Du déterminisme génétique aux tests

2008


ANALYSE

4-

Pharmacogénétique

La pharmacogénétique est apparue pour la première fois en 1953 avec la description du phénotype « acétyleur lent » de l’isoniazide, un antituberculeux. Ce phénotype a été rapidement associé à une augmentation de la neurotoxicité de cet antituberculeux couramment prescrit. Dans les années 1950 sont successivement décrits des syndromes particuliers que l’on rattache à des déficits constitutionnels en différentes protéines (glucose-6-phosphate déshydrogénase et anémie hémolytique aux dérivés de la quinine, apnées à la succinylcholine chez des patients déficients en cholinestérase).
Dans les années 1960, des médecins colligent des effets indésirables survenus chez leurs patients avec certains médicaments ; ces effets sont associés à des concentrations circulantes très élevées de ces médicaments. C’est en constatant l’élimination extrêmement lente de quelques médicaments par certains patients que l’on découvre les enzymes hépatiques responsables du métabolisme des médicaments (cytochromes P450 ou CYP). Les premiers cas décrits soulignent déjà à l’époque que ces phénotypes « métaboliseur lent » sont rattachés à des modifications d’ordre génétique car ils se transmettent selon un mode mendélien. Il faut attendre les années 1980 et les progrès de la biologie moléculaire pour l’identification des gènes codant les protéines du métabolisme. Les mutations responsables des phénotypes « métaboliseur lent » sont alors progressivement publiées.
C’est avec l’apparition des tests génétiques et le séquençage du génome humain, et au début des années 2000, puis 2003, que la pharmacogénétique a pris un nouvel essor dans le développement et le suivi des médicaments. Le développement considérable de la pharmacogénétique, attesté par un nombre croissant, voire exponentiel de publications qui y sont consacrées, depuis une vingtaine d’années, couvre aujourd’hui trois grands domaines. Ils sont tous impliqués dans la variabilité interindividuelle de la réponse aux médicaments. Ces trois domaines sont les suivants : les enzymes du métabolisme des médicaments, les transporteurs transmembranaires des médicaments et les récepteurs ou sites « cibles » des médicaments.
Concernant l’application des tests génétiques en pharmacogénétique, quatre questions peuvent être formulées :
• qu’est-ce que la pharmacogénétique ?
• dans quel(s) domaine(s) de santé la pharmacogénétique est-elle le plus largement utilisée ?
• quel est son impact possible sur la qualité des soins ?
• quelles perspectives de développement ?
La première question permettra de définir rapidement le champ d’application des tests génétiques, et de poursuivre plus précisément sur la deuxième question avec les points relevés dans la revue de littérature réalisée. Parallèlement, seront reprises les réflexions des groupes d’experts qui se sont récemment prononcés sur les tests pharmacogénétiques développés au laboratoire par les pharmacologues et toxicologues, et leurs applications « concrètes » en clinique. Nous reprendrons ensuite le point de vue récent exposé par l’un des experts de la Food and Drugs Administration (FDA) (Andersson et coll., 2005renvoi vers) qui souligne la nécessité d’étendre ces tests et notamment la nécessité d’une application de ces tests pharmacogénétiques appliqués au bon usage du médicament bien en amont du développement de ces médicaments (Roses, 2004renvoi vers).

