Pesticides et effets sur la santé
Nouvelles données

2021


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Synthèse

Montée des préoccupations relatives aux effets
des pesticides sur la santé

Les pesticides, un terme générique dérivé du latin « pestis » (fléau) et « caedere » (tuer), sont largement utilisés en agriculture afin d’améliorer les rendements, la qualité et l’aspect des produits en détruisant des organismes jugés nuisibles tels que des insectes, des champignons ou des plantes adventices1 .
Si des inquiétudes relatives aux effets des pesticides sur la santé humaine sont documentées de longue date par des travaux historiques, les conflits politiques relatifs à ces enjeux ont pris une acuité sans précédent dans notre pays. Ces conflits sont alimentés à la fois par des mobilisations protestataires et par la concurrence entre administrations pour le contrôle des politiques publiques dédiées à la protection des populations exposées à ces produits.
Ces mobilisations françaises sont d’abord apparues dans le champ de la santé au travail. La transformation de cas isolés de travailleurs malades en une cause commune d’agriculteurs s’estimant victimes des pesticides a été rendue possible par l’appui qu’ils ont reçu auprès de leurs familles, de militants environnementalistes et de professionnels du droit, qui les ont aidés à fonder l’association Phyto-Victimes en 2011. Aujourd’hui, plusieurs associations dénoncent les dangers des pesticides sur la santé des travailleurs agricoles ou des salariés de l’agro-alimentaire en exigeant une réparation du tort subi, et en exigeant un plus strict contrôle de ces produits. L’émergence de cet enjeu de revendication est le produit de plusieurs dynamiques sociologiques et politiques conjointes, en particulier la perte d’influence des syndicats agricoles historiques et du modèle productiviste agricole, et les mutations des familles d’agriculteurs où circule de plus en plus une parole critique sur les pesticides. Parallèlement, des groupes de riverains se sont également constitués dans les zones d’arboriculture et de viticulture pour exiger la limitation des épandages à proximité de leurs lieux de résidence. Ces divers mouvements sociaux sont connectés à ceux qui militent en faveur de l’alimentation biologique et dénoncent les dangers des pesticides de synthèse.
L’ensemble de ces mutations sociales, économiques et politiques des zones rurales et agricoles a contribué à rendre visibles les effets des pesticides sur la santé, au-delà des seules publications scientifiques en épidémiologie ou en toxicologie. Les mouvements sociaux qu’elles ont alimentés ont été largement couverts par les médias d’information généralistes, en particulier à l’occasion d’affaires judiciaires qui permettent aux journalistes de mettre en récit des enjeux médicaux complexes, en se focalisant par exemple sur l’opposition entre les populations exposées aux pesticides et les firmes qui mettent ces produits sur le marché. De manière plus générale, les mobilisations d’agriculteurs et de riverains dénonçant les dangers des pesticides ont eu pour effet d’inscrire durablement cette problématique dans l’agenda politique, et d’en faire un sujet central des discussions relatives à l’avenir des filières agricoles, comme l’ont montré les états généraux de l’alimentation en 2017.
Dans ce contexte, un nombre croissant d’institutions publiques se sont saisies de cet enjeu, bien au-delà des acteurs administratifs du monde agricole qui en ont eu historiquement la charge. Le contrôle administratif de ces produits a longtemps été principalement exercé par les institutions agricoles mais cette situation a considérablement évolué, et des institutions extérieures au champ de l’agriculture, telles que l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Afssa), qui a fusionné avec l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), et qui est devenue ensuite l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ont pris une place de plus en plus importante dans ce secteur d’action publique. De manière générale, la période contemporaine constitue, pour les pouvoirs publics, un moment de profondes interrogations sur la manière dont les risques des pesticides sont évalués et gérés.
L’accumulation de données scientifiques probantes sur les liens entre pesticides et santé humaine exacerbent les conflits sociaux et politiques autour des pesticides et des modalités de leur contrôle. En effet, les données scientifiques produites au cours des dernières années (articles publiés dans des revues scientifiques, études menées par les industriels ou par des organismes de recherche sous contrat mandatés par les industriels...) sur les liens entre pesticides et santé apparaissent souvent contradictoires et ne permettent pas de déterminer des moyens d’action simples pour résoudre les éventuels problèmes identifiés.
L’évaluation réglementaire des risques des pesticides repose principalement sur des données de toxicologie expérimentale. Ces données visent à établir pour chaque substance active une dose acceptable d’exposition humaine, et à déterminer les conditions d’utilisation permettant un usage contrôlé des préparations commerciales qui les contiennent. Les modalités de cette évaluation des risques ont évolué au fil du temps vers une codification toujours plus précise. Celle-ci est le produit d’une histoire transnationale dans laquelle se mêlent la science, la politique et l’économie. Les discussions conduites au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont conduit à l’adoption de lignes directrices définissant les modalités devant être suivies pour produire des données de toxicité recevables en vue d’évaluer les risques des pesticides préalablement à leur mise sur le marché. À cette harmonisation internationale s’est ajouté un effort d’harmonisation au sein de l’Union européenne. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui évalue les risques des substances actives par voie alimentaire, a ainsi défini un ensemble de lignes directrices s’imposant à l’ensemble des États membres, même si ceux-ci conservent une marge de manœuvre en matière d’évaluation des risques des préparations commerciales. Cette évaluation réglementaire des risques a permis de produire, de façon systématique, de nombreuses données de toxicité pour l’ensemble des pesticides commercialisés. Pour autant, elle a été soumise, depuis quelques années, à de nombreuses critiques. Certaines d’entre elles, portées notamment par des mouvements sociaux environnementalistes, dénoncent son opacité et une interprétation trop extensive du secret commercial. D’autres mettent en avant le poids des industriels du secteur et de certaines sociétés savantes qu’ils financent dans les négociations préalables à l’adoption des lignes directrices et le biais qui peut en découler en leur faveur. Par ailleurs, les données de toxicité produites par les industriels dans le cadre de l’évaluation des risques permettent surtout d’objectiver les effets d’exposition aux pesticides pris individuellement, et sont insuffisantes pour évaluer les effets d’expositions diffuses et simultanées à une multiplicité de produits. De même, certains facteurs comme les effets transgénérationnels ou le dimorphisme sexuel, apparaissent peu ou mal pris en considération dans l’évaluation des risques des pesticides. De manière générale, plusieurs travaux de sciences sociales soulignent le risque d’une séparation croissante entre la toxicologie « réglementaire », encadrée par les lignes directrices de l’OCDE ou des agences d’évaluation des risques des pesticides, d’une part, et la recherche académique en toxicologie.
À l’instar de ce qui s’est développé dans d’autres domaines, une autre source de connaissances relatives aux effets des pesticides sur la santé humaine est apparue : les études épidémiologiques qui utilisent une approche observationnelle des populations et des outils statistiques permettant d’identifier des facteurs de risque pour la santé humaine.
Les publications issues de ces recherches ont constitué un important signal d’alarme sur les risques liés à l’exposition aux pesticides. Elles ont, en particulier, montré une sur-incidence de la maladie de Parkinson, de certaines hémopathies malignes, et du cancer de la prostate parmi les populations de travailleurs agricoles exposés aux pesticides. Cependant, ces données épidémiologiques restent faiblement prises en compte dans les procédures réglementaires d’évaluation des risques des pesticides, les agences en ayant la charge mettant souvent en avant leurs limites méthodologiques. Afin d’obtenir des données d’exposition plus précises et/ou moins biaisées et des résultats plus robustes, des épidémiologistes ont développé, en absence de données structurées et organisées sur les usages réels des pesticides, des matrices culture-exposition permettant d’établir, pour chaque culture, une probabilité, une fréquence et une intensité de l’exposition à chaque pesticide, ainsi que des outils de dosimétrie active ou passive. Ils ont mis en place des enquêtes prospectives de cohorte qui permettent un suivi sur un temps long des populations exposées. Si ces innovations ouvrent la perspective de données épidémiologiques plus facilement interprétables, il reste que les données actuellement disponibles soulèvent de nombreuses questions sans pouvoir toujours apporter de réponse définitive.
Cette littérature a nourri une montée des préoccupations relatives aux effets des pesticides sur la santé des populations, et la saisine qui est à l’origine de cette expertise collective se trouve à la confluence de l’ensemble de ces éléments.

Exposition aux pesticides de la population française

Les données disponibles sur la contamination environnementale font état de la présence généralisée de pesticides ou de leurs métabolites et produits de dégradation sur le territoire. Les sources de contamination sont multiples : traitement des cultures, des animaux ou des bâtiments d’élevage ou de stockage dans le secteur agricole qui est le principal consommateur de pesticides en France (90 % des quantités vendues), leur utilisation non agricole dans le cadre de l’entretien des infrastructures de transport (routes, chemins de fer, aéroports...), les usages domestiques (antiparasitaires, lutte contre les insectes...), le traitement des bois... Des mesures récentes visant à réduire certaines sources ont été prises avec l’interdiction de l’utilisation des pesticides de synthèse pour l’entretien des espaces publics en 2017 (parcs, espaces verts...), et par les particuliers en 2019.

Contamination des environnements extérieurs

En 2017, des pesticides sont retrouvés dans 80 % des masses d’eaux souterraines, avec environ un quart d’entre elles dépassant le seuil réglementaire de 0,5 µg/l pour la somme des pesticides et de leurs métabolites détectés et quantifiés. Parmi les près de 300 substances recensées, la moitié sont des herbicides et 40 % sont des substances actuellement interdites. La contamination des eaux de surface est également généralisée avec, entre 2015 et 2017, 84 % des points de mesures dépassant au moins une fois le seuil de 0,1 µg/l pour la concentration de chaque pesticide pris isolément. Les dépassements réguliers concernent plus d’un quart des points de mesure nationaux. Pour ce qui concerne les milieux marins, alors que les niveaux de pesticides organochlorés ont été nettement réduits récemment, la contamination par le chlordécone aux Antilles françaises demeure un sujet de préoccupation.
La contamination de l’air extérieur est relativement bien documentée, mais comme pour pratiquement tous les autres pays, il n’existe pas de valeurs réglementaires pour ce milieu. La base PhytAtmo, regroupant les données de 2002 à 2017, montre qu’entre 40 et 90 substances actives sont détectées annuellement, dans les zones rurales ou urbaines, à des concentrations variables. Une campagne exploratoire nationale en 2018 a analysé 75 pesticides dans des échantillons d’air prélevés sur 50 sites. Les substances les plus fréquemment détectées sont plusieurs herbicides (glyphosate, prosulfocarbe, S-métolachlore, pendiméthaline et triallate), des insecticides (chlorpyrifosméthyl et lindane), et des fongicides (chlorothalonil et folpel). L’étude a permis de prioriser des analyses approfondies sur le lindane (détecté dans près de 80 % des échantillons), et la surveillance systématique de 32 substances, dont 9 interdites.
Les sols sont également concernés, mais en l’absence de surveillance réglementaire, les données sont parcellaires. Des niveaux localement élevés de lindane et d’atrazine ont été mis en évidence dans le Nord en 2008, et une étude récente menée dans les Deux-Sèvres montre la présence de l’herbicide diflufénican, de l’insecticide imidaclopride, et des fongicides boscalide et époxiconazole dans plus de 80 % des échantillons de sols de prairies et de cultures de céréales.
Des efforts de structuration et d’organisation des données sur la contamination des environnements ont été déployés par des organismes et réseaux nationaux ces dernières années. Ces efforts restent nécessaires et doivent être soutenus pour assurer l’exhaustivité et la représentativité géographique et temporelle de ces données.

Contamination de la chaîne alimentaire

Les denrées alimentaires sont encadrées par des dispositifs de réglementation et de surveillance fixant, entre autres, les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides. En 2016, une analyse par l’Efsa de près de 7 000 échantillons d’aliments sur le marché français (la moitié d’origine française) montre que 6,4 % sont non conformes, dépassant la LMR pour au moins un pesticide. Selon les connaissances scientifiques actuelles, l’agence a conclu que i) pour une exposition aiguë aux pesticides, la probabilité d’être exposé à des résidus de pesticides dépassant des concentrations susceptibles d’entraîner des effets négatifs sur la santé est faible et que ii) l’exposition alimentaire à long terme aux pesticides surveillés était peu susceptible de présenter un risque pour la santé des consommateurs. Il faut cependant noter que les études scientifiques sur l’exposition chronique et les effets à long terme sont peu nombreuses et particulièrement complexes à réaliser. En France, les études de l’alimentation totale (EAT) ont analysé les aliments du marché français et « tels que consommés ». Dans le cadre de l’EAT2 en 2011, une analyse d’environ 300 pesticides dans plus de 1 200 échantillons montre que 37 % présentent au moins un résidu détecté. Cependant, un seul scénario d’exposition (au diméthoate dans le cas d’une consommation importante de cerises) présente un risque de dépassement de la dose journalière admissible. L’EAT infantile (EATi) présente en 2016 une analyse des produits destinés à l’alimentation des enfants. Parmi les 309 échantillons analysés pour 469 substances, 67 % présentent au moins un résidu détecté mais une évaluation de risque n’identifie aucun pesticide en particulier. Bien que les risques potentiels liés à l’alimentation semblent maîtrisés selon l’état des connaissances actuelles, les analyses sur lesquelles les évaluations se fondent ne prennent pas en compte l’impact des mélanges de pesticides (« effets cocktails »). Il existe donc un besoin d’acquisition de données et de modèles intégratifs pour mieux refléter la complexité des expositions.

Contamination des environnements intérieurs

Les usages domestiques des pesticides peuvent entraîner une exposition directe des personnes occupant le domicile lors de l’utilisation, et la contamination de l’environnement intérieur puisque les substances peuvent subsister dans l’air et les poussières. Longtemps négligée, la contribution de cette source d’exposition apparaît pourtant importante pour la population française. L’usage des pesticides par les particuliers a été examiné dans l’étude Pesti’home, qui montre que 75 % des ménages rapportent avoir utilisé des pesticides au cours de l’année précédente, dont notamment des insecticides pyréthrinoïdes (perméthrine, cyperméthrine et tétraméthrine). Les foyers dans lesquels ils sont utilisés le plus fréquemment sont aussi souvent ceux où leur nombre est important, et dans plus d’un quart des foyers au moins un produit interdit est stocké. Ces constats devraient inciter à plus de vigilance et à diffuser l’information auprès du grand public quant à l’usage et au stockage de ces produits.
La contamination des environnements intérieurs est majoritairement le résultat des usages directs de pesticides dans le lieu de vie, de l’émanation des substances à partir des matériaux traités et de la contamination de l’air extérieur. Des études menées par deux observatoires nationaux dans les années 2000 font état d’une contamination de l’air intérieur par des pesticides. Les substances les plus présentes sont la perméthrine, le lindane et dans une moindre mesure d’autres organochlorés (DDT/DDE, α-endosulfan), et des organophosphorés (chlorpyrifos, diazinon, fenthion). La contamination des environnements intérieurs a également été étudiée via les poussières. Une étude dans des écoles (entre 2013 et 2017), ou dans des logements accueillant des enfants (entre 2008 et 2009) montre la présence de nombreux pesticides (perméthrine, lindane, DDE, cyperméthrine et chlorpyrifos), avec des profils qui sont cohérents avec ceux retrouvés dans l’air.

Contamination des lieux de vie et proximité des zones agricoles

De nombreuses questions existent sur le niveau d’exposition aux pesticides et les risques potentiels encourus par les populations riveraines des zones agricoles. Une vingtaine d’études se sont intéressées à ces questions utilisant soit des mesures des pesticides dans différentes matrices (air, sols, urines), soit en considérant la proximité aux zones agricoles comme un proxy de l’exposition.
Trois études françaises ont mesuré les pesticides agricoles dans les poussières domestiques ou les urines des populations riveraines. De nombreux pesticides d’origine agricole sont détectés, mais ces études ne permettent cependant pas de conclure quant à une contribution importante de l’activité agricole voisine à l’exposition, probablement en raison d’un manque de précision temporelle. Des études nord-américaines sur cette question présentant, elles aussi, des limites méthodologiques ont conduit à des résultats peu concordants, avec la moitié d’entre elles ne trouvant pas de corrélation entre la distance aux cultures et les concentrations en pesticides dans les poussières des habitations.
D’autres études ont utilisé une méthodologie intégrant à la fois des données spatiales et temporelles afin de caractériser plus précisément les expositions. Ainsi, au Royaume-Uni, une étude n’a pas trouvé d’augmentation des concentrations urinaires de pesticides chez les personnes habitant à moins de 100 m des parcelles dans les 2 jours après les traitements. Une étude en Wallonie a montré une diminution des dépôts de pesticides dans les sols en fonction du temps et de la distance aux zones traitées. Enfin, dans une étude sur les populations riveraines des champs de fleurs aux Pays-Bas, les concentrations en pesticides sont plus importantes à moins de 250 m des parcelles qu’à plus de 500 m, surtout à l’extérieur des habitations mais également à l’intérieur, et de façon plus marquée pendant les périodes d’application. Il existe donc des données, bien que limitées, qui suggèrent une influence de la proximité aux zones agricoles sur la contamination par les pesticides du lieu de vie. Cette influence est cependant variable selon les substances, leur mode d’application et les matrices environnementales ou biologiques considérées pour estimer l’exposition.
Dans les recherches existantes en lien avec la santé humaine, les études s’appuient sur une approche considérant la proximité des lieux de vie aux zones agricoles comme un proxy de l’exposition. Il s’agit principalement d’études « écologiques » visant à corréler un effet de santé mesuré dans des unités géographiques avec des indicateurs d’activité agricole définis pour ces mêmes unités (densité de fermes, surface en cultures, quantité de pesticides utilisés...) et d’études cas-témoins s’appuyant sur la caractérisation de l’activité agricole au voisinage des adresses de résidence géolocalisées. Ces approches ont déjà été utilisées par exemple dans des études sur la maladie de Parkinson, le cancer de la vessie, et le cancer du système nerveux central, et elles sont utilisées dans deux études françaises en cours : l’étude Geocap Agri sur les cancers de l’enfant, et la cohorte ELFE (Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance). Ces types d’études présentent l’avantage de pouvoir inclure un grand nombre de participants, d’être basées sur des indicateurs d’exposition objectifs et elles sont généralement moins coûteuses que les études reposant sur des questionnaires ou des tests analytiques pour estimer l’exposition. En revanche, de par leur nature, elles présentent des limites importantes en lien avec l’évaluation de l’exposition (évolution des activités agricoles difficile à prendre en compte, historique résidentiel rarement disponible, précision du géocodage peu discuté, non prise en compte des usages de pesticides agricoles...), et l’absence de données individuelles. L’affinement de ces approches devrait permettre de progresser dans l’évaluation des expositions aux pesticides des personnes au sein même de leur domicile et l’estimation des risques pour la santé.

