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Med Sci (Paris). 36(4): 319–322.
doi: 10.1051/medsci/2020047.

Stratégies de vaccination thérapeutique dans le glioblastome

Pierre-Yves Dietrich1* and Valérie Dutoit1**

1Laboratoire d’immunologie des tumeurs, département d’oncologie, hôpitaux universitaires de Genève et centre de recherche translationnelle en oncohématologie, université de Genève, Rue Michel-Servet 1, 1206Genève, Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Spécificité des anticorps, Bioingénierie, Tumeurs du cerveau, Vaccins anticancéreux, Association thérapeutique, Glioblastome, Humains, Immunosuppresseurs, Immunothérapie adoptive, Résultat thérapeutique, Vaccination, méthodes, tendances, immunologie, mortalité, thérapie, usage thérapeutique

 

Le glioblastome est la tumeur primaire du cerveau la plus fréquente et la plus agressive. Elle touche aussi bien les enfants et les jeunes adultes que les personnes âgées. Le traitement standard (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) n’est que modestement efficace, et la médiane de survie des individus atteints de ce cancer se situe entre 15 et 20 mois [1]. De ce fait, de nouvelles stratégies de traitement, dont l’immunothérapie constitue un pilier majeur, sont à l’étude depuis de nombreuses années. En effet, la manipulation du système immunitaire a fait la preuve de son efficacité pour combattre les cancers, notamment avec le succès des anticorps inhibant les molécules de points de contrôle de l’immunité [2] (). À côté de ces anticorps, dont l’administration au patient n’est possible que depuis quelques années, la vaccination thérapeutique est testée depuis plusieurs décennies, avec toutefois une efficacité clinique encore limitée [3].

(→) Voir le numéro thématique Anticorps monoclonaux en thérapeutique, m/s n° 12, décembre 2019

La vaccination thérapeutique vise à générer chez le patient des lymphocytes T spécifiques de la tumeur, dans l’espoir d’une destruction ciblée des cellules cancéreuses [3]. Si cette stratégie est relativement simple à mettre en pratique et n’induit que rarement des effets secondaires sévères, elle comporte plusieurs contraintes (Figure 1). Tout d’abord, il est nécessaire d’identifier des antigènes exprimés par les cellules tumorales mais pas par les cellules saines, afin d’éviter une attaque des tissus sains. Les protéines mutées au cours du processus de tumorigénèse sont une source privilégiée de tels antigènes. Toutefois, la portion mutée de la protéine doit être à l’origine d’un épitope T, c’est-à-dire d’un peptide reconnu par les lymphocytes T lorsqu’il est associé aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) (Figure 2). Ces antigènes spécifiques de tumeur, ou néoantigènes, sont relativement peu fréquents, et on estime que seule une faible proportion (quelques pourcents) des mutations génèrent des épitopes T à la surface des cellules tumorales. Une autre possibilité est d’utiliser des antigènes surexprimés par les cellules tumorales, mais faiblement exprimés par les cellules saines, avec toutefois le risque de déclencher des phénomènes d’auto-immunité [4]. Un deuxième obstacle à l’efficacité de la vaccination thérapeutique réside dans le fait que les lymphocytes T induits doivent migrer au site de la tumeur, un processus moins efficace que dans le cas de réponses immunitaires induites par un microorganisme pathogène. Finalement, si l’on admet que ces lymphocytes sont capables d’arriver au site tumoral, leur efficacité y sera limitée par l’environnement immunosuppresseur. En effet, l’expression de ligands des récepteurs des lymphocytes T, conduisant à l’inhibition des fonctions anti-tumorales de ces derniers, ainsi que la sécrétion de cytokines immunosuppressives sont une caractéristique commune à la majorité des cancers. Ces effets sont induits par les cellules tumorales elles-mêmes ou par l’attraction et la reprogrammation des cellules du système immunitaire (macrophages, granulocytes neutrophiles, lymphocytes T régulateurs) à l’avantage de la tumeur (Figure 1).

À ces caractéristiques observées dans la grande majorité des cancers, s’ajoute une difficulté supplémentaire dans le cas du glioblastome : la localisation de la tumeur dans le cerveau, qui produit naturellement des molécules immunosuppressives. La migration des lymphocytes T dans le cerveau est également moins efficace que dans d’autres sites. Enfin, le glioblastome est une tumeur comportant peu de mutations géniques, donc produisant peu de néoantigènes. L’utilisation, pour la vaccination, d’antigènes surexprimés par la tumeur mais exprimés également par des tissus sains comporte donc le risque d’induire une destruction de ces derniers [4]. À ce jour, même si les vaccins thérapeutiques utilisant des antigènes surexprimés n’ont pas provoqué de phénomènes d’auto-immunité, il reste à déterminer si cela est dû à l’inefficacité de l’approche actuellement utilisée et si l’on doit craindre de telles réactions lorsque l’on saura vacciner les patients de manière robuste. Malgré ces limitations, des résultats encourageants ont été obtenus ces dernières années dans le domaine de la vaccination thérapeutique du glioblastome, en utilisant des antigènes spécifiques ou surexprimés par la tumeur sous forme de peptides (vaccins peptidiques), ou en utilisant la tumeur elle-même (vaccins tumoraux).

