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| Med Sci (Paris). 36(5): 521–523. doi: 10.1051/medsci/2020107.Covid-19 : protocoles de soins ou protocoles de
recherche ? Philippe Amiel,1,2* Hervé Chneiweiss,3,4** and Christine Dosquet1*** 1CEEI (Comité d’évaluation éthique de l’Inserm/IRB),
101, rue de Tolbiac,
75013Paris,
France 2UMR 1123 ECEVE Inserm, Université de Paris,
10, avenue de Verdun75010Paris,
France 3Comité d’éthique de l’Inserm (CEI), 101, rue de Tolbiac, 75013Paris,
France 4Neuroscience Paris Seine – IBPS, Équipe Plasticité gliale et
tumeurs cérébrales, UMR8246 CNRS, U1130 Inserm, Sorbonne Université, Campus
Pierre et Marie Curie, 7,
quai Saint Bernard, 75005Paris,
France MeSH keywords: Betacoronavirus, COVID-19, Protocoles cliniques, Infections à coronavirus, Humains, Pandémies, Pneumopathie virale, SARS-CoV-2 |
Vignette (Photo ©Inserm 1111-UMR 5308 CNRS-ENS Lyon-UCBL1). Une étude sur 80 sujets, visant à prouver l’efficacité de l’association
hydroxychloroquine-azithromycine dans le traitement du Covid-19, a été publiée par une
équipe de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infections [1]. Cette recherche a été approuvée, dit l’article, par un comité d’éthique de l’IHU
Méditerranée Infections, dont on ne trouve nulle trace sur le site Internet de
l’établissement. En tout état de cause, la question qui se pose est de savoir si le
recours à un tel comité est approprié ou non pour conduire une telle étude : le
protocole présenté par les auteurs est-il un protocole de soins – auquel cas l’avis d’un
comité d’éthique local, qui n’est d’ailleurs pas obligatoire, est suffisant – ou un
protocole de recherche, auquel cas il aurait dû, comme le prévoit l’article L 1121-4 du
code de la santé publique (CSP), être soumis pour autorisation à l’Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM), d’une part, et à un comité de protection des personnes
(CPP) institué par la loi, d’autre part, pour que celui-ci examine le projet et rende un
avis sans lequel l’ANSM ne peut autoriser la recherche [2] ? La loi prévoit en effet un encadrement différent selon qu’un même geste médical est
réalisé exclusivement pour le soin du malade ou qu’il l’est, même accessoirement, dans
une visée de recherche. Les actes considérés sur ce plan peuvent être l’administration
d’un traitement, mais aussi les modalités de diagnostic ou de surveillance qui entourent
la prescription. |
La prescription dans le cadre du soin Les médecins qui prescrivent l’association hydroxychloroquine-azithromycine dans le
traitement du Covid-19 ne sont pas critiquables : dans la situation actuelle et sous
leur responsabilité, ils peuvent prescrire cette association pour le bien espéré de
leurs malades bien que celle-ci n’ait pas reçu d’autorisation de mise sur le marché
(AMM). Le CSP prévoit cette possibilité aux articles L 5121-12-1 et R 5121-76-9 en
les assortissant de plusieurs conditions : la visée doit être d’ « améliorer ou
stabiliser l’état clinique » du patient, et cela « sous réserve que le prescripteur
juge indispensable, au regard des données acquises de la science », le recours à
cette prescription. Il est certain que le caractère évolutif des « données acquises
de la science » (ou des « connaissances médicales avérées » de l’article L 1110-5 du
CSP) ouvre la voie à des discussions, voire à des contestations, selon la date prise
pour référence dans l’appréciation de la conformité à ces données acquises de la
science [3]. Il y a, pour le
prescripteur, une zone de risque sur ce point. En tout état de cause, il est
avantageux pour les malades et hautement recommandable que la prescription
justifiable par ces dispositions se fasse dans un cadre strict, « protocolisé »,
incluant une surveillance précise des effets secondaires du traitement. |
Le cadre des recherches impliquant la personne humaine (RIPH) La notion de « protocole » est présente dans l’activité de soins comme dans
l’activité de recherche biomédicale. L’existence d’un protocole ne signe pas la
visée scientifique ; il y a des protocoles de soins dans de nombreuses spécialités –
comme la cancérologie, typiquement. C’est la visée, scientifique ou de soins qui, au
contraire, détermine la qualification d’un protocole – de recherche ou de soins – et
le régime juridique des actes réalisés. À cet égard, le geste qui consiste à donner
à un malade un médicament pour prouver qu’il est efficace est, sans
ambiguïté, un geste à visée scientifique, même s’il s’y mêle – et c’est couramment
le cas en matière de recherche biomédicale – une visée curative, une intention de
soin. Dès qu’intervient dans le protocole le moindre acte « en vue du développement
des connaissances biologiques et médicales » au sens de l’article L 1121-1 du CSP,