Biomesurage et imprégnation de la population générale française
par les pesticides

La mesure de la concentration d’un pesticide ou de ses métabolites dans des matrices biologiques est souvent considérée comme une méthode de référence pour évaluer l’exposition. Les résultats informent sur la charge corporelle d’une substance en intégrant l’ensemble des voies et des sources d’exposition. On distingue les matrices internes (sang, tissu adipeux...) des matrices externes (urines, fèces...). Les matrices internes présentent un intérêt pour le dosage des composés persistants avec une demi-vie de plusieurs semaines à plusieurs années. Cependant, leur utilité pour caractériser des expositions passées est limitée à quelques années ou mois précédant le prélèvement. S’agissant des matrices externes, l’urine est la plus souvent utilisée, surtout pour le dosage des composés avec une demi-vie de plusieurs jours à quelques heures, mais pour interpréter les résultats il faut tenir compte de la diurèse et la cinétique d’élimination. Il existe un intérêt croissant pour des matrices externes alternatives. Les cheveux sont intéressants car leur croissance permet également d’estimer la ou les périodes d’exposition, mais l’interprétation des résultats est délicate car les processus toxicocinétiques conditionnant l’accumulation sont peu connus. Le méconium (les premières selles du nouveau-né) suscite un grand intérêt pour examiner l’exposition fœtale aux substances, mais il est confronté à ces mêmes difficultés. Grâce aux développements en chimie analytique, un grand nombre de substances peuvent être identifiées et quantifiées. Toutefois, la pertinence du choix de la matrice et des substances à y mesurer offre encore un champ d’investigation important, incluant l’identification des métabolites encore inconnus.
Les études s’intéressant à l’imprégnation de la population générale constatent une exposition répandue à de multiples pesticides2 . Certaines de ces études sont d’envergure nationale mais jusqu’à présent limitées à quelques familles chimiques. Le volet environnemental de l’Étude nationale nutrition santé en 2006-2007 montre des niveaux d’organochlorés comparables à ceux observés à l’étranger, alors que pour les pyréthrinoïdes et, dans une moindre mesure, les organophosphorés, les niveaux sont plus élevés qu’aux États-Unis ou en Allemagne. De même, les études sur la cohorte nationale ELFE confirment la présence généralisée en 2011 des pyréthrinoïdes et montrent une exposition faible ou absente aux organophosphorés et aux triazines. Les premiers résultats de l’étude ESTEBAN, portant sur plus de 3 500 adultes et enfants, sont attendus en 2021 et enrichiront les connaissances dans ce domaine.
Il existe aussi des études académiques, réalisées au niveau régional, qui sont à la fois plus complètes en termes de couverture de pesticides mais plus exploratoires compte tenu d’incertitudes liées aux matrices biologiques choisies. Trois études sur la cohorte mère-enfant PELAGIE montrent la présence ubiquitaire d’organophosphorés et de pyréthrinoïdes chez les participants, ainsi que la présence des triazines chez environ 30 % des mères. Une étude sur des prélèvements de méconium collectés d’une cinquantaine de nouveau-nés sains montre la présence de chlorpyrifos, diazinon, propoxur et isoproturon dans la majorité des échantillons. Enfin, une analyse des mèches de cheveux dans une sous-cohorte de l’étude ELFE a détecté 122 substances au moins une fois et un minimum de 25 substances dans chaque échantillon. Les pesticides les plus présents sont des pyréthrinoïdes et des organophosphorés, mais l’ensemble des 18 familles chimiques examinées sont retrouvées, objectivant la présence de mélanges complexes de pesticides. Il est important de rappeler que la détection d’un pesticide ou de ses métabolites dans une matrice biologique atteste très certainement d’une exposition, mais ne peut conduire à une interprétation de toxicité ou d’effet sanitaire sans l’analyse de toutes les données associées et disponibles de toxicologie et d’épidémiologie.

Pathologies neurologiques et atteintes neuropsychologiques

Cette partie présente l’analyse de la littérature scientifique publiée depuis 2013 sur le rôle des pesticides dans la survenue des pathologies neurologiques et atteintes neuropsychologiques. Elle est organisée selon les thématiques et la population concernée, et s’intéresse aux effets d’une exposition aux pesticides en période prénatale et en particulier sur le développement neuro-psychologique et moteur de l’enfant. Elle aborde ensuite les pathologies neurologiques de l’adulte dont plusieurs maladies neurodégénératives (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer et sclérose latérale amyotrophique), les troubles cognitifs et les troubles anxio-dépressifs.

Développement neuropsychologique et moteur de l’enfant

Dans l’expertise de 2013, la santé de l’enfant a été abordée en lien avec les expositions des mères pendant la grossesse en étudiant des évènements survenant à l’issue de grossesse (avortements spontanés, malformations congénitales, diminution du poids de naissance ou de la durée de gestation), des altérations fonctionnelles apparaissant après la naissance et affectant entre autres le système reproducteur, le métabolisme et la croissance, le développement psychomoteur et intellectuel et le comportement de l’enfant, ainsi que le développement de cancers chez l’enfant.
Ces recherches s’inscrivent pour certaines dans le concept des origines développementales de la santé et des maladies, qui suggère que des modifications subtiles de certains paramètres de santé, non visibles cliniquement, ayant lieu tôt dans la vie en réponse à un évènement/agent toxique, peuvent induire des dysfonctionnements plus importants ou des maladies plus tard au cours de la vie3 . Certaines périodes dans la vie, en particulier celles de développement, telles que la grossesse, la petite enfance et le passage à la puberté, sont des fenêtres reconnues d’une plus grande vulnérabilité face à la présence d’un évènement ou agent toxique.
Le groupe d’experts a choisi de faire une mise à jour des données sur les liens entre l’exposition pré- et post-natale aux pesticides et le développement neuropsychologique et moteur de l’enfant, le comportement de l’enfant et la survenue de cancers chez l’enfant (dans la partie « pathologies cancéreuses » ci-après), car c’est dans ce domaine que les publications sont les plus nombreuses et les avancées les plus significatives.
Une attention particulière a été portée aux études s’appuyant sur des outils robustes et fiables de mesures de l’exposition et des paramètres de santé, une cohérence temporelle entre les moments de l’exposition d’intérêt et les évènements de santé, et la prise en compte de facteurs de confusion majeurs. Dans certaines études, les estimations de l’exposition reposent sur des mesures de biomarqueurs qui cumulent l’ensemble des voies d’exposition (cutanée, alimentaire, respiratoire) et des sources d’exposition (activités agricoles, professionnelles, domestiques...), sans distinction. Pour les études s’intéressant au développement neuropsychologique et moteur et au comportement de l’enfant, il s’agira souvent de suivis longitudinaux de femmes enceintes et de leurs enfants, appelés cohortes mères-enfants, qui sont indispensables pour cette recherche, mais elles sont rares compte tenu du coût et du temps nécessaire à investir.
Le cerveau en développement est particulièrement sensible à l’exposition à des agents toxiques. Pour certains toxiques comme le plomb et le mercure, de nombreuses études indiquent que les conséquences sur le développement neuropsychologique et moteur des expositions pendant la grossesse ne se limitent pas à celles visibles à la naissance mais peuvent être plus subtiles et révélées dans l’enfance. Ces moindres performances, déficits sensoriels, retards ou troubles de l’apprentissage à l’âge scolaire constituent un handicap possible pour l’individu et des conséquences pour la société dans son ensemble.

Exposition aux insecticides organophosphorés

Il existe à ce jour un grand nombre d’études utilisant des biomarqueurs d’exposition qui se sont intéressées au rôle de l’exposition aux insecticides organophosphorés pendant la grossesse sur le développement neuropsychologique de l’enfant. Les premières cohortes de suivi de femmes pendant la grossesse et de leurs enfants ont été décrites dans l’expertise précédente de 2013 ; ces cohortes ont été conduites aux États-Unis dans des minorités ethniques ou des populations à faibles revenus et ont montré des déficits cognitifs jusqu’à l’âge de 7 ans en lien avec l’exposition prénatale aux insecticides organophosphorés.
Depuis, ces observations n’ont pas été retrouvées, ni à des âges ultérieurs dans ces mêmes cohortes, ni par deux des quatre études plus récentes, européennes ou nord-américaines. Néanmoins, la diminution des performances cognitives des enfants d’âge scolaire et des altérations du développement psychomoteur et de l’acuité visuelle chez le jeune enfant ont été observées par les cohortes récentes qui présentaient les niveaux d’exposition parmi les plus élevés de la littérature, pour la majorité des études asiatiques et une étude européenne.
Si la variabilité des niveaux d’exposition peut expliquer une partie des différences entre les études, plusieurs hypothèses peuvent éclairer l’apparente incohérence des résultats : i) une réversibilité possible des effets par des mécanismes de compensation acquis avec l’âge ou par des stimulations cognitives reçues au cours de la vie par l’enfant/l’adolescent ; ii) l’existence d’une vulnérabilité sociale et/ou ethnique face à ces expositions ; iii) la diminution de l’usage des insecticides organophosphorés ces deux dernières décennies et iv) une variation des sources d’exposition et/ou les combinaisons (mélanges) d’insecticides organophosphorés présents dans les produits agricoles et domestiques.
Deux études de cohorte, en poursuivant le suivi des enfants jusqu’à l’âge de 14 ans, confirment une atteinte possible des capacités sociales des enfants avec des comportements évocateurs du spectre autistique, observée jusqu’à l’adolescence, en lien avec l’exposition prénatale aux insecticides organophosphorés.
Les modèles animaux et mécanistiques étudiant la neurotoxicité d’insecticides organophosphorés avaient été abordés dans l’expertise précédente de 2013 (voir chapitre « Mécanismes d’action neurotoxique des pesticides ») et confirmaient la plausibilité biologique d’une neurotoxicité développementale, en particulier pour le chlorpyrifos, un organophosphoré.
Pour le chlorpyrifos, une cohorte asiatique n’observe pas d’effet sur le développement psychomoteur d’enfants de 3 ans tandis qu’une des cohortes américaines confirme un lien avec les performances motrices fines des enfants de 9-13 ans. En revanche, il n’existe pas de nouvelles études publiées à ce jour chez l’être humain renforçant le lien suggéré par la précédente expertise de 2013 spécifiquement pour le malathion et le méthyl-parathion (famille des organophosphorés) ainsi que le propoxur (famille des carbamates).

Exposition aux insecticides pyréthrinoïdes

La littérature épidémiologique s’intéressant au rôle des insecticides pyréthrinoïdes sur le développement neuropsychologique et moteur des enfants est récente et fait suite à l’augmentation de leur usage en substitution aux insecticides organophosphorés. Ces études sont également pour la plupart des cohortes de femmes suivies pendant la grossesse et de leurs enfants, et utilisent des biomarqueurs urinaires pour la mesure de l’exposition. Une concordance de résultats entre les études, quel que soit le contexte, est observée et suggère une augmentation des troubles du comportement de l’enfant, en particulier de type internalisé (par exemple : anxiété) en lien avec l’exposition prénatale aux pyréthrinoïdes. Concernant son rôle sur une diminution des capacités cognitives des enfants, les résultats sont moins convaincants. Aucune molécule spécifique n’a pu être identifiée dans cette littérature.
Un lien entre l’exposition aux insecticides pyréthrinoïdes pendant l’enfance et une augmentation des troubles du comportement de l’enfant dit externalisé (par exemple : déficit d’attention avec/sans hyperactivité, agressivité) a été observé par plusieurs études transversales pour lesquelles cependant les conclusions concernant une causalité possible de l’association sont limitées.
Si plusieurs études toxicologiques démontrent effectivement un impact des molécules pyréthrinoïdes sur les canaux sodiques voltage-dépendants, ciblés chez les insectes, de nombreux autres modes d’action pertinents ont aussi été identifiés : un dysfonctionnement de plusieurs types de canaux calciques ou une augmentation d’expression du transporteur de la dopamine. Ces mécanismes ont été observés à de faibles doses utilisées in vivo ou in vitro et en lien avec un impact sur le comportement animal. Des études animales menées à différents stades de développement montrent que l’imprégnation cérébrale en deltaméthrine est inversement proportionnelle à l’âge, suggérant que la plus grande sensibilité aux insecticides pyréthrinoïdes chez les plus jeunes organismes pourrait être expliquée par une barrière hémato-encéphalique hyperperméable. La littérature toxicologique depuis 2013 rapporte d’autres mécanismes d’action originaux (ciblage des protéines au protéasome, modifications épigénétiques), ainsi que des éléments sur d’éventuels effets synergiques de pyréthrinoïdes, qui pourraient expliquer l’action de ces molécules souvent utilisées en mélange, et qui sont des pistes de recherche à développer. Finalement, l’ensemble des données sur les mécanismes d’action apporte des arguments en faveur du rôle de l’exposition prénatale aux insecticides pyréthrinoïdes dans le développement de troubles neuropsychologiques et moteurs chez l’enfant.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque d’altération du développement neuropsychologique et moteur* de l’enfant : résultats des études avec biomarqueurs chez les femmes enceintes

Exposition pendant la grossesse
Atteintes observées chez l’enfant
Présomption d’un lien
Organophosphorés
  
Sans distinction
Altération des capacités motrices, cognitives et des fonctions sensorielles
++
 
Comportement évocateur des troubles du spectre autistique
+ a
Chlorpyrifos
Altération des capacités motrices et cognitives
+ b
Interaction avec PON1
Malathion
Méthyl-parathion
Altération des capacités motrices et cognitives
+ c
Interaction avec PON1
Carbamates/Thiocarbamates
  
Propoxur
Altération des capacités motrices et cognitives
+ c
Pyréthrinoïdes
  
Sans distinction
Troubles du comportement de type internalisé tels que l’anxiété
++
 
Altération des capacités motrices et cognitives
±
Organochlorés**
  
Chlordécone
Altération de la motricité fine
+ d

++ d’après les résultats de dix-huit cohortes pour les organophosphorés, renforce les résultats de 2013 ; d’après les résultats de trois cohortes pour les pyréthrinoïdes Données nouvelles
+ a d’après les résultats de deux cohortes Données nouvelles ; + b d’après les résultats de deux cohortes supplémentaires par rapport à 2013 ; + c aucune étude nouvelle depuis 2013 ; + d d’après les résultats d’une cohorte, résultats de 2013
± d’après les résultats de cinq études (positives et négatives) Données nouvelles
* comprend le développement psychomoteur et mental, les performances cognitives et le comportement
** La littérature scientifique concernant les autres organochlorés n’a pas été réexaminée.
PON1 : paraoxonase 1.

Exposition résidentielle aux pesticides

L’exposition de la population générale aux pesticides par les usages agricoles à proximité des lieux de vie des populations est particulièrement difficile à évaluer. Plusieurs études ont utilisé le géocodage des lieux de résidence pendant la grossesse ou l’enfance pour estimer les distances par rapport à un usage agricole ou l’intensité des usages agricoles environnants. Elles ont rapporté des déficits intellectuels et un risque plus élevé de présence de troubles du spectre autistique chez les enfants en lien avec la proximité résidentielle (< 1,5 km) aux activités agricoles. En particulier, ont été incriminées les familles des organophosphorés, des pyréthrinoïdes et des carbamates, en cohérence avec les études utilisant des biomarqueurs d’exposition. Concernant l’usage domestique pendant la grossesse de produits pour lutter contre des insectes ou autres nuisibles, le niveau de preuve d’une atteinte possible sur le développement neuropsychologique et moteur de l’enfant reste faible.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et développement neuropsychologique et moteur de l’enfant : résultats des études sans biomarqueurs chez les femmes enceintes

Exposition pendant la grossesse
Atteintes observées chez l’enfant
Présomption d’un lien
Exposition non professionnelle (usage domestique, proximité résidentielle aux zones d’épandage agricole)
Altération des capacités motrices et cognitives
+
Comportement évocateur des troubles du spectre autistique
± a
Exposition professionnelle aux pesticides (sans distinction)
Altération des capacités motrices et cognitives
± b

+ d’après les résultats de deux cohortes et une étude cas-témoins (mais mesure de l’exposition insuffisante) Données nouvelles
± a d’après les résultats d’une étude cas-témoins Données nouvelles ; ± b d’après les résultats de deux études transversales, résultats de 2013

Enfin, il est à noter que peu d’études se sont intéressées au lien entre l’exposition professionnelle des mères et le développement psychomoteur, intellectuel et le comportement des enfants en France ou ailleurs. Cette littérature n’a ainsi pas pu être mise à jour dans cette nouvelle expertise.

Troubles cognitifs chez l’adulte

La cognition est un processus cérébral complexe impliquant notamment la mémoire, l’attention, le jugement, la compréhension et le raisonnement. Certains agents environnementaux peuvent perturber la cognition, probablement en interférant avec les neuromédiateurs. L’impact potentiel des pesticides sur la cognition a été évoqué en raison de l’identification clinique d’altérations chroniques des fonctions cognitives suite à des intoxications aiguës par des insecticides organophosphorés. Ces constatations ont été suivies d’études d’observation qui ont mis en évidence des manifestations neurologiques chroniques à distance d’intoxications aiguës, telles qu’une diminution des performances à divers tests (attention visuelle, mémoire, abstraction...). Par la suite, d’autres études ont porté sur les effets retardés d’expositions chroniques, en l’absence d’intoxication aiguë, le plus souvent chez des utilisateurs d’organophosphorés mais également d’organochlorés ou de pyréthrinoïdes.
L’expertise collective de 2013 avait identifié une quarantaine d’études épidémiologiques portant sur l’impact des expositions aux pesticides sur la cognition, la plupart transversales, mais également quatre cohortes prospectives. Une quinzaine d’études originales ainsi que deux méta-analyses ont été publiées depuis.
Trois études (en Éthiopie, en Chine et l’Agricultural Health Study aux États-Unis), menées sur des travailleurs agricoles, ont apporté de nouvelles données sur l’effet des intoxications aiguës aux pesticides sur les performances cognitives mesurées à distance de l’exposition. Même s’il était parfois compliqué de distinguer l’effet des expositions aiguës de celles des expositions chroniques chez les professionnels exposés, ces trois études renforçaient les conclusions concernant un lien entre les intoxications aiguës par des pesticides (principalement les organophosphorés) et une baisse des performances cognitives dans les domaines de l’attention visuelle, la mémoire et l’abstraction.
Concernant les effets retardés d’expositions professionnelles aux pesticides sur la cognition, huit nouvelles études transversales et quatre études de cohorte ont été publiées depuis 2013. Les études transversales ont été menées dans des pays très divers (Iran, Chine, Arabie Saoudite, Chili, Suède, États-Unis). La moitié d’entre elles a concerné uniquement des professionnels (horticulteurs, travailleurs agricoles, vétérans de la guerre du Golfe, personnes chargées de la démoustication), tandis que les autres portaient sur des riverains de cultures (vignes, agrumes), sur la population rurale (en Chine) ou sur la population générale (aux États-Unis, en Suède). Les pesticides étudiés étaient majoritairement des organophosphorés, mais également des pyréthrinoïdes et des organochlorés. Les études portant sur les effets chez les professionnels et les riverains concluaient toutes à une baisse des performances cognitives, mesurées par des tests variés. Les études en population générale montraient également des performances abaissées, à l’exception de l’étude transversale National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES, États-Unis) lorsque l’exposition était estimée à partir de biomarqueurs d’exposition (métabolites urinaires de pesticides).
Quatre nouvelles analyses prospectives ont été menées en France, aux États-Unis et en Grèce. Deux d’entre elles portaient sur des expositions professionnelles : l’une sur les travailleurs de l’industrie de production de pesticides (chlorpyrifos) aux États-Unis et l’autre chez les viticulteurs en France. L’étude menée dans l’industrie ne met en évidence aucune association entre l’exposition des travailleurs, suivis pendant une année, et le déclin cognitif. La cohorte française (PHYTONER) analyse les résultats à des tests cognitifs après 4 années de suivi d’un millier de travailleurs viticoles, en estimant l’exposition à onze organophosphorés à l’aide d’une matrice culture-exposition et d’algorithmes basés sur des études de terrain. L’exposition cumulée était associée à une diminution des performances cognitives, en particulier pour la mémoire de travail et la vitesse de traitement, mais sans relation dose-effet. Deux autres analyses prospectives portent sur le déclin cognitif de personnes âgées résidant à proximité de zones agricoles. La première est une étude californienne de personnes de 60 ans et plus, résidant près de zones traitées par des organophosphorés, dont le déclin cognitif et la survenue de démence ont été suivis pendant 10 ans. La deuxième est une cohorte grecque de personnes de 65 ans et plus, vivant à proximité de champs traités par des pesticides. Ces deux études ont mis en évidence une baisse des performances cognitives dans ces populations âgées riveraines.
Dans l’expertise collective précédente, quatre revues et une méta-analyse avaient été identifiées qui portaient sur les effets des expositions chroniques aux pesticides sur la cognition et concluaient à un effet délétère des expositions aux pesticides, de manière plus claire en présence d’intoxication aiguë. Depuis, une revue et deux méta-analyses ont été publiées sur le lien entre troubles cognitifs et expositions chroniques aux pesticides. Toutes se sont centrées sur les effets des expositions chroniques aux organophosphorés. Les auteurs soulignent la diversité des tests réalisés et les différences dans les méthodes d’estimation des expositions entre les études. Cependant, leurs conclusions sont convergentes et confirment une augmentation de certains déficits cognitifs (attention, capacités visuo-motrices, abstraction verbale, perception), plus cohérentes dans le domaine de la mémoire et de l’attention, chez les personnes exposées aux organophosphorés. Une relation durée-effet était mise en évidence dans les analyses réalisées au niveau agrégé aussi bien qu’au niveau de l’individu.
À la quarantaine d’études identifiées lors de la précédente expertise collective, une quinzaine d’études originales sont venues s’ajouter depuis 2013, ainsi que trois revues de synthèse. Les études récentes restent majoritairement transversales et comparent les fonctions cognitives de personnes intoxiquées par des pesticides ou ayant été exposées de manière prolongée au cours de leur parcours professionnel à celles de personnes non exposées. La plupart identifient des liens entre les expositions aux pesticides et les détériorations cognitives. Les pesticides impliqués sont majoritairement les organophosphorés, mais d’autres molécules ont été explorées comme les pyréthrinoïdes ou les organochlorés, qui se sont également avérées associées à une atteinte des fonctions cognitives. De plus, au cours des dernières années, les études se sont élargies à des populations a priori moins exposées que les agriculteurs, comme les riverains de zones agricoles ou la population générale, notamment au travers de l’étude NHANES aux États-Unis. Un effet a également été mis en évidence sur les performances cognitives dans ces populations. La dimension longitudinale de l’impact des pesticides sur les fonctions cognitives est une question importante si on considère que l’apparition de troubles cognitifs serait prédictive de la survenue de certaines démences.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et troubles cognitifs

