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Med Sci (Paris). 36(6-7): 565–568.
doi: 10.1051/medsci/2020101.

Gènes stemness et bioingénierie des greffons cutanés
Focus sur KLF4

Nicolas O. Fortunel1* and Michèle T. Martin1**

1Laboratoire de génomique et radiobiologie de la kératinopoïèse, CEA/DRF/IBFJ/IRCM, 2 rue Gaston Crémieux, 91000Évry, FranceInserm U967, Fontenay-aux-Roses ; Université Paris-Diderot, Université Paris-Saclay, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Cellules souches adultes, Animaux, Bioingénierie, Cellules souches embryonnaires, Humains, Kératinocytes, Facteurs de transcription Krüppel-like, Transplantation de peau, Peau artificielle, Niche de cellules souches, cytologie, physiologie, méthodes, tendances, métabolisme, génétique

 

Le travail de notre laboratoire publié dans la revue Nature Biomedical Engineering [1] identifie le facteur de transcription KLF4 comme un régulateur du statut de cellule souche dans le lignage des kératinocytes humains. Maintenir l’expression de ce facteur à un faible niveau par répression pharmacologique constitue une approche prometteuse pour favoriser l’amplification ex vivo de deux types de cellules d’intérêt pour la thérapie cellulaire cutanée : les cellules souches et progéniteurs kératinocytaires natifs issus d’épiderme adulte, utilisés depuis plus de trois décennies pour la bioingénierie des greffons cliniques, et les kératinocytes générés par différenciation ciblée de cellules souches embryonnaires (CSE), qui font actuellement l’objet d’explorations pour le développement de biopansements cutanés.

La question biomédicale

L’épiderme humain est naturellement doté de remarquables capacités de renouvellement et de régénération, dues à la présence de cellules souches au sein de sa couche basale. Ces capacités ont permis l’obtention d’organoïdes de peau en culture ainsi que le développement clinique des greffes autologues, notamment pour le traitement des grands brûlés [2, 3]. Plus récemment, une approche combinant thérapies cellulaire et génique a permis la régénération de l’épiderme entier d’un patient atteint d’une génodermatose1 [4]. La bioingénierie de grandes surfaces de substituts cutanés nécessite une phase d’expansion ex vivo massive des kératinocytes du patient, durant laquelle la préservation des cellules souches constitue un point critique pour assurer la pérennité des greffes. L’étude des acteurs moléculaires impliqués dans le maintien de cellules souches kératinocytaires fonctionnelles constitue donc une étape nécessaire à la conception des prochaines générations de greffons cutanés. Ces nouvelles générations de greffons pourraient utiliser un matériel cellulaire complémentaire des kératinocytes natifs, puisque les kératinocytes produits par orientation ciblée de CSE ou de cellules souches pluripotentes induites (CSPi) sont capables de générer des organoïdes cutanés [5] (Figure 1). L’efficacité de cette source alternative de kératinocytes dépendra de la robustesse des méthodes de leur production et de la possibilité d’obtenir des kératinocytes à l’état de précurseurs immatures.

Le candidat KLF4

Le facteur de transcription KLF4 (Kruppel-like factor 4) n’est pas un inconnu dans le domaine des cellules souches. La famille KLF est impliquée dans l’autorenouvellement des CSE, et KLF4 est utilisé dans le procédé original de reprogrammation de cellules somatiques vers un état CSPi [6]. On connaissait également l’implication de KLF4 dans les processus de différenciation terminale des kératinocytes de l’épiderme de souris et son importance pour la mise en place de la fonction barrière de cet épithélium. En revanche, l’exploration des fonctions de KLF4 dans les cellules souches tissulaires natives constitue un pan peu exploré de la biologie de ce facteur. En nous fondant sur des cribles transcriptomiques réalisés sur des sous-populations de précurseurs kératinocytaires humains, enrichies en cellules souches ou en progéniteurs, nous avons posé comme hypothèse que KLF4 était impliqué dans la régulation des cellules souches de l’épiderme, et particulièrement de leur capacité régénératrice.

Étude de la fonction de KLF4 dans les kératinocytes natifs adultes

La fonction régulatrice du facteur de transcription KLF4 a tout d’abord été étudiée dans le modèle des holoclones, qui correspond à la descendance clonale de cellules souches kératinocytaires, maintenue et amplifiée en culture [7]. Dans le cadre d’une approche de génomique fonctionnelle, des holoclones présentant une diminution du niveau constitutif d’expression de KLF4 (knock-down, KD) par rapport au contexte cellulaire témoin (wild-type, WT) ont été générés par expression stable d’ARN interférents (shARN). La mise en œuvre de tests de clonalité et de cultures à long terme a permis de montrer qu’une réduction du niveau d’expression de KLF4 préserve le statut de précurseurs kératinocytaires et favorise leur autorenouvellement. Cet effet se traduit par le maintien d’un niveau élevé de nombreux marqueurs caractéristiques d’un état immature de ces cellules, dont l’intégrine-α6, et par une augmentation de l’expansion cellulaire en culture bidimensionnelle. De plus, la capacité régénératrice des cultures de kératinocytes [KLF4KD] est supérieure à celle d’une culture de kératinocytes [KLF4WT]. Ce gain a été démontré d’une part par une meilleure production d’organoïdes en culture, et, d’autre part, par la capacité de substituts cutanés humains à assurer une prise de greffe itérative chez la souris [8]. Lors d’un premier cycle de xénogreffe, l’aptitude des kératinocytes [KLF4WT] et [KLF4KD] s’est avérée équivalente, indiquant une absence d’effet délétère de la répression de KLF4 sur l’organogenèse épidermique. En revanche, lorsque les cellules sont extraites de greffons primaires afin d’assurer un second cycle de reconstruction épidermique et de xénogreffe, le taux de succès observé avec les kératinocytes [KLF4KD] est trois fois supérieur à celui des kératinocytes [KLF4WT], indiquant un meilleur maintien à long terme de cellules souches kératinocytaires fonctionnelles après répression de KLF4.