Définition de la pharmacogénétique

La pharmacogénétique est l’étude de l’influence de la variabilité du génome dans la réponse aux médicaments. On la distingue aujourd’hui de la pharmacogénomique qui, d’un point de vue plus vaste, étudie non pas les modifications de séquence de notre génome mais le profil d’expression de nos gènes impliqués dans la susceptibilité aux maladies, et la réponse aux médicaments au niveau d’une cellule, d’un tissu, d’un individu ou d’une population (Meyer, 2000renvoi vers; Evans et McLeod, 2003renvoi vers).
Historiquement, la pharmacogénétique s’est focalisée sur des protéines intervenant dans l’absorption, le métabolisme (enzymes de phase I et II) et l’élimination de certains médicaments. En effet, c’est en mesurant les concentrations plasmatiques ou urinaires de certains médicaments que l’on a pu identifier des sujets dits « métaboliseur lent ». À cette époque, les techniques de biologie moléculaire n’étaient pas développées et le phénotypage se basait seulement sur les dosages des molécules mères et/ou des métabolites dans le sang ou les urines.
Il faut attendre les années 1960 et 1970 et l’identification progressive des principales enzymes du métabolisme ainsi que les cytochromes P450 pour caractériser les voies métaboliques défaillantes chez les patients métaboliseurs lents. L’identification des gènes et des polymorphismes génétiques responsables des phénotypes dits « métaboliseur lent » s’est ensuite rapidement faite avec les progrès de la biologie moléculaire. Finalement, c’est le séquençage du génome humain qui va permettre de développer de façon spectaculaire la pharmacogénétique et l’analyse des variants alléliques impliquant soit un seul nucléotide, soit plusieurs situés dans différentes régions du gène (exons, introns ou promoteur). Par la suite, avec la découverte de millions de « Single Nucleotide Polymorphisms » (SNPs) couvrant l’ensemble de notre génome, la pharmacogénétique s’est étendue aux gènes représentant la cible des médicaments (récepteurs, canaux, enzymes...) ainsi qu’aux protéines assurant la transduction du signal (protéines G, kinases, phosphatases, cholinestérase...).
D’une façon générale, on peut observer qu’une grande partie des tests génétiques décrits dans la littérature et utilisés actuellement en pharmacogénétique visent à détecter des SNPs. Plus rarement, les tests génétiques utilisés en pharmacogénétique cherchent à détecter des délétions d’une base ou des insertions d’une ou plusieurs bases. Il est important de souligner que l’immense majorité de ces SNPs n’entraîne pas de modification fonctionnelle (soit le niveau d’expression du gène d’intérêt, soit la composition de la protéine demeurant inchangée, ou la modification de la séquence d’acide aminé n’entraîne pas de modification d’activité). Mais dans un faible nombre de cas, un ou plusieurs SNPs peuvent altérer le niveau d’expression de la protéine ou son activité. Cependant, ce n’est pas pour autant que le SNP dit « fonctionnel » aura une traduction clinique. Seule une faible minorité des polymorphismes fonctionnels a une réelle traduction clinique, et là encore la pertinence clinique en termes d’option thérapeutique n’est pas toujours évidente (Phillips et coll., 2001renvoi vers).
Dans le prolongement de ces définitions et de ces constats, on peut dire que l’enjeu de la discipline « pharmacogénétique » est d’établir la traduction fonctionnelle de l’ensemble des SNPs de notre génome et d’en définir les conséquences cliniques potentielles.

Pharmacogénétique et domaines d’application

Étant donné le nombre considérable d’articles et de revues sur la pharmacogénétique, il est impossible de faire une revue exhaustive des données sur les gènes dont les polymorphismes sont susceptibles d’avoir des conséquences cliniques dans différents domaines (Meyer, 2000renvoi vers; Becquemont, 2003renvoi vers; Evans et McLeod, 2003renvoi vers; Goldstein et coll., 2003renvoi vers; Eichelbaum et coll., 2006renvoi vers). Cependant, force est de constater qu’à ce jour les tests pharmacogénétiques sont peu développés dans la médecine de tous les jours.

Recommandations de la FDA

La FDA a été la première agence d’enregistrement à prendre position dès 2003, en exigeant et mentionnant explicitement dans les Résumés des caractéristiques du produit (RCP) la réalisation de tests pharmacogénétiques avant l’introduction de certains médicaments « à risque » d’entraîner des effets indésirables graves voire mortels chez certains patients. Les tests faisant actuellement l’objet d’un labelling par la FDA concernent les enzymes du métabolisme des médicaments suivants : TPMT (6-mercaptopurine), UGT1A1 (irinotecan), CYP2C19 (voriconazole), CYP2C9 et VKORC1 (antivitamines K) (Andersson et coll., 2005renvoi vers) renvoi vers

Tableau 4.I Exemples d’informations mentionnées par la FDA concernant certains médicaments et les enzymes du métabolisme impliquées soumises à des polymorphismes génétique

