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Med Sci (Paris). 36(4): 332–335.
doi: 10.1051/medsci/2020053.

La dimérisation, une nouvelle propriété de l’ARN polymérase des virus influenza

Catherine Isel,1* Kuang-Yu Chen,1** and Nadia Naffakh1***

1Unité de génétique moléculaire des virus à ARN, Institut Pasteur, CNRS UMR3569, Université de Paris, 28 rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Co-infection, Humains, Virus de la grippe A, Grippe humaine, Multimérisation de protéines, ARN viral, DNA-directed RNA polymerases, Assemblage viral, Réplication virale, enzymologie, physiologie, virologie, métabolisme

 

Les virus influenza, ou virus de la grippe, sont la principale cause des infections respiratoires chez l’homme et constituent un problème de santé publique majeur à l’échelle mondiale [1]. Les virus influenza humains sont responsables d’épidémies saisonnières qui provoquent trois à cinq millions de cas sévères et de 290 000 à 650 000 décès, selon l’Organisation mondiale de la santé [2]. Des virus influenza d’origine animale peuvent franchir les barrières d’espèce et s’établir dans la population humaine, donnant lieu à des pandémies avec une morbidité et une mortalité accrues. Le génome des virus influenza de type A est constitué de huit segments distincts d’ARN simple brin (appelés ARN viraux ou ARNv) codant chacun au moins une protéine essentielle à la production de virus infectieux. Chaque ARNv est encapsidé par des oligomères de nucléoprotéine (NP) et associé à une polymérase virale, le tout constituant une ribonucléoprotéine virale (RNPv) (Figure 1A) [3]. La nature segmentée du génome permet, lors de la co-infection d’une cellule par deux ou plusieurs virus, la production de virus « réassortis », porteurs de nouvelles combinaisons entre ARNv issus des différents virus parentaux, et qui peuvent avoir des propriétés nouvelles et imprévisibles (Figure 1B) [4]. Le réassortiment génétique est un mécanisme majeur d’évolution et d’émergence des virus influenza, et les virus responsables des quatre dernières pandémies (en 1918, 1957, 1968 et 2009) sont issus d’un réassortiment génétique entre des virus influenza de type A humains et aviaires ou porcins [1, 2].

Le nombre théorique de génotypes réassortis issus d’une co-infection avec deux virus est de 256 (28), mais une telle diversité n’a jamais été observée in vitro ou in vivo, et certains ARNv co-ségrègent, indiquant que le réassortiment génétique est biaisé. Des incompatibilités entre les ARNv ou entre les protéines des virus parentaux peuvent restreindre la diversité des virus réassortis issus d’une co-infection (Figure 1B) [5]. Parmi les incompatibilités entre protéines virales les mieux documentées figurent celles entre les deux glycoprotéines de surface et celles entre les sous-unités de la polymérase virale. La polymérase est un hétérotrimère constitué des protéines PB2, PB1 et PA, qui coopèrent étroitement pour assurer la transcription et la réplication du génome viral dans le noyau des cellules infectées (Figure 1A) [3]. Les résultats de nos travaux récemment publiés dans la revue PLoS Pathogens [6] ont montré que le potentiel de réplication des virus réassortis issus d’une co-infection est contrôlé non seulement par l’efficacité avec laquelle les protéines PB1, PB2 et PA s’assemblent en un hétérotrimère fonctionnel, mais également par le taux de dimérisation de la polymérase.

Notre étude est issue d’une observation fortuite et surprenante : un virus influenza réassorti produit par génétique inverse1,, dont sept des huit segments génomiques dérivent de la souche A/PR/8/34 (PR8) et dont seul le segment PB2 dérive de la souche de laboratoire A/WSN/33 (WSN) (Figure 2A), présente des capacités réplicatives atténuées par rapport au virus PR8 sauvage malgré 97 % d’identité de séquence entre les protéines PR8-PB2 et WSN-PB2. Afin de comprendre les bases moléculaires de cette observation, nous avons effectué des passages en série du virus réassorti atténué PR8 x PB2-WSN et sélectionné des révertants phénotypiques2, porteurs de mutations secondaires sur les protéines PB1, PB2 ou PA. Trois constellations distinctes de mutations ont été identifiées par séquençage complet du génome des virus révertants. Étonnamment, chacune des trois comportait une mutation (PA-E349K, PB2-G74R ou PB1-K577G) localisée à l’interface d’un dimère de la polymérase virale, interface mise en évidence par de récentes études structurales (Figure 2B) [7-9]. L’importance fonctionnelle de ce dimère, cependant, n’était pas bien établie. Nous avons donc entrepris de caractériser plus précisément le virus réassorti atténué, les virus révertants et des virus recombinants porteurs d’une ou plusieurs des mutations de réversion secondaires.

