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| Med Sci (Paris). 36(3): 271–273. doi: 10.1051/medsci/2020029.Les laboratoires ouverts Tous
Chercheurs Jean Thimonier,1 Annick Brun-Jacob,3 Marion Mathieu,1,2 Jonas Durand,3 Pascale Frey-Klett,3** and Constance Hammond1* 1Tous Chercheurs, INMED UMR 1249, Inserm et Aix Marseille
Université, 163 route de
Luminy, 13273Marseille,
France 2UMR 7268 ADES - Aix Marseille Université - EFS - CNRS–,
faculté de médecine, département des sciences humaines et
sociales, 27 boulevard
Jean-Moulin, 13385Marseille,
France 3Tous Chercheurs, Laboratoire d’Excellence ARBRE, UMR INRAE
Université de Lorraine 1136 , Centre INRAE Grand Est-Nancy,
54280Champenoux,
France |
Mieux connaître les méthodes de raisonnement, d’argumentation et d’expérimentation de la
recherche permet à tout un chacun de se placer dans un rôle actif par rapport aux
sciences et de devenir un citoyen éclairé. Il faut pour cela disposer des clés
permettant de disséquer le processus de production d’un résultat scientifique : par qui
(des chercheurs ou non, indépendants2, ou non) et
comment (par quelles méthodes d’analyse, de quantification, expériences témoins3) ce résultat a-t-il été obtenu et validé ? Les
laboratoires Tous Chercheurs se sont fixés comme objectif de permettre à tout citoyen
d’appréhender ce processus par l’expérience, au cours de stages de recherche. Ils ont,
pour cela, investi dans trois domaines : le temps, le lieu et les interactions. |
Le temps, le lieu et les interactions Le temps La formation à l’investigation scientifique, qui comprend l’éducation à la
curiosité (questionnement), la compréhension d’un problème posé, l’imagination
(l’invention d’un monde possible [ 1]), l’expérimentation avec du matériel scientifique de
pointe, la discussion argumentée des résultats (esprit critique), la
compréhension de ses erreurs, et la communication, ne peut se faire sur des
temps courts. C’est pourquoi sont privilégiés les stages de plusieurs jours ou
les camps d’été, si possible récurrents, ainsi que les recherches
participatives. Le lieu Les stagiaires travaillent dans des laboratoires ouverts au public ( open
labs), équipés comme tout laboratoire de recherche avec du matériel
de pointe. Les espaces de travail dédiés aux questionnements, aux expériences et
aux interactions, sont organisés pour une pédagogie active. Les interactions Les tuteurs de stages (des doctorants) sont formés aux pédagogies actives. Ils
guident les apprentissages des stagiaires vers la réalisation d’une production
concrète, soit un exposé scientifique argumenté, soit une émission de radio sur
internet (web radio), soit la rédaction d’une lettre (du type des
newsletters), soit enfin par leur participation à la
rédaction d’un article scientifique [ 2– 4]. Nous exposerons succinctement, comme exemple, le déroulement des stages de
recherche en immunologie/écologie des agents pathogènes qui ont concerné trois
publics différents : des scolaires, des membres d’associations de malades et le
grand public (Figure
1).
| Figure 1. De haut en bas : scolaires, grand public ou membres d’association de
malades effectuant des expériences par équipe, dans les laboratoires
ouverts Tous Chercheurs. |
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La classe (de lycéens) accueillie pendant 3 jours [5], est divisée en 4 groupes d’élèves qui,
accompagnés d’un tuteur, vont commencer le stage par l’analyse du résultat de la
même expérience (il s’agissait dans ce cas de l’observation au microscope confocal
de macrophages dans une coupe de peau lésée). Une fois définis les mots incompris,
les élèves décrivent aux tuteurs ce qu’ils voient et tentent d’apporter des réponses
possibles aux interrogations inhérentes aux observations qui ont été faites. À
l’issue de cette étape, émerge la problématique : « Quelles sont les réponses
possibles du macrophage face à une infection bactérienne ? ». Les élèves émettent
plusieurs hypothèses de recherche (élimination des bactéries par « ingestion » et/ou
production de molécules toxiques, synthèse de messagers de l’inflammation) qui
seront traitées de manière indépendante par les groupes et testées chacune par une
ou deux expériences. Les protocoles correspondants sont imaginés dans leurs grandes
lignes par les élèves, en particulier les expériences témoins, support principal de
discussions lors de la présentation finale des résultats. Les manipulations réalisées par les quatre groupes répondent aux questions suivantes
: est-il possible de visualiser la phagocytose des bactéries avec un microscope
optique ? Peut-on détecter le lysozyme dans les milieux de culture de macrophages et
tester son pouvoir bactéricide par spectrophotométrie ? Comment mettre en évidence
l’expression de la protéine iNOS (inducible nitric oxide synthase)
et quantifier le monoxyde d’azote (NO) produit après stimulation des macrophages par
un composant bactérien, tel que le lipopolysaccharide (LPS), constituant de la
membrane externe de certaines bactéries ? Les macrophages activés par le LPS
libèrent-ils des cytokines, comme l’interleukine 1b (IL-1b), et peut-on en mesurer
la production ? |
Stage pour les membres d’associations de malades Chaque stage de 3 jours est proposé à un groupe de 12 personnes (malades, apparentés,
aidants) concernés par une pathologie chronique [6]. Dans le cas des maladies auto-immunes, les
stagiaires observent un résultat d’analyse biologique ou d’expérience scientifique.