Médicaments (Date du labelling)
Enzyme
Labelling section
Enzyme impliquée et mention
6-mercaptopurine (juillet 2004)
TPMT
Précaution d’emploi
Risque d’effet indésirable majeur (neutropénie) à l’introduction du médicament chez les individus homozygotes mutés et déficients en TPMT (métaboliseur lent) (voir dosage et administration)
Voriconazole (avril 2004)
CYP2C19
Pharmacologie clinique
Métaboliseur lent (homozygotes mutés) : 15-20 % des asiatiques et 3-5 % des caucasiens Augmentation d’un facteur 4 des aires sous courbes par rapport aux métaboliseurs rapides et de 2 pour les hétérozygotes
Thioridazine (juillet 2003)
CYP2D6
Contre-indication
Métaboliseur lent : 7 % de la population (voir précaution d’emploi)
Atomoxetine (mars 2003)
CYP2D6
Interaction Test de laboratoire
Métaboliseur rapide : les médicaments inhibiteurs du CYP2D6 augmentent les concentrations plasmatiques d’atomoxetine de manière identique à celle observée chez les métaboliseurs lents
Irinotecan (2005)
UGT1A1
Pharmacologie clinique, précaution d’emploi, dosage et administration
Homozygotes UGT1A21*28 ont une exposition plus importante et un risque de neutropénie
Warfarine (anticoagulant) (2005)
CYP2C9 et VKORC1
Précaution d’emploi
Adaptation de posologie chez les sujets homozygotes mutés (métaboliseurs lents)
Suite à de nombreux débats au sein de cette agence, les experts ont pu souligner, au regard de la littérature disponible, toute la difficulté de démontrer l’intérêt d’un test pharmacogénétique. En effet, le niveau de preuve actuellement disponible en pharmacogénétique est assez faible. Aucun essai randomisé testant l’intérêt d’un choix thérapeutique basé sur un test génétique versus l’attitude standard, en prenant un des critères de jugement cliniquement pertinent n’est actuellement disponible à ce jour. La plupart des études sont rétrospectives ou de type cas-témoins, portent sur des effectifs parfois insuffisants, ou sont des études d’association, avec des biais majeurs en ce qui concerne la reproductibilité des résultats. Il faut aussi souligner comme le remarquent récemment Gurwitz et coll. (2006renvoi vers), le manque d’informations pertinentes et de volonté des industriels, quant à la communication concernant des résultats des essais cliniques de nouveaux médicaments en développement, ayant fait l’objet d’étude de pharmacogénétique. Ces auteurs soulignent la nécessité de la création d’infrastructure réglementée et la création de bases de données disponibles sur Internet, ayant le même objectif que celle mise en place avec succès par le National Institutes of Health (NIH) et le National Center for Biotechnology Information (NCBI) ou d’autres bases plus orientées vers la pharmacologie qui comportent des intersections avec la génétique comme la base « Drug-Interactions.com », initialisée par David Flockhart (Indiana University, États-Unis), ou la base intitulée « The Human CYP Allele Nomenclature » initiée par Magnus Ingelman-Sundberg (Karolinska Institute, Suède).
L’objectif d’une telle base dédiée à la pharmacogénétique serait d’archiver les résultats d’études de pharmacogénétique industrielle ou institutionnelle renseignant plus précisément sur les phénotypes associés aux différents génotypes observés à travers plusieurs populations issues d’ethnies différentes, au même titre que les bases de données médicales mises à disposition « on line ». Il faut souligner une avancée positive dans cette direction puisqu’en 2004, une étape, certes petite mais significative, a été franchie avec la création de l’International Committee of Medical Journal Editors (ICMJE) et la mise en place d’un registre central international des essais cliniques en cours (De Angelis et coll., 2004renvoi vers).
Les seuls tests pharmacogénétiques actuellement « labellisés » reposent sur la survenue d’événements cliniques majeurs, à savoir des surdosages graves chez les patients porteurs à l’état hétérozygote ou homozygote d’un ou plusieurs variants alléliques (Phillips et coll., 2001renvoi vers; Andersson et coll., 2005renvoi vers; Sadee et Dai, 2005renvoi vers).
Excepté quelques tests que nous détaillerons ensuite, les tests pharmacogénétiques semblent peu, voire sous-employés à ce jour, pour différentes raisons. Premièrement, l’information apportée par les chercheurs en pharmacogénétique est la plupart du temps parcellaire. Deuxièmement, les critères usuels caractérisant les tests génétiques ne sont pas employés, soit par méconnaissance de la méthodologie des tests diagnostiques, soit par omission volontaire. Enfin troisièmement, l’idée reçue la plus fréquente est qu’un test génétique va permettre à coup sûr de faire le diagnostic de telle ou telle affection avec des valeurs prédictives positives (VPP) et négatives (VPN) de 100 % chacune. Cela revient à penser que la ou les mutations étudiées expliquent l’ensemble de la pathologie recherchée. En effet, cette notion est souvent mal exploitée et il faut bien avoir à l’esprit que ce n’est pas parce qu’un test pharmacogénétique est « positif » que le sujet va systématiquement manifester des effets indésirables attendus du médicament (par exemple dans le cas d’un surdosage). De même, ce n’est pas parce que le test sera négatif que le sujet sera à 100 % certain de ne pas présenter d’effets indésirables.
On peut ainsi classer actuellement les tests pharmacogénétiques en deux catégories et répondre ainsi à la question d’une manière plus précise :
• les tests dont la VPP est proche de 100 % avec une VPN médiocre : dans ce cas, lorsque le sujet a un test « positif », on est à même de pouvoir prédire que l’événement indésirable (EI) attendu se produira. Cependant, le fait d’avoir un test négatif n’empêchera pas le patient de développer un EI, ce dernier pouvant avoir de multiples causes ;
• les tests dont la VPP et la VPN sont médiocres (< 80 %) : c’est le cas le plus fréquent pour les tests pharmacogénétiques. Ces tests estiment un risque tout en étant relativement peu informatifs à l’échelon individuel.
Cette dernière partie reprend donc les domaines de la santé où les tests pharmacogénétiques sont et devraient être plus généralement utilisés. Le choix des exemples exposés repose sur les critères de sélection mentionnés ci-dessus.

