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Med Sci (Paris). 36(3): 277–279.
doi: 10.1051/medsci/2020041.

Impact de la phase pré-analytique sur la qualité des échantillons collectés dans les biobanques

Marion Amalfitano,1* Qifeng Dong,1** and Aissata Keita1***

1MScBiobanks and Complex Data Management, Université Côte d’Azur, Centre hospitalier universitaire de Nice, Hôpital Pasteur, Biobanque BB-0033-00025, Nice, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Biobanques, Humains, Phase pré-analytique, Conservation biologique, Contrôle de qualité, Manipulation d'échantillons, normes, statistiques et données numériques, méthodes

 

La recherche médicale nécessite un investissement financier important. Une étude réalisée par Freedman et al. a ainsi estimé cet investissement à 56 milliards de dollars aux États-Unis en 2015 [1]. Selon ces auteurs, près de 28 milliards ont été investis dans des études précliniques qui ont conduit à des résultats non reproductibles. Ce problème de reproductibilité peut avoir pour origine le protocole expérimental, mais également la qualité des échantillons, non représentative du contexte physiopathologique. Face à ces problèmes de reproductibilité, les biobanques peuvent être un atout majeur. L’enjeu est non seulement d’assurer la collection des échantillons en grande quantité, mais également d’en garantir la conservation par le développement de procédures standardisées permettant le maintien de l’intégrité de différents types d’échantillons.

Les étapes clés de la phase pré-analytique

La phase pré-analytique comprend toutes les étapes, du prélèvement au traitement de l’échantillon. Durant ces étapes, le risque de dégradation de la qualité des échantillons est majeur [2]. Il est donc indispensable de contrôler chacune d’entre elles, et ce, dès que l’échantillon n’est plus irrigué par la circulation sanguine. Il s’agit de la phase d’ischémie, divisée en deux parties. La première, l’ischémie chaude, concerne uniquement les prélèvements lors d’une intervention chirurgicale. Elle commence lorsque l’échantillon à prélever n’est plus irrigué par la circulation sanguine, jusqu’au moment où il est totalement retiré de l’organisme. Seul le chirurgien peut contrôler la durée de cette étape. Suit l’ischémie froide, qui concerne tout échantillon. Il s’agit alors du transport depuis le lieu du prélèvement jusqu’au laboratoire d’analyse. Selon la distance parcourue et le moyen de transport utilisé (tube pneumatique, transport routier ou aérien), la durée d’acheminement peut être optimisée. La Haute autorité de santé (HAS) recommande un transport « sans rupture de la chaîne du froid, dans un container refroidi et saturé en vapeur d’azote ou dans de la carboglace ». Le suivi de ces conditions tout au long du trajet permet d’assurer un maintien de la qualité durant cette étape (Figure 1).

Dès la réception au laboratoire, l’échantillon est soit fixé au formol et inclus en bloc de paraffine s’il s’agit d’un prélèvement solide, soit congelé avec une solution cryoprotectrice [3] (les tissus solides peuvent également faire l’objet d’une cryoconservation). L’inclusion en paraffine se fait à température contrôlée selon le point de fusion du type de paraffine utilisée (polymère, non-polymère et microcristalline), c’est-à-dire entre 45 °C et 65 °C, dans le but d’éviter toute dégradation des tissus. Les paraffines recommandées ont un point de fusion entre 55 °C et 58 °C [4].

Le choix de la solution cryoprotectrice a également une influence sur la qualité des tissus, concernant notamment les acides nucléiques. Les cryoprotecteurs les plus utilisés sont le glycérol et le diméthylsulfoxyde. Dans le cas d’extraction d’acides nucléiques, le kit d’extraction peut également influencer la qualité du produit : c’est la raison pour laquelle il existe des kits qui favorisent la qualité d’extraction plutôt que le rendement [5].

Cependant, même si la collection se fait dans des conditions optimales, cela ne préfigure pas l’interprétabilité des résultats post-analyse, qui dépend de la nature même de l’échantillon.

L’analyse se fait uniquement sur une petite quantité de matière, qui doit être sélectionnée avec soin pour être représentative de l’état physiopathologique d’un patient ou représenter les caractéristiques d’un échantillon. Par exemple, dans le cas d’une biopsie liquide, si trop peu de cellules tumorales circulantes sont présentes dans le prélèvement sanguin, l’analyse pourrait donner de faux résultats négatifs. Il en serait de même avec un prélèvement de tissu solide comportant un grand pourcentage de cellules nécrosées et peu de cellules cancéreuses ou tumorales.

Le maintien de la qualité des échantillons durant la période de stockage

Après le traitement pré-analytique, la conservation de la qualité est toujours prioritaire. Dans le cas où la totalité de l’échantillon n’est pas utilisée, il peut servir à de futures analyses plusieurs années après la collection. C’est la raison pour laquelle il est important de maintenir la qualité de l’échantillon pendant toute la durée de la conservation.

La fixation et l’inclusion de l’échantillon
Les tissus fixés au formol et inclus en bloc de paraffine se gardent à température ambiante de nombreuses années sans altérer l’intégrité des cellules. La qualité de l’analyse histologique sera donc préservée. À l’inverse, les acides ribonucléiques (ARN) sont instables à température ambiante car les ribonucléases responsables de leur dégradation ne sont inactives qu’à une température inférieure à -70 °C. Les échantillons servant à l’extraction et l’analyse de ces ARN sont donc conservés à très basse température dans des congélateurs spécialisés (à -80 °C) ou en présence d’azote liquide (-196 °C). Les congélateurs à -80 °C doivent être soumis à des contrôles de maintenance réguliers pour éviter le déstockage ou la perte des collections en cas de panne électrique. La HAS recommande également de placer ces congélateurs « dans des locaux fermant à clé, avec climatisation et systèmes d’alarme efficaces ». Les réservoirs d’azote liquide doivent être manipulés par des techniciens qualifiés en raison des risques de brûlure et d’asphyxie, dans une pièce équipée d’un détecteur du niveau d’oxygène.

