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Med Sci (Paris). 36(4): 416–419.
doi: 10.1051/medsci/2020067.

La fascinante motilité glissante de Myxococcus xanthus, essentielle à ses comportements sociaux

Anaïs Scholivet,1*a Katia Villion,1*b Linus Wilhelm,1*c and Amel Latifi2*d

1Master 2 Microbiologie Intégrative et Fondamentale, Aix Marseille Université, Marseille, France
2Aix Marseille Université, CNRS, LCB UMR 7283, IMM, Marseille, France
Corresponding author.
*Ces trois auteurs ont de façon égale participé à la rédaction de cet article.

MeSH keywords: Antibiose, Chimiotaxie, Fimbriae bactériens, Microbiote, Mouvement, Myxococcus xanthus, Multimérisation de protéines, physiologie

 

Des comportements sociaux et coordonnés sont souvent observés chez des organismes vivant en communauté. Ces comportements synchronisés, tels que le mouvement, nécessitent d’être régulés. Les modalités et la nature de ces régulations, souvent très complexes, restent encore très peu connues. Les bactéries constituent un excellent modèle pour étudier ces comportements.

Myxococcus xanthus, une delta-protéobactérie aux comportements sociaux spectaculaires, a fait l’objet de nombreuses études. Elle est généralement retrouvée dans les sols, où elle est amenée à recourir à la prédation et à la sporulation pour survivre. Ces deux comportements sont sociaux chez M. xanthus. En effet, dès que les premières bactéries entrent en contact avec une proie, toute la colonie initie un comportement de prédation parfaitement synchronisé, résultant en l’apparition d’ondes cellulaires périodiques traversant la proie. Lorsque les nutriments sont épuisés, les bactéries forment des mégastructures multicellulaires, appelées corps fructifères, contenant de nombreuses spores.

La mise en place de ces comportements sociaux nécessite un mouvement cellulaire, dit « motilité », minutieusement régulé. M. xanthus possède une motilité « glissante », qualifiée d’aventurière parce qu’elle permet aux bactéries individuelles d’explorer l’environnement bordant leur colonie. Cette motilité glissante, qui n’implique pas d’appendices extracellulaires, mais s’appuie sur des moteurs intracellulaires pour générer du mouvement, sera l’objet de cette nouvelle. Nous décrirons dans un premier temps la machinerie et comment elle permet le mouvement. Nous nous intéresserons ensuite à la régulation du changement de la direction des cellules en réponse à des signaux environnementaux.

Organisation de la machinerie de la motilité glissante chez M. xanthus

Le marquage fluorescent des protéines de la machinerie de motilité combiné au suivi intracellulaire de leurs localisations dans le temps ont permis de mettre en évidence les dynamiques de déplacement chez M. xanthus. Une étude récente a ainsi montré, alors que la cellule se déplace, que la machinerie de motilité reste fixe par rapport à la surface, et ce, jusqu’à ce qu’elle disparaisse au pôle postérieur de la cellule, pour être remplacée par un nouveau complexe au pôle antérieur [1] (Figure 1 A).

Assemblage de la machinerie de motilité
La machinerie de la motilité glissante de M. xanthus est assemblée au niveau du pôle antérieur lorsque MglA (une protéine G) [2] s’associe avec le cytosquelette d’actine de la bactérie. Cette machinerie est constituée d’un complexe protéique mobile et d’un complexe protéique fixe. Le complexe mobile comporte, au niveau de la membrane interne, le canal à proton AglRQS et le complexe GltGJ. Ce dernier possède des domaines périplasmiques flexibles qui agissent comme des « jambes ». Il est associé au complexe cytoplasmique GltI/AglZ/MglA, lui-même interagissant avec le cytosquelette d’actine (MreB). Le complexe fixe GltFABH est fermement enchâssé dans la membrane externe. Il possède un large domaine périplasmique et joue le rôle de « rails » pour le complexe mobile [3] (Figure 1 B).
Mouvement de la machinerie de motilité
Il a été observé qu’en présence de carbonylcyanure m-chlorophénylhydrazone, un agent qui inhibe la force proton motrice, la motilité est abolie. Ceci a permis de montrer que ce processus tire son énergie du flux de protons, généré par la respiration. Le passage de ce flux à travers le canal à proton AglRQS entraîne un changement conformationnel au niveau des « jambes » qui interagissent alors de manière cyclique avec les complexes fixes dans le périplasme par l’intermédiaire d’un peptidoglycane. La répétition de ce mouvement permet à ce complexe mobile de se déplacer vers le pôle postérieur de la cellule le long des rails moléculaires, sur une voie hélicoïdale ayant un sens de rotation anti-horaire (Figure 1). Une fois l’interface entre la cellule et la surface atteinte, la machinerie est immobilisée localement, créant un « site d’adhérence focale » où la bactérie sécrète une substance gluante qui contient des molécules d’adhérence, pour faciliter l’attachement au substrat [4].
Mouvement de la cellule
Au niveau du site d’adhérences focales, la machinerie ne se déplace plus par rapport à la surface à laquelle elle adhère, alors qu’elle continue de progresser le long des rails moléculaires. Elle est ancrée au cytosquelette d’actine, transmettant ainsi le mouvement à la membrane externe et déplaçant la cellule vers l’avant avec une rotation horaire (Figure 1 C). Ce mouvement de la membrane externe a pu être observé grâce à l’incorporation d’acides aminés fluorescents dans la paroi bactérienne [1]. La stœchiométrie des différents composants au niveau du site d’adhérences focales reste encore à déterminer.