ce protocole remplit l’un des critères essentiels des « recherches impliquant la
personne humaine » (RIPH), qui sont soumises à un régime juridique spécifique. Cette condition de visée scientifique ne suffit pas à caractériser les RIPH. S’y
ajoute au moins la condition que des actes prévus au protocole soient
pratiqués sur les personnes. Il est fréquent en biomédecine que
des recherches soient réalisées non pas sur des personnes mais sur des données
collectées à l’occasion des soins en dehors de toute recherche organisée. Ces
« études rétrospectives sur données » ne relèvent pas des « recherches
impliquant la personne humaine » pour la raison, précisément,
qu’elles ne sont pas pratiquées sur des personnes. La combinaison, en revanche, dans
un protocole, de la visée scientifique et d’actes pratiqués sur les personnes
caractérise l’étude comme relevant du régime des RIPH. L’article R 1121-1 du CSP précise nettement que « sont des recherches impliquant la
personne humaine […], les recherches organisées et pratiquées sur des personnes
volontaires saines ou malades, en vue du développement des connaissances biologiques
ou médicales qui visent à évaluer : […] 2° L’efficacité et la sécurité […] de
l’administration de produits dans un but de diagnostic, de traitement ou de
prévention d’états pathologiques » [4]. Il est difficile, au regard de la définition légale, de considérer
l’étude analysée ici [1] autrement que comme
une RIPH. |
Les essais biomédicaux sont régis par les articles L 1121-1 et suivants du CSP, issus
de la loi « Jardé » du 5 mars 2012 relative aux « recherches impliquant la personne
humaine » (RIPH) [5],
modifiée et entrée en vigueur par une ordonnance du 16 juin 2016 [6], dans l’attente de l’entrée en
application d’un règlement européen (c’est-à-dire une loi européenne d’application
directe dans tous les États membres) adopté en 2014 et qui a vocation à organiser
les « essais cliniques de médicaments à usage humain » (Règlement UE n° 536/2014)
[7]. Les dispositions de
la loi et de l’ordonnance sont codifiées aux articles L 1121-1 et suivants du
CSP. Le premier alinéa de l’article L 1121-1 du CSP, pratiquement inchangé depuis 1990,
dispose que les RIPH sont « Les recherches organisées et pratiquées sur l’être
humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales ». La loi
distingue sur cette base, au même article L 1121-1, entre trois « catégories de
recherche » (qu’on désigne couramment par « RIPH1 », « RIPH2 » et « RIPH3 ») :
« recherches interventionnelles » (L 1121-1 1°), recherches « interventionnelles qui
ne comportent que des risques et des contraintes minimes » (L 1121-1 2°) et
recherches « non interventionnelles » (L 1121-1 3°). La loi a prévu différents
allègements des obligations pesant sur l’expérimentateur (investigateur ou
promoteur) pour les RIPH2 et RIPH3, mais dans des conditions précises définies par
des textes d’application [8].
L’expérimentation de médicaments en est exclue, comme c’était déjà le cas avant la
loi Jardé. |
Qualification juridique de la recherche : un essai clinique de médicament La recherche de l’équipe de l’IHU Méditerranée Infections [1] relève des RIPH1, c’est-à-dire de la catégorie de référence
des « recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne
non justifiée par sa prise en charge habituelle », pour lesquelles aucun allègement
des obligations pesant sur l’expérimentateur n’est prévu. Dans ce cadre, les
interventions visées, outre l’administration du médicament, peuvent consister
simplement en actes de diagnostic ou de surveillance spécifiques, réalisés en plus
du traitement habituel. Si on se réfère au règlement européen dont l’application est à venir, il n’y a pas
non plus d’échappatoire : l’étude présentée est bien un essai clinique au sens
plein, qui ne relève ni des essais « à faible niveau d’intervention » ni des
« études non interventionnelles » au sens de l’article 2 §1) à 4) du Règlement UE
536/2014. L’essai relève également des textes déontologiques sur l’expérimentation humaine, à
commencer par la déclaration d’Helsinki de l’Assemblée médicale mondiale. Les
auteurs ne s’y trompent d’ailleurs pas puisqu’ils rangent explicitement leur étude,
dans le chapitre « Ethics Statement » de leur article [1], sous le régime de ce texte [9]. |
Protection des personnes, des investigateurs et de la science La question de la qualification de la recherche publiée par l’équipe de l’IHU
Méditerranée Infections [1] pose peu de
problèmes au juriste. Elle n’en pose pas plus à un comité d’éthique de la recherche
bien au fait de ses responsabilités, dont c’est normalement la première tâche à
réception d’un dossier de demande d’avis : « Sommes-nous compétents ou ce dossier