Enfin, il est possible de conserver les acides nucléiques à température ambiante grâce à différentes techniques, comme l’utilisation de solutions stabilisantes qui empêchent la dégradation des acides nucléiques et permettent ainsi une meilleure conservation des tissus. RNAlater® et DNAstable® sont deux solutions stabilisantes permettant de conserver les acides nucléiques sur de longues durées, à température ambiante ou à température de congélation classique (-20 °C pour préserver l’ARN). RNAlater® permet d’inhiber l’action des RNases dans l’échantillon. DNAstable® déshydrate l’échantillon pour réduire l’activité biologique, physique, et chimique dégradant l’ADN. Des solutions alternatives existent sur le marché (CloneStable®, DNAguard®, RNAstable®). Il existe également des cartes de collection (Whatman®FTA® card, GenCollect™ DNA card) qui permettent de conserver les prélèvements liquides. Elles ont pour rôle de lyser les cellules, de dénaturer les protéines et de protéger l’ADN de la dégradation [6], en les fixant sur la matrice protectrice qui recouvre le papier. L’extraction se fait après le stockage, en découpant une partie du papier imbibé du liquide biologique, puis en procédant à l’extraction de l’ADN. La lyophilisation est également un procédé stabilisateur, qui consiste à déshydrater les échantillons par sublimation de l’eau, à très basses pression et température, pour éviter une dégradation par la chaleur.

Les trois méthodes de conservation précédentes sont cependant moins répandues dans les biobanques, en raison de leur coût et de leur développement récent, qui ne permet pas encore de disposer d’un recul suffisant pour évaluer leur efficacité. De plus, la conservation à très basse température et l’inclusion en blocs de paraffine sont encore considérées comme les méthodes de référence pour les analyses génétiques et les analyses histologiques, respectivement.

La traçabilité des échantillons
Garantir le maintien de l’intégrité de l’échantillon durant toute la période de conservation est l’une des missions principales des biobanques. Les biobanques doivent également gérer le suivi, la traçabilité et la mise à disposition des échantillons.

De nombreux laboratoires sont dotés d’un système de gestion informatisée appelé Laboratory information management system (LIMS), indispensable à la gestion de grands nombres d’échantillons. Le LIMS, système datant de la fin des années 1970, permet de suivre toutes les étapes à partir de la collecte des échantillons et de gérer les informations qui leur sont associées - cliniques, médicales, personnelles - en les stockant dans une base de données afin d’assurer une meilleure traçabilité des échantillons. Le LIMS gère la confidentialité des données et leur sécurité. Il assure la sauvegarde de documents et une distribution sécurisée des échantillons et des données associées entre des institutions de recherche collaborative, tout en respectant le cadre réglementaire et éthique [7].

En France, les biobanques peuvent acquérir une certification particulière (norme NF-S96-900), propre aux structures ayant une activité de centre de ressources biologiques (CRB). Cette norme fournit des exigences pour le système de gestion de la qualité des CRB afin de faciliter l’acquisition, la validation, la conservation et la distribution des ressources biologiques en garantissant l’assurance qualité et la traçabilité des échantillons. Pour répondre aux critères de ces normes, ces structures peuvent s’appuyer sur un système de management de la qualité (SMQ), répondant aux exigences de la certification ISO 9001, et fondé notamment sur la mise en place de procédures standardisées et d’audits (Figure 2).

Grâce à un haut niveau de standardisation et des procédures normalisées partagées entre les différents centres, le réseau européen de biobanques BBMRI-ERIC met en place ses propres routines de validation. Cela permet de créer des centres experts de biobanques, en phase avec les avancées de la recherche pharmaceutique ou médicale, et des techniques analytiques.

References
1.
Freedman LP, Cockburn IM, Simcoe TS. The economics of reproducibility in preclinical research . PLoS Biol. 2015; ; 13 : :e1002165..
2.
Gaye A, Peakman T, Tobin MD, Burton PR. Understanding the impact of pre-analytic variation in haematological and clinical chemistry analytes on the power of association studies . Int J Epidemiol. 2014; ; 43 : :1633.–1644.
3.
Gaffney E, Riegman P, Grizzle W, Watson P. Factors that drive the increasing use of FFPE tissue in basic and translational cancer research . Biotech Histochem. 2018; ; 93 : :373.–386.
4.
Engel KB, Moore HM. Effects of preanalytical variables on the detection of proteins by immunohistochemistry in formalin-fixed, paraffin-embedded tissue . Arch Pathol Lab Med. 2011; ; 135 : :537.–543.
5.
Watanabe M, Hashida S, Yamamoto H, et al. Estimation of age-related DNA degradation from formalin-fixed and paraffin-embedded tissue according to the extraction methods . Exp Ther Med. 2017; ; 14 : :2683.–2688.
6.
Rahikainen AL, Palo JU, de Leeuw W, et al. DNA quality and quantity from up to 16 year old post-mortem blood stored on FTA cards . Forensic Sci Int. 2016; ; 261 : :148.–153.
7.
Bianchi V, Ceol A, Ogier AG, et al. Integrated systems for NGS data management and analysis: open issues and available solutions . Front Genet. 2016; ; 7 : :75..