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| Med Sci (Paris). 36(4): 303–307. doi: 10.1051/medsci/2020092.L’éthique des essais thérapeutiques Annick Alperovitch1* and Philippe Lazar2** 1Directrice de recherche honoraire à l’Inserm 2Directeur de recherche honoraire à l’Inserm Ancien Directeur
général de l’Inserm |
Qu’est-ce qu’un essai thérapeutique ? Depuis maintenant plusieurs décennies il est internationalement admis dans toutes les
institutions médicales que, lorsqu’on est dans une grande incertitude sur l’intérêt
respectif de deux attitudes thérapeutiques à adopter vis-à-vis de patients atteints
d’une même maladie et que l’on veut savoir si l’une est préférable à l’autre1,, il est nécessaire de procéder à ce qu’on
désigne par le terme « d’essai thérapeutique comparatif » (ETC)2, une procédure désormais très codifiée. Celle-ci suppose
qu’on compare les effets de deux traitements sur deux groupes aussi semblables que
possible de patients en nombre suffisant, ceux-ci étant dûment informés de la nature
de l’essai et ayant donné leur consentement pour en faire partie. La comparaison des
avantages et inconvénients observés dans les deux groupes devient dès lors la base
scientifique des conclusions concernant l’emploi ultérieur du traitement
préférentiel mis en évidence (s’il en est un). À la plupart des expressions ci-dessus utilisées sont associées des questions
spécifiques d’ordre éthique. Il s’agit ci-dessous d’en préciser la nature et la
façon dont on les gère. |
Le cadre réglementaire de l’évaluation thérapeutique Les essais thérapeutiques comparatifs ont été codifiés au milieu du xx
e siècle. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Medical
Research Council du Royaume Uni fut le promoteur du premier ETC publié,
portant sur l’utilisation de la streptomycine dans le traitement de la tuberculose.
Présidé par A.B. Hill3,, le comité scientifique
de ce premier essai avait déjà identifié beaucoup des questions méthodologiques et
éthiques soulevées par ce type de recherche « clinique », c’est-à-dire portant
directement sur l’homme malade. Au cours des décennies suivantes, l’ETC est devenu
la base universelle (gold standard) de l’évaluation des
thérapeutiques pour toutes les institutions de recherche, de soins et pour les
agences sanitaires nationales et internationales. Il le demeure aujourd’hui. Depuis
lors, la méthodologie des essais n’a cessé de s’enrichir de nouveaux concepts et de
développements méthodologiques. S’agissant de l’éthique, tous les pays ont
progressivement mis en place des comités chargés de veiller au respect des valeurs
éthiques dans la recherche clinique. En France, dès sa création en 1983, le Comité
consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a
rédigé un avis sur les essais thérapeutiques4,.
La loi du 20 décembre 1988 a créé les Comités consultatifs de protection des
personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale (CCPPRB), devenus Comités de
protection des personnes (CPP)5 dans la loi
relative à la bioéthique du 9 août 2004. Les CPP ont, entre autres missions, celle
de donner un avis sur le protocole des essais thérapeutiques. Ils sont
particulièrement attentifs au contenu du consentement éclairé qui
doit être signé par chaque patient inclus dans un ETC. Tous les essais conduits au sein de l’Union Européenne doivent désormais être
enregistrés dans une base de données publique (EU clinical trials
register). Cette base donne accès au protocole complet de chaque essai
et aux avis éthiques des instances réglementaires. Enfin, pour de nombreux essais, un comité de surveillance, indépendant des
investigateurs, suit leur progression selon des modalités définies par leur
protocole. Et il peut arriver que ce comité demande l’interruption de l’essai en
raison d’une différence importante constatée dans l’évolution des deux groupes
comparés, que ce soit en matière d’efficacité ou de graves effets indésirables. |
Qu’entend-on par grande incertitude sur la valeur relative de deux
traitements ? Organiser un essai comparatif entre deux traitements implique à l’évidence comme
première condition qu’on soit dans l’ignorance de la supériorité éventuelle de l’un
des deux. Et l’on est dès lors conduit à se demander qui est en situation de porter
un tel jugement d’équivalence. La question se pose dans tous les cas de figure,
peut-être pas toujours avec la même acuité selon qu’il s’agit de l’introduction d’un
nouveau médicament, de l’utilisation pour une autre maladie d’un médicament
habituellement prescrit à d’autres fins ou encore de la comparaison entre deux
traitements utilisés pour la même maladie. Disons-le clairement : il est rare qu’un
praticien n’ait pas une intime conviction au sujet du choix entre ces deux
traitements. Il est alors, éthiquement parlant, difficile pour ce médecin d’accepter
de ne donner ce qu’il considère comme le traitement préférentiel qu’à la moitié de
ses patients, et cela même si sa conviction n’est pas absolue. Que faire dès lors ? La meilleure réponse serait sans doute de recourir de façon
systématique à l’avis d’un collège de médecins confrontant leurs convictions et
leurs incertitudes sur la légitimité de l’essai projeté. Mais dans la réalité, les
choses ne se passent pas vraiment ainsi : le collège en question est souvent
virtuel, le choix de recourir à un essai l’œuvre de leaders d’opinions. Cela dit, ce
choix, même ainsi personnalisé, s’appuie néanmoins sur une forme de consensus
implicite, dans le milieu médical, sur la réalité des doutes quant à la supériorité
de l’un des traitements en question. Dans ce contexte incontestablement difficile, certains médecins peuvent néanmoins
estimer que le serment qu’ils ont prêté leur interdit de ne pas faire ce que leur
conviction les conduirait à faire ; d’autres ont une conviction moins personnelle de
leur rôle et ils peuvent sans arrières-pensées participer à des ETC. |
Rendre aussi pertinents que possible les groupes de patients soumis aux deux
traitements comparés Deux questions se posent quand on a décidé de procéder à un essai comparatif.