Exposition
Populations
Présomption d’un lien
Pesticides*
Agriculteurs, avec ou sans antécédents d’intoxications aiguës
++
Pesticides (sans distinction)
Populations générales ou riverains des zones agricoles
+

* principalement insecticides organophosphorés
++ d’après les résultats d’une méta-analyse en 2013, de deux méta-analyses récentes, de trois cohortes prospectives et de nombreuses études transversales Niveau de présomption passe de moyen à fort
+ d’après les résultats de deux études transversales et deux études prospectives Données nouvelles

Troubles anxio-dépressifs

L’évaluation des troubles anxio-dépressifs au sein des populations soulève de nombreuses difficultés, la première étant de définir de manière claire et consensuelle des entités pathologiques, identifiables et dénombrables avec des outils épidémiologiques tels que des tests ou des questionnaires. Les données de prévalence des troubles anxio-dépressifs restent de ce fait débattues. Près d’une personne sur dix en France aurait vécu un épisode dépressif dans l’année précédente, de manière plus fréquente chez les femmes que chez les hommes. Le taux de prévalence national serait en hausse depuis quelques années. Par ailleurs, une étude rapporte que plus de 1,3 million de personnes ont été prises en charge pour des troubles anxieux en France entre 2010 et 2014. Les troubles anxio-dépressifs sont d’origine multifactorielle et proviennent d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux. En raison de leur nature chronique, de comorbidités et de la stigmatisation entourant les problèmes de santé mentale, les troubles anxio-dépressifs peuvent engendrer une grande souffrance chez les personnes qui en sont atteintes, avec des répercussions importantes sur la vie professionnelle et personnelle, et un risque accru de tentatives de suicide ou de suicide. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime entre 5 et 20 % le taux de suicide des patients souffrant d’un épisode dépressif majeur. Par ailleurs, la mortalité par suicide serait favorisée en population agricole par un accès facilité à des moyens les plus fatals (armes à feu, pendaison, intoxications par des produits chimiques).
De nombreux travaux, notamment en sociologie de la santé, menés dans différents pays ont mis en évidence des taux de dépression et de suicide plus élevés en population agricole que dans la population générale. Les particularités du mode de vie agricole, telles que l’isolement résidentiel et social et les contraintes professionnelles (fatigue physique, pression temporelle liée à des journées de travail souvent longues, aléas saisonniers et météorologiques, difficultés économiques liées aux incertitudes des prix de l’agro-alimentaire) peuvent contribuer aux troubles anxio-dépressifs.
L’hypothèse du rôle des pesticides dans l’apparition de symptômes anxio-dépressifs est sous-tendue par leur possible interférence avec les nombreux neuromédiateurs, tels que la sérotonine, qui jouent un rôle majeur dans les processus mentaux et comportementaux. Dès la fin des années 1970, plusieurs observations de toxicologie clinique ont suggéré un effet des pesticides sur l’humeur (symptômes dépressifs, troubles du sommeil, anxiété et irritabilité) chez les personnes ayant subi une intoxication aiguë, en particulier par des organophosphorés.
Depuis une trentaine d’années, des études épidémiologiques observent des effets similaires lors d’expositions professionnelles chroniques, notamment pour les insecticides organophosphorés. L’expertise collective précédente avait identifié une trentaine d’études abordant la question des troubles anxio-dépressifs en lien avec les expositions aux pesticides. Celles-ci présentaient certaines limites méthodologiques en raison d’effectifs souvent restreints, d’une hétérogénéité dans la définition des troubles, et de l’existence de facteurs de confusion d’importance, comme l’isolement social ou les difficultés économiques. Ces études convergeaient vers une plus grande fréquence de troubles anxieux et dépressifs chez les personnes exposées aux pesticides, aussi bien dans les suites d’intoxications aiguës, que pour des expositions modérées mais prolongées. Par ailleurs, plusieurs études suggéraient un lien possible avec des tentatives de suicide, sans qu’il soit réellement possible d’affirmer le rôle spécifique des pesticides. L’analyse de la littérature toxicologique évoquait l’existence d’arguments biologiques en faveur d’un effet possible de certaines substances au niveau du système nerveux central, tels que des perturbations des niveaux de la sérotonine, un neuromédiateur jouant un rôle important dans la régulation de l’humeur, expliquées par des expositions à certains pesticides, comme les organophosphorés, ou d’autres substances.
Depuis l’expertise collective de 2013, trois articles de synthèse ont fait le point sur cette question. Une revue de la littérature sur le lien entre pesticides et dépression/suicide a été réalisée à partir d’une vingtaine d’articles sur la période 1995 à 2011, dont onze traitaient du risque de dépression et quatorze de suicides. Un lien entre les intoxications aiguës par des pesticides et la dépression était mis en évidence dans 5 études, avec des niveaux de risque allant d’un doublement à un quintuplement, alors que les études portant sur les expositions chroniques trouvaient des risques plus faibles. Le risque de suicide était augmenté dans la plupart des études mais avec des limites méthodologiques. Une autre revue, centrée sur les organophosphorés, n’a pu conclure définitivement sur leur rôle dans la survenue des troubles neuropsychiatriques. La troisième revue, à partir d’une trentaine de travaux, met en évidence le rôle des expositions à haute ou faible dose sur la santé mentale des travailleurs agricoles et souligne la nécessité de mieux caractériser à la fois les troubles de santé et les expositions.

Intoxication aiguë

Depuis la précédente expertise collective, qui dénombrait 7 études sur les troubles anxio-dépressifs pouvant survenir dans les suites d’une intoxication aiguë par des pesticides, deux études de cohorte sont venues compléter la littérature épidémiologique sur cette question. La première de ces cohortes, rétrospective, a été menée en Grande-Bretagne dans la population des éleveurs de moutons ayant utilisé des traitements insecticides (et en particulier des organophosphorés) comme antiparasitaires externes. Le risque de déclarer une dépression était multiplié par 10 chez les personnes ayant été prises en charge pour une intoxication par un pesticide mais l’association n’était pas retrouvée chez les personnes ayant manipulé ces substances sans avoir subi d’intoxication. La seconde cohorte, prospective, incluait des agriculteurs sud-coréens, qui ont complété en face à face une échelle de dépression. Le risque de symptômes dépressifs apparaissait plus élevé chez ceux qui avaient rapporté un antécédent d’intoxication professionnelle par un pesticide notamment si celle-ci était jugée modérée à sévère. Ces troubles n’étaient pas associés avec l’exposition cumulée au cours de la vie. Un lien était observé plus spécifiquement avec les herbicides, et en particulier avec le paraquat.

Exposition chronique

Lors de l’expertise collective de 2013, la question du lien possible entre les troubles neuropsychiatriques, en particulier le risque de dépression, et l’exposition chronique aux pesticides avait été traitée par une douzaine d’études dont deux longitudinales. Depuis 2013, 7 études transversales et 5 longitudinales ont été produites et ont apporté de nouveaux résultats.
Les études transversales ont été menées en Amérique du Sud et centrale (culture du café et du tabac au Brésil et culture de légumes au Mexique), en Grande-Bretagne, en Turquie, au Bengladesh et en France. Les trois études américaines ont mis en évidence une majoration des symptômes dépressifs et anxieux chez les personnes exposées, aussi bien chez les travailleurs agricoles que chez les résidents de zones agricoles. Des liens étaient aussi mis en évidence chez les éleveurs de moutons britanniques, sur la base des symptômes qu’ils avaient déclarés. En Turquie, l’exposition aux pesticides chez les hommes qui travaillaient en agriculture doublait le risque de dépression. Au Bengladesh, il n’était pas mis en évidence de risque de dépression chez des personnes résidant à moins de 200 mètres des champs. L’étude française, menée au sein d’une étude cas-témoins portant sur la maladie de Parkinson, montrait un lien entre l’exposition aux herbicides et l’existence d’une dépression traitée ou prise en charge à l’hôpital, rapportée par les participants, avec un effet de la durée d’exposition. Ainsi, les nouvelles analyses transversales menées dans les différents pays vont dans le sens d’une augmentation du risque de troubles anxio-dépressifs en lien avec des expositions chroniques aux pesticides, globalement moins fortes que celles mises en évidence avec les intoxications aiguës, mais pouvant néanmoins atteindre un doublement. Trois de ces études ont suggéré des liens avec des herbicides de natures différentes (sulfonylurées, dinitroanilines, carbamates, dinitrophénols, le glyphosate et l’acide picolinique...), mais pas avec les pesticides organophosphorés.
Deux nouvelles analyses longitudinales ont été menées au sein de l’Agricultural Health Study, auxquelles s’ajoutent une cohorte rétrospective de céréaliers au Canada et deux cohortes agricoles prospectives : l’une en Corée et l’autre dans l’Iowa. Dans l’expertise de 2013, les publications sur les troubles anxio-dépressifs au sein de l’AHS étaient de nature transversale et avaient montré des risques de dépression doublés ou triplés en lien avec des intoxications aiguës par des pesticides. Au sein de cette même cohorte, des analyses longitudinales ont depuis été menées, portant sur les cas incidents entre l’inclusion et le suivi à 12 ans. Chez les hommes, l’existence d’une dépression a été associée à l’utilisation de certains pesticides ou familles de pesticides (fumigants, organochlorés, phosphure d’aluminium, dibromure d’éthylène, 2,4,5-T, dieldrine, diazinon, malathion, parathion, lindane, captane...), parfois en lien avec l’exposition cumulée au cours de la vie professionnelle. Une association forte était observée entre la dépression et les antécédents d’intoxication. Chez les femmes, il n’était pas mis en évidence de lien entre la dépression et l’utilisation de pesticides au cours de la vie professionnelle par elles-mêmes ou par leurs conjoints, mais le risque de dépression était observé chez celles qui avaient un antécédent d’intoxication aiguë. Dans la cohorte canadienne de céréaliers, le score de santé mentale était associé négativement à l’utilisation de phénoxyherbicides, mais ne montrait pas de lien avec d’autres substances, notamment avec les organophosphorés. En Corée du Sud, la survenue de cas incidents de symptômes dépressifs sur une période de près de 3 ans était plus fréquente chez les hommes présentant un score élevé d’exposition – basé sur la durée et l’intensité – et chez ceux qui avaient des antécédents d’intoxication aiguë. Dans l’Iowa, une cohorte de 257 agriculteurs, suivis chaque trimestre, a mis en évidence une association entre l’usage de pesticides et la dépression. L’ensemble des nouvelles analyses longitudinales menées depuis la précédente expertise converge vers une association entre les expositions chroniques aux pesticides et la survenue de troubles anxio-dépressifs, avec des liens forts pour ceux qui ont un antécédent d’intoxication aiguë. Trois de ces analyses évoquent des liens avec des molécules variées.
Neuf études présentées dans l’expertise collective précédente suggéraient un lien possible entre l’exposition aux pesticides et le risque de suicide. Mais ces études ne permettaient pas de distinguer le rôle spécifique des pesticides de celui d’autres facteurs de risque, ni d’argumenter la causalité du lien. Depuis, trois études se sont ajoutées : des résultats provenant d’une cohorte agricole chinoise et brésilienne, une étude cas-témoins en Chine et une étude écologique au Brésil. Dans la cohorte sud-coréenne, des idées suicidaires dans l’année précédant l’entretien apparaissaient jusqu’à trois fois plus fréquentes chez les agriculteurs qui rapportaient un antécédent d’intoxication aiguë par un pesticide. En Chine, l’étude cas-témoins de personnes ayant tenté de mettre fin à leurs jours avec des pesticides (43 cas) a mis en évidence une plus grande fréquence de symptômes liés à des expositions aux organophosphorés, d’agressivité et d’impulsivité qu’en population générale. L’étude écologique brésilienne a montré une surmortalité par suicide à la fois en lien avec le métier d’agriculteur et avec le fait de résider dans une région où la culture de tabac était présente (en lien avec les traitements et/ou des intoxications à la nicotine). Ces nouvelles études vont dans le sens d’un lien entre suicides et exposition aux pesticides, mais présentent, comme les études précédentes, des difficultés à écarter des facteurs de confusion liés au milieu agricole.
En regard des constats épidémiologiques, le rôle de certains pesticides sur le système nerveux central et les interférences possibles avec des neuromédiateurs impliqués dans la régulation de l’humeur doivent susciter des recherches mécanistiques.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les troubles anxio-dépressifs

Exposition
Populations
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle aiguë ou antécédent d’intoxication aux pesticides (sans distinction)
Agriculteurs ou applicateurs
+ a
Exposition professionnelle chronique aux pesticides (sans distinction)
Agriculteurs ou applicateurs
+ b

+ a d’après les résultats de trois cohortes et d’études transversales Niveau de présomption passe de faible à moyen
+ b d’après les résultats de quatre études de cohorte et de sept études transversales Niveau de présomption passe de faible à moyen

Maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer est une affection neurologique caractérisée par une atrophie cérébrale accompagnée de plaques séniles (dépôts extracellulaires de peptide β-amyloïde) et de dégénérescence neurofibrillaire (accumulation de protéine Tau phosphorylée). Elle est la cause la plus fréquente de démence chez le sujet âgé, et peut affecter entre 15 et 40 % des sujets de 85 ans et plus. En dehors de l’âge et du sexe féminin, le seul facteur de risque reconnu de la maladie est l’allèle epsilon 4 du gène codant pour l’apolipoprotéine E (APOE4). D’autres facteurs de risque sont suspectés parmi lesquels les traumatismes crâniens, la dépression, l’âge des parents, les antécédents familiaux de démence, les déficits en vitamine B12 ou en folates, les niveaux plasmatiques élevés en homocystéine ou encore les facteurs de risque vasculaires tels que l’hypertension artérielle. La proportion de cas familiaux est faible (de l’ordre de 10 %), ce qui suggère la possible contribution de facteurs environnementaux parmi lesquels les solvants, les champs électromagnétiques, le plomb, l’aluminium et les pesticides.
L’expertise collective de 2013 avait montré que le nombre d’études explorant l’hypothèse du lien entre pesticides et maladie d’Alzheimer était limité, de l’ordre d’une dizaine. En effet, les troubles de mémoire présentés par les patients rendent complexes la reconstitution de l’historique de leurs expositions aux pesticides. Les résultats des études cas-témoins, qui reposaient sur des définitions de l’exposition peu précises (intitulé des professions sur des certificats de décès, données écologiques d’usage des substances) n’étaient généralement pas concluants. Cependant, les trois cohortes existantes, qui relevaient les expositions avant la survenue de la maladie de manière suffisamment détaillée, identifiaient une élévation significative du risque pour les utilisations professionnelles de pesticides. Cette élévation de risque atteignait le quadruplement pour les utilisateurs de défoliants et de fumigants dans une étude canadienne, et un doublement dans les deux autres cohortes en France et aux États-Unis. Les études, majoritairement menées en milieu agricole ne permettaient pas de conclure pour des pesticides spécifiques, mais avaient exploré plus particulièrement les insecticides et notamment les organophosphorés.
Récemment, une méta-analyse des études épidémiologiques portant sur le rôle des pesticides dans la maladie d’Alzheimer a inclus sept études, toutes identifiées dans la précédente expertise collective : trois études de cohorte (France, États-Unis et Canada) et quatre études cas-témoins (Australie, États-Unis et Canada), jugées de bonne qualité par les auteurs de la méta-analyse. À partir de l’ensemble de ces études, une élévation du risque de 34 % était calculée pour les personnes professionnellement exposées aux pesticides, sans qu’il soit mis en évidence d’hétérogénéité entre les études ou de biais de publication.
Trois nouvelles études ont été publiées sur le lien entre pesticides et maladie d’Alzheimer depuis la précédente expertise collective. Elles ont toutes tenté d’apprécier l’exposition des personnes aux organochlorés par des mesures biologiques, en raison des difficultés spécifiques à reconstituer l’historique des expositions chez des personnes souffrant de troubles de la mémoire.
Une cohorte prospective canadienne a étudié la survenue de la maladie d’Alzheimer en suivant des personnes de 65 ans et plus. Dans un sous-échantillon de cette cohorte, l’exposition aux pesticides était estimée à partir des taux plasmatiques de onze organochlorés. Après un suivi de 10 ans, il n’a pas été mis en évidence de lien entre ces expositions et la survenue de la maladie d’Alzheimer.
Deux nouvelles études cas-témoins ont également été menées, la première aux États-Unis et la seconde en Inde. Dans l’étude américaine, un quadruplement du risque de maladie d’Alzheimer était observé chez les personnes présentant les valeurs de dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE) sérique les plus élevées et une corrélation forte était observée entre le DDE sérique et la teneur de DDE dans des prélèvements cérébraux. Dans l’étude indienne, certains organochlorés ou métabolites d’organochlorés (β-hexachloro-benzène (β-HCH), dieldrine et p,p’-DDE), mesurés dans des échantillons sanguins étaient également plus élevés chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et la maladie d’Alzheimer

Exposition
Populations
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Professionnels
+

+ d’après les résultats de trois cohortes prospectives en 2013, de deux études cas-témoins et d’une méta-analyse incluant les études analysées en 2013 ; les nouvelles études ne modifient pas la force de la présomption.