Nous avons, dans les cellules infectées, quantifié les ARN viraux, i.e. les ARNv génomiques, mais aussi les ARN complémentaires (ARNc) servant d’intermédiaire de réplication et les ARN messagers (ARNm), par rétro-transcription suivie d’une amplification génique (RT-PCR) (Figure 1A). Nous avons également mesuré l’activité de la polymérase virale dans un système de reconstitution de pseudo-RNPv par transfection transitoire, et avons utilisé ce système dit « mini-génome »3 pour effectuer des tests de trans-complémentation avec des protéines PB2 mutées, compétentes uniquement pour la transcription ou la réplication du génome viral. L’ensemble des résultats a révélé que la polymérase du virus PR8 x WSN-PB2 est déficiente dans son activité de réplication, plus particulièrement à l’étape de synthèse des ARNv à partir d’ARNc. L’une ou l’autre des trois mutations de réversion PA-E349K, PB2-G74R ou PB1-K577G, situées à l’interface de dimérisation de la polymérase virale, suffit à restaurer des niveaux d’activité de la polymérase équivalents à ceux observés pour le virus PR8 sauvage dans le système « mini-génome » (Figure 3A). La mutation PA-E349K, analysée plus en détail, induit une augmentation significative des niveaux d’ARNv, ARNc et ARNm synthétisés dans le contexte infectieux.

Nous avons alors fait un rapprochement entre nos observations et des données publiées montrant 1) que la synthèse des ARNv à partir d’ARNc nécessite l’intervention d’une polymérase soluble qui trans-active la polymérase associée à l’ARNc matrice [3] ; et 2) que la polymérase virale peut se dimériser voire s’oligomériser [7-9]. Nous avons émis l’hypothèse que le défaut de synthèse de l’ARNv à partir de l’ARNc par la polymérase du virus PR8 x WSN-PB2 était lié à un défaut de dimérisation. Les niveaux de dimérisation de la polymérase ont été mesurés à l’aide d’un test de complémentation entre deux fragments de l’enzyme Gaussia Luciférase (Gluc1 et Gluc2), qui ne s’associent pas spontanément, mais qui peuvent reconstituer une enzyme luciférase active s’ils sont fusionnés à deux protéines capables de s’associer entre elles [10] (Figure 3B). Nous avons co-exprimé de manière transitoire des protéines de fusion PB1-Gluc1 et PB1-Gluc2, en présence des sous-unités PB2 et PA, et en absence ou en présence d’ARNc et de la nucléoprotéine NP (Figure 3B). Contre toute attente, les mesures d’activité de la luciférase indiquent que la polymérase du virus atténué PR8 x WSN-PB2 présente un niveau de dimérisation égal voire supérieur à celui de la polymérase sauvage constituée des trois sous-unités homologues du virus PR8 (Figure 3C). Les mutations de réversion situées à l’interface de dimérisation réduisent le niveau de dimérisation en-dessous de celui mesuré pour la polymérase sauvage (Figure 3C), selon une tendance inverse à celle observée dans le système « mini-génome » (Figure 3A).

La polymérase des virus influenza est une machine moléculaire d’une grande complexité. Sa capacité à répliquer et transcrire le génome viral selon des mécanismes bien distincts repose à la fois sur la flexibilité conformationelle de l’hétérotrimère et sur sa capacité d’oligomérisation. Nos résultats sont les premiers à établir, dans le contexte infectieux, l’importance fonctionnelle d’une interface de dimérisation révélée par cristallographie, et confortent le modèle selon lequel la formation du dimère active l’étape de synthèse de l’ARNv à partir de l’ARNc. Ils révèlent que le taux de dimérisation optimal varie en fonction du contexte génétique, et qu’un niveau trop élevé peut aboutir à une réplication virale inefficace, ce qui pourrait signifier que le dimère doit être transitoire pour être pleinement fonctionnel. Enfin, nos résultats indiquent que les sous-unités de la polymérase grippale co-évoluent pour assurer un niveau approprié de dimérisation entre hétérotrimères, et que ce niveau de dimérisation, s’il n’est pas optimal, est l’un des facteurs pouvant restreindre les possibilités de réassortiment génétique entre virus influenza. Alors que l’arsenal thérapeutique dont nous disposons pour lutter contre les virus influenza reste très insuffisant, le dimère de polymérase apparaît donc comme une nouvelle cible intéressante pour le développement de nouveaux composés anti-viraux.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions E. Dos Santos Afonso et V. Enouf (Institut Pasteur) pour leur contribution, E. Fodor et J. Grimes (Université d’Oxford) pour leur aide précieuse, R. Fouchier (Erasmus MC) et G. Brownlee (Université d’Oxford), B. Delmas (INRA), S. Munier, S. Behillil, S. van der Werf (Institut Pasteur), et T. Crépin (IBS Grenoble), pour le partage de réactifs et les discussions scientifiques.

 
Footnotes
1 Génétique inverse : production de virus recombinants à partir d’ADN complémentaires du génome viral, clonés dans des plasmides, puis introduits dans des cellules en culture par transfection transitoire.
2 Révertants phénotypiques : virus issus d’un virus initialement atténué, ayant acquis (par exemple au cours d’amplifications en série) des mutations favorables qui améliorent sa capacité de multiplication. Cette dernière peut être évaluée par le titre en particules virales infectieuses produites dans le surnageant des cellules infectées, par exemple.
3 Système mini-génome : système reposant sur la transfection transitoire de cellules en culture avec un mélange de plasmides permettant l’expression des protéines virales PB1, PB2, PA et NP et d’un ARN pseudo-viral porteur d’un gène rapporteur (luciférase par exemple). Il permet de reconstituer des pseudo-RNPv et d’évaluer l’activité de la polymérase virale en mesurant les niveaux d’activité du gène rapporteur dans les lysats de cellules transfectées.
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