Données mécanistiques

Afin d’expliquer les effets bénéfiques obtenus par inhibition de KLF4, les profils d’expression génique de kératinocytes [KLF4WT] et de kératinocytes [KLF4KD] ont été caractérisés par séquençage du transcriptome et comparés. Cette analyse a permis de mettre en évidence une modulation des voies de signalisation du TGF-β1 (transforming growth factor β1) et de Wnt, qui sont centrales pour la biologie des cellules souches. Nous avons notamment détecté une répression globale de la voie du TGF-β1 dans les kératinocytes [KLF4KD], et en particulier de son axe ALK1 (activin receptor-like kinase 1)/Smad1/5/9 (Figure 2). Comme le TGF-β1 est connu pour induire la différenciation des précurseurs kératinocytaires, nous avons exploré la relation fonctionnelle entre ce facteur et KLF4. Nous montrons que la répression de KLF4 permet aux kératinocytes de résister à l’effet différenciateur du TGF-β1 et de mieux conserver les caractéristiques de cellules souches.

De la recherche fondamentale aux modèles précliniques

Pour nous approcher de conditions applicables en clinique, nous avons exploré les effets d’une répression transitoire de KLF4 sur des kératinocytes issus de l’ensemble de la couche basale de l’épiderme [9], plus représentatifs des cellules utilisées pour la génération des greffons que les holoclones. Le traitement de kératinocytes par des petits ARN interférents (siARN) ciblant KLF4 a permis de montrer qu’une inhibition transitoire spécifique est efficace pour promouvoir le maintien de caractères associés à un état de cellule souche. L’étape suivante a été l’obtention d’une inhibition transitoire par voie pharmacologique. En effet, un traitement par la kenpaullone2 permet de diminuer l’expression de KLF4, ce qui augmente la capacité clonogénique et la croissance des kératinocytes. Sur le plan de la biosécurité, le séquençage de l’exome des kératinocytes n’a pas détecté d’effet délétère de cette répression de KLF4 sur l’intégrité de leur génome.

Extrapolation aux kératinocytes issus de cellules souches pluripotentes

Afin d’élargir la portée de ce travail, nous avons étudié la possibilité d’appliquer la stratégie de la répression de KLF4 aux kératinocytes dérivés de cellules souches embryonnaires (Ker-CSE). Bien que ces kératinocytes possèdent la capacité de reconstruire un épiderme fonctionnel [5], ils ne présentent pas l’ensemble des caractéristiques des cellules souches kératinocytaires, et leur capacité de prolifération en culture est notamment très réduite. La kenpaullone s’est également avérée efficace pour réprimer KLF4 dans ces cellules et pour induire un effet bénéfique sur la prolifération cellulaire, similaire à celui obtenu avec les kératinocytes natifs. En effet, nous avons montré que les Ker-CSE traités avec cette molécule ont un phénotype plus immature, qui se traduit par un gain de croissance en culture bidimensionnelle et un gain de qualité pour la génération d’épidermes tridimensionnels.

Perspectives

Cette étude a permis d’identifier le facteur de transcription KLF4 comme un régulateur du statut de cellule souche dans le lignage des kératinocytes humains, impliquant notamment un contrôle des voies de signalisation du TGF-β1. Maintenir l’expression de ce facteur à un niveau faible par une répression pharmacologique constitue une approche prometteuse pour favoriser l’amplification ex vivo de kératinocytes natifs de l’épiderme humain ou dérivés de cellules souches pluripotentes, deux stratégies d’intérêt pour la thérapie cellulaire cutanée. Par ailleurs, l’expansion des kératinocytes à des fins médicales utilisant actuellement des milieux de culture non définis [10], et notamment du sérum bovin, les instances de règlementation demandent la mise en œuvre de milieux mieux définis et sans composés d’origine animale. La substitution des composés non définis par des molécules actives promotrices du caractère souche, telles que des inhibiteurs de KLF4 ou des voies de signalisation TGF-β ou ROCK (Rho-associated, coiled-coil domain kinase), comme cela a été récemment proposé [11], constitue donc un progrès attendu de l’ingénierie cellulaire (Figure 3).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions les co-auteurs de la publication originale. Ces travaux ont bénéficié du soutien logistique et financier du CEA, de l’Inserm (UMR 967), et du Genopole-Évry, ainsi que de financements de la délégation générale de l’armement (DGA), du fonds unique interministériel (FUI-AAP13) et du conseil général de l’Essonne (consortium STEMSAFE), de l’AFM-Téléthon, et de fonds de l’union européenne (RISK-IR, FP7, n° 323267).

 
Footnotes
1 Groupe hétérogène de maladies génétiques de la peau.
2 Un inhibiteur de la glycogène synthase kinase 3β (GSK-3β) et des kinases dépendant des cyclines (CDK).
References
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