Maladie de Parkinson

La maladie de Parkinson est la maladie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer. Elle est liée à la perte progressive des neurones dopaminergiques d’une structure mésencéphalique impliquée dans la régulation de l’activité des noyaux gris centraux, la substantia nigra pars compacta, qui joue un rôle important dans le contrôle de la motricité. Cette perte neuronale est caractérisée par la présence d’inclusions neuronales typiques (corps de Lewy) et l’agrégation de la protéine α-synucléine. À partir des bases de données de l’Assurance maladie, on estime que près de 170 000 personnes étaient traitées en France pour une maladie de Parkinson en 2015 (prévalence = 2,50 pour 1 000 personnes) et qu’il y a environ 25 000 nouveaux cas traités chaque année (incidence = 0,39 pour 1 000 personnes-années). L’incidence de la maladie de Parkinson est dans l’ensemble 1,5 fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie et d’après des projections réalisées sous l’hypothèse d’une incidence constante, il est prévu que le nombre de cas prévalents augmente progressivement pour atteindre 260 000 en 2030, soit environ 1 personne sur 120 parmi les plus de 45 ans.
L’expertise collective « Pesticides : Effets sur la santé » de l’Inserm en 2013 avait principalement examiné la littérature sur la relation entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la maladie de Parkinson. Elle concluait à l’existence d’une association entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la maladie de Parkinson, mais il était plus difficile de conclure quant à l’effet de pesticides spécifiques. Dans ses rapports de 2013 et 2016, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) arrivait à la même conclusion. D’après la méta-analyse la plus complète et détaillée disponible à cette date, l’association était plus particulièrement présente pour les herbicides et les insecticides. Parmi les herbicides, certaines études retrouvaient une association avec le paraquat ou le 2,4-D. Parmi les insecticides, plusieurs études retrouvaient des arguments en faveur d’une association avec les insecticides organochlorés. La revue de la littérature toxicologique retrouvait également des arguments en faveur du rôle de certains pesticides ou familles de pesticides dans différents mécanismes impliqués dans l’étiologie de la maladie de Parkinson (stress oxydant et dysfonctionnement mitochondrial, activation du métabolisme de la dopamine, formation d’agrégats cytoplasmiques d’α-synucléine, apoptose).
Plusieurs revues et méta-analyses ont été publiées depuis la précédente expertise collective. Dans l’ensemble, toutes les méta-analyses confirment l’existence d’une association entre l’exposition aux pesticides, principalement d’origine professionnelle, et la maladie de Parkinson et n’apportent pas d’élément nouveau par rapport aux méta-analyses discutées dans l’expertise collective de 2013. Quelques études nouvelles, dont trois en France (deux cohortes et une cas-témoins), retrouvent une augmentation de la fréquence de la maladie de Parkinson chez les agriculteurs et une association avec l’exposition professionnelle aux pesticides ; certaines de ces études mettent en évidence une relation dose-effet et montrent qu’en plus de la durée, l’intensité d’exposition est importante à prendre en compte. Concernant les analyses par famille ou substances actives de pesticides, deux méta-analyses sur le paraquat montrent des associations significatives, ce qui va dans le sens des résultats de 2013. La cohorte AGRICAN a exploré le lien avec 14 pesticides (11 fongicides dithiocarbamates, le paraquat, le diquat et la roténone). Les analyses ont montré une association pour l’ensemble de ces substances mais après ajustement sur l’exposition à au moins un autre pesticide, seule l’association pour le zirame et le zinèbe restait significative, et à la limite de la significativité pour le mancopper. Dans des analyses prenant en compte la durée d’exposition, une tendance significative existait pour 7 des 14 matières actives ; lorsque les analyses étaient ajustées sur l’exposition à au moins un autre pesticide (sans distinction), la tendance était significative pour le mancopper (p = 0,04), il n’existait pas de tendance pour le zinèbe et le zirame. Une cohorte néerlandaise mentionne une augmentation du risque pour le bénomyl mais les résultats ne sont pas corroborés par la cohorte AHS.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Professionnels
++
Herbicides (sans distinction)
 
++
Insecticides (sans distinction)
 
++
Pesticides (sans distinction)
Population générale ou riverains
des zones traitées
±

++ d’après les résultats de la méta-analyse la plus récente en 2013 ; plusieurs méta-analyses supplémentaires ne modifient pas la conclusion.
± d’après les résultats d’une étude cas-témoins en 2013 et d’études écologiques récentes Données nouvelles

L’expertise collective de 2013 avait pointé le manque d’études sur le rôle de l’exposition environnementale aux pesticides. Seules les études cas-témoins à partir du registre de ventes de pesticides en Californie étaient disponibles à cette date. L’exposition environnementale aux pesticides était évaluée en combinant les lieux de résidence et de travail avec un registre de ventes de pesticides, grâce à un système d’information géographique. Il existait une association entre l’exposition environnementale à certains pesticides traceurs et la maladie de Parkinson. Depuis, plusieurs études, avec des méthodologies différentes, ont été publiées dans d’autres pays, mais également en France, permettant d’apporter des éléments d’information complémentaires. Elles retrouvent des arguments en faveur d’une augmentation du risque de maladie de Parkinson en relation avec l’exposition environnementale aux pesticides ou l’habitat à proximité de terrains agricoles traités. Elles rapportent des associations pour quelques substances actives (mancozèbe et manèbe), mais il s’agit souvent d’études écologiques avec des indicateurs d’exposition peu précis et des études complémentaires, idéalement à partir de données individuelles, sont encore nécessaires.
Aussi bien pour l’exposition professionnelle qu’environnementale aux pesticides, il reste difficile de mettre en évidence le rôle de produits ou de familles de produits spécifiques. Les études dont on dispose se sont intéressées souvent à des produits différents, et donc ne se recoupent que très partiellement et les analyses statistiques ne prennent pas toujours bien en compte la question des expositions corrélées à plusieurs produits. Néanmoins, hormis les substances déjà identifiées en 2013 (paraquat, roténone et insecticides organochlorés notamment la dieldrine), deux nouvelles méta-analyses récentes confirment le lien avec le paraquat (+), mais les résultats pour la dieldrine sont inchangés et le niveau de présomption d’un lien reste faible (±) et ne figure pas dans le tableau. Les nouvelles études évoquent des associations avec les familles ou matières actives suivantes : insecticides organophosphorés, fongicides dithiocarbamates (mancozèbe, manèbe, zinèbe, zirame, mancopper) et carbamates (bénomyl). Certains de ces résultats s’appuient sur des études écologiques, sont à la limite de la significativité statistique ou bien posent la question des corrélations entre produits et n’ont pas été inclus dans le tableau (organophosphorés, mancozèbe, manèbe, bénomyl) et mériteraient d’être confirmés par des études complémentaires.
Enfin, on note qu’aucune étude ne permet d’aborder le rôle des expositions précoces aux pesticides, que cela soit pendant la grossesse ou dans l’enfance.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque de maladie de Parkinson

Famille
Substances actives
Population
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Insecticides
Professionnels
++
Dithiocarbamates (fongicides)
  
Mancopper
Agriculteurs
±
Zinèbe
Agriculteurs
±
Zirame
Agriculteurs
±
Autres
  
Paraquat
Agriculteurs
a
Roténone
Agriculteurs
b

++ d’après les résultats de plusieurs études de cohorte
+ a d’après les résultats d’une cohorte en 2013 et deux méta-analyses (qui reprennent essentiellement des études analysées en 2013) ; les nouvelles études ne modifient pas le niveau de la présomption ; + b d’après les résultats d’une cohorte en 2013
± d’après les résultats d’une cohorte (AGRICAN) Données nouvelles

Sclérose latérale amyotrophique

La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une affection neurodégénérative progressive responsable d’une faiblesse musculaire associée à une rigidité s’étendant progressivement et responsable du décès en raison de difficultés respiratoires et de troubles de la déglutition. Elle est secondaire à la dégénérescence des neurones moteurs de la moelle épinière (corne antérieure), du tronc cérébral et du cortex cérébral. La médiane de la durée d’évolution après les premiers symptômes est en moyenne de 30 mois et après le diagnostic de 19 mois.
La SLA est la plus fréquente des maladies du motoneurone et on estime que près de 2 200 personnes ont développé une maladie du motoneurone chaque année en France sur la période 2012-2014. Plusieurs études suggèrent que la mortalité et l’incidence de la SLA ont augmenté dans les dernières décennies mais les raisons qui expliqueraient cette évolution restent mal connues. Plusieurs facteurs, génétiques et environnementaux, interviennent vraisemblablement dans l’étiologie de la SLA. Parmi les facteurs de risque environnementaux, le tabagisme serait associé à une augmentation du risque de SLA de même que l’exposition au plomb, tandis que le rôle de l’activité physique et celui des traumatismes, notamment crâniens, reste débattu.
L’expertise collective Inserm de 2013 avait identifié une dizaine d’études sur la relation entre la SLA et l’exposition professionnelle aux pesticides. Deux méta-analyses étaient en faveur d’une association, mais les études qu’elles avaient prises en compte étaient hétérogènes, notamment quant aux méthodes d’évaluation de l’exposition. De plus, il était difficile d’évaluer l’existence d’un biais de publication compte tenu du petit nombre d’études disponibles. L’expertise avait conclu au besoin d’études de grande taille et comportant une évaluation de l’exposition plus précise (type de produits, durée d’exposition) afin de mieux caractériser la relation entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la SLA.
Depuis la précédente expertise, deux méta-analyses ont été publiées qui sont en faveur d’une association entre l’exposition, principalement professionnelle, aux pesticides et la SLA. Elles reposent sur des études qui avaient toutes été publiées en 2012 ou avant et la plupart avaient déjà été prises en compte dans les méta-analyses précédentes. L’association était similaire dans les études cas-témoins et de cohorte. Elle était en revanche plus forte chez les hommes que chez les femmes et dans les études ayant évalué l’exposition aux pesticides par des experts par rapport aux études reposant sur l’auto-déclaration de l’exposition. Il n’existait pas d’argument statistique pour un biais de publication.
Parmi les quatre nouvelles études publiées depuis la précédente expertise collective, certaines apportent des arguments en faveur d’une association entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la SLA, mais elles sont hétérogènes, notamment par rapport à l’évaluation des expositions et la prise en compte des facteurs de confusion. Deux études de cohorte ont été publiées, aux Pays-Bas et en France : l’une, qui repose sur un faible nombre de cas exposés, ne retrouve pas d’association et l’autre ne porte pas sur l’exposition aux pesticides, mais a montré une tendance à l’augmentation de l’incidence de la SLA chez les exploitants agricoles français par rapport à la population générale. Seules deux études se sont intéressées au rôle de l’exposition environnementale et ne permettent pas de conclure en raison de résultats discordants.
Ces nouvelles études ne modifient pas sensiblement les conclusions de l’expertise collective de 2013. Des études de grande taille et comportant une évaluation de l’exposition plus précise (type de produits, durée d’exposition) demeurent nécessaires afin de mieux caractériser la relation entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la SLA et de déterminer si l’exposition environnementale joue un rôle.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et sclérose latérale amyotrophique

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs
±

± d’après les résultats de deux méta-analyses en 2013, deux méta-analyses récentes (qui reprennent des études analysées en 2013), deux études de cohorte (Pays-Bas et France) et plusieurs études cas-témoins hospitalières ; pas d’études nouvelles qui soient informatives et qui permettent de modifier le niveau de la présomption

Pathologies cancéreuses

Certaines pathologies cancéreuses avaient déjà fait l’objet d’une analyse dans l’expertise 2013 et les données ont été réactualisées pour les cancers de l’enfant, les tumeurs du système nerveux central, les hémopathies malignes et le cancer de la prostate. De nouvelles pathologies ont été considérées dans cette expertise : le cancer du sein, les cancers du rein et de la vessie et les sarcomes des tissus mous et des viscères.

Cancers de l’enfant

En France, environ 1 700 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chaque année chez des enfants de moins de 15 ans. Ce nombre correspond à un taux d’incidence standardisé sur l’âge de l’ordre de 15,6 cas pour 100 000 enfants par an, comparable aux taux d’incidence observés globalement en Europe et en Amérique du Nord, même si des différences entre pays persistent pour certains types de cancer. Le taux d’incidence des cancers de l’enfant en France est par ailleurs assez stable depuis 2000. De par le monde, les cancers sont une des causes principales de décès chez les enfants. En France en particulier, ils sont la deuxième cause de décès chez les 1-14 ans, après les accidents.
Les principaux types de cancer diagnostiqués chez les enfants sont les leucémies aiguës (environ 30 % des nouveaux cas), les tumeurs du système nerveux central (SNC ; environ 25 %), les lymphomes (environ 10 %) et les tumeurs embryonnaires (environ 20 %, répartis en neuroblastomes, néphroblastomes, rhabdomyosarcomes, rétinoblastomes et hépatoblastomes).
Des étiologies différentes sont suspectées selon les types de cancers de l’enfant, mais elles sont encore mal connues. Les facteurs de risque qui sont établis pour les principaux groupes diagnostiques sont les rayonnements ionisants à forte dose et certains syndromes génétiques rares. Parmi les facteurs de risque fortement suspectés de jouer un rôle dans la survenue des cancers de l’enfant, on peut citer des prédispositions génétiques, des infections et l’exposition aux contaminants environnementaux, en particulier la pollution liée au trafic routier et les pesticides.
Sur la base des résultats de plusieurs méta-analyses publiées avant 2013, l’expertise collective Inserm de 2013 avait conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle et domestique aux pesticides (insecticides et herbicides sans distinction) de la mère pendant la grossesse et le risque de leucémie chez l’enfant. De même, l’exposition liée aux usages domestiques pendant l’enfance était associée au risque de leucémie avec une présomption forte.
Depuis, quatre méta-analyses ont été publiées, trois explorant l’exposition liée aux usages domestiques de produits pesticides par les parents (ou par des professionnels) et une à l’exposition professionnelle.
Ces méta-analyses récentes confirment l’augmentation du risque de leucémie aiguë chez les enfants lors d’une exposition maternelle aux pesticides due à un usage domestique pendant la grossesse et lors d’une exposition pendant l’enfance. La première, une analyse combinée des données du consortium Childhood Leukemia International Consortium (CLIC), a mis en évidence une augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) de 43 % chez les enfants dont les mères ont été exposées aux pesticides par les usages domestiques pendant la grossesse (9 études) ainsi qu’une augmentation de 55 % du risque de leucémie aiguë myéloïde (LAM ; 7 études). Une association était également rapportée entre l’exposition de l’enfant aux pesticides par les usages domestiques après sa naissance et le risque de LAL mais pas de LAM quelles que soient les catégories de pesticides utilisées (insecticides, herbicides, fongicides, rodenticides). La seconde méta-analyse confirme que l’exposition aux pesticides par les usages domestiques en périodes pré- et post-natale était associée globalement à une augmentation du risque de LAL (8 études) et de LAM (5 études), avec des élévations de risque du même ordre de grandeur que celles retrouvées dans la première méta-analyse. La troisième rapporte également un lien entre l’exposition aux pesticides pendant la grossesse et le risque de survenue de leucémies. Notons que les résultats de ces méta-analyses ne sont pas indépendants car elles incluent toutes les trois les études du CLIC dont la contribution est importante.
L’association positive observée précédemment entre l’exposition maternelle professionnelle pendant la grossesse et le risque de LAM chez l’enfant est confirmée par une méta-analyse réalisée à partir de 13 études du CLIC, auxquelles ont été ajoutées des études anciennes ne participant pas au consortium et d’autres études récentes. Ce travail a permis également de montrer un triplement du risque de LAM chez les enfants dont les mères ont été les plus exposées professionnellement aux pesticides pendant la grossesse (9 études). Une augmentation du risque de LAL est également suggérée, en particulier dans la méta-analyse du CLIC (plus de 8 000 cas de leucémies aiguës et 14 000 témoins) en cas d’exposition professionnelle paternelle aux pesticides en période préconceptionnelle. Les résultats des études incluses dans la méta-analyse étaient toutefois très hétérogènes.
Une méta-analyse sur les cancers de l’enfant et plusieurs études cas-témoins de petite taille suggèrent également une association entre l’exposition liée aux usages domestiques de pesticides et le risque de lymphomes non hodgkiniens chez l’enfant (présomption faible d’un lien).

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les hémopathies malignes de l’enfant

Exposition
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle maternelle aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse
Leucémies (LAM)
++ a
Exposition professionnelle paternelle aux pesticides (sans distinction) préconceptionnelle
Leucémies (LAL)
+
Exposition domestique (usages domestiques) aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse ou chez l’enfant
Leucémies (LAL et LAM)
++ b
Exposition domestique aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse ou chez l’enfant
Lymphomes non hodgkiniens
±

++ a d’après les résultats de deux méta-analyses en 2013 et une méta-analyse supplémentaire ; renforce les résultats de 2013
+ d’après une méta-analyse (avec hétérogénéité entre les résultats des études) et une étude cas-témoins Données nouvelles
++ b d’après les résultats de deux méta-analyses en 2013, et de trois méta-analyses supplémentaires ; renforce les résultats de 2013
± d’après les résultats d’une méta-analyse de trois études et les résultats de plusieurs études de petite taille Données nouvelles
LAL : leucémie aiguë lymphoblastique ; LAM : leucémie aiguë myéloïde.