Les vaccins peptidiques

La majorité des essais cliniques réalisés récemment chez les patients combinent plusieurs antigènes dans le but d’augmenter l’ampleur de la réponse immunitaire et de réduire les possibilités d’échappement de la tumeur. Dans la majorité des cas, les épitopes utilisés stimulent les lymphocytes T cytotoxiques (CD8+), mais certains groupes, prenant conscience du rôle majeur des lymphocytes T auxiliaires ou « helper » (CD4+) dans la production d’une réponse immunitaire efficace, incorporent des épitopes favorisant la réponse des lymphocytes CD4+ à leur vaccin. Parmi les essais utilisant des antigènes surexprimés, le vaccin IMA950 a la particularité d’être composé de peptides reconnus par les lymphocytes CD8+ directement isolés à partir des molécules du CMH présentes à la surface des cellules de glioblastome, assurant leur « visibilité » par le système immunitaire [5]. Les vaccins actuels utilisant des néoantigènes ciblent des antigènes portant des mutations partagées par une fraction des patients souffrant de glioblastome, comme la mutation R132H de l’isocitrate déshydrogénase 1 (IDH1) présente chez la majorité des patients ayant un gliome de bas grade [6], ou la mutation K27M de l’histone H3.3 retrouvée chez les enfants souffrant d’un gliome infiltrant du tronc cérébral [7]. On peut également utiliser une stratégie d’identification personnalisée des mutations chez chaque patient, à partir desquelles des algorithmes déterminent des néoépitopes se liant à ses molécules du CMH. Les résultats de deux études utilisant cette stratégie ont récemment été publiés, démontrant la faisabilité de cette approche pour le traitement du glioblastome [8, 9]. Pourtant, pour l’une de ces études, dans laquelle plus de 600 mutations avaient été identifiées chez les 15 patients testés, aucun des peptides mutés n’a été détecté à la surface des cellules de glioblastome. Ce résultat, qui confirme que le pourcentage de mutations détectables par le système immunitaire est très faible, suggère que, pour le glioblastome, une vaccinothérapie fondée sur l’utilisation de néoantigènes n’est pas suffisante et que l’utilisation d’antigènes surexprimés par la tumeur est probablement nécessaire (Figure 2).

Les vaccins tumoraux

La vaccination utilisant les cellules de la tumeur du patient comme immunogène est une autre stratégie personnalisée qui permet, en outre, de s’affranchir de l’étape d’identification d’antigènes tumoraux. Cette stratégie peut être déclinée en deux variantes : soit les cellules de la tumeur réséquée chirurgicalement sont réinjectées au patient après avoir été tuées (le plus souvent par des cycles rapides de congélation et décongélation), soit des cellules dendritiques, le plus souvent générées in vitro à partir des monocytes du patient, sont incubées avec ces cellules tumorales dans le but d’obtenir une présentation optimale des antigènes de la tumeur au système immunitaire par ces cellules dendritiques, qui sont alors réinjectées au patient.

Augmenter l’efficacité des vaccins

Les essais de vaccination peptidique ou tumorale montrent en général un très bon profil d’innocuité, mais l’effet favorable sur la survie des patients reste malheureusement à prouver. Il est à cet égard essentiel, au cours des essais menés, d’analyser la réponse immunitaire induite par le vaccin en termes d’ampleur et de fonction, afin de comprendre comment améliorer l’efficacité de la vaccination. Dans le cas des vaccins peptidiques, une sélection d’antigènes multiples et incorporant à la fois des épitopes reconnus par les lymphocytes CD4+ et CD8+, l’acquisition de données permettant de sélectionner des adjuvants efficaces rendant ces peptides immunogènes, et une meilleure compréhension de la voie et de la fréquence optimales de vaccination à utiliser permettront de produire de fortes réponses anti-tumorales (Figure 1). La modulation du microenvironnement tumoral permettant une meilleure attraction des lymphocytes T générés contre les antigènes tumoraux et une inhibition des composants immunosuppresseurs permettant une complète efficacité de ces lymphocytes seront des enjeux essentiels au cours des prochaines années. Les essais cliniques en cours combinent d’ailleurs les vaccins avec des inhibiteurs de molécules de points de contrôle de l’immunité afin de renforcer les capacités effectrices des lymphocytes générés contre la tumeur. Ces essais constituent un premier pas vers une approche plus globale qui mènera, espérons-le, à des traitements ayant un impact favorable sur la survie et la qualité de vie des patients.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Wick W , Osswald M , Wick A , Winkler F . Treatment of glioblastoma in adults . Ther Adv Neurol Disord. 2018; ; 11 : :1756286418790452..
2.
Ribas A , Wolchok JD . Cancer immunotherapy using checkpoint blockade . Science. 2018; ; 359 : :1350.–1355.
3.
Hollingsworth RE , Jansen K . Turning the corner on therapeutic cancer vaccines . NPJ Vaccines. 2019; ; 4 : :7..
4.
Dutoit V , Migliorini D , Dietrich PY , Walker PR . Immunotherapy of malignant tumors in the brain: how different from other sites? . Front Oncol. 2016; ; 6 : :256..
5.
Migliorini D , Dutoit V , Allard M , et al. Phase I/II trial testing safety and immunogenicity of the multipeptide IMA950/poly-ICLC vaccine in newly diagnosed adult malignant astrocytoma patients . Neuro Oncol. 2019; ; 21 : :923.–933.
6.
Schumacher T , Bunse L , Pusch S , et al. A vaccine targeting mutant IDH1 induces antitumour immunity . Nature. 2014; ; 512 : :324.–327.
7.
Chheda ZS , Kohanbash G , Okada K , et al. Novel and shared neoantigen derived from histone 3 variant H3.3K27M mutation for glioma T cell therapy . J Exp Med. 2018; ; 215 : :141.–157.
8.
Keskin DB , Anandappa AJ , Sun J , et al. Neoantigen vaccine generates intratumoral T cell responses in phase Ib glioblastoma trial . Nature. 2019; ; 565 : :234.–239.
9.
Hilf N , Kuttruff-Coqui S , Frenzel K , et al. Actively personalized vaccination trial for newly diagnosed glioblastoma . Nature. 2019; ; 565 : :240.–245.