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Med Sci (Paris). 36(4): 308–310.
doi: 10.1051/medsci/2020045.

Le mimétisme du microbiote intestinal à l’origine d’une cardiomyopathie inflammatoire létale

Ludivine Laurans1* and Soraya Taleb1**

1Université de Paris, PARCC, Inserm U970, Hôpital européen Georges Pompidou, 56 rue Leblanc, 75015Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Cardiomyopathies, Cause de décès, Microbiome gastro-intestinal, Humains, Muqueuse intestinale, Mimétisme moléculaire, Myocardite, Indice de gravité de la maladie, étiologie, immunologie, mortalité, physiologie, microbiologie

La cardiomyopathie inflammatoire

La myocardite est une maladie inflammatoire du myocarde qui se caractérise par une activation du système immunitaire et une nécrose de myocytes. La myocardite évolue en trois phases, et peut aboutir à une cardiomyopathie létale [1]. La maladie est généralement déclenchée par un microorganisme pathogène tel qu’un virus (cytomégalovirus, virus de la Dengue, virus d’Epstein-Barr, virus de l’hépatite A ou C, virus de l’herpès, etc.), une bactérie (méningocoque, Brucella, staphylocoque, etc.), un parasite (Toxoplasma gondii, trypanosome), mais aussi parfois par une réaction allergique (colchicine, lidocaïne, etc.), par une drogue ou un médicament (amphétamines, cocaïne, éthanol, anthracyclines, etc.), voire par une toxine (venins de serpent ou de scorpion) [1]. Cette phase dure quelques jours. La phase auto-immune qui lui succède dure de quelques semaines à quelques années. Les peptides antigéniques dérivés du pathogène responsable de la primo-infection sont présentés à la surface des cellules infectées en association avec le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). Ce complexe, reconnu par les lymphocytes T, induit la sécrétion de cytokines ou de perforines conduisant, en cas d’amplification de la réaction inflammatoire, à la destruction massive de cardiomyocytes [2]. Cette activation immunitaire aiguë est alors associée à une réponse auto-immune contre la chaîne lourde 6 de la myosine (myosin heavy chain 6, MYH6), une isoforme de la chaîne lourde de la myosine des cardiomyocytes [3,4]. La troisième phase de la maladie, dite tardive, conduit à une cardiomyopathie dilatée, et ne concerne que les patients présentant une persistance virale.

Rôle du microbiote intestinal dans la myocardite

Dans un article récemment publié dans la revue Science [5], les auteurs ont testé l’hypothèse selon laquelle l’activation des cellules immunitaires au cours de la myocardite avait pour origine le microbiote intestinal. Pour cela, ils ont utilisé un modèle murin de myocardite : des souris transgéniques, sur fonds génétique BALB/c, dont plus de 95 % des lymphocytes T CD4+ expriment un récepteur TCR (T cell receptor) spécifique de MYH6 (souris TCRM). Toutes les souris TCRM ont un développement spontané de la maladie, qui évolue vers une cardiomyopathie létale chez 50 % d’entre elles [6]. Pour étudier l’impact du microbiote intestinal sur la maladie, les souris TCRM sont élevées dans des conditions où elles sont dépourvues de flore commensale (souris « germ-free », GF, ou axéniques). Les auteurs ont observé que les souris GF étaient protégées contre l’inflammation cardiaque et la survenue de la myocardite. Ils ont également montré, par des expériences de transfert de flore intestinale, que le microbiote intestinal était responsable de l’apparition d’un infiltrat inflammatoire cardiaque et de l’aggravation de la maladie. L’infiltrat était composé de lymphocytes T auxiliaires Th17 qui produisent de l’interleukine 17 (IL-17), et était caractérisé par un recrutement accru de cellules inflammatoires d’origine myéloïde (monocytes, macrophages activés, et macrophages résidents) dans le cœur. Par ailleurs, l’administration d’un traitement antibiotique aux souris TCRM prévient l’apparition de l’infiltrat cardiaque et diminue la sévérité de la maladie, conduisant à une absence de mortalité. Ces résultats suggèrent l’implication du microbiote intestinal dans l’évolution létale de la myocardite, via la prolifération des lymphocytes Th17 CD4+ spécifiques de MYH6 et l’accumulation de cellules inflammatoires dans le myocarde des souris TCRM. Le transfert adoptif des lymphocytes T CD4+ de souris TCRM à des souris invalidées pour le gène Rag1 (recombination activating gene 1), qui sont dépourvues de lymphocytes, a montré que les lymphocytes T transférés, après avoir proliféré dans le chorion (lamina propria) de la muqueuse intestinale, ont la capacité de migrer dans les zones T des tissus lymphoïdes de l’intestin (plaques de Peyer et ganglions mésentériques), avant de coloniser le cœur (Figure 1).