L’expertise collective Inserm de 2013 avait également conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides du père et de la mère pendant la période prénatale et le risque de tumeurs du système nerveux central (SNC) chez l’enfant. Les études récentes sur le lien entre l’exposition aux pesticides et le risque de tumeurs du SNC chez l’enfant sont peu nombreuses et ont porté principalement sur l’exposition liée aux usages domestiques de pesticides (insecticides et herbicides) pendant la grossesse et l’enfance.
Deux méta-analyses ont été publiées, l’une incluant 18 études publiées entre 1979 et 2016, et l’autre une partie seulement de ces études. Les auteurs de la première méta-analyse ont rapporté une association positive entre l’exposition par usages domestiques aux pesticides et le risque de tumeurs du SNC chez l’enfant avec une augmentation du risque de 26 %. Les analyses montraient une association positive du même ordre de grandeur par catégorie de pesticides (insecticides, herbicides) et une association avec le risque de gliomes était suggérée.
Récemment, une étude cas-témoins, regroupant les données de deux études françaises (études ESCALE et ESTELLE) réalisées en population générale, a mis en évidence une association positive entre l’utilisation domestique de produits pesticides (principalement des insecticides) par la mère pendant la grossesse et le risque de tumeur du SNC chez l’enfant, avec une augmentation du risque de 40 %, observée globalement et pour les principaux types de tumeurs du SNC (épendymomes, tumeurs embryonnaires, gliomes).
Ainsi, de manière cohérente, une augmentation du risque de tumeurs du SNC chez l’enfant a été rapportée. Ces résultats concernent les tumeurs du SNC dans leur ensemble, les études ne permettant pas d’établir des conclusions fermes pour les différents sous-types.
À l’heure actuelle, les études géographiques s’intéressant aux cancers de l’enfant (leucémies et tumeurs du SNC principalement) en lien avec soit la présence de cultures, soit l’utilisation de pesticides agricoles à proximité du domicile, sont encore peu nombreuses. Les résultats sont hétérogènes et ne permettent pas de conclure à une présomption de lien.
Des associations positives avec l’exposition aux pesticides sont suggérées pour d’autres types de cancers de l’enfant (tumeurs embryonnaires, en particulier), mais l’état actuel des connaissances épidémiologiques ne permet pas de conclure de manière définitive.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et tumeurs du système nerveux central de l’enfant

Exposition
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle des parents aux pesticides (sans distinction) pendant la période prénatale
Tumeurs du système nerveux central
++ a
Exposition domestique (usages domestiques) aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse ou chez l’enfant
Tumeurs du système nerveux central
++ b

++ a d’après les résultats d’une méta-analyse en 2013
++ b d’après les résultats de deux méta-analyses et d’une étude cas-témoins Données nouvelles

Tumeurs du système nerveux central de l’adulte

Les tumeurs primitives du système nerveux central (SNC) regroupent des entités diverses qui se développent à partir de cellules spécialisées. On distingue de nombreux types histologiques, qui sont classés selon leur origine en plusieurs groupes ; principalement les tumeurs neuroépithéliales (représentées en majorité par les gliomes), les tumeurs des méninges, les tumeurs des nerfs crâniens et les lymphomes primitifs du SNC. Les tumeurs neuroépithéliales représentent près de la moitié des tumeurs du SNC. Elles ont pour origine, soit les neurones, soit les cellules gliales entourant les neurones.
Les tumeurs du système nerveux central sont rares et les formes malignes représentent 1,5 % de toutes les formes de cancer en France. Le taux d’incidence des formes malignes est d’environ 11 cas pour 100 000 personnes-années. Si l’on ajoute les tumeurs dites bénignes (et en particulier les méningiomes), dont le pronostic peut également être défavorable, le taux d’incidence atteint 20 pour 100 000 personnes-années selon le registre de Gironde. En dehors des radiations ionisantes et de certains syndromes génétiques particuliers, les tumeurs du système nerveux central, quel que soit leur type histologique, ne disposent à ce jour d’aucun facteur étiologique établi.
Lors de l’expertise collective réalisée en 2013, le nombre d’études portant sur le lien entre tumeurs cérébrales et pesticides était d’environ une vingtaine si on ne prend pas en compte les cohortes historiques et les études cas-témoins professionnelles générales (c’est-à-dire s’appuyant sur les intitulés des professions sans estimation précise des expositions) qui n’explorent que très imparfaitement l’exposition aux pesticides ou portent sur un nombre de cas très faible.
À partir de ces données, l’expertise collective de 2013 avait conclu à une présomption faible d’un lien entre l’exposition aux pesticides dans les populations agricoles et les tumeurs cérébrales (gliomes et méningiomes) mais n’avait pas pu conclure concernant des matières actives précises. Seule une élévation de risque significative d’incidence de tumeurs cérébrales était rapportée dans la cohorte Agricultural Health Survey (AHS) chez les personnes ayant le niveau d’exposition au chlorpyrifos le plus élevé.
Depuis, 12 études nouvelles ont été réalisées dont 1 méta-analyse, 7 analyses de cohorte (4 dans l’AHS et 3 dans AGRICAN) et 4 études cas-témoins.
Alors que les précédentes méta-analyses portaient de manière large sur les tumeurs cérébrales en milieu agricole, sans distinction du type de tumeur ou du schéma d’études et sans prise en compte de l’exposition aux pesticides, la nouvelle méta-analyse était centrée sur 11 études cas-témoins ayant estimé le risque de gliomes chez les adultes en lien avec l’exposition aux pesticides. Elle conclut à une élévation de risque de 15 % non statistiquement significative, mais souligne le faible nombre d’études et l’hétérogénéité existant entre elles.
Les quatre nouvelles études cas-témoins ont été menées en Italie (deux études), en France et en Inde. En Italie, les deux études cas-témoins hospitalières, menées dans deux provinces différentes, ont mis en évidence des élévations de risque chez les agriculteurs, pour l’une de l’ordre du doublement et pour l’autre du triplement de risque. En France, l’étude CERENAT a inclus environ 600 cas et 1 200 témoins en Gironde, dans le Calvados, la Manche et l’Hérault. En se basant sur le calendrier résidentiel recueilli sur la vie entière, l’analyse a pris en compte l’exposition liée à la proximité résidentielle de zones agricoles. Des tendances à une élévation du risque de méningiome ont été observées pour les personnes ayant résidé dans des zones de grandes cultures, de vignes ou de vergers. Cette élévation devenait statistiquement significative pour les scores d’exposition les plus élevés à proximité de grandes cultures. En Inde, dans une région fruitière, une baisse des niveaux d’acétylcholinestérase était observée chez les cas atteints de tumeurs cérébrales primitives. Ainsi, les quatre nouvelles études cas-témoins vont dans le sens d’une élévation du risque en milieu agricole mais ne permettent pas de préciser la force de l’association ni les substances potentiellement en cause.
Des résultats nouveaux ont également été produits par les deux grandes cohortes prospectives, AHS aux États-Unis et AGRICAN en France. Dans la cohorte américaine, des analyses chez les applicateurs de pesticides n’ont pas mis en évidence de lien avec l’alachlore et le métolachlore. En revanche, chez les conjointes des applicateurs, une élévation du risque de gliomes était observée en lien avec l’utilisation d’organochlorés, en particulier chez celles qui avaient utilisé du lindane. Chez ces mêmes conjointes, il n’était pas mis en évidence d’association significative avec les organophosphorés. Le suivi de la cohorte AGRICAN jusqu’en 2011 a également permis de produire de nouvelles données sur les tumeurs du système nerveux central. Les personnes ayant travaillé dans au moins une culture ou un élevage présentaient une élévation du risque de tumeur, aussi bien pour les méningiomes que pour les gliomes. Les risques étaient plus élevés pour certaines cultures : pois fourrager, betteraves, pommes de terre. Par ailleurs, les utilisateurs de pesticides avaient deux fois plus de risque de développer une tumeur du système nerveux central que les autres participants de la cohorte. Des analyses spécifiques ont été menées pour les pesticides carbamates (insecticides, fongicides et herbicides). L’exposition à ces substances augmentait le risque de gliomes et de méningiomes, d’autant que l’exposition était longue, et plus importante pour certaines substances, avec des niveaux de risque pouvant atteindre le triplement ou le quadruplement.
Des données issues des études mécanistiques sur le lindane, le chlorpyrifos et certains membres de la famille des carbamates sur des modèles neuronaux renforcent la plausibilité d’un lien avec la survenue de tumeurs du système nerveux central. En effet, le lindane, un cancérogène avéré, perturbe la synthèse et le transport de protéines. Plusieurs pistes peuvent être évoquées pour expliquer un effet cancérogène du chlorpyrifos ou de ses métabolites : i) un blocage de la différenciation et un maintien dans un état prolifératif par diminution des niveaux d’AMPc ou production d’espèces réactives de l’oxygène, et ii) une survie cellulaire favorisée par une augmentation de l’activité de la transglutaminase 2. Des effets mutagènes ou génotoxiques ont été mis en évidence pour les carbamates, mais à des doses relativement élevées. Deux membres de cette famille, le manèbe et le zirame, ont été particulièrement étudiés dans le cadre de la maladie de Parkinson et leurs effets suspectés de contribuer à cette pathologie (agrégation de protéines, activité pro-oxydant) peuvent également expliquer certains processus de cancérogénicité. En outre, d’autres mécanismes potentiellement impliqués ont été mis en lumière tels que la perturbation endocrinienne ou métabolique, la mitotoxicité, des effets immunomodulateurs, ou la modification de la distribution d’autres contaminants. Ces effets mériteraient d’être validés sur d’autres modèles expérimentaux (co-cultures, systèmes 3D, « organoïdes de cerveaux ») et à travers des études réalisées sur ces pesticides en mélange ou en présence d’autres cancérogènes.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et tumeurs du système nerveux central (gliomes et méningiomes)

Exposition
Populations concernées par un excès de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Populations agricoles
+

+ d’après les résultats de trois méta-analyses, d’études de cohorte et d’études transversales en 2013, et les résultats de deux études de cohorte (AHS et AGRICAN) et de quatre études cas-témoins Niveau de présomption passe de faible à moyen

Hémopathies malignes de l’adulte

Les hémopathies malignes sont des tumeurs atteignant les tissus hématopoïétiques, comme la moelle osseuse ou les tissus lymphoïdes (ganglions, rate...). Il s’agit de proliférations monoclonales qui se développent à partir des cellules sanguines ou du système immunitaire à différents stades de leur maturation. Les progrès réalisés dans la compréhension des hémopathies malignes ont entraîné de nombreux changements dans la façon dont ces maladies étaient classées, diagnostiquées et traitées. Depuis 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a produit une nouvelle classification consensuelle qui définit les tumeurs malignes hématologiques en fonction de leur lignée cellulaire, des anomalies génétiques et des caractéristiques cliniques, réactualisée en 2008 et 2016, et qui est incorporée dans la Classification internationale des maladies pour l’oncologie (CIM-O-3). On distingue d’abord les leucémies, qui sont des « tumeurs liquides » dans le sang, et dérivent de la transformation d’un précurseur hématopoïétique dans la moelle osseuse ou d’une cellule hématopoïétique mature dans le sang. Les leucémies peuvent être lymphoïdes ou myéloïdes, aiguës ou chroniques. Concernant les lymphomes, la transformation de lymphocytes dans un tissu lymphoïde secondaire génère le plus souvent une maladie se présentant cliniquement comme une tumeur solide. Les lymphomes sont classés en lymphome de Hodgkin (LH) ou en lymphome non hodgkinien (LNH) dont les sous-types sont nombreux.
La distinction des entités sur la base des caractéristiques morphologiques, phénotypiques, génotypiques et cliniques reflète un changement de paradigme dans l’approche de la classification des hémopathies malignes. Bien que le maintien des regroupements d’origine soit utile pour les comparaisons historiques, les statistiques descriptives contemporaines produisent, au moins dans les pays occidentaux, des données épidémiologiques détaillées par sous-types, pour refléter l’état actuel des connaissances. Dans un objectif de clarté, nous avons décidé de garder la structure en quatre groupes de l’expertise collective de l’Inserm publiée en 2013 (lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple, lymphome de Hodgkin et leucémie). En effet, cela permet au lecteur de se repérer et de comparer les nouvelles données épidémiologiques avec celles de la précédente expertise collective Inserm.

Lymphomes non hodgkiniens

Les LNH sont des proliférations monoclonales de lymphocytes à différents stades de leur différenciation. À bien des égards, les différents types de LNH semblent récapituler les étapes de différenciation normale des lymphocytes B ou T, et dans une certaine mesure, ils peuvent être classés selon la cellule normale correspondante. Cependant, ce n’est pas systématiquement le cas et la contrepartie normale de la cellule tumorale ne peut pas être la seule base de classification. La classification OMS distingue les types de LNH sur la base de caractéristiques morphologiques et immunologiques. Le stade de différenciation, la morphologie et les caractéristiques phénotypiques, génotypiques, et cliniques sont également utilisés pour distinguer les différents sous-types de LNH. Les LNH regroupent donc de nombreuses entités nosologiques différentes de par leur physiopathologie, leur diagnostic histologique, leur biologie et leur pronostic.
Les LNH représentent 60 % des hémopathies malignes avec environ 27 000 nouveaux cas en 2018 en France métropolitaine. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale sont respectivement de 25,5 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et de 16,1 chez la femme.
L’augmentation du nombre de cas entre 1990 et 2018 est de 123 % chez l’homme (7 000 à 15 500 cas incidents) et 109 % chez la femme (5 800 à 12 100 cas incidents) dont la moitié peut s’expliquer par l’augmentation et le vieillissement de la population. L’autre moitié de cette augmentation correspond à l’augmentation du risque, qu’il soit lié à l’amélioration du diagnostic, un meilleur accès aux soins ou à des facteurs de risque dont la prévalence augmente. Les variations annuelles moyennes des taux d’incidence standardisés sur la population mondiale sont de 1 % entre 1990 et 2018 chez l’homme et la femme. Les tendances évolutives de l’incidence varient selon les sous-types histologiques de LNH mais la majorité d’entre eux ont une évolution à la hausse.
Les principaux sous-types de LNH sont le lymphome diffus à grandes cellules B (taux d’incidence de 4,7 et 3,2 pour 100 000 personnes-années, respectivement chez l’homme et la femme en 2018 en France ; 5 071 nouveaux cas estimés en 2018), le lymphome folliculaire (taux d’incidence de 2,9 et 2,0 pour 100 000 personnes-années respectivement chez l’homme et la femme en 2018 en France ; 3 066 nouveaux cas en 2018), le lymphome de la zone marginale (taux d’incidence de 2,3 et 1,7 pour 100 000 personnes-années respectivement chez l’homme et la femme en 2018 en France ; 2 790 nouveaux cas en 2018). Ces trois hémopathies lymphoïdes ont une incidence qui augmente depuis les années 1990. À noter que le myélome multiple fait partie des hémopathies lymphoïdes les plus fréquentes. Il est aujourd’hui regroupé avec les LNH mais sera traité dans un paragraphe spécifique, de même que la leucémie lymphoïde chronique regroupée aujourd’hui avec le lymphome lymphocytique en une seule entité qui sera traitée dans le paragraphe sur les leucémies. Ces cinq maladies représentent 80 % des nouveaux cas de LNH diagnostiqués chaque année en France.
L’expertise collective « Pesticides : Effets sur la santé » de l’Inserm en 2013 avait conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides, sans distinction de familles chimiques ou de substances actives, chez les agriculteurs, chez les applicateurs de pesticides et chez les ouvriers de l’industrie de production de pesticides et le risque de survenue de LNH.
Plus spécifiquement, des associations entre LNH et familles ou substances actives de pesticides avaient également été recherchées mais la majorité des résultats par substances actives était issue de la cohorte américaine AHS. D’après les résultats de plusieurs études (cohortes ou études cas-témoins nichées ou études cas-témoins), les substances actives comme le lindane, le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), le terbufos, le diazinon, le malathion, le butilate, le 2,4-D phénoxyherbicide ou le glyphosate étaient spécifiquement associées à un excès de risque significatif dans des populations de professionnels (agriculteurs, applicateurs, éleveurs, ouvriers en industrie de production). Dans plusieurs autres situations, la présomption de lien reposait sur une seule étude cas-témoins (notée « ± »), lorsqu’étaient considérées d’autres familles ou substances actives ou lorsque les études concernaient des populations professionnelles plus largement définies que celle des agriculteurs ou des populations exposées en dehors de la profession. Aucune analyse par sous-types histologiques n’était disponible.
Depuis l’expertise collective de l’Inserm publiée en 2013, treize méta-analyses ont été publiées (deux abordent l’exposition à plusieurs familles ou substances actives, dix se focalisent sur une famille ou substance active particulière et la dernière s’intéresse aux éleveurs). Chacune présente des analyses par sous-types de LNH. Trois analyses de cohortes ont été publiées dont deux à partir des données de l’AHS et une de la cohorte en population générale Women’s Health Initiative. Enfin, trois études cas-témoins apportent également des résultats probants. Les deux premières méta-analyses sont les plus complètes mais de natures différentes, la première fait une revue exhaustive des études cas-témoins ou cohortes publiées puis rapporte des estimations d’associations entre les LNH et 21 familles de pesticides et 80 substances actives tandis que la seconde provient du consortium des cohortes d’agriculteurs (Agricoh) et étudie le rôle de l’exposition (14 familles de pesticides et 33 substances actives) sur le risque de survenue de LNH et de ses principaux sous-types.
De la première méta-analyse on peut retenir que plusieurs familles de pesticides étaient associées positivement avec le risque de LNH (phénoxyherbicides, insecticides carbamates, insecticides organophosphorés). Plusieurs substances actives étaient également associées au risque de survenue de LNH (lindane, dicamba, DDT, carbaryl, carbofuran, diazinon, malathion, glyphosate). Cependant, aucun effet-dose n’était évalué dans cette étude (analyse en oui/non). Le risque de lymphome B était associé à l’exposition aux phénoxyherbicides (de même que le lymphome diffus à grandes cellules B), au glyphosate et au DDT (tout comme le lymphome folliculaire). De la seconde méta-analyse provenant du consortium Agricoh, on retient que la plupart des associations testées étaient non statistiquement significatives, excepté pour les LNH et le terbufos ou le lymphome diffus à grandes cellules B et le glyphosate, après ajustement sur les autres pesticides. Aucun élément d’hétérogénéité entre les résultats des trois cohortes n’était objectivé.
Entre 2013 et 2019, dix autres méta-analyses ont étudié le lien entre une famille spécifique de pesticides ou une substance active et le risque de LNH : deux sur les organochlorés, une sur les organophosphorés, une sur les insecticides carbamates et organophosphorés, trois sur le glyphosate, deux sur le phénoxyherbicide 2,4-D et une sur le pentachlorophénol. La première sur les organochlorés rapporte une augmentation du risque de LNH avec la famille des organochlorés, et de fortes associations avec le dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE), l’hexachlorocyclohexane (HCH), l’hexachloro-benzène (HCB), et le chlordane. En revanche aucune association n’était observée avec le DDT. L’étude récente du North American Pooled Project rapporte des associations positives entre plusieurs substances actives organochlorées et différents sous-ensembles de LNH, en particulier pour le lindane, le chlordane et le DDT : le lindane avec le lymphome folliculaire, le lymphome diffus à grandes cellules B et le lymphome lymphocytique, le chlordane avec le lymphome folliculaire et le lymphome lymphocytique, et le DDT avec le lymphome diffus à grandes cellules B et le lymphome lymphocytique. Cette analyse suggère une hétérogénéité étiologique possible des LNH vis-à-vis de l’exposition aux substances actives étudiées.
Il ressort de la méta-analyse sur les organophosphorés qu’une augmentation statistiquement significative du risque de LNH était observée pour l’exposition à une des trois substances actives suivantes : malathion, diazinon, terbufos. Cette association était significative uniquement pour certains types d’études (cas-témoins ou cas-témoins nichées dans la cohorte). Certains de ces résultats sont retrouvés dans une autre méta-analyse portant sur l’exposition aux insecticides carbamates et organophosphorés, en particulier avec le malathion pour lequel le risque augmentait avec la durée de l’exposition rapportée par les agriculteurs. Ces résultats sont également observés pour les sous-types lymphome diffus à grandes cellules B et lymphome folliculaire. L’évaluation du rôle du mélange de tous les insecticides organophosphorés et carbamates montrait une association entre la durée d’exposition et le risque de LNH.
Concernant les méta-analyses centrées sur l’exposition au glyphosate, on peut retenir que le risque de LNH était augmenté selon les études de 30 à 45 % selon que l’on évaluait le risque chez l’ensemble des sujets (exposés versus non exposés) ou uniquement dans les groupes les plus exposés. Dans une méta-analyse regroupant les études cas-témoins, les ajustements sur les expositions aux autres pesticides diminuaient le risque, ce qui n’était pas observé dans la méta-analyse réalisée à partir des données de cohortes d’agriculteurs.
Concernant le 2,4-D, les auteurs s’intéressaient aux expositions les plus élevées de chaque étude et identifiaient une association positive statistiquement significative avec le risque de LNH. Cependant, une hétérogénéité inter-études modérée incite à une certaine prudence dans l’interprétation des résultats.
La dernière analyse de la cohorte AHS distinguait 26 familles de pesticides ou substances actives. L’association positive avec l’exposition au terbufos était retrouvée (sans effet-dose). En revanche, les risques de LNH associés à l’exposition au DDT ou lindane augmentaient avec le nombre total de jours d’exposition bien qu’aucune association ne soit observée en binaire (exposé/non exposé). Certaines associations entre substances actives et certains sous-types de lymphomes étaient observées mais reposaient sur un petit nombre de sujets exposés : lymphome folliculaire et lindane, diazinon.
À noter que la dernière analyse de la cohorte AHS centrée sur le glyphosate ne mettait pas en évidence d’élévation du risque avec les LNH ou ses principaux sous-types.
Enfin, dans la seule cohorte féminine en population générale publiée, les femmes de moins de 65 ans ayant appliqué au moins une fois des insecticides présentaient une élévation du risque de lymphome diffus à grandes cellules B. Ces résultats méritent d’être répliqués pour confirmer le lien entre l’exposition domestique aux insecticides et le risque de survenue des différents sous-types de LNH.
De même, une étude cas-témoins apporte de l’information sur l’exposition à 27 produits chimiques environnementaux corrélés, mesurés dans la poussière domestique : les résultats montraient une association positive entre l’index d’exposition mesuré et le risque de LNH et certains sous-types (lymphome folliculaire et lymphome de la zone marginale).
Enfin, il faut mentionner de nouveaux travaux étudiant le rôle de l’exposition professionnelle agricole aux pesticides sur le devenir du patient au cours de son traitement montrant que l’exposition professionnelle agricole aux pesticides était associée à un échec du traitement, à la survie sans évènement et à la survie globale des patients atteints de lymphome diffus à grandes cellules B.
L’ensemble des résultats renforce la présomption de lien entre la survenue de LNH et l’exposition aux pesticides qui reste forte, comme indiqué dans l’expertise de 2013.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et LNH

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers
en industrie de production
++

++ d’après les résultats de sept méta-analyses et d’une cohorte prospective (AHS) en 2013 ; les nouvelles études ne modifient pas le niveau de présomption.