Neuropsychiatrie

Ce domaine a été un des premiers terrains de développement de la pharmacogénétique. Un nombre considérable de publications sont disponibles, mais soit leur intérêt clinique est faible, soit la reproductibilité des résultats publiés est insuffisante.
Le test génétique visant à identifier les différents variants du cytochrome P450, CYP2D6, métabolisant les antidépresseurs tricycliques et les neuroleptiques, est l’un des plus anciens ; il reste cependant peu utilisé au quotidien (Eichelbaum et coll., 1997renvoi vers; Vandel et coll., 1999renvoi vers). Sa réalisation chez des patients devant recevoir des neuroleptiques permet de prédire des dyskinésies tardives, des hypotensions. Son niveau de preuve reste incertain avec des VPP de l’ordre de 61 % et une VPN de 51 %, lui conférant une valeur de pertinence clinique faible.
En ce qui concerne la réalisation de ce test chez des patients prenant des antidépresseurs tricycliques, son objectif est de déceler des patients potentiellement « non répondeurs », mais le niveau de preuve reste incertain et sa pertinence clinique faible.

Domaine cardiovasculaire

Dans ce domaine, de nombreux polymorphismes génétiques ont été étudiés, sans application clinique pour l’instant en raison d’un niveau de preuve insuffisant. Seuls deux gènes impliqués dans le domaine de la thrombose et du maniement des anticoagulants oraux (AVK) sont actuellement pertinents : le gène codant CYP2C9 qui métabolise les AVK (les métaboliseurs lents et intermédiaires représentent 0,7 et 14 % de la population occidentale) et le gène codant l’époxyde vitamine K réductase (VKORC1) qui recycle la vitamine K oxydée. Des études récentes ont montré la pertinence clinique importante de ces tests en évaluant et confirmant que ces 2 gènes expliquent près de 50 % de la variabilité interindividuelle de réponse aux AVK (Bodin et coll., 2005renvoi vers; Rieder et coll., 2005renvoi vers). Le niveau de preuve est considéré comme « fort » puisque la VPP est de 80 % et la VPN de 58 %.
Il est important de souligner que ces deux tests pharmacogénétiques ont fait l’objet d’un des derniers labellings de la FDA. La réalisation de ces tests pharmacogénétiques permet de prédire le risque hémorragique et d’optimiser la dose à l’état d’équilibre chez des patients devant recevoir des AVK.
Il est à noter qu’un autre gène impliqué dans le métabolisme des médicaments, celui codant le CYP2D6, peut avoir aussi des applications « cliniquement pertinentes » cette fois-ci dans le domaine cardiovasculaire puisqu’il a fait l’objet d’un des premiers labellings avec la thioridazine et l’atomoxetine, potentiellement toxiques chez des sujets métaboliseurs lents (Eichelbaum et coll., 1997renvoi vers). En effet, quelques bétabloquants ainsi que des anti-arythmiques encore commercialisés sont principalement métabolisés par le CYP2D6 et font l’objet de mention spéciale dans leur RCP, notamment concernant le risque de survenue d’événement indésirable chez les métaboliseurs lents (7 % de la population caucasienne).

