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Med Sci (Paris). 36(5): 442–446.
doi: 10.1051/medsci/2020070.

La méthylation des ARNm, une nouvelle modalité de régulation de la présentation croisée des antigènes de cellules tumorales

Marine Gros1* and Marianne Burbage1**

1Inserm U932, section recherche, Institut Curie, 26 rue d’Ulm, 75005Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Présentation d'antigène, Antigènes néoplasiques, Cross-priming, Cellules dendritiques, Humains, Méthylation, Methyltransferases, Tumeurs, Maturation post-transcriptionnelle des ARN, ARN messager, physiologie, immunologie, métabolisme

Réponses anti-tumorales et stratégies actuelles d’immunothérapie

Si elle repose sur des intuitions scientifiques anciennes, l’immunothérapie s’impose depuis une dizaine d’années comme un changement majeur de paradigme dans le traitement des cancers. Contrairement aux approches de radiothérapie et chimiothérapie traditionnellement employées, elle ne repose pas sur la destruction directe des cellules cancéreuses, mais sur la potentialisation des réponses immunitaires dirigées contre la tumeur. Un nombre important de médicaments immunothérapeutiques actuellement mis sur le marché vise à lever les « freins moléculaires » (« checkpoints » PD-1, PD-L1 ou CTLA-4) exercés par les tumeurs sur les lymphocytes T CD8+, et à restaurer ainsi la capacité cytotoxique de ces cellules effectrices de l’immunité [1] ().

(→) Voir la Synthèse de M. Dubois et al., m/s n° 12, décembre 2019, page 937

L’acquisition des propriétés anti-tumorales de ces lymphocytes résulte de la reconnaissance, à la surface des cellules dendritiques (dendritic cells, DC), d’un complexe moléculaire constitué de peptides antigéniques enchâssés dans des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I. Dans le cas d’antigènes tumoraux, d’origine exogène puisqu’issus des cellules cancéreuses, la formation d’un tel complexe découle d’un processus intracellulaire fondamental, appelé présentation croisée1, spécifique d’une sous-population de cellules dendritiques, les cellules cDC1 (conventional type 1 dendritic cells).

La présentation croisée de l’antigène comme support de l’immunité anti-tumorale

L’utilisation de souris dépourvues de cDC1 ou porteuses de cDC1 incapables de réaliser la présentation croisée des antigènes a démontré l’importance de ces cellules dans l’initiation de réponses anti-tumorales protectrices [2, 3]. Dans cette sous-population spécialisée de cellules dendritiques, la présentation croisée s’effectue exclusivement selon la voie intracellulaire dite « cytosolique » [4] : à la suite de leur endocytose, les antigènes tumoraux internalisés sont exportés dans le cytosol où ils sont dégradés par le protéasome. Les peptides ainsi générés sont ensuite importés dans différents compartiments (réticulum endoplasmique, endo/phagosomes), où ils s’associent aux molécules du CMH-I. Les complexes CMH-I/peptides sont enfin exportés à la membrane plasmique, lieu de leur interaction avec les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques. Le déroulement de chacune des étapes de ce mécanisme intracellulaire complexe paraît être contrôlé par de nombreux paramètres. Si certains demeurent obscurs, la dégradation ménagée des antigènes, opérée spécifiquement par les cDC1, semble constituer l’une des bases moléculaires de la capacité de présentation croisée propre à ces cellules.