La synthèse concernant les familles et substances actives impliquées dans les excès de risque significatifs de survenue de LNH a été actualisée. Le niveau de présomption de lien a été mis à jour d’après les résultats des études publiées depuis 2013 et classé en niveaux de présomption fort, moyen et faible. Les niveaux de présomption qui étaient forts en 2013 restent inchangés (lindane, DDT, organophosphorés et malathion), en revanche les niveaux de preuve pour le diazinon et le chlordane sont plus élevés qu’en 2013 avec un passage au niveau fort pour le diazinon. La présomption d’un lien entre le glyphosate et le risque de LNH dans des populations d’agriculteurs passe à un niveau plus élevé (de faible à moyen). Pour le dicamba, un niveau de présomption faible est rapporté pour la première fois. Le niveau de présomption reste faible pour les substances actives suivantes : aldrine, atrazine, carbaryl, carbo-furan, coumaphos, chlorpyrifos, MCPA, mécoprop, fonofos (non présentées dans le tableau).

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque de LNH

Famille
Substances actives
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Lindane (isomère γHCH)
Applicateurs, agriculteurs
++
HCH (mélange d’isomères)
Éleveurs
+
DDT
Agriculteurs
++
 
Professionnels
+
Chlordane*
Agriculteurs
+
Dicamba
Agriculteurs
±
Organophosphorés
  
Sans distinction
Agriculteurs
++
 
Personnes exposées (professionnellement ou par usage domestique)
+
Terbufos
Applicateurs
+
Diazinon*
Agriculteurs
++
Malathion
Agriculteurs
++
Carbamates / Dithiocarbamates
  
Sans distinction (carbamates)
Agriculteurs
+
Butilate
Applicateurs
+
Triazines
  
Sans distinction
Ouvriers en industrie de production
+
Phénoxyherbicides non contaminés par les dioxines
  
2,4-D
Agriculteurs
+
Aminophosphonate glycine
  
Glyphosate*
Agriculteurs, professionnels
+

++ au moins une méta-analyse et au moins une étude de cohorte
+ au moins une étude de bonne qualité (cohorte et/ou plusieurs études cas-témoins)
± deux études cas-témoins positives mais une méta-analyse négative de trois cohortes Données nouvelles
* Matière active pour laquelle le niveau de présomption est passé à un niveau plus élevé par rapport à 2013

Des éléments de preuves étaient également décrits concernant des populations particulières chez qui un risque accru de LNH était observé pour des expositions à des familles ou substances particulières de pesticides. Il s’agissait en particulier des agriculteurs porteurs d’une translocation chromosomique t(14 ; 18) mais aussi des agriculteurs présentant un antécédent d’asthme ou d’hémopathie maligne, il n’y a pas de changement par rapport aux conclusions de 2013 (tableau non présenté). En revanche, l’approche par sous-types de LNH qui s’est développée depuis 2013 a apporté des résultats intéressants concernant des hypothèses de lien entre certaines substances actives ou familles de pesticides avec des sous-types histologiques de LNH.
Un chapitre complet a été consacré aux mécanismes d’action des pesticides dans les hémopathies dans la précédente expertise et seuls quelques éléments de toxicologie seront abordés ici et concerneront les substances actives pour lesquelles l’analyse de la littérature épidémiologique a révélé des présomptions fortes de liens : malathion, diazinon (organophosphorés), DDT et lindane (organochlorés).
La précédente expertise collective avait conclu que certains organophosphorés sont des composés que l’on peut considérer comme génotoxiques et pro-oxydants en lien avec l’activation de certaines voies de signalisation impliquées dans la régulation de la prolifération et de la survie cellulaire. Des études récentes confirment que les mécanismes d’action du malathion et du diazinon sont principalement la production d’espèces réactives de l’oxygène associée à un état inflammatoire et à une génotoxicité. Les propriétés immunosuppressives potentielles du malathion pourraient être également à l’origine du développement d’hémopathies malignes. Des résultats récents suggèrent aussi des effets de perturbation endocrinienne pour le malathion, et des altérations des profils de méthylation de l’ADN pour le diazinon.
Concernant les organochlorés, l’expertise collective de 2013 avait conclu sur la base d’études menées sur plusieurs modèles cellulaires et en particulier dans les lymphocytes humains, que le DDT et son métabolite, le DDE, pouvaient être considérés comme des molécules pro-œstrogéniques et génotoxiques en partie par la production d’un stress oxydant. Des effets immuno-modulateurs ont aussi été observés avec une inhibition de la fonction des cellules NK (natural killer), cellules du système immunitaire qui ont pour propriété de lyser les cellules tumorales. Ce type d’inhibition était aussi décrit pour le lindane. Une publication récente confirme son effet génotoxique. De plus, le lindane est susceptible d’induire un stress oxydant et d’activer les processus pro-apoptotiques dans des lymphocytes humains, ce qui est cohérent avec les effets immunosuppresseurs décrits pour le DDT.
Les effets mécanistiques des organochlorés (production d’un stress oxydant, apoptose et immunomodulation, génotoxicité) caractérisés dans la littérature à ce jour sont en faveur de la plausibilité d’une relation entre l’exposition chronique de ces composés et l’apparition d’hémopathies malignes. Par ailleurs, bien que ces composés soient potentiellement persistants, leur capacité à activer l’expression de cytochromes P450 (probablement par liaison à des récepteurs de xénobiotiques, également facteurs de transcription), pourrait modifier le métabolisme de nombreux organes dont le compartiment lymphocytaire et favoriser un phénotype tumoral. Cette hypothèse intéressante mériterait d’être investiguée.

Myélome multiple

Le myélome multiple (MM) est une des hémopathies malignes les plus fréquentes en France. Il est caractérisé par la présence d’une infiltration de la moelle osseuse par des plasmocytes, la présence d’une protéine monoclonale non IgM (sérique et/ou urinaire) et de lésions osseuses (lacunes à l’emporte-pièce ou déminéralisation osseuse). On estime à 5 442 le nombre de nouveaux cas de MM en France métropolitaine en 2018. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale sont respectivement de 4,2 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et de 2,9 chez la femme (rapport hommes/femmes égal à 1,4). L’âge médian du MM au diagnostic est de 70 ans chez l’homme et de 74 ans chez la femme. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale ont augmenté durant la période d’étude chez l’homme et la femme avec une variation annuelle moyenne de +1,1 % chez l’homme et +0,6 % chez la femme. Entre 1995 et 2018, le nombre de cas de MM est passé de 1 440 à 2 822 chez les hommes et de 1 510 à 2 620 chez les femmes. Cette augmentation, de 96 % chez l’homme et 74 % chez la femme, est attribuable aux changements démographiques pour respectivement 58 % et 43 % alors que 38 % et 31 % de l’augmentation sont attribuables au risque (dont une part est liée à l’amélioration du diagnostic, de l’accès aux soins ou liée aux facteurs de risque).
À partir des données de six méta-analyses et deux cohortes (AHS et cohorte nord-européenne), l’expertise collective Inserm de 2013 a conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides, sans distinction de familles chimiques ou de substances actives, chez les agriculteurs et les applicateurs de pesticides et le risque de survenue de MM. L’expertise de 2013 n’avait pas pu conclure à un excès de risque entre l’exposition à des substances actives et la survenue de MM.
Depuis l’expertise collective de l’Inserm publiée en 2013, cinq méta-analyses ont été publiées, deux à partir de données de trois cohortes d’agriculteurs, une spécifiquement centrée sur l’exposition au glyphosate et deux analyses « poolées » d’études cas-témoins dont une abordant des expositions à des pesticides spécifiques (carbaryl, captane et DDT). Les deux méta-analyses réalisées à partir des données de trois cohortes de travailleurs agricoles retrouvent des associations modérées avec l’usage de certaines substances actives mais aucune association statistiquement significative n’est mise en évidence entre l’exposition à la plupart des familles ou substances étudiées et le risque de MM. En revanche, un risque significativement élevé chez les éleveurs de volailles ou de moutons a été observé. Ce risque avait été mis en évidence dans la cohorte AHS. Les deux analyses « poolées » du consortium InterLymph réalisées à partir d’études cas-témoins des années 1980 à 2000 réalisées en population générale montraient que la profession de jardinier/ouvrier de pépinière était associée au risque de survenue d’un MM, à la limite de la significativité statistique (mais pas la profession d’agriculteur) et que les utilisations de carbaryl, de captane ou de DDT étaient toutes trois associées à un risque élevé de MM avec des risques statistiquement significatifs.
Concernant le glyphosate, une méta-analyse d’études cas-témoins montrait un risque élevé de MM statistiquement significatif chez les agriculteurs exposés au glyphosate sans hétérogénéité entre les études et sans identification de biais de publication. Cette association était robuste à plusieurs analyses secondaires. En revanche, la récente ré-analyse de la cohorte AHS ne mettait pas en évidence d’association entre l’exposition au glyphosate et le risque de MM.
La dernière analyse de la cohorte AHS mettait en évidence une association statistiquement significative entre l’exposition à la perméthrine et le risque de MM avec des risques qui augmentent avec l’exposition (p de tendance = 0,002).
La cohorte AGRICAN montrait un risque élevé de MM chez les agriculteurs et en particulier ceux ayant commencé à utiliser des pesticides sur les cultures dans les années 1960, sur le maïs, et ceux qui utilisaient des insecticides sur les animaux.
Enfin, une étude cas-témoins canadienne montrait des tendances positives du risque de MM avec le nombre de pesticides utilisés, pour les fongicides et les pesticides classés comme cancérogènes probables par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Les hommes ayant déclaré utiliser au moins un pesticide carbamate, un phénoxyherbicide ou trois organochlorés ou plus avaient un risque accru de MM. L’herbicide mécoprop (utilisation supérieure à 2 jours par an) était également significativement associé au risque de MM.
En conséquence, la présomption d’un lien entre exposition professionnelle aux pesticides et MM reste forte car basée sur plusieurs méta-analyses de bonne qualité montrant des associations significatives.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et myélome multiple

Exposition
Populations concernées par un
excès de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs
++
 
Éleveurs
+

++ d’après les résultats de six méta-analyses et de deux cohortes prospectives (AHS et cohorte nord-européenne) en 2013 ; les nouvelles études ne modifient pas le niveau de présomption.
+ d’après les résultats d’une méta-analyse réalisée à partir de trois cohortes Données nouvelles

Le niveau de preuve pour distinguer les substances actives en lien avec le MM reste faible mais permet d’en retenir plusieurs, ce qui n’était pas le cas en 2013. L’exposition à la perméthrine est associée à un risque accru de MM, avec des risques qui augmentent avec l’exposition (tendance significative, AHS). Cette exposition entraîne des altérations des paramètres hématologiques pouvant indiquer une hématopoïèse perturbée, ce qui apporte des arguments à la plausibilité biologique de l’association observée entre l’utilisation de perméthrine et le risque de MM chez les applicateurs de pesticides. On peut noter une association positive avec le glyphosate dans une méta-analyse (études cas-témoins) qui n’est cependant pas retrouvée dans la méta-analyse des trois cohortes d’agriculteurs (États-Unis, France, Norvège), ni la dernière analyse de la cohorte AHS. On peut citer des associations avec le carbaryl, le captane et le DDT qui reposent uniquement sur une étude cas-témoins bien faite. Pour ces molécules la présomption de lien est considérée comme faible (±).

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque de myélome multiple

Famille
Substances actives
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
DDT
Population générale
±
Carbamates
  
Carbaryl
Population générale
±
Pyréthrinoïdes
  
Perméthrine
Applicateurs
+
Aminophosphonate glycine
  
Glyphosate
Agriculteurs
± a
Autres
  
Captane
Population générale
±

+ d’après les résultats d’une cohorte en 2013, confirmé au suivi (AHS) Données nouvelles
± d’après les résultats d’une analyse « poolée » de trois études cas-témoins Données nouvelles
± a d’après les résultats d’une méta-analyse de trois études cas-témoins et deux analyses de la cohorte AHS qui se recoupent Données nouvelles

Lymphome de Hodgkin

Le lymphome de Hodgkin est une maladie qui atteint les ganglions superficiels ou profonds sur lesquels l’histologie affirme le diagnostic d’une prolifération monoclonale de lymphocytes B composée en proportion variable de cellules mononucléées de Hodgkin, de cellules plurinucléées de Reed-Sternberg, au sein d’un infiltrat réactionnel composite. Le lymphome de Hodgkin représente environ 10 % des lymphomes avec un nombre de nouveaux cas en 2018 estimé en France à 2 130 cas. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale sont respectivement de 3,7 et 2,7 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et la femme en 2018 en France métropolitaine (rapport hommes/femmes égal à 1,4). L’âge médian de survenue du lymphome de Hodgkin est de 33 ans chez la femme et de 38 ans chez l’homme. Les taux d’incidence augmentent entre 1990 et 2018 de 1,2 % en moyenne par an chez l’homme et de 1,7 % chez la femme. La majeure partie de cette tendance à la hausse est attribuable à une augmentation du risque alors qu’une faible partie est attribuable à des changements démographiques.
À partir des données de quatre méta-analyses et d’une cohorte prospective, l’expertise collective Inserm de 2013 a conclu à la présomption faible d’un lien entre le risque de survenue de lymphome de Hodgkin et l’exposition aux pesticides, sans distinction de familles chimiques ou de substances actives, dans le secteur professionnel agricole. L’expertise de 2013 n’avait pas pu conclure à un excès de risque entre l’exposition à des substances actives et la survenue de lymphome de Hodgkin.
La littérature scientifique publiée depuis 2013 est peu abondante avec seulement trois études. Une méta-analyse (basée sur deux études cas-témoins) et une mise à jour de la cohorte AHS, toutes deux centrées sur l’exposition au glyphosate et basées sur des effectifs faibles, qui ne montrent aucune association avec l’exposition au glyphosate. La troisième étude est une étude cas-témoins canadienne en population générale ; elle montre une association avec le chlorpyrifos et repose également sur de faibles effectifs. Une seconde analyse de cette étude rapporte un risque élevé de lymphome de Hodgkin associé à l’utilisation d’au moins trois pesticides classés comme « probablement cancérogènes » chez l’être humain par le Circ. Enfin, le risque chez les sujets de moins de 40 ans ayant déclaré avoir utilisé deux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase était également augmenté significativement.
En conséquence, la présomption d’un lien entre exposition professionnelle aux pesticides et lymphome de Hodgkin n’est pas modifiée par rapport à 2013.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et lymphome de Hodgkin

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Professionnels du secteur agricole
±

± d’après les résultats de quatre méta-analyses et d’une cohorte prospective (AHS) en 2013 ; et d’une méta-analyse (deux études cas-témoins), de la mise à jour de la cohorte AHS et d’une étude cas-témoins canadienne ; les données nouvelles ne modifient pas le niveau de présomption par rapport à 2013.

Leucémies

Les leucémies sont des proliférations monoclonales de cellules du tissu hématopoïétique (tel que la moelle osseuse), bloquées à différents stades de différenciation et circulant dans le sang. Le type de leucémie dépend du type de cellule sanguine transformée (lymphoïde/myéloïde) et de la croissance rapide ou lente de cette dernière (leucémie aiguë ou chronique). Au sein de chaque groupe de leucémies (lymphoïde ou myéloïde), de nombreux sous-types sont identifiés selon des données morphologiques, immunophénotypiques, génétiques et cliniques.
La leucémie survient le plus souvent chez les adultes de plus de 55 ans, mais il s’agit également du cancer le plus répandu chez les enfants de moins de 15 ans (voir chapitre « Cancers de l’enfant »). Les deux types les plus fréquents de leucémie sont la leucémie lymphoïde chronique regroupée aujourd’hui avec le lymphome lymphocytique (LLC/LL) en une seule entité (incidence standardisée sur la population mondiale en France en 2018 respectivement 4 et 2 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et la femme ; 4 700 nouveaux cas en 2018) et la leucémie aiguë myéloïde (LAM) (respectivement 3 et 2 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et la femme en 2018 en France ; 3 450 nouveaux cas en 2018). D’autres formes sont plus rares comme la leucémie/lymphome lymphoblastique à cellules précurseurs (900 nouveaux cas en France en 2018), la leucémie myéloïde chronique (870 nouveaux cas en 2018), ou la leucémie à tricholeucocytes (300 nouveaux cas en 2018). Les tendances de l’incidence sont à la hausse pour la leucémie aiguë myéloïde (variation annuelle moyenne d’environ 1 % dans les deux sexes) et la leucémie à tricholeucocytes chez l’homme (cette leucémie rare étant 5 fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme).
À partir des données de sept méta-analyses et d’une cohorte prospective, l’expertise collective Inserm de 2013 a conclu à la présomption moyenne d’un lien entre l’exposition aux pesticides, sans distinction de familles chimiques ou de substances actives, chez les agriculteurs, les applicateurs et les ouvriers de l’industrie de production, et le risque de survenue de leucémies. L’approche par familles chimiques avait permis d’identifier les substances actives potentiellement concernées, principalement des organochlorés et organophosphorés (tableau ci-dessous).
Depuis 2013, trois méta-analyses ont été publiées : deux réalisées à partir des données combinées de trois cohortes d’agriculteurs (AHS, AGRICAN, CNAP), la troisième s’adressant spécifiquement à l’exposition au glyphosate (trois études cas-témoins). Deux mises à jour de la cohorte AHS ont été publiées, l’une porte sur un large panel de substances actives tandis que l’autre est focalisée sur l’exposition professionnelle au glyphosate. Enfin, les analyses « poolées » réalisées dans le cadre du consortium InterLymph portent sur les principaux facteurs de risque de leucémies lymphoïdes (leucémie lymphoïde chronique, leucémie aiguë lymphoblastique, leucémie à tricholeucocytes) analysés simultanément parmi lesquels la profession d’agriculteur.
Au regard des résultats de ces études, qui rapportent toutes des associations entre le métier d’agriculteur et/ou l’utilisation de substances particulières et le risque de leucémies, la présomption d’un lien entre exposition professionnelle aux pesticides et leucémies reste moyenne.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et leucémies

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers
en industrie de production
+

+ d’après les résultats de sept méta-analyses et d’une cohorte prospective (AHS) en 2013, et de deux méta-analyses supplémentaires ; les données nouvelles ne modifient pas le niveau de présomption par rapport à 2013.