Oncologie

Dans ce domaine, les gènes étudiés sont très nombreux. Malheureusement pour l’instant, les tests pertinents sont peu nombreux mais devraient être dans un futur proche le principal champ de développement de la pharmacogénétique. Les tests les plus « prometteurs » actuellement concernant la pharmacogénétique de la tumeur étudient les gènes BCR-ABL ou le récepteur membranaire de l’EGF (couplé à une tyrosine kinase).
Dans cette partie, nous mentionnerons deux tests impliqués dans le métabolisme de médicaments anticancéreux, qui sont assez couramment réalisés par certains cliniciens. Ces tests sont encore probablement insuffisamment prescrits du fait principalement d’une mauvaise information les concernant.
Le premier et plus ancien test est celui du génotypage de la thiopurine-méthyl-transférase (TPMT) impliquée dans l’élimination de l’azathiprine (ImurelÒ) et la 6-mercaptopurine utilisées dans les leucémies de l’enfant et la maladie de Crohn.
La réalisation du génotypage de la TPMT permet de prédire des neutropénies sévères voire mortelles (Pui et coll., 2002renvoi vers). Il existe de rares métaboliseurs lents (0,3 % de la population) et environ 10 % de métaboliseurs intermédiaires. Chez les patients métaboliseurs lents, on privilégiera un autre traitement où une diminution d’environ 90 % de la posologie sera nécessaire ainsi qu’une surveillance hématologique intensive (Andersson et coll., 2005renvoi vers). Ce test possède un niveau de preuve fort avec une VPP de 78 % et une VPN de 56 %. Sa pertinence clinique est jugée importante et actuellement bien connue des médecins.
Le deuxième test plus récent est celui du génotypage de l’UGT1A1 (recherche du variant UGT1A1*28). Cette enzyme est responsable du métabolisme de l’irinotecan (Campto®), anticancéreux prescrit de manière non négligeable. Chez les patients déficients en UGT1A1, il y a accumulation et surdosage de l’un des métabolites actifs et toxiques de l’irinotecan avec un risque de développer une leucopénie sévère de 50 % (Andersson et coll., 2005renvoi vers). Ce génotypage n’est pas encore couramment réalisé en France, d’une part du fait de son niveau de preuve « incertain » avec une VPP de 50 % et une VPN de 95 %. Sa pertinence clinique est jugée « probable ».
Pour résumer, le génotypage de la TPMT est un des seuls tests pharmacogénétiques recommandé en France par les agences d’enregistrement alors qu’il fait l’objet d’un labelling déjà ancien aux États-Unis. Le génotypage de l’UGT1A1 est le deuxième labelling existant en pharmacogénétique dans le domaine oncologique. Il est probable que d’autres labellings suivront dans ce domaine.