Inévitablement, la machinerie atteint le pôle postérieur où elle est dissociée. La protéine MglB active alors la GTPase de MglA entraînant sa dissociation du cytosquelette d’actine. Cette dissociation est à l’origine du désassemblage de la totalité de la machinerie [5]. L’assemblage de nouveaux complexes au pôle antérieur, permet à la cellule de continuer d’avancer.

Régulation du changement de direction

La colonisation de la proie par M. xanthus nécessite des déplacements coordonnés de toute la population. Lors de ce mouvement, des déplacements aller-retour des bactéries génèrent des vagues cellulaires périodiques. Cela traduit des changements de sens des cellules dont les pôles sont inversés périodiquement (Figure 2). Pour que ces inversions de déplacement, dites « réversions », se produisent, il est nécessaire que la machinerie de motilité change de pôle. Pour coordonner ces réversions, une régulation spatiale très précise est donc indispensable.

Polarité cellulaire et inversion : un système à trois protéines
La protéine MglB, impliquée dans la dissociation de la machinerie de motilité, exclut la protéine MglA du pôle où elle se situe. Le suivi de ces protéines par fluorescence a mis en évidence que l’inversion de la polarité de MglA et de MglB, et donc des pôles de la bactérie, s’opère toutes les 30 à 60 secondes [6].

Au début d’un cycle, juste après une réversion, RomR, une protéine nécessaire à la localisation polaire de MglA, se trouve au pôle antérieur. Elle s’en dissocie progressivement et MglB la séquestre au pôle postérieur où elle s’accumule. Le temps nécessaire pour que RomR se relocalise du pôle antérieur vers le pôle postérieur définit une « période de relaxation » au cours de laquelle la cellule ne peut pas effectuer de réversion. En d’autres termes, tant que RomR n’est pas suffisamment concentrée au pôle postérieur, MglA ne pourra pas s’y localiser. Quand la totalité de RomR se trouve au pôle postérieur, l’attraction de MglA vers ce pôle est alors à son maximum. La cellule est donc en condition pour effectuer la réversion des pôles. Cependant, la présence de MglB, dont l’effet inhibiteur de MglA est trop fort à surmonter, empêche le changement de polarité.

Régulation de l’oscillateur
L’inhibition de MglB par l’action d’une troisième protéine, FrzX, permet alors la réversion des pôles. En effet, les images de microscopie en temps réel utilisant la FrzX couplée à la GFP (green fluorescent protein) ont mis en évidence que les inversions des bactéries coïncident avec une accumulation maximale de FrzX au pôle postérieur, suggérant que cette protéine déclenche l’inversion cellulaire [6]. Ce régulateur central de la réversion est activé par des signaux environnementaux dont la nature reste encore à déterminer. Ces signaux sont transduits par un récepteur (FrzCD) et une histidine kinase qui lui est associée (FrzE), qui phosphoryle alors FrzX (FrzX-P). Sous sa forme active, FrzX-P interagit alors avec MglB au pôle postérieur des cellules et bloque ainsi son activité, permettant à MglA de s’accumuler et à la bactérie d’inverser sa polarité (réversion)

En réponse aux informations perçues dans son environnement, la fréquence de réversion de la bactérie est donc rythmée 1) par l’oscillation de RomR qui en détermine la période, et 2) par le régulateur FrzX qui en contrôle le déclenchement.