Le mimétisme du microbiote intestinal dans la myocardite

Gil-Cruz et al. ont mis en évidence l’existence de peptides bactériens ayant une très forte affinité pour le TCRM des lymphocytes T CD4+. En particulier, ces chercheurs ont isolé un peptide dérivé de la β-galactosidase (β-gal) qui est présente chez Bacteroides thetaiotaomicron (B. theta) et Bacteroides faecis, des bactéries trouvées dans le microbiote intestinal, et ont montré in vitro que les lymphocytes T CD4+ de souris TCRM prolifèrent autant en réponse à une stimulation par MYH6 qu’en réponse à une stimulation par le peptide β-gal provenant de Bacteroides. Cela indique qu’il existe un mimétisme moléculaire entre les deux peptides, MYH6 et β-gal, conduisant à l’activation de lymphocytes T CD4+ [5]. De plus, lorsque l’intestin des animaux TCRM GF est recolonisé avec B. theta, on observe une induction de cellules Th17 dans le cœur, qui est cependant réduite en l’absence du peptide β-gal. Ces résultats mettent en évidence l’existence de peptides bactériens issus du microbiote intestinal et ayant la capacité d’être reconnus par le TCR de lymphocytes T spécifiques d’antigènes cardiaques. Un tel mécanisme de mimétisme des bactéries commensales a également été mis en évidence dans l’activation de lymphocytes T CD8+ pro-diabétogènes chez les souris NOD (non-obese diabetic) [7].

Pertinence chez l’homme

Le dosage des immunoglobulines G (IgG) sériques dirigées contre Bacteroides montre une augmentation significative des anticorps anti-B. theta dans le sang des patients présentant une myocardite aiguë (cohorte AMITIS) comparativement à des sujets sains, et cela même à un stade très précoce de la maladie [5]. Une telle différence n’existe pas pour les anticorps dirigés contre d’autres espèces de Bacteroides. L’amélioration clinique de ces patients au cours du temps (avec une augmentation de la fraction d’éjection systolique, qui reflète la contractilité du myocarde, et une diminution de la concentration plasmatique de la C reactive protein [CRP], qui est un marqueur de l’inflammation), s’accompagne d’une diminution des taux sériques d’IgG anti-B. theta.

L’analyse des liaisons prévisibles des peptides MYH6 et β-gal B. theta à différentes molécules du CMH in silico indique que ces deux peptides se lient préférentiellement aux allèles HLA-DQA1*/B1*. De plus, il existe une corrélation entre les nombres de lymphocytes T spécifiques de MYH6 et spécifiques de β-gal chez les patients atteints de myocardite présentant les allèles HLA-DQB1.

Enfin, le transfert de matières fécales provenant de patients possédant B. theta dans leur microbiote intestinal (B. theta +) à des souris TCRM GF induit une plus forte infiltration du cœur par des cellules immunitaires qu’un transfert de matières fécales provenant de patients n’ayant pas de B. theta (B. theta -) dans leur microbiote intestinal.

Conclusions et perspectives

L’équipe dirigée par Burkhard Ludewig [5] a montré que les lymphocytes T CD4+ activés par des peptides dérivés de protéines de bactéries intestinales pouvaient migrer ultérieurement vers le cœur et exacerber les dommages myocardiques causés par une infection virale. De plus, la présence des allèles HLA-DQA1*/B1* chez certains patients atteints d’une myocardite [8], associée à la perte d’autocontrôle par les lymphocytes T, semble être à l’origine d’une cardiomyopathie inflammatoire très sévère, qui peut entraîner la mort. Cela suggère qu’en ciblant le microbiote de ces patients, par exemple par un traitement antibiotique, il serait possible d’atténuer la gravité de la maladie et d’en prévenir les séquelles potentiellement létales.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Feldman AM , McNamara D . Myocarditis . N Engl J Med. 2000; ; 343 : :1388.–1398.
2.
Liu PP , Mason JW . Advances in the understanding of myocarditis . Circulation. 2001; ; 104 : :1076.–1082.
3.
Pummerer CL , Luze K , Grässl G , et al. Identification of cardiac myosin peptides capable of inducing autoimmune myocarditis in BALB/c mice . J Clin Invest. 1996; ; 97 : :2057.–2062.
4.
Rose NR. Learning from myocarditis: mimicry, chaos and black holes . F1000Prime Rep. 2014;; 6.
5.
Gil-Cruz C , Perez-Shibayama C , De Martin A , et al. Microbiota-derived peptide mimics drive lethal inflammatory cardiomyopathy . Science. 2019; ; 366 : :881.–886.
6.
Nindl V , Maier R , Ratering D , et al. Cooperation of Th1 and Th17 cells determines transition from autoimmune myocarditis to dilated cardiomyopathy: Cellular immune response . Eur J Immunol. 2012; ; 42 : :2311.–2321.
7.
Tai N , Peng J , Liu F , et al. Microbial antigen mimics activate diabetogenic CD8 T cells in NOD mice . J Exp Med. 2016; ; 213 : :2129.–2146.
8.
Portig I , Sandmoeller A , Kreilinger S , et al. HLA-DQB1* polymorphism and associations with dilated cardiomyopathy, inflammatory dilated cardiomyopathy and myocarditis . Autoimmunity. 2009; ; 42 : :33.–40.