Immunologie

Des études de pharmacogénétique réalisées dans le domaine immunologique ont cherché à expliquer et prédire des événements indésirables graves, notamment des accidents immuno-allergiques rares mais souvent très graves voire mortels, associés à la prise de quelques médicaments. Ces accidents identifiés depuis longtemps sont le plus souvent des accidents cutanés à type de syndrome Stevens Johnson ou syndrome de Lyell. Les quelques études réalisées dans ce domaine ont permis cependant d’identifier des « patients à risque » possédant des groupes HLA particuliers.
L’un de ces variants, le HLA-B*5701+C4A*6, a été corrélé à de sévères cas d’hypersensibilité, avec fièvre, éruption cutanée, et troubles digestifs survenus chez des patients atteints de VIH traités par abacavir (Ziagen®) (inhibiteur de la transcriptase réverse du virus VIH-1) (Hetherington et coll., 2002renvoi vers). Le test génétique permet d’obtenir une information majeure, sachant que 4 % des malades traités ont présenté une sévère hypersensibilité et que l’arrêt du traitement fait régresser ces symptômes, mais qu’une réintroduction peut être fatale (Symonds et coll., 2002renvoi vers). On sait maintenant que les patients porteurs de l’allèle HLA-B*5701 ont 11,4 fois plus de risques que les autres de développer ce type de réaction. Le niveau de preuve de ce génotypage est fort, avec une VPP de 100 % et une VPN de 98 %.
Les patients à risque présentent des groupes HLA particuliers maintenant bien identifiés mais qui diffèrent pour chaque médicament (carbamazépine et allopurinol). Leur pertinence clinique est sans conteste en général très importante, cependant du fait de l’extrême rareté de ces événements indésirables (plusieurs milliers de patients devraient être génotypés avant d’identifier le patient à risque) les autorités d’enregistrement (FDA et European Medicines Agency – EMAE) ont longuement débattu mais n’ont pas légiféré et n’ont pas à ce jour accorder de labelling pour ces génotypages.