Chacune des études publiées depuis 2013 distingue le type de leucémie étudiée et porte principalement sur les plus fréquentes (LLC/LL, leucémie aiguë lymphoblastique) mais aussi sur des sous-types plus rares, anciennement étudiés, comme la leucémie à tricholeucocytes. Des éléments de preuve sont observés concernant la LLC/LL : une association avec l’exposition professionnelle à la deltaméthrine à partir d’une méta-analyse de trois cohortes (sans information sur un éventuel effet-dose) ; une association avec le terbufos avec une tendance à une augmentation du risque avec le nombre total de jours d’exposition (cohorte AHS) ; une association avec le DDT chez les plus fortement exposés (cohorte AHS). La majorité des associations identifiées repose sur un faible nombre de personnes exposées. Aucune association n’est observée avec le glyphosate ni avec la plupart des substances évaluées. Concernant le risque de leucémie aiguë myéloïde, une association positive avec l’utilisation de glyphosate est suggérée (cohorte AHS). Malgré des effectifs faibles liés à la rareté de la leucémie à tricholeucocytes, le risque d’occurrence de ce type de leucémie est augmenté chez les agriculteurs et chez ceux qui ont été exposés au glyphosate, mais sans atteindre la significativité statistique (niveau de présomption faible ±).

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque de leucémies

Famille
Substances actives
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Organochlorés (sans distinction)
Applicateurs
+
Lindane
Applicateurs
+
DDT
Applicateurs
+
Heptachlore
Applicateurs
+
Chlordane + heptachlore
Applicateurs
+
Toxaphène
Agriculteurs
+
Organophosphorés
  
Chlorpyrifos
Applicateurs
+
Diazinon
Applicateurs
+
Fonofos
Applicateurs
+
Malathion
Agricultrices
+
Terbufos
Applicateurs
+
Carbamates/Thiocarbamates/Dithiocarbamates
  
S-éthyl-dipropylthiocarbamate (EPTC)
Applicateurs
+
Mancozèbe
Agriculteurs
+
Pyréthrinoïdes
  
Deltaméthrine
Agriculteurs
+ a
Chloroacétanilides
  
Alachlore
Ouvriers en industrie de production
+
Aminophosphonate glycine
  
Glyphosate
Applicateurs
±

+ d’après les résultats d’une cohorte ou d’une étude cas-témoins nichée.
+ a d’après les résultats de la méta-analyse de trois cohortes d’agriculteurs (Agricoh) Données nouvelles
± d’après les résultats d’une étude de cohorte (AHS) Données nouvelles

Cancer de la prostate

Cette glande est sujette, comme de nombreux autres organes, à une transformation tumorale qui se révèle être dans la très grande majorité des cas un adénocarcinome résultant de la transformation tumorale des cellules de l’épithélium glandulaire.
Le cancer de la prostate est de nos jours la pathologie tumorale non-cutanée la plus fréquente dans les pays développés chez l’homme. Son taux d’incidence a augmenté de manière régulière au cours des dernières décennies dans l’ensemble de ces pays. Depuis quelques années, dans certains pays et régions où l’incidence avait le plus augmenté, on assiste à une moindre progression, voire à une stabilisation ou à une diminution de l’incidence (- 3,5 % par an entre 2010 et 2015 en France). De telles variations pourraient correspondre à la conjonction de deux phénomènes : la plus grande partie des cancers avancés ont déjà été diagnostiqués après plusieurs années de dépistage, et des stratégies plus attentistes de la part des soignants et de la population vis-à-vis du dépistage avec la prise de conscience d’un risque de « sur-diagnostic ».
L’étiologie du cancer de la prostate est en grande partie inconnue. Néanmoins, un certain nombre de facteurs de risque sont bien identifiés. Il s’agit de l’âge, de la présence d’antécédents familiaux de cancer de la prostate et des origines ethno-géographiques.
L’expertise collective Inserm 2013 avait conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides dans des circonstances d’usage professionnel, sans distinction de familles chimiques ou de substances actives, chez les agriculteurs, les applicateurs de pesticides et les ouvriers de l’industrie de production de pesticides, et un risque accru de survenue du cancer de la prostate.
De nouveaux travaux publiés depuis 2013 confirment que les populations exerçant une activité professionnelle dans le secteur agricole sont plus à risque de développer un cancer de la prostate que la population générale.
Ces travaux récents en épidémiologie confortent donc les conclusions de 2013 sans qu’aucune conclusion supplémentaire ne puisse être avancée concernant les catégories de pesticides impliqués selon leurs cibles d’emploi (insecticides, fongicides, herbicides...) ou leurs familles chimiques d’appartenance.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et cancer de la prostate

Exposition
Populations concernées par un excès de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers en industrie
de production
++

++ d’après les résultats de six méta-analyses et une étude de cohorte prospective (AHS) en 2013 ; les nouvelles études ne modifient pas le niveau de présomption.

Pour ce qui concerne les substances actives de la famille des organophosphorés, l’étude de cohorte AHS renforce le rôle, déjà suggéré lors de l’expertise collective Inserm 2013, de l’insecticide fonofos dans la survenue du cancer de la prostate chez les agriculteurs (associations positives uniquement chez les sujets déclarant des antécédents familiaux de cancer de la prostate ainsi que chez les sujets porteurs d’une forme agressive de la maladie au diagnostic). D’autres insecticides de cette famille, le terbufos et le malathion, ont été récemment associés chez les agriculteurs à un risque augmenté de survenue du cancer de la prostate, mais uniquement chez les sujets porteurs d’une forme agressive de la maladie au moment du diagnostic. Aucune nouvelle publication n’a concerné les autres organophosphorés potentiellement impliqués en 2013 dans la survenue du cancer de la prostate chez les agriculteurs ou en population générale.
Pour les substances actives de la famille des organochlorés, en 2013, les études sur l’exposition à l’insecticide DDT (ou le DDE, son principal métabolite) et le risque de survenue du cancer de la prostate étaient contradictoires. Une nouvelle étude cas-témoins en population générale réalisée à la Guadeloupe, couplée à une mesure de l’exposition par le dosage de la molécule dans le sang, a montré qu’il était associé positivement au risque de survenue de cancer de la prostate avec une relation dose-effet significative. Une autre étude suggère également le rôle du trans-nonachlore, un composé minoritaire de l’insecticide chlordane, en population générale. Comme pour les trois organophosphorés (fonofos, terbufos et malathion), l’aldrine a été associée chez les agriculteurs à un risque augmenté de survenue du cancer de la prostate, mais uniquement chez les sujets porteurs d’une forme agressive de la maladie au moment du diagnostic. Aucune nouvelle donnée n’a été identifiée pour la dieldrine, le β-HCH ou le chlordane qui restent à un niveau de présomption faible (±, non inclus dans le tableau). Notons finalement que de nombreuses substances actives n’ont toujours pas fait l’objet d’études épidémiologiques concernant leur lien avec le cancer de la prostate, en particulier les fongicides.
D’un point de vue mécanistique, la grande majorité des études ont été réalisées sur des insecticides organochlorés, la plupart retirés du marché en France mais qui sont toujours persistants dans l’environnement. Ces études montrent que le β-HCH et le DDT/DDE présentent notamment des capacités à interagir sur la régulation hormonale de la prostate, ce qui rend biologiquement plausibles les associations observées dans les études épidémiologiques en lien avec la survenue du cancer de la prostate.
Pour quelques substances actives moins persistantes (paraquat, glyphosate, cyperméthrine, 2,4-D, atrazine, bénomyl, vinclozoline, prochloraze, chlorpyrifos-méthyl et les fongicides cyprodinil, fenhexamide, fludioxonil), pour lesquelles les études épidémiologiques n’ont pas montré d’association avec le cancer de la prostate ou n’ont pas fait encore l’objet d’études épidémiologiques, il existe des données mécanistiques compatibles avec ou suggérant une implication dans le développement du cancer de la prostate.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque du cancer de la prostate

Famille
Substances actives
Populations concernées par un excès de risque
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Aldrine
Agriculteurs porteurs de forme agressive
+ a
Chlordécone*
Population générale
++
DDE
Population générale
+ b
Organophosphorés
  
Coumaphos
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+ c
Fonofos
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+ c
 
Agriculteurs porteurs de forme agressive
+ a
Malathion
Agriculteurs porteurs de forme agressive
+ a
Terbufos
Agriculteurs porteurs de forme agressive
+ a
Carbamates/Thiocarbamates/Dithiocarbamates
  
Butilate
Agriculteurs
+ c
Carbofuran
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+ c
Pyréthrinoïdes
  
Perméthrine
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+ c

++ d’après les résultats d’une étude cas-témoins avec une caractérisation par des marqueurs biologiques de l’exposition en 2013 et d’une étude prospective ; renforce le résultat de 2013
+ a d’après les résultats de la cohorte AHS Données nouvelles ; + b d’après les résultats d’études cas-témoins contradictoires en 2013, et une étude cas-témoins avec une caractérisation par des marqueurs biologiques de l’exposition Données nouvelles ;
+ c d’après les résultats d’une étude cas-témoins nichée dans la cohorte AHS en 2013
* voir « Focus sur le chlordécone » ci-dessous

Focus sur le chlordécone

Aux Antilles françaises, le chlordécone a été employé pour lutter contre le charançon du bananier de 1973 à 1993 alors qu’au niveau mondial son utilisation s’est arrêtée en 1976 lorsque l’usine de production aux États-Unis a fermé. On estime à près de 6 000 tonnes de formulation commerciale (à 300 tonnes de substance active) la quantité employée et épandue aux Antilles. L’emploi du chlordécone aux Antilles a entraîné une pollution persistante des sols et les résultats des travaux de l’Inra ont montré, pour toutes les espèces animales étudiées, une contamination particulièrement élevée en chlordécone (atteignant jusqu’à plusieurs dizaines de mg par kg de poids corporel). On estime qu’au moins un tiers des surfaces agricoles (20 000 hectares) et près de la moitié des ressources en eau douce et du littoral marin sont pollués par le chlordécone. Les surfaces agricoles polluées correspondent pour l’essentiel à des soles bananières existantes sur la période 1973-1993.
Confirmant la forte capacité du chlordécone à se bioaccumuler tout le long de la chaîne trophique, la contamination des populations résidentes aux Antilles a été documentée. Le dosage du chlordécone a permis de détecter la molécule dans diverses matrices (sang, graisses, lait). Dans le sang, les taux de détection pouvaient atteindre 90 % avec des concentrations jusqu’à plusieurs dizaines de µg/l. L’exposition a été principalement reliée à la consommation d’aliments d’origine locale eux-mêmes contaminés (principalement légumes racines, viandes, poissons).
En Guadeloupe et en Martinique, le taux d’incidence du cancer de la prostate (standardisé sur l’âge de la population mondiale) est respectivement de 173 et de 164 pour 100 000 personnes-années sur la période 2007-2014. Ce taux d’incidence aux Antilles est près de deux fois supérieur au taux d’incidence estimé en France métropolitaine sur la même période (88,8 pour 100 000 personnes-années) mais peut s’expliquer par les origines subsahariennes de la population, groupe ethno-géographique qui présente un risque élevé de développer la maladie.
En raison de la fréquence du cancer de la prostate aux Antilles et des propriétés neurotoxiques, toxiques pour la reproduction, cancérogènes, de perturbation endocrinienne du chlordécone, des études épidémiologiques ont été entreprises ces dernières années aux Antilles pour identifier les risques sanitaires.
L’expertise collective de 2013 avait estimé qu’il existait une présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate. Cette évaluation était basée sur l’étude cas-témoins Karuprostate réalisée en Guadeloupe au cours de la période 2004 à 2007 montrant un excès de risque de cancer de la prostate avec une relation dose-réponse, mais également sur les principales études portant sur les modes d’action biologiques de la molécule. Une nouvelle étude publiée en 2019, issue de la même population de cas incidents présente dans l’étude cas-témoins Karuprostate et s’adressant de manière prospective à un évènement de santé autre que celui de la survenue du cancer, a montré que l’exposition au chlordécone était associée à un excès de risque, avec une relation dose-réponse, de récidive biologique de la maladie après traitement par prostatectomie radicale.
Une analyse détaillée a été réalisée sur l’ensemble des données toxicologiques et mécanistiques existantes sur le chlordécone ainsi que ses relations avec les mécanismes de la cancérogenèse, notamment prostatique. Elle soutient le rôle du chlordécone comme promoteur tumoral et sa capacité à intervenir dans les processus qui favorisent le développement et la progression tumorale. Cela rend biologiquement plausibles les associations observées entre le chlordécone et le cancer de la prostate. En accord avec les conclusions de l’expertise collective de 2013 et à la lumière des données scientifiques existantes à ce jour, il apparaît que la relation causale entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate est vraisemblable.

Cancer du sein

La grande majorité des cancers du sein sont des adénocarcinomes qui se développent à partir des cellules épithéliales tapissant les canaux de la glande mammaire. Le taux d’incidence de ce cancer chez la femme en France est d’environ 100 cas pour 100 000 personnes-années (58 459 nouveaux cas en 2018), et il varie selon l’âge avec un maximum entre 70 et 74 ans. Alors que le cancer du sein est au premier rang des décès par cancer chez la femme, les taux de mortalité montrent une diminution moyenne annuelle de 1,3 % entre 1990 et 2018, ce qui pourrait s’expliquer par l’amélioration des traitements ainsi que par le dépistage permettant un diagnostic de la maladie à des stades plus précoces et donc curables. Son étiologie est en grande partie inconnue. Cependant, des facteurs de risque ont été identifiés : facteurs hormonaux ou reproductifs (par exemple la prise de certains traitements hormonaux, l’âge des premières règles, de la première grossesse ou de la ménopause), consommation d’alcool, de tabac, surpoids et sédentarité. La présence d’antécédents familiaux de cancers, notamment ceux dits « hormono-dépendants » (sein, ovaire), est également un facteur de risque.
Les premières études épidémiologiques portant sur l’exposition aux pesticides et le risque de cancer du sein datent des années 1990 et concernaient l’insecticide organochloré, le DDT et son principal métabolite, le DDE. L’implication de ces composés, généralement considérés comme non génotoxiques, dans le processus cancérogène a suscité de nombreuses études sur l’exposition aux pesticides dans la survenue du cancer du sein. Des études portant sur l’exposition professionnelle chez des femmes travaillant dans le secteur agricole ont montré soit une augmentation soit une diminution du risque relatif par rapport à la population générale. D’autres ont examiné des circonstances d’exposition environnementale, liée à la proximité résidentielle de zones agricoles, notamment aux insecticides organochlorés. Alors qu’une étude de cohorte a montré un risque accru en lien avec l’exposition au DDT avant l’âge de 20 ans (à une époque où l’utilisation mondiale de cette substance était maximale), deux méta-analyses d’une cinquantaine d’articles publiés jusqu’en 2013, utilisant principalement le DDE comme un indicateur d’exposition, n’ont pas montré d’excès de risque significatif du cancer du sein en lien avec l’exposition environnementale au DDT.
Les données disponibles en 2013, qui ont été analysées dans la précédente expertise collective de l’Inserm4 , n’ont pas permis de conclure sur le lien éventuel entre l’exposition professionnelle ou environnementale aux pesticides et le risque de survenue d’un cancer du sein. Depuis, la littérature scientifique s’est enrichie et il était important d’examiner à nouveau cette question dans la présente expertise collective.
Concernant l’exposition professionnelle, une série de trois articles basés sur la cohorte américaine Agricultural Health Study (AHS) ont examiné le risque de survenue de cancer du sein chez environ 30 000 conjointes d’agriculteurs ou utilisatrices de pesticides. Aucune association n’a été retrouvée en lien avec l’utilisation des pesticides organochlorés (7 au total), sauf pour la dieldrine dans le cas de tumeurs dont les récepteurs hormonaux aux œstrogènes et à la progestérone sont négatifs (ER- PR-). Un deuxième article, portant sur l’usage d’insecticides organophosphorés, a mis en évidence une augmentation de risque du cancer du sein. Parmi les 8 substances actives analysées, seul le chlorpyrifos était associé à une augmentation de risque à la limite de la signification statistique et d’autant plus élevé en cas de tumeur ER- PR-. Un suivi ultérieur sur plus de mille cas incidents de cancer du sein dans la cohorte AHS a confirmé un lien avec le chlorpyrifos et a également retrouvé une association du même ordre avec le terbufos.
D’autres études se sont intéressées au risque de la survenue du cancer du sein en relation avec l’exposition environnementale aux pesticides. Quatre publications ont mis en évidence des augmentations du risque statistiquement significatives (OR entre 1,4 et 3,2) chez les femmes résidant à une distance inférieure à 2 km d’une zone d’activité agricole ou industrielle ayant recours à des pesticides. À noter que ces études n’apportent aucune information sur les substances actives concernées (sauf pour le chlorpyrifos, dans une étude) et elles reposent sur des évaluations d’exposition peu précises.
Une dizaine d’études cas-témoins ont exploré le risque de survenue du cancer du sein en lien avec les concentrations sanguines en pesticides organochlorés. La majorité de ces études, portant sur des faibles effectifs, rapportent des résultats discordants ou à la limite de la signification statistique. Cependant, deux études sont intéressantes car elles montrent que l’exposition environnementale au DDE ou DDT semblent influencer la survie du cancer du sein. Portant respectivement sur 633 et 748 cas incidents, ces études ont retrouvé un excès de décès spécifique par cancer du sein à 5 ans pour le tercile d’exposition au DDT le plus élevé et à 20 ans pour le quartile d’exposition au DDE le plus élevé. Pour cette dernière étude, le risque était encore plus élevé dans les cas de tumeurs ER-.
La majorité des études épidémiologiques conduites à ce jour a porté sur des périodes d’exposition à l’âge adulte et où la mesure des expositions a eu lieu après le bannissement du DDT (1972 aux États-Unis). La question de la période d’exposition aux pesticides en lien avec le risque de survenue du cancer du sein a été explorée par plusieurs nouvelles publications aux États-Unis, s’intéressant aux expositions à un âge plus jeune (moins de 20 ans), en particulier pour l’insecticide DDT. Une première étude a mis en évidence un excès de risque du cancer du sein pendant la période de transition de la ménopause (50 à 54 ans) chez les femmes directement exposées au DDT (avant 1972) et ayant plus de 14 ans en 1945 (date de début de l’emploi du DDT). Une autre étude, portant sur plus de 2 000 femmes atteintes de cancer du sein, n’a pas trouvé de lien entre le cancer et l’exposition aux pesticides pendant l’enfance et l’adolescence (avant 14 ans), quel que soit le statut hormonal de la tumeur. Cependant, un excès de risque a été montré chez les femmes qui avaient moins de 18 ans en 1972. Enfin, l’exposition maternelle au DDT avant 1972 pendant la grossesse, était associée chez les filles à un excès de risque de survenue de cancer du sein (OR = 3,7) pour le quartile d’exposition le plus élevé après ajustement sur les autres composés organochlorés. Les données récentes constatent toujours l’influence d’une exposition pendant la grossesse ou autour de la puberté dans la survenue d’un cancer du sein avant la ménopause ou pendant la période pré-ménopausique. Il est à noter que dans ces études, les périodes d’âges d’exposition coïncident avec les années où l’utilisation du DDT dans le monde était très élevée. Restent donc deux questions en suspens : Est-ce que ces périodes d’exposition critiques le sont toujours de nos jours dans la mesure où les niveaux d’exposition au DDT (ou à ses métabolites tels que le DDE) ont fortement diminué ? Est-ce que ces périodes d’exposition seraient également critiques au regard d’autres pesticides ? Le manque d’études ne permet malheureusement pas d’y répondre.
Les études épidémiologiques publiées ces dernières années, prises dans leur ensemble, n’apportent pas d’éléments supplémentaires permettant de réviser les conclusions de la précédente expertise collective de l’Inserm selon laquelle il n’est pas possible d’établir de liens convaincants entre l’exposition professionnelle ou environnementale à des pesticides et la survenue du cancer du sein. Néanmoins, de nouveaux travaux issus de la cohorte AHS ont montré que l’exposition professionnelle à des insecticides organophosphorés, notamment le chlorpyrifos, et dans une moindre mesure le terbufos et le coumaphos, pourrait être associée à un risque augmenté de cancer du sein. Ces associations, à la limite de la signification statistique, mériteraient d’être confirmées par des études complémentaires. Cette analyse critique de la littérature a été étendue au cancer du sein masculin, mais aucune association n’a été retrouvée en lien avec l’exposition aux pesticides en milieu professionnel dans les quelques études épidémiologiques qui ont abordé cette question.
S’agissant des aspects mécanistiques issus d’études expérimentales, le DDT comme la plupart des organochlorés ont un potentiel œstrogénique démontré expérimentalement. Or, les cellules cancéreuses mammaires exprimant le récepteur aux œstrogènes alpha, ont une prolifération stimulée en cas de liaison d’agonistes à cette protéine. D’autres mécanismes stimulés par les organochlorés autres que ceux passant par les récepteurs aux œstrogènes ont été par ailleurs décrits dans les cellules mammaires (altération des communications cellulaires, résistance à l’apoptose...). Cela confère une certaine plausibilité biologique aux études épidémiologiques portant sur le DDT à des périodes où ce pesticide était employé et où les expositions des populations étaient importantes.
Pour ce qui concerne les insecticides organophosphorés, notamment le chlorpyrifos, les études mécanistiques divergent en fonction des doses employées. À de fortes doses, de faibles effets œstrogéniques, voire aucun, sont observés. À l’inverse, à de faibles doses des effets pro-œstrogéniques sont constatés par des mécanismes impliquant une stimulation du ERα mais sans liaison directe au récepteur et plutôt par des modifications post-traductionnelles. Ces éléments, susceptibles d’argumenter la plausibilité biologique aux associations observées dans les quelques études épidémiologiques concernant le chlorpyrifos, sont encore peu nombreux et mériteraient d’être investigués plus en détail.