doit-il entrer dans la filière des RIPH ? » Ce point n’est pas sans incidence sur la protection effective des droits des
personnes qui se prêtent à la recherche, la loi disposant en particulier que le
promoteur d’une recherche « interventionnelle » souscrit une assurance qui couvre
les sujets en cas d’accident. Il n’est pas sans incidence non plus sur la protection
des investigateurs : si la recherche mise en Ĺ“uvre a été visée par un comité
d’éthique alors qu’elle aurait dû l’être par un CPP, puis autorisée par l’ANSM, elle
est illicite et les investigateurs sont passibles de poursuites pénales. Mais l’examen préalable, dans les conditions prévues par la loi, des projets
d’expérimentation biomédicale sur l’être humain n’est pas seulement une protection
visant directement les personnes participant à l’expérimentation. Il protège les
personnes futures qui pourraient être lésées par des traitement établis sur des
bases scientifiques erronées, mais aussi la recherche scientifique elle-même et la
confiance qu’on doit pouvoir accorder à ses résultats. Au-delà de la sécurité
sanitaire des essais, en effet, la revue préalable des projets de recherche par les
CPP examine en détail les méthodes adoptées pour s’assurer que l’essai permettra de
conclure et qu’une connaissance scientifique fiable – non susceptible d’induire en
erreur chercheurs à venir et praticiens – pourra être produite. |
Une démarche problématique sur les plans juridique et éthique Comme on l’a dit plus haut, les médecins qui prescrivent l’association
hydroxychloroquine-azithromycine dans le traitement du Covid-19 ne sont pas
critiquables de ce fait. C’est le cadre de la prescription – un cadre de recherche –
qui pose problème. D’un point de vue juridique, l’essai de l’équipe de l’IHU
Méditerranée Infections n’a pas été autorisé comme il aurait dû l’être par les
autorités compétentes. D’un point de vue éthique – ou, plus justement, déontologique
– la difficulté est indubitable quand on considère la déclaration d’Helsinki dont se
réclament les auteurs de l’étude. La Déclaration indique sans ambiguïté dans son
article 10 que « Dans la recherche médicale impliquant des êtres humains, les
médecins doivent tenir compte des normes et standards éthiques, légaux et
réglementaires applicables dans leur propre pays ainsi que des normes et standards
internationaux ». Un consensus fort à l’échelle mondiale s’est établi depuis des décennies sur le
principe que la recherche médicale ne saurait se faire sans considération pour les
« normes éthiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les êtres humains et
qui protègent leur santé et leurs droits », pour reprendre, là encore, les mots de
la déclaration d’Helsinki (art. 7). Il y a des raisons fortes pour faciliter l’inclusion dans les essais cliniques de
malades qui le souhaitent et qui sont éligibles – spécialement dans les cas où il
n’existe pas d’alternative thérapeutique avérée. Ce fut le cas au moment de
l’épidémie de VIH-sida ; c’est une problématique actuelle pour certains cancers ;
c’est, à l’évidence, le cas s’agissant du Covid-19. On a pu défendre ainsi que la
participation aux essais auxquels on est éligible est un droit aussi fondamental que
celui ne de pas participer [10]. Mais il y a des raisons aussi fortes de respecter les cadres
protecteurs des personnes dans la recherche. Une situation d’urgence ne saurait
justifier l’abandon des règles éthiques et juridiques protégeant les personnes. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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1. Gautret
P,
Lagier
JC,
Parola
P, et al.
Clinical and microbiological effect of a combination of
hydroxychloroquine and azithromycin in 80 COVID-19 patients with at least a
six-day follow up: a pilot observational study .
Travel Med Infect Dis.
2020 Apr 11 : :101663.. doi: 10.1016/j.tmaid.2020.101663. 4.
Décret n° 2017–884 du 9 mai 2017 modifiant certaines dispositions
réglementaires relatives aux recherches impliquant la personne
humaine.
5.
Loi n° 2012–300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la
personne humaine.
6.
Ordonnance n° 2016–800 du 16 juin 2016 relative aux recherches
impliquant la personne humaine.
7.
Règlement (UE) n ° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16
avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et
abrogeant la directive 2001/20/CE.
8.
Arrêté du 12 avril 2018 fixant la liste des recherches mentionnées au
2° de l’article L. 1121–1 du code de la santé publique et arrêté du 12 avril
2018 fixant la liste des recherches mentionnées au 3° de l’article L. 1121–1
du code de la santé publique.
10. Amiel
P. Des cobayes et des
hommes : expérimentation sur l’être humain et justice .
Paris: : Belles
Lettres; , 2011 : :344.
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