Impact de la pharmacogénétique sur la qualité des soins

Bien que les sujets concernant la « médecine individualisée » (Roses, 2000renvoi vers; Eichelbaum et coll., 2005renvoi vers; Sadee et Dai, 2005renvoi vers) fassent l’objet de nombreux congrès et articles dans la littérature médicale ainsi que dans la presse grand public, avec parfois des titres accrocheurs tels que « à chaque patient le bon médicament et la bonne dose », l’introduction des tests pharmacogénétiques dans l’arsenal thérapeutique tarde à apparaître. Comme le soulignait Goldstein (2003renvoi vers) avec les tests pharmacogénétiques, on pensait accélérer le développement transversal des tests génétiques du laboratoire à la clinique. Mais en considérant la littérature et l’activité des laboratoires spécialisés en pharmacogénétique, les tests pharmacogénétiques en France, et en Europe, semblent être le plus souvent réalisés dans le cadre de protocoles de recherche ; malgré des résultats d’étude clinique montrant, pour un certain nombre d’entre eux, un intérêt majeur ou partiel en clinique, ces tests restent « cantonnés » à la pratique « hospitalière spécialisée » de quelques centres hospitalo-universitaires. Malgré les progrès considérables de ces dernières années et les « outils » de biologie moléculaire disponibles tels que les puces à ADN (micro array ou chips), le génotypage à « moyen » ou « haut débit », permettant des tests pharmacogénétiques sur un très grand nombre de gènes mais surtout des rendus de résultats extrêmement rapides en 24 h, leur utilisation reste malheureusement assez minoritaire à ce jour (Mancinelli et coll., 2000renvoi vers). La communauté médicale et les industriels tardent à mettre en pratique les tests pharmacogénétiques, lors du développement de leurs médicaments. On est en droit d’être surpris par l’immense décalage entre ce que les auteurs des meilleures revues médicales publient et l’absence de retour dans la pratique quotidienne.
Pour résumer, on dispose aujourd’hui de nombreux moyens d’analyser la variabilité interindividuelle environnementale et génétique de la réponse au médicament pour chaque individu devant recevoir un médicament précis. Par ailleurs, comme il a déjà été souligné dans les différentes parties de cette expertise, les coûts de ces tests génétiques sont en considérable diminution. L’obstacle majeur qui apparaît maintenant vis-à-vis du développement de ces tests est commun aux autres tests, à savoir un manque d’information en amont fournissant des éléments sûrs au conseil génétique et les difficultés d’interprétations des résultats même par des cliniciens ou biologistes spécialistes en pharmacogénétique.
Les recommandations officielles émises par la FDA avec la publication de différents labellings vont sans aucun doute améliorer la prise en charge de certains patients en évitant des accidents graves voire mortels (tableau 4.I). Ces mentions légales dans les RCP de la FDA vont amener les agences et les cliniciens à modifier les textes et les pratiques comme c’est déjà le cas en France avec les médicaments métabolisés par la TPMT puisque les laboratoires réalisant les tests de génotypages voient croître leur activité d’année en année.
Cependant, il faut rester prudent car même si le développement des tests génétiques nous permet d’identifier très précocement des individus « métaboliseur lent ou rapide » ou « répondeur lent ou rapide », nous ne pouvons pas encore prévoir tous les événements indésirables des médicaments ni même le pourcentage exact de personnes qui répondront correctement à de telles thérapeutiques. Les études in vitro d’activité métabolique ne suffisent pas, et là encore des études in vivo chez des populations de patients d’origines ethniques différentes sont nécessaires (Evans et coll., 2001renvoi vers). Dans la même logique, des essais randomisés prospectifs de pharmacogénétique associant des critères de jugement liés à la pharmaco-économie sont nécessaires pour évaluer le bénéfice des tests pharmacogénétiques, comme par exemple la comparaison entre une adaptation de posologie en fonction du génotype ou en fonction de paramètres cliniques ou pharmacodynamiques (phénotype).
À ce jour, on ne peut que constater et déplorer que le développement de ces tests génétiques reste limité et semble curieusement modeste dans la pratique médicale quotidienne.
En conclusion, l’état actuel du développement clinique de la pharmacogénétique peut paraître assez décevant en regard des espoirs de certains cliniciens il y a une dizaine d’années et de la considérable importance des données de la littérature.
Il semble incontestable que l’évolution de la technologie va nous permettre de lever un certain nombre d’obstacles. Il est maintenant clairement admis que la technologie est là. Ainsi, nous pouvons déjà de plus en plus combiner différents polymorphismes génétiques de différents gènes cibles (transport, métabolisme, récepteurs, enzyme cible, protéine impliquée dans la transduction du signal) afin d’améliorer les valeurs prédictives des tests. Du fait des progrès techniques, des puces à ADN permettant le génotypage de plusieurs milliers de polymorphismes seront prochainement disponibles à des coûts de plus en plus bas. Il est probable que ces génotypages étendus pourront être réalisés dès la naissance. Ces informations seront alors utilisées au cours de la vie, et on peut imaginer qu’en fonction du traitement nécessaire, des logiciels de prescription et/ou d’adaptation de posologie nous indiqueront que ce médicament est contre-indiqué chez ce patient ou qu’il faut réduire les posologies d’un certain facteur ou qu’il faut renforcer la surveillance biologique vis-à-vis de tel ou tel événement indésirable. Avant d’en arriver là, alors que la technologie est déjà dans nos laboratoires, il reste cependant à utiliser les « tests cliniquement pertinents » pour le bénéfice du patient. Les freins actuels tels que l’absence d’information des médecins sur l’intérêt des tests génétiques, sur la façon de prescrire ces tests, le faible développement de ces tests en routine dans les laboratoires et l’absence de remboursement de ces tests (hors nomenclature actuellement) peuvent être rapidement palliés si une volonté forte des agences ou organismes de réglementation dans le domaine de la santé s’affiche et s’applique rapidement.
Par ailleurs, il reste à définir dans les prochaines années quels sont les polymorphismes génétiques fonctionnels chez l’homme et identifier les futurs « tests pharmacogénétiques » cliniquement pertinents à rembourser et promouvoir. Ceci est l’objectif principal de la pharmacogénétique. Par ailleurs, il semble incontestable et nécessaire de légiférer sur une mise en commun « on line et publique » des résultats d’études de pharmacogénétique sur différentes populations réalisées au cours des phases de développement I et II, puis IV, afin d’augmenter et d’enrichir les informations cliniquement pertinentes déjà existantes.
Cela va nécessiter une plus grande collaboration entre les cliniciens, les pharmacogénéticiens et l’industrie pharmaceutique afin de mieux informer les prescripteurs mais aussi les patients. Ceci semble nécessaire sous peine de voir exploser des laboratoires proposant des milliers de tests pharmacogénétiques, comme c’est déjà le cas en Angleterre et dans d’autres pays européens ; ces tests sont inutilisables par le clinicien et non interprétables mais sont pourtant pratiqués à la demande des patients influencés par les médias et les industriels commercialisant ces tests.