Entretien avec Tâm Mignot mené par les auteurs de la Nouvelle

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Tâm Mignot est directeur du Laboratoire de Chimie Bactérienne (LCB), une unité mixte de recherche du CNRS et de l’université d’Aix-Marseille au sein de laquelle il dirige l’équipe « Biologie cellulaire de la motilité bactérienne ». Son groupe est composé d’une vingtaine de scientifiques, comprenant des chercheurs, des ingénieurs, des techniciens de laboratoire et des doctorants. Tâm Mignot est également éditeur scientifique pour le journal eLife. Il a reçu plusieurs distinctions, dont le prix Bettencourt Schueller et la médaille de bronze du CNRS en 2011.

Quel est votre parcours ?

Tâm Mignot

J’ai grandi dans la région de Nice et j’ai passé un bac scientifique, le bac C (en 1993). Mais je n’étais bon ni en maths ni en physique. Je me suis donc orienté vers la biologie, en DEUG de sciences biologiques (en 1996) qui débouchait sur une licence de biochimie. Ensuite, j’ai fait une maîtrise de biochimie et je me suis vraiment intéressé à la microbiologie grâce à un cours de microbiologie que j’ai trouvé fascinant. Je suis donc allé faire un DEA de microbiologie à l’Institut Pasteur (en 1998) où j’ai trouvé un environnement qui m’a plu. J’ai donc fait une thèse de microbiologie. J’ai travaillé sur la bactérie responsable de l’anthrax (maladie du charbon) et sur la régulation des gènes qui permettent de modifier l’enveloppe bactérienne au cours de l’infection. J’ai soutenu ma thèse en 2002. Je suis ensuite parti en postdoc à l’université de Californie, à Berkeley, et je suis tombé par hasard sur un laboratoire qui étudiait une bactérie fascinante qui était Myxococcus xanthus. J’ai donc travaillé sur cette bactérie lors de mon postdoc ; c’était l’époque où l’on commençait les approches cellulaires dans les bactéries. On voyait les cellules changer de direction, mais personne n’avait encore montré qu’il existait des systèmes qui contrôlaient la localisation des protéines, qui les relocalisaient d’un pôle à l’autre. J’ai mis en place les expériences qui permettaient de voir : 1) la réversion et, en faisant ces manipulations, de voir 2) les points d’adhérences focales pour la première fois. Mon postdoctorat a duré quatre ans. Puis, je suis rentré en France où j’ai proposé au CNRS de me recruter sur un projet où j’allais poursuivre la caractérisation de ces phénomènes. J’ai pris mes fonctions de chargé de recherche en 2007 au Laboratoire de Chimie Bactérienne (LCB) où j’ai monté une équipe. En 2014, j’ai été promu directeur de recherche et je suis devenu le directeur du LCB en 2018.

Qu’est-ce qui vous a mené vers la science ?

TM : Je ne sais pas trop, je pense que j’étais plutôt littéraire. En terminale, au lycée, j’ai eu un cours sur le code génétique et là, j’ai été fasciné par son expression, l’ADN, le côté incroyablement prédictif du code. Et c’est le moment où j’ai décidé que j’allais faire de la biologie moléculaire. Jusqu’à la maîtrise, ce n’était pas complètement clair mais à la sortie, les choses ont été assez précises : je voulais continuer dans cette voie, j’allais faire une thèse, un postdoctorat, puis tenter de me faire recruter.

Quelle est votre plus grande fierté, réussite en science ?

TM : Je pense sans arrogance que j’ai élucidé un nouveau mécanisme de mouvement dans la cellule, et c’était quelque chose d’énorme car c’est très rare d’avoir la chance de pouvoir expliquer un mécanisme aussi complexe. Évidemment, il y a des trous et il y a certainement des choses fausses dans ce qu’on propose. Mais le modèle, le principe global, je pense, est correct. Il a tenu. Quand j’ai proposé les sites d’adhérences focales en postdoctorat, il y avait beaucoup de scepticisme. De constater que 1) d’autres laboratoires le reproduisaient, et 2) de trouver des molécules, un moteur, des adhésines, et qu’on arrivait à construire une machine qui résistait à l’analyse, alors notre hypothèse de départ était suffisamment « costaude » pour arriver à travailler dessus. Et, finalement, arriver à publier dans Nature en 2016 le mécanisme qui est maintenant ancré dans les bouquins, j’avoue que c’est une sacrée fierté au niveau professionnel. En sachant qu’il y a eu beaucoup de doutes, mais j’étais toujours très confiant, parce que si je vois ces foyers fixes dans une cellule en mouvement c’est qu’ils sont en mouvements opposés, c’est de la logique pure. Et s’ils sont en mouvement opposés alors forcément, ils sont propulseurs. Cela m’a donné une très grosse base de confiance sur la solidité du projet. Ça va être la fin d’un chapitre pour moi, on ne va pas aller beaucoup plus loin, maintenant on va aller vers les mouvements de groupe.

