code la rhodopsine9, dont l’altération est responsable d’une forme de RP autosomique dominante [25]. Aucune étude n’a encore exploré cette voie en ophtalmologie. La principale limite du système CRISPR/Cas9 est une possible coupure double brin de l’ADN sur des sites non désirés, prévisibles in silico ou non. Ces ciblages off-targets présentent un risque mutagène qui reste difficile à maîtriser et qui mérite une surveillance et des précautions particulières.
Induction de cellules pluripotentes in vitro
Le développement in vitro de lignées de cellules pluripotentes hiPSC (human induced-pluripotent stem cells) à partir de cellules de patient, offre de nouvelles perspectives [26]. Il est désormais possible de dédifférencier des cellules somatiques d’un patient en cellules pluripotentes immortalisées, puis de les redifférencier en cellules de l’EP ou, plus difficilement, en photorécepteurs. Des modèles de rétinites pigmentaires sont actuellement développés. Ils présentent de nombreux avantages. Ils permettent de mieux comprendre la pathogenèse de la maladie et de tester de nouvelles approches thérapeutiques pharmacologiques ou de thérapie génique. Combinée à l’utilisation du système CRISPR/Cas9, l’induction de cellules pluripotentes ouvre de nouveaux horizons : cela permettrait notamment de diminuer significativement le recours aux modèles animaux. Cette technique permet, enfin, d’envisager de développer une thérapie génique ex vivo, en greffant des cellules autologues génétiquement modifiées in vitro.
Aspects économiques et éthiques

Pour trouver sa place dans le système de soin, la thérapie génique doit d’abord trouver son modèle économique. Ce secteur est particulièrement concerné par la loi d’Eroom10 qui prédit que le développement des médicaments sera de plus en plus lent et coûteux. En effet les coûts de développement et de production des thérapies géniques sont très élevés et concernent, pour chaque vecteur, uniquement un gène, voire une mutation particulière d’un gène, et donc peu de patients. On estime ainsi entre 100 et 200 le nombre de patients atteints (en France) de dégénérescence rétinienne liée à la mutation bi-allélique du gène RPE65 et seule une partie d’entre eux conserve suffisamment de rétine fonctionnelle pour que l’injection de Luxturna® leur soit profitable. Alors faut-il rembourser ce produit ? Oui sans doute, car son efficacité, même si elle est modeste, a été démontrée et améliore la qualité de vie des patients, avec une tolérance acceptable. Un signal encourageant fort est donc donné à la communauté des patients, aux chercheurs, aux donateurs privés et aux investisseurs ; mais à l’opposé, on pourrait contester ce « oui » en raison du faible recul que l’on a sur la balance bénéfice/risque et sur le ratio efficacité/coût qui pourrait s’avérer insuffisant [27]. À noter que les patients qui auront profité d’une injection du produit ne pourront plus prétendre à être inclus dans un éventuel essai futur.

Quel prix la solidarité nationale est-elle prête à supporter ? En janvier 2019, le collège de la Haute autorité de santé (HAS) a décidé de mettre en place une évaluation économique et de santé publique du Luxturna®. Il est donc susceptible de connaître le même sort que le Glybera® 11, première thérapie génique autorisée en Europe pour le traitement de déficit familial en lipoprotéine lipase (qui a reçu une autorisation de mise sur le marché [AMM] en 2012). Le Glybera® n’avait cependant pas obtenu de remboursement, en raison d’un intérêt clinique insuffisant. Pour rendre ce modèle viable, il est nécessaire de modifier profondément les procédés de développement et de fabrication afin de diminuer le coût de fabrication du produit, de favoriser des stratégies qui permettraient de rendre les produits confectionnés indépendants de la mutation responsable de la maladie ou d’obtenir des résultats cliniques qui soient très significatifs [59] ().

(→) Voir le Repères de A. Fischer et al., m/s n° 4, avril 2020, page 389

Une question éthique, est celle du recrutement des patients pour les études cliniques. Le bénéfice attendu des produits est théoriquement bien supérieur chez l’enfant, chez lesquels la dégénérescence rétinienne est moins avancée. Limiter les essais aux adultes pour protéger du risque les enfants est légitime, mais cette option pourrait conduire à des conclusions erronées quant à l’efficacité du traitement, uniquement évaluée chez l’adulte et a priori plus grande chez l’enfant.

Conclusion

La thérapie génique est une approche thérapeutique révolutionnaire en plein essor, dont l’efficacité est désormais établie. Bien au-delà du « simple médicament » qui apporte un gène manquant, de multiples stratégies thérapeutiques sont en cours de développement et permettront de s’adapter au stade de la maladie, qui est évolutive. Le diagnostic et le génotypage le plus précocement possible des patients sont une priorité : ils permettent de proposer des thérapies de supplémentation, d’édition ou d’inactivation du gène muté pour empêcher la dégénérescence rétinienne. Cette notion de « fenêtre thérapeutique » est centrale. Elle est bien illustrée par l’intitulé de l’AMM du Luxturna®, qui réserve le traitement aux patients « possédant suffisamment de cellules viables ». En cas de perte cellulaire avancée, l’optogénétique et la reprogrammation cellulaire sont des modalités prometteuses indépendantes du gène causal. Les perspectives de recherche sont larges et passionnantes, mais il reste de nombreux défis technologiques, économiques et éthiques à surmonter avant que la thérapie génique s’installe dans la pratique médicale.

Liens d’intérêt

Michel Weber est consultant pour Novartis. Michel Weber et Guylène Le Meur sont actionnaires fondateurs de Horama.

 
Footnotes
1 Le cycle de la vision est régi par la photoisomérisation du rétinal. Lorsque le 11-cis rétinal absorbe un photon, il passe de l’état 11-cis à l’état tout-trans. Cette isomérisation est à l’origine de l’influx nerveux par phototransduction. Le 11-cis rétinal est ensuite régénéré par voie enzymatique.
2 https://sph.uth.edu/retnet/
3 Diminution de la vision en condition d’éclairage faible.
4 Le nystagmus est un mouvement d’oscillation involontaire et saccadé du globe oculaire causé par une perturbation de la coordination des muscles de l’oeil.
5 Perte totale de la vue, sans lésion décelable.
6 Retrait du vitré par voie chirurgicale. Le vitré est la substance qui remplit la cavité oculaire, en arrière du cristallin.
7 L’espace suprachoroïdien est un espace virtuel situé entre la face externe de la choroïde (la membrane qui tapisse l’intérieur du globe oculaire) et la face interne de la sclère (enveloppe fibreuse externe du globe oculaire).
8 ClinicalTrials.gov NCT02556736 et ClinicalTrials.gov NCT03326336.
9 Pigment photosensible des bâtonnets.
10 La « loi d’Eroom » prédit que chaque découverte d’un nouveau traitement médical prend plus de temps et coûte plus cher que les précédentes, en dépit des progrès technologiques.
11 Utilisé dans le traitement des adultes présentant un déficit familial en lipoprotéine lipase (LPL) et souffrant de crises de pancréatites sévères ou multiples malgré un régime pauvre en lipides.
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