Familles et substances actives associées à un excès de risque du cancer du sein

Famille
Substances actives
Populations
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
DDT
Population générale, exposition pendant la période prénatale ou avant 18 ans*
+
Organophosphorés
  
Chlorpyrifos
Professionnels exposés en milieu agricole
± a
Terbufos
Professionnels exposés en milieu agricole
± b

+ d’après les résultats de deux études de cohorte Données nouvelles
± a d’après les résultats d’une étude de cohorte avec confirmation au suivi (AHS) Données nouvelles
± b d’après les résultats d’une étude de cohorte (AHS) Données nouvelles
* avant le bannissement du DDT

Cancers de la vessie et du rein

Les cancers de la vessie et du rein représentent en France respectivement environ 16 000 et 15 000 nouveaux cas par an, ce qui les situe aux 5e et 6e rangs parmi l’ensemble des localisations de cancer. Vingt à trente pour cent des cas de cancer de la vessie sont des tumeurs infiltrantes tandis qu’un tiers des cancers du rein se présentent d’emblée lors du diagnostic avec des métastases. La survie à 5 ans de ces cancers est de l’ordre de 75 %. Ils sont tous deux plus représentés chez les hommes, avec des sex-ratios de six hommes pour une femme pour le cancer de la vessie et de deux hommes pour une femme pour le cancer du rein.
Ces deux cancers sont très liés au tabagisme ainsi qu’aux rayonnements ionisants. Le cancer de la vessie a été associé à certains secteurs d’activité, notamment la production de colorants, d’aluminium, de caoutchouc et la peinture industrielle. En effet, de nombreuses substances utilisées dans ces secteurs professionnels, telles que les amines aromatiques et les hydrocarbures aromatiques polycycliques, ont été associées avec un fort niveau de preuve à ce cancer. Le cancer du rein a été associé pour sa part, à un indice de masse corporelle élevé, à l’hypertension artérielle, et au trichloroéthylène.
Sur le plan biologique, la survenue du cancer de la vessie s’expliquerait par le contact des substances et des métabolites avec la muqueuse vésicale, qui par leur réactivité, seraient susceptibles d’établir des liaisons covalentes avec l’ADN et de former des adduits, un processus qui est reconnu comme une étape de la cancérogénèse. Des susceptibilités génétiques interindividuelles reposant sur des différences d’expression, d’inductibilité ou d’activité d’enzymes participant à la bioactivation ou à la détoxification expliqueraient également en partie la survenue de ce cancer. Par ailleurs, de nombreuses altérations génétiques, plutôt liées à la prolifération cellulaire ou l’instabilité du génome, et épigénétiques ont été impliquées dans la formation des tumeurs de la vessie, selon des processus variables pour les tumeurs superficielles ou infiltrantes. Les mécanismes conduisant au cancer du rein, en particulier au carcinome rénal à cellules claires – la forme la plus fréquente – seraient plutôt de nature épigénétique que mutationnelle, impliquant notamment les voies de signalisation et les voies impliquées dans la transition épithélio-mésenchymateuse, mais aussi possiblement des modifications environnementales telles que l’hypoxie. Le carcinome rénal à cellules claires est caractérisé par l’inactivation du gène suppresseur de tumeur VHL, qui régule les réponses adaptatives à l’hypoxie. Les étapes de cancérogénèse reposent entre autres sur l’angiogenèse, l’assemblage de la matrice extracellulaire, la ciliogenèse, la stabilisation des microtubules, la sénescence et la réparation de l’ADN. Les données actuelles suggèrent toutefois que l’inactivation de VHL n’est pas suffisante pour initier le cancer rénal. Une mutation de gène PBRM1, un composant du complexe SWI/SNF de remodelage de la chromatine, serait également impliquée dans la cancérogénèse.
Les premières études portant sur la survenue du cancer de la vessie en milieu agricole, menées dès les années 1980, montraient généralement une moindre incidence et une moindre mortalité qu’en population générale. Les diminutions de risque étaient de l’ordre de 15 à 20 %. Le cancer du rein n’était pour sa part que rarement étudié, et les résultats étaient peu concordants entre les études. Cependant, celles-ci, en majorité de nature rétrospective, ne prenaient souvent pas en compte le tabagisme et reposaient sur des estimations imprécises de l’exposition aux pesticides. Aussi, compte tenu de la force du lien entre le tabagisme et le cancer de la vessie, l’association négative observée entre la profession d’agriculteur et le cancer de la vessie pouvait s’expliquer, au moins en partie, par le moindre tabagisme observé de manière répétée en population agricole, en particulier dans les études portant sur des chefs d’exploitation. Cependant, comme pour le cancer du poumon, ces résultats ne permettaient pas d’exclure l’existence de facteurs de risque de cancer des voies urinaires en agriculture, et notamment un éventuel rôle des pesticides.
Une méta-analyse a été publiée en 2016 concernant les effets des pesticides sur le risque de cancer de la vessie. Elle a inclus 9 articles, dont 7 études cas-témoins et 2 études écologiques menées entre 1977 et 2011, et calculé un risque combiné de 1,65 ; IC 95 % [1,22-2,22], mais avec une hétérogénéité importante entre les études. Cependant, cette méta-analyse n’était pas exhaustive : une vingtaine d’études ont été au total menées, dont deux cohortes prospectives, deux cohortes rétrospectives et une quinzaine d’études cas-témoins dont 8 concernaient des expositions professionnelles.
Ainsi, en plus des études prises en compte dans cette méta-analyse, deux cohortes prospectives, l’Agricultural Health Study et AGRICAN, ont produit des connaissances sur le cancer de la vessie. La cohorte américaine, à partir de 321 cas incidents a montré des associations positives significatives avec certains herbicides (bentazone, bromoxynil, chlorambène, diclofop-méthyl, imazaquine, 2,4,5-T, imazéthapyr) et certains insecticides (DDT, aldicarbe, carbofuran, chlordane, toxaphène, fonofos, perméthrine) ainsi que des tendances avec d’autres molécules (2,4-D, glyphosate). Dans la cohorte française, le lien entre le cancer de la vessie et l’exposition aux pesticides renseignée par le type d’activités agricoles a été étudié à partir de 179 cas incidents. Le risque est apparu significativement élevé chez les cultivateurs, en lien avec la durée de l’activité sur les cultures au cours de la vie, approchant un quadruplement de risque chez les femmes cultivatrices, et un triplement chez les hommes cultivateurs non-fumeurs. Le travail sous serres et sur la culture de pois tendait à augmenter le risque, notamment lorsque les personnes déclaraient utiliser des pesticides, de même que les activités de ré-entrée en vignes.
La première cohorte rétrospective, menée en Colombie-Britannique (Canada), portait sur des ouvriers de scierie et analysait sur la période 1950-1995 le lien entre la survenue de cancers et l’exposition à des traitements du bois à base de pentachlorophénol et tétrachlorophénol. Il n’apparaissait pas d’association claire entre ces expositions et le cancer de la vessie. Par ailleurs, la cohorte rétrospective d’éleveurs de moutons islandais observait une association inverse avec l’exposition au traitement des moutons par le lindane. Cependant ces deux cohortes rétrospectives ne prenaient pas en compte le tabagisme des participants.
Sept des huit études cas-témoins ayant exploré les expositions professionnelles aux pesticides, dont trois en Égypte, deux en Italie, une en Turquie et deux aux États-Unis, ont mis en évidence des élévations de risque de cancer de la vessie. Les contextes professionnels concernés étaient variés (industrie pesticides, élevage, agriculture générale, expositions para-professionnelles de femmes en Égypte). Les niveaux de risque étaient parfois élevés, dépassant 2 dans 5 études (et au-delà de 4 dans 3 études), notamment pour des durées d’exposition dépassant 10 ans.
Par ailleurs, sept études cas-témoins ont porté sur des expositions de la population générale (proximité de zones agricoles aux États-Unis et en Belgique, contamination de l’eau par des dérivés arsenicaux utilisés en agriculture aux États-Unis, teneurs plasmatiques en organochlorés) et n’ont pas mis en évidence d’association significative avec le cancer de la vessie, même si des tendances ont été observées dans trois d’entre elles.
Trois études écologiques ont mis en évidence des élévations modérées du risque de cancer de la vessie en population générale, dont une menée en France et basée sur les surfaces agricoles en viticulture sur la période 1986-1989.
Quelques études se sont intéressées au rôle de polymorphismes génétiques dans l’association entre pesticides et cancer de la vessie. Elles ont en particulier porté sur des gènes codant des enzymes impliquées dans le métabolisme des xénobiotiques comme les glutathion S-transférases, les N-acétyl-transférases ou les cytochromes P450, et suggéré l’existence de certaines susceptibilités individuelles pouvant jouer un rôle dans la survenue de ce cancer en lien avec les expositions aux pesticides.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les cancers de la vessie

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Professionnels
+
Pesticides au domicile (proximité,
usages domestiques)
Population générale
±

+ d’après les résultats de deux cohortes prospectives et de huit études cas-témoins Données nouvelles
± d’après les résultats de sept études cas-témoins et trois études écologiques Données nouvelles

Une méta-analyse parue en 2016 a inclus 11 études (7 analyses de cohortes et 4 études cas-témoins) ayant porté sur le lien entre l’exposition aux pesticides et le cancer du rein. Elle a mis en évidence une élévation du risque de 10 à 30 % statistiquement significative mais avec une hétérogénéité importante entre les études.
En raison du faible nombre de cas incidents, la cohorte américaine n’a pas analysé à ce jour de manière spécifique le cancer du rein en lien avec les 50 molécules intégrées au questionnaire d’inclusion. Elle a cependant produit des données dans plusieurs analyses portant sur des molécules spécifiques (trifluraline, l’imazéthapyr et le diazinon), sans mettre en évidence d’association statistiquement significative. La cohorte française n’a pas à ce jour analysé spécifiquement le cancer du rein. La cohorte rétrospective menée dans des scieries montrait un doublement du risque de cancer du rein chez les ouvriers exposés au pentachlorophénol. Les études toxicologiques ne rapportent pas de risque d’induction de cancer du rein mais ce composé est classé cancérogène certain par le Circ depuis 2016 en raison de liens avec des tumeurs hématopoïétiques. Une relation inverse était observée entre le lindane et le cancer du rein dans la cohorte rétrospective d’éleveurs de moutons islandais.
Quatre études cas-témoins, dont deux qui portaient sur plus de 1 000 cas, ont exploré le lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le cancer du rein, toutes ont trouvé des élévations de risque, mais non significative pour la plus petite d’entre elles (39 cas). Ainsi un quadruplement de risque a été observé pour des expositions de plus de 20 ans à des herbicides ou des insecticides, un doublement de risque au Canada pour des utilisations de pesticides ou d’herbicides, et risque au-delà de 2 en Europe Centrale et de l’Est pour des expositions aux pesticides de plus de 8 ans. Aucune étude cas-témoins n’a exploré le lien entre les expositions non professionnelles aux pesticides et la survenue de cancer du rein, et une seule étude écologique au Costa-Rica n’a pas trouvé de lien.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les cancers du rein

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Professionnels
+

+ d’après les résultats de quatre études cas-témoins Données nouvelles

Des données épidémiologiques rapportent une association entre l’exposition à l’arsenic (classé groupe 1 par le Circ), produit lors de la fabrication de pesticides, et le développement des cancers du rein et de la vessie dont le mécanisme repose pour partie sur l’induction d’espèces réactives de l’oxygène qui induisent des cassures simple- et double-brins de l’ADN. Ces dommages sont à l’origine de remaniements chromosomiques impliqués dans le processus de tumorigenèse.
Des associations entre des pesticides ayant une structure proche d’amines aromatiques (imazéthapyr et imazaquine) et le cancer de la vessie ont été observées dans l’AHS, mais des liens ont également été mis en évidence avec d’autres herbicides. Cependant l’exposition de rongeurs à l’imazéthapyr ou l’imazaquine a conclu à une absence d’effet cancérogène, et les résultats sont négatifs pour des effets génotoxiques ou mutagènes sur différents tests in vitro ou in vivo.
Concernant les organochlorés, une association avec quelques substances actives est rapportée d’après les études épidémiologiques. Le chlorothalonil (fongicide) est classé en groupe 2B par le Circ (cancérogène possible) du fait respectivement d’une perturbation de la respiration mitochondriale et d’un effet perturbateur endocrinien avec une faible activité antagoniste vis-à-vis du récepteur des androgènes. Cette activité cancérogène n’a pas été retrouvée chez l’être humain. Le pentachlorophénol (PCP) est classé en 2019 cancérogène certain par le Circ (groupe 1). Les données de cancérogenèse expérimentale in vivo indiquent un effet cancérogène faible mais significatif chez les rongeurs. Les données issues des tests de mutagenèse et génotoxicité concernant le PCP montrent un effet général positif, et lorsque les tests sont réalisés avec le métabolite majeur tétrachloro-hydroquinone les effets obtenus sont aussi positifs (adduits à l’ADN ou de dommages oxydatifs).
Quelques études épidémiologiques mentionnent une association entre le cancer de la vessie et des dérivés chlorophénoxy : le 2,4-D ou le 2,4,5-T. Ces dérivés sont classés dans le groupe 2B par le Circ, dans le groupe D (Not Classifiable as to Human Carcinogenicity) par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) ou non classés par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Contaminants dans l’eau de boisson, ils sont pour la plupart des composés hautement toxiques pour l’environnement et pour certains, il est avancé un effet perturbateur endocrinien.
Les expérimentations de cancérogénèse du 2,4-D ou 2,4,5-T chez les rongeurs aboutissent à des résultats ambigus positifs pour certains dérivés mais contestés par les industriels en raison d’une contamination par des impuretés dioxines/furanes classés comme cancérogènes ou d’expérimentations mal conduites. Les résultats des tests in vitro de génotoxicité ou mutagenèse conduits sur ces pesticides sont généralement négatifs avec cependant quelques expérimentations qui orientent vers un effet génotoxique en rapport avec l’induction d’un stress oxydant.
Parmi les organophosphorés, seul le malathion a été identifié comme favorisant l’apparition d’anomalies rénales pré-cancéreuses chez le rat, en cas de co-exposition au 17ß-œstradiol mais il n’apparaît pas dans les études épidémiologiques.
Des recherches approfondies sont nécessaires pour mieux définir comment les pesticides contribuent aux altérations moléculaires qui sont à l’origine du développement du cancer de la vessie et du rein. L’analyse de la littérature scientifique la plus récente a fait ressortir plusieurs domaines qui devront faire l’objet des études fondamentales prioritaire en toxicologie : i) pour les pesticides proches structurellement d’amines aromatiques, rechercher d’autres mécanismes de cancérogenèse que le seul effet génotoxique ; ii) étudier les interactions gènes-environnement (polymorphismes des enzymes du métabolisme ou de la détoxification par des enzymes anti-oxydantes), iii) étudier les effets cancérogènes dans des contextes de co-exposition à d’autres agents environnementaux (tabagisme).

Sarcomes des tissus mous et des viscères

Les sarcomes des tissus mous et des viscères sont des tumeurs malignes rares, représentant moins de 1