Ils posent plusieurs questions : Quels dérèglements immunitaires se produisent dans
l’organisme et quelles en sont les causes ? Quelles pistes thérapeutiques pour
permettre un retour à l’équilibre chez le patient ? Après un bref exposé des notions de base en immunologie, nous leur faisons observer
des cellules immunitaires au microscope. Ils analysent comment ces cellules
répondent à un stimulus étranger en dosant la production de messagers chimiques en
réponse à ce stimulus. La discussion porte ensuite sur la reconnaissance du danger
par le système immunitaire, des mécanismes de régulation mis en jeu et des
dérèglements possibles. Le deuxième jour est consacré au questionnement autour du
volet diagnostique des pathologies auto-immunes : qu’est-ce qu’un biomarqueur ? Que
mesurer, à partir de quel échantillon et comment le faire ? Ce marqueur aide-t-il à
poser un diagnostic, à anticiper des poussées de la maladie ou à prédire une réponse
à un traitement ? Les stagiaires réalisent un test de détection d’auto-anticorps associés à la maladie
auto-immune. La discussion porte sur la difficulté de concevoir et d’obtenir des
biomarqueurs qui soient spécifiques et fiables pour chaque pathologie auto-immune,
les avantages et les limites de ces techniques et les pistes de recherche. Le volet
thérapeutique est abordé le dernier jour, avec une attention particulière aux
anticorps monoclonaux. Les stagiaires isolent, à l’aide d’anticorps monoclonaux
couplés à des billes aimantées, des lymphocytes B à partir d’une culture contenant
différents types de cellules. Les avantages et les limites de telles approches sont
ensuite discutées. Le stage se clôt par une discussion avec un chercheur ou un
médecin chercheur spécialiste de la pathologie. |
Stages pour le Grand Public : recherche participative CiTIQUE Les stagiaires, âgés de 10 à 99 ans, sont accueillis par groupe d’une dizaine de
personnes pendant 2 jours au cours desquels ils participent à CiTIQUE, un programme
de recherche participative sur l’écologie des tiques et des maladies associées
[7, 8]. Placés devant des images choisies
pour introduire le contexte de ces recherches participatives, ils s’interrogent sur
le risque pour la santé humaine que représentent les tiques véhiculées par les
animaux familiers (chien et chat) et formulent des questions de recherche : les
tiques qui piquent le chat et le chien sont-elles les mêmes que celles qui piquent
l’homme ? Les tiques qui piquent le chat et le chien véhiculent-elles des agents
pathogènes pour l’homme ? Pour y répondre, les stagiaires observent et identifient
des tiques ayant piqué des chiens et des chats, envoyées au laboratoire Tous
Chercheurs de Nancy par des citoyens dans le cadre de CiTIQUE. Ils comparent leurs
résultats à ceux de la littérature scientifique sur la diversité des tiques qui
piquent l’homme. Ils extraient l’ADN contenu dans ces tiques et recherchent par une
approche d’amplification génique la présence dans ces tiques d’agents pathogènes
pour l’homme, notamment la bactérie responsable de la maladie de Lyme. Plusieurs
temps de discussion sur la démarche de recherche et les résultats obtenus ont lieu
pendant le stage entre les stagiaires et les scientifiques présents. En fin de
stage, une discussion plus large est engagée sur la portée, pour le programme
CiTIQUE, des nouveaux résultats acquis pendant le stage, et sur les conséquences en
termes de prévention du risque de piqûre de tiques. |
Les retombées des stages Tous Chercheurs sont multiples, comme l’apprentissage de la
cohésion de groupe, l’orientation, car les scolaires découvrent un campus
universitaire et rencontrent des professionnels4, la confiance en soi et le développement de l’autonomie notamment des
malades dans leurs discussions avec les équipes médicales, le plaisir de participer
à une recherche importante pour la société, pour les citoyens engagés dans des
recherches participatives, le soutien vers l’emploi pour les tuteurs lorsqu’ils sont
en attente d’emploi ou en reconversion. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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Remerciements aux autres membres des équipes des laboratoires Tous Chercheurs et en
particulier Amina Mokrane, Lionel Vaux, Elodie Stamm (Marseille) ; Harry Ramenah,
Frédéric Lecerf, Souad Morsli, Moustapha Ba, Michel Kam (Metz) ; Blandine Caquet,
Michelle Cussenot (Vittel) et à nos partenaires (voir touschercheurs.fr). Le
Laboratoire Tous Chercheurs Nancy a bénéficié d’aides de la Région Grand Est, du
FEDER et de l'État au titre du Programme Investissements d'Avenir :
ANR-11-LABX-0002-01 (Laboratoire d'Excellence ARBRE), ANR-15-IDEX-04-LUE, Territoire
d’Innovation « Des Hommes et Des Arbres ».
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Footnotes |
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