Limitation du potentiel de dégradation des compartiments intracellulaires dans les cDC1

L’existence d’un lien entre intensité de la protéolyse dans les compartiments intracellulaires et efficacité de la présentation antigénique a été suggérée au début des années 2000, grâce à la comparaison de deux populations de cellules immunitaires : les cellules dendritiques, spécialisées pour la présentation croisée, et les macrophages, largement incompétents pour cette fonction. Dans les macrophages, l’abondance de protéases dans les lysosomes favorise la dégradation des microorganismes pathogènes, mais détruit également certains épitopes antigéniques2. En revanche, dans les cellules dendritiques et à plus forte raison dans les cDC1, une protéolyse modérée préserve les antigènes et facilite leur engagement ultérieur dans les voies de présentation croisée [5]. Cette propriété des cDC1 est finement contrôlée à différents niveaux cellulaires et moléculaires. Ainsi, la sous-expression du facteur de transcription TFEB (transcription factor EB) dans les cDC1 restreint la synthèse des protéases du lysosome, ce qui limite la dégradation des antigènes par ces protéases et promeut par conséquent la présentation croisée de l’antigène par ces cellules. Les cDC1 disposent également d’un riche arsenal moléculaire, dont la NADPH oxydase NOX2 constitue le fer de lance, en vue de contrôler l’activité des enzymes protéolytiques in situ. NOX2, qui est recrutée à la membrane de l’endo/phagosome par l’intermédiaire de la protéine Rac2 spécifiquement dans les cDC1, contribue au maintien d’un pH alcalin dans ce compartiment subcellulaire et y limite ainsi l’activation des protéases et la destruction des épitopes antigéniques [6] (Figure 1). Récemment, les travaux de l’équipe dirigée par Chuan He ont enrichi notre compréhension de ce paramètre clé pour l’efficacité de la présentation croisée, en identifiant un mécanisme de contrôle traductionnel des protéases du lysosome, régulé par la protéine YTHDF13.

La méthylation de l’ARNm, une forme particulière de régulation post-transcriptionnelle

Tout comme l’ADN, l’ARN messager (ARNm) peut être la cible de diverses modifications de ses nucléotides constitutifs, permettant un contrôle très fin de l’expression des gènes et de la synthèse des protéines. Chez les mammifères, la modification la plus fréquente est l’addition d’un groupement méthyle en position 6 des résidus adénosine (m6A), qui est observée sur environ 25 % des ARNm [7]. Effectuée au fur et à mesure de la transcription par des protéines dites « d’écriture » (comme METTL3 [methyltransferase-like 3]), la méthylation des adénosines est interprétée par des protéines « lectrices » (comme YTHDF1, YTHDF2 et YTHDF3), et peut être supprimée par des protéines « d’effacement » (comme la déméthylase ALKHB5 [alkB homolog 5]). La présence de cette modification, majoritairement près du codon stop et dans la région 3’ non codante, participe au contrôle de la stabilité des ARNm et de l’efficacité de leur traduction [8]. Cependant, malgré une grande homologie, les trois protéines lectrices YTHDF n’interprètent pas cette modification de la même manière et exercent des fonctions distinctes dans le contrôle de la traduction. En effet, la liaison de YTHDF1 à l’ARNm méthylé favorise la synthèse protéique grâce au recrutement des complexes de traduction [9], tandis qu’YTHDF2 diminue la stabilité des transcrits méthylés en adressant les ARNm vers des complexes de dégradation [10] (Figure 2). Quant à la protéine YTHDF3, elle semble agir avec YTHDF1 ou YTHDF2 à des moments distincts en vue de la réalisation de l’une ou l’autre des fonctions précédemment citées. Plusieurs travaux récents fondés sur des approches du type « perte de fonction » ont commencé à éclairer l’importance de la méthylation des ARNm dans de nombreux processus physiologiques. L’une de ces études, menée par le groupe de Chuan He, a apporté un nouvel éclairage sur l’importance de la lecture de la méthylation des ARNm par YTHDF1 dans la régulation des réponses immunitaires anti-tumorales [11].