Bibliographie

[1] andersson t, flockhart da, goldstein db, huang sm, kroetz dl, et coll.. Drug-metabolizing enzymes: evidence for clinical utility of pharmacogenomic tests. Clin Pharmacol Ther. 2005; 78:559-581Retour vers
[2] becquemont l. Clinical relevance of pharmacogenetics. Drug Metab Rev. 2003; 35:277-285Retour vers
[3] bodin l, verstuyft c, tregouet da, robert a, dubert l, et coll.. Cytochrome P450 2C9 (CYP2C9) and vitamin K epoxide reductase (VKORC1) genotypes as determinants of acenocoumarol sensitivity. Blood. 2005; 106:135-140Retour vers
[4] de angelis c, drazen jm, frizelle fa, haug c, hoey j, et coll.. Clinical trial registration: a statement from the International Committee of Medical Journal Editors. N Engl J Med. 2004; 351:1250-1251Retour vers
[5] eichelbaum m, kroemer hk, fromm mf. Impact of P450 genetic polymorphism on the first-pass extraction of cardiovascular and neuroactive drugs. Adv Drug Deliv Rev. 1997; 27:171-199Retour vers
[6] eichelbaum m, ingelman-sundberg m, evans we. Pharmacogenomics and individualized drug therapy. Annu Rev Med. 2006; 57:119-137Retour vers
[7] evans we, mcleod hl. Pharmacogenomics-drug disposition, drug targets, and side effects. N Engl J Med. 2003; 348:538-549Retour vers
[8] evans da, mcleod hl, pritchard s, tariq m, mobarek a. Interethnic variability in human drug responses. Drug Metab Dispos. 2001; 29:606-610Retour vers
[9] goldstein db. Pharmacogenetics in the laboratory and the clinic. N Engl J Med. 2003; 348:553-556Retour vers
[10] goldstein db, tate sk, sisodiya sm. Pharmacogenetics goes genomic. Nat Rev Genet. 2003; 4:937-947Retour vers
[11] gurwitz d, lunshof je, altman rb. A call for the creation of personalized medicine databases. Nat Rev Drug Discov. 2006; 5:23-26Retour vers
[12] hetherington s, hughes ar, mosteller m, shortino d, baker kl, et coll.. Genetic variations in HLA-B region and hypersensitivity reactions to abacavir. Lancet. 2002; 359:1121-1122Retour vers
[13] mancinelli l, cronin m, sadee w. Pharmacogenomics: the promise of personalized medicine. AAPS PharmSci. 2000; 2:E4Retour vers
[14] meyer ua. Pharmacogenetics and adverse drug reactions. Lancet. 2000; 356:1667-1671Retour vers
[15] phillips ka, veenstra dl, oren e, lee jk, sadee w. Potential role of pharmacogenomics in reducing adverse drug reactions: a systematic review. Jama. 2001; 286:2270-2279Retour vers
[16] pui ch, relling mv, evans we. Role of pharmacogenomics and pharmacodynamics in the treatment of acute lymphoblastic leukaemia. Best Pract Res Clin Haematol. 2002; 15:741-756Retour vers
[17] rieder mj, reiner ap, gage bf, nickerson da, eby cs, et coll.. Effect of VKORC1 haplotypes on transcriptional regulation and warfarin dose. N Engl J Med. 2005; 352:2285-2293Retour vers
[18] roses ad. Pharmacogenetics and the practice of medicine. Nature. 2000; 405:857-865Retour vers
[19] roses ad. Pharmacogenetics and drug development: the path to safer and more effective drugs. Nat Rev Genet. 2004; 5:645-656Retour vers
[20] sadee w, dai z. Pharmacogenetics/genomics and personalized medicine. Hum Mol Genet. 2005; 14 2N Spe:R207-214Retour vers
[21] symonds w, cutrell a, edwards m, steel h, spreen b, et coll.. Hetherington: Risk factor analysis of hypersensitivity reactions to abacavir. Clin Ther. 2002; 24:565-573Retour vers
[22] vandel p, haffen e, vandel s, bonin b, nezelof s, et coll.. Drug extrapyramidal side effects. CYP2D6 genotypes and phenotypes. Eur J Clin Pharmacol. 1999; 55:659-665Retour vers

→ Aller vers SYNTHESE
Copyright © 2008 Inserm