Quelle est la chose la plus étonnante que vous ayez découverte ?

TM : Ça, je l’ai fait en thèse où j’ai réalisé que l’on doit regarder les choses avec la plus grande ouverture d’esprit possible. Cela m’est arrivé à deux reprises dans ma carrière. Pendant ma thèse, je regardais, par exemple, l’expression d’un gène et il y avait deux protéines qui semblaient faire la même chose, et on se demandait quels étaient leurs rôles respectifs. Donc j’étais parti sur l’étude de la régulation de ces protéines et je voyais qu’il y avait des effets de régulation, je voyais des choses intéressantes mais cela ne m’expliquait toujours rien par rapport à ces protéines. Puis un jour, je regarde ces deux courbes et c’était hyper simple : il y en avait une exprimée à un moment puis l’autre exprimée après. Et d’un coup ça me frappe : elles font la même chose mais ne sont pas exprimées au même moment, c’est qu’il y en une qui remplace l’autre. Qu’importe le mécanisme et son importance, l’essentiel est surtout de réaliser que j’avais eu ces données pendant trois mois sous les yeux et soudain en regardant les courbes, je change d’état d’esprit : je ne regarde plus avec en tête la question initiale, et, d’un coup, cela m’apparaît… c’est là que ma thèse a commencé. Donc, parfois il faut sortir du cadre, se poser une autre question, regarder ce qu’on a sous les yeux et c’est là où l’on peut découvrir des choses. Il faut être préparé à cela.

De l’individu à la communauté

Les mécanismes permettant le mouvement d’une cellule sont maintenant bien connus chez M. xanthus, mais comment permettent-ils de synchroniser des comportements de populations pouvant comprendre des millions d’individus ? Dans un groupe d’individus, qu’ils soient macro- ou microscopiques, des évènements qui rythment les populations sont observés. Par exemple, dans un troupeau de moutons, il suffit qu’une porte s’ouvre et qu’un individu sorte de l’enclos pour que le reste du troupeau le suive très rapidement. Comment cette information locale est-elle si rapidement transmise à un tel nombre d’individus ? Cette question centrale de la biologie pourrait être étudiée davantage. Le développement récent d’un outil d’imagerie permettant d’observer la morphologie, la motilité de macrocolonies de M. xanthus, tout en permettant le suivi d’individus isolés au sein de cette population, contribuera sans doute à des avancées majeures dans notre connaissance des principes globaux qui régissent les mouvements collectifs et coordonnés chez les organismes vivants.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Faure LM , Fiche JB , Espinosa L , et al. The mechanism of force transmission at bacterial focal adhesion complexes . Nature. 2016; ; 539 : :530.–535.
2.
Hepler JR , Gilman AG . G proteins . Trends Biochem Sci. 1992; ; 10 : :383.–387.
3.
Sun M , Wartel M , Cascales E , et al. Motor-driven intracellular transport powers bacterial gliding motility . Proc Natl Acad Sci USA. 2011; ; 108 : :7559.–7564.
4.
Ducret A , Valignat MP , Mouhamar F , et al. Wet-surface enhanced ellipsometric contrast microscopy identifies slime as a major adhesion factor during bacterial surface motility . Proc Natl Acad Sci USA. 2012; ; 109 : :10036.–10041.
5.
Islam ST , Mignot T . The mysterious nature of bacterial surface (gliding) motility: a focal adhesion-based mechanism in Myxococcus xanthus . Semin Cell Dev Biol. 2015; ; 46 : :143.–154.
6.
Guzzo M , Murray SM , Martineau E , et al. A gated relaxation oscillator mediated by FrzX controls morphogenetic movements in Myxococcus xanthus . Nat Microbiol. 2018; ; 3 : :948.–959.