Entretien avec Benjamin Ezraty mené par les auteurs de la
Nouvelle
Benjamin Ezraty est chargé de recherche au CNRS. Il a contribué à la
découverte de plusieurs enzymes importantes pour la réparation des
méthionines oxydées. Il a également étudié l’implication de la teneur en fer
dans la résistance aux antibiotiques, travail pour lequel il a reçu le prix
AXA de l’académie des sciences en 2014. Il dirige désormais une équipe de
huit personnes au Laboratoire de Chimie bactérienne (LCB) à Marseille, qui
s’intéresse aux systèmes de réparation des protéines oxydées.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur les Msr, les enzymes
impliquées dans la réparation des méthionines oxydées ?
Benjamin Ezraty : C’est au cours d’un stage effectué lors de ma
deuxième année de master que j’ai été confronté pour la première fois à ces
enzymes. À partir d’un crible génétique, MsrA a été identifiée comme étant
un facteur de virulence de la bactérie phytopathogène Erwinia
chrysanthemi. Dès lors, les Msr ont été étudiées au sein du LCB
et j’ai choisi de prolonger mes recherches sur ce sujet lors de ma
thèse. Quelles sont les plus grandes avancées de votre carrière sur le
projet Msr ? BE : Sans conteste, il s’agit de la découverte de MsrB chez la
bactérie modèle Escherichia coli. Lors de ma thèse, je me
suis intéressé à une protéine de fonction inconnue fusionnée à MsrA chez
certains organismes. En caractérisant son activité biologique, j’ai
découvert qu’elle était complémentaire à celle de MsrA et que leurs actions
conjointes permettaient de réparer une protéine oxydée dans sa totalité.
Depuis, cette découverte a été prolongée puisque ces Msr ont été
caractérisées chez tous les êtres vivants, y compris chez l’homme. D’autres
questionnements ont alors rapidement vu le jour : pourquoi ce système de
réparation est-il présent ? Quelles sont les protéines réparées par les
Msr ? Sont-elles toutes réparées ? L’identification du système SRP
(particule de reconnaissance du signal) comme substrat des Msr fut également
une belle découverte à mes yeux puisqu’il s’agit d’un système essentiel et
ubiquitaire impliqué dans l’adressage et la translocation des protéines.
Enfin, la troisième découverte qui me tient à cœur est l’identification de
MsrP qui est périplasmique et uniquement présente chez les bactéries à Gram
négatif. Il s’agit d’une belle avancée dans le domaine de la microbiologie,
qui s’est soldée par une jolie publication. Comment avez-vous vécu votre passage de chercheur à chef d’équipe ?
Quels changements cela a-t-il impliqué pour vous ? BE : J’aime prendre des responsabilités et être à l’initiative
de projets. Avant d’être chef d’équipe, j’avais la responsabilité de projets
scientifiques que je portais au sein d’un groupe dont je n’étais pas
responsable. Désormais, l’aspect « ressources humaines » est plus présent :
il faut gérer les budgets, les tâches administratives et essayer de faire
travailler les uns avec les autres afin de faire avancer l’équipe. Être chef
d’équipe, c’est aussi savoir gérer ce qui nous préoccupe le plus : l’avenir
de nos étudiants. Par exemple, il faut accompagner les doctorants au bout de
leur thèse – avec si possible de belles publications – pour qu’ils puissent
valoriser cette expérience et trouver un emploi. De nos jours, ce n’est pas
évident. Il faut donc faire au mieux pour que tous les membres de l’équipe
puissent tirer leur épingle du jeu. Il y a aussi une pression pour la
pérennité de l’équipe et les sujets d’étude : c’est quelque chose qui me
tient à cœur. Être chef d’équipe, c’est une aventure qu’il faut vivre
pleinement. Il y a des moments plus durs que d’autres, mais il faut avoir la
« niaque ». Je pense que la clé de la réussite, c’est
de ne rien lâcher, tel un sportif de haut niveau ! Quels sont vos projets pour l’avenir ? BE : Plusieurs étapes importantes attendent mon équipe. D’abord
la concrétisation d’études qui ont été initiées il y a plusieurs années,
avec l’objectif de les publier dans des journaux importants. Ensuite, deux
thèses vont bientôt arriver à leur terme et il faut que leur contenu soit de
bon niveau pour que les étudiantes puissent publier leurs travaux. Enfin, il
y a les demandes de nouveaux financements, car certains de mes contrats
approchent de leur fin et il est important de renouveler les apports
d’argent. L’organisation de congrès, c’est aussi quelque chose que je fais
beaucoup. Au CNRS, je suis responsable – avec Mireille Ansaldi – de l’École
thématique de microbiologie, organisée tous les quatre ans. Il y a également
le congrès « Microbiology at a glance » qui repose sur un
format original en donnant la parole aux étudiants en fin de thèse. Mon
objectif est de pérenniser cet évènement afin que notre unité soit reconnue
à l’échelle internationale. Évidemment, plusieurs éditions seront
nécessaires pour cela, même si l’on commence à avoir une certaine
renommée. Que pensez-vous de la situation actuelle concernant la recherche
scientifique en France ? BE : On évolue dans une société où l’on se tourne de plus en
plus vers soi-même et où l’on manque de vision collective. Certains ne
voient pas l’intérêt de la recherche car ils ne réfléchissent pas sur le
long-terme. Je pense que la recherche scientifique souffre de cette vision.
Les politiques ont besoin de résultats à court terme. C’est compliqué et les
chercheurs tentent d’intégrer cette complexité à leur mode de
fonctionnement. Comparé à certains pays, plusieurs regrettent les faibles
moyens alloués à la recherche. Je ne peux pas dire que c’est faux mais je
pense qu’il n’y a pas que ça. Il faut aussi que notre communauté fasse des
efforts pour communiquer vers le grand public afin de montrer ce que l’on
fait au quotidien. Quels sont pour vous les points forts et les points faibles de la
France en matière de recherche scientifique ? BE : Nous manquons d’argent, de moyens, de visibilité et
peut-être même de technologies de pointe. Mais l’aspect positif, c’est que
les doctorants que l’on forme en France trouvent facilement du travail à
l’étranger et que les laboratoires sont généralement ravis de les recevoir.
Nos étudiants sont bien formés et c’est une fierté pour la recherche
française. Il faut maintenant faire en sorte que ces étudiants, partis à
l’étranger, puissent revenir en France pour s’y établir. Après, il y a de
très bons laboratoires en France comme à l’étranger. Un mot pour la fin ? BE : Je vis donc je rouille. Mais bon, j’ai des systèmes de
défense.
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