Pour commencer, les auteurs injectent à des souris des cellules de deux lignées tumorales murines connues (lignée de mélanome B16-OVA ou d’adénocarcinome du côlon MC38), suivent la croissance du volume tumoral au cours du temps, et constatent que cette croissance tumorale est moins rapide chez les animaux génétiquement déficients pour YTHDF1 (souris Ythdf1-/-) que chez les animaux témoins. En utilisant des anticorps induisant une déplétion de certaines populations immunitaires, ils montrent ensuite que cette amélioration dépend des lymphocytes T CD8+. Pour quantifier la réponse anti-tumorale, les auteurs s’appuient sur la lignée tumorale B16-OVA, dans laquelle l’antigène modèle ovalbumine est surexprimé. Les tumeurs des souris Ythdf1-/- contiennent plus de lymphocytes T CD8+ spécifiques de l’ovalbumine que celles portées par des souris témoins. Pour tester à quel moment cette différence apparaît, les auteurs prélèvent le ganglion lymphatique drainant le site tumoral six jours après l’injection des cellules tumorales, soit avant que les tumeurs ne deviennent visibles, et y détectent, chez les souris Ythdf1-/-, une forte augmentation du nombre de lymphocytes T CD8+ activés par un peptide dérivé de l’ovalbumine. Cette observation suggère l’existence d’une activation plus efficace des lymphocytes T CD8+ en l’absence de YTHDF1, et conduit les auteurs à s’interroger sur la contribution de cette protéine à la présentation d’antigènes par les DC. Ils utilisent alors un anticorps permettant de mesurer la présentation d’un peptide dérivé de l’ovalbumine sur le CMH-I, et trouvent que les DC provenant des souris Ythdf1-/- présentent davantage de peptides à leur surface que les DC des souris témoins. Ces résultats indiquent que YTHDF1 module l’efficacité de la présentation croisée de l’antigène tumoral par les cellules dendritiques.

Régulation de la présentation croisée par la méthylation des ARNm

Afin d’identifier les sites de l’ARNm auxquels YTHDF1 est lié, les auteurs réalisent ensuite des expériences de précipitation des ARNm suivies d’un séquençage à haut débit (RIP-seq). En parallèle, ils comparent les niveaux d’ARNm porteurs d’adénosines méthylées et l’efficacité de leur traduction dans des DC de souris Ythdf1-/- et de souris témoins. En croisant les informations apportées par ces différentes approches, il apparaît que dans les DC, YTHDF1 promeut la traduction de divers ARNm, dont plusieurs codent des protéines du lysosome, en particulier des cathepsines. Ainsi, dans les DC privées de YTHDF1, les ARNm codant ces protéases sont moins traduits, ce qui rend les lysosomes moins capables de dégradation protéique extensive. Les antigènes tumoraux ainsi préservés sont présentés plus efficacement aux lymphocytes T CD8+, ce qui se traduit par une amélioration des réponses anti-tumorales (Figure 3).

Ces résultats démontrent l’existence d’un niveau supplémentaire de contrôle de la présentation croisée des antigènes. À cet égard, l’analyse des niveaux d’expression de YTHDF1 et YTHDF2 dans les différentes populations de DC enrichirait certainement notre compréhension des bases moléculaires de la spécialisation fonctionnelle des cDC1 pour la présentation croisée. En effet, la protéolyse modérée observée dans les compartiments intracellulaires des cDC1 pourrait, au moins en partie, s’expliquer par une expression réduite de YTHDF1, à l’origine d’une plus faible traduction des transcrits codant des protéases du lysosome. Par ailleurs, il est également envisageable que cette sous-population de DC exprime davantage YTHDF2 et dégrade donc plus activement ces transcrits. Si elles s’avèrent vérifiées expérimentalement, ces hypothèses pourraient ouvrir la voie à un ciblage thérapeutique des protéines YTHDF1 et YTHDF2 afin d’améliorer la capacité des cellules dendritiques à déclencher les réponses anti-tumorales.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 La présentation croisée (cross-presentation) désigne une voie d’apprêtement (processing) des antigènes internalisés, propre aux cellules dendritiques, qui permet leur dégradation, leur transport, et leur assemblage avec les molécules du CMH-I.
2 L’épitope désigne le fragment de l’antigène reconnu par les lymphocytes T au sein du complexe CMH-I/peptide.
3 YTH N6-methyladenosine (m6A) RNA-binding protein 1.
References
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