Contrairement aux apparences, ce ne sont pas celles qui soulèvent les problèmes
d’éthique les plus aigus. Combien faut-il réunir de patients pour que l’essai apporte des conclusions valides
et comment constituer les groupes recevant l’un ou l’autre traitement ? Il est
inexact de dire qu’un essai ne peut être concluant s’il ne porte que sur un
« petit » nombre de patients. Le nombre de patients à inclure dans un essai pour que
ses conclusions soient probantes dépend étroitement du différentiel escompté entre
les deux traitements : il en faut très peu si la différence attendue est massive,
beaucoup plus si cette différence est relativement faible. La seule vraie difficulté est de s’engager sur l’importance de la différence qu’on
peut espérer mettre en évidence entre les deux traitements. Elle n’est pas
fondamentalement d’ordre éthique, elle relève de la justification médicale de
l’essai. Déterminer le nombre de patients à réunir est alors simple affaire d’un
calcul que savent faire les statisticiens. Mais se faire une idée du bénéfice
attendu n’est pas sans conséquences. Ainsi si on le surestime – et si on réduit en
conséquence le nombre de patients entrant dans l’essai – on ne pourra pas conclure
parce que la différence effectivement observée ne pourra pas être affirmée comme
prouvée. Or s’il existe une différence moindre mais réelle entre les deux
traitements, cette surestimation peut priver nombre de patients ultérieurs d’un
progrès thérapeutique. Quant à la constitution de groupes comparables, la solution qui fait désormais
l’objet d’un très large consensus mondial, la « randomisation », c’est-à-dire la
répartition des patients entre ceux-ci pour recevoir l’un ou l’autre des traitements
par tirage au sort, ne pose, elle non plus aucun réel problème d’éthique. C’est au
niveau de la demande faite à des médecins d’accepter de ne pas donner leur
traitement préférentiel (s’il en est un) à un patient donné qu’il se situe, comme
cela a été souligné plus haut. Mais si l’on est vraiment, collectivement, en
situation d’incertitude sur l’éventuel différentiel entre les deux traitements, en
quoi cela pose-t-il réellement problème moral, si l’on y réfléchit bien, de donner
au hasard l’un ou l’autre ? Et on peut dès lors légitimement inverser l’affirmation : c’est de ne pas constituer
les deux groupes par tirage au sort, les rendant ainsi faussement comparables, qui
constitue une lourde faute d’ordre éthique. |
L’évolution des connaissances au fur et à mesure que se déroule l’essai Il résulte des remarques précédentes qu’un essai « idéal » serait un essai où tous
les patients requis pour conclure seraient traités le même jour, c’est-à-dire au
moment où l’incertitude qui règne légitime pleinement son lancement. Pourquoi
évoquer cette situation à l’évidence irréaliste ? Parce qu’elle permet de soulever
une question du point de vue de l’éthique. S’il existe une réelle différence de
valeur entre les deux traitements (qu’elle soit en termes d’efficacité ou d’effets
indésirables), elle va se dessiner progressivement au fur et à mesure de la
progression de l’essai. Et si les expérimentateurs se tiennent au courant au jour le
jour des résultats observés, il leur devient éthiquement très difficile de continuer
à prescrire le traitement apparemment le moins favorable. Au risque de conclure à
tort en faveur de l’autre traitement ! Aussi bien la règle générale des ETC est-elle de se garder de prendre connaissance
des résultats avant qu’ait été réuni le nombre prévu de patients pour conclure. On
comprend que cette règle, imposée par la volonté d’obtenir une réponse fiable, ne
pose pas de problème majeur lorsqu’on a affaire à des maladies relativement légères
et à des traitements sans risques majeurs. Tel n’est bien sûr pas toujours le cas et
deux moyens peuvent alors être utilisés pour pallier ces difficultés : 1) prévoir
dans le protocole de l’essai des étapes d’analyse intermédiaire qui n’en dénaturent
pas la qualité scientifique, ce qui implique une exigence plus grande quant au
niveau de conviction qu’il apporte quant à l’existence d’un effet différentiel ;
2) accepter que le comité de surveillance de l’essai ait la capacité de
l’interrompre en cas d’incidents graves. Toutes ces difficultés d’ordre éthique sont exacerbées dans les essais portant sur
des centaines ou des milliers de patients, aujourd’hui relativement fréquents.
Plusieurs années s’écoulent en effet entre l’inclusion des premiers patients et la
publication des résultats de l’essai. |
Le consentement éclairé des patients La loi impose que les patients inclus dans un essai soient dûment informés du
rationnel scientifique et des modalités de l’essai et qu’ils acceptent d’en faire
partie. Il s’agit donc plus d’une question d’ordre déontologique qu’éthique : le
médecin se doit d’apporter cette information et il est en faute s’il ne le fait pas.
Les conditions d’information du patient et de signature du consentement sont
définies par la loi. L’obligation d’informer n’est pas spécifique aux ETC : elle vaut pout tout acte
médical. Mais elle prend une acuité particulière pour les essais car le médecin doit
alors faire comprendre à son patient que, dans l’incertitude où l’on est des
avantages et inconvénients respectifs des deux traitements envisageables, il va
tirer au sort celui des deux qu’il va lui prescrire. Ce n’est évidemment pas un
discours toujours facile à tenir. Pour le rendre acceptable, il semble difficile que
le médecin n’évoque pas auprès de son patient la part d’altruisme qu’implique
l’acceptation d’être inclus dans l’essai : ce n’est pas lui qui profitera
directement de ses résultats car il n’a qu’une chance sur deux de recevoir le
meilleur de deux traitements s’il y a une différence entre eux. Mais comme on ne
sait pas lequel est le meilleur (si meilleur il y a) au moment où on l’administre,
il ne semble pas insurmontable de le faire comprendre et admettre. |
Les résultats d’un essai sont-ils transposables dans la vie « réelle » ? Dans leur immense majorité, les essais ont pour objet d’apporter des éléments de
connaissance scientifique sur l’efficacité ou les inconvénients des traitements
comparés. On dit parfois qu’ils ont une vocation « explicative ». Aux fins de
parvenir le plus vite possible à des conclusions valides, on a tout intérêt à
sélectionner de façon assez sévère la catégorie des patients « entrant dans
l’essai », pour éviter notamment une trop grande variabilité de la forme de leur
maladie, ou encore de les « perdre de vue » pendant l’essai et donc de ne pouvoir
connaître les suites du traitement dont ils ont bénéficié. Cette façon de faire est
légitime mais il ne faut pas oublier qu’elle a l’inconvénient de réduire le
caractère opérationnel des conclusions dans la mesure où, dans la vie réelle, on est
loin des conditions « de laboratoire » qui ont accompagné l’essai et où, par
conséquent, les conclusions qu’il a permis d’acquérir ne sont pas nécessairement
directement transposables6. Avoir conscience de cette difficulté et se préoccuper de la façon de la gérer relève
aussi de l’éthique des essais, mais à une autre échelle. En d’autres termes,
démontrer l’existence d’une différence entre deux traitements sur des groupes très
sélectionnés de patients ne garantit pas que cette efficacité différentielle soit
pleinement transposable dans la vie courante. Mais, à l’inverse, si le résultat de
l’essai ne détecte pas de différence, il n’y a guère de raison de penser qu’elle se
manifesterait dans la pratique médicale hors essai. C’est là une très forte
justification de la légitimité des essais tels qu’ils sont aujourd’hui massivement
organisés. |
Les essais, une étape majeure et altruiste dans l’amélioration des
traitements On l’aura compris, les essais comparatifs constituent une étape incontournable dans
la prise en charge thérapeutique au long cours des patients atteints d’une maladie
déterminée. Y recourir témoigne de la reconnaissance par le corps médical que,
quelle que soit sa compétence, il a besoin de nouvelles connaissances pour mieux
accomplir sa mission soignante et qu’une partie de ces connaissances ne peut
résulter que de la confrontation expérimentale des options thérapeutiques qui
s’offrent à lui. Pour des praticiens, accepter de recourir à des essais
thérapeutiques réalisés dans les conditions éthiques et scientifiques ici rappelées
est ainsi un témoignage d’une légitime modestie de leur part au regard de la superbe
de ceux qui estiment pouvoir s’en passer. Pour les patients concernés, accepter
d’être inclus dans un essai, c’est, tout en bénéficiant de soins particulièrement
attentifs, être conscients de participer à l’amélioration du sort des patients qui,
à l’avenir, bénéficieront des résultats de l’essai en question. L’éthique des essais
thérapeutiques ne se réduit donc pas à celle de leur organisation interne, elle
concerne très fondamentalement leur existence même et la portée de leurs
résultats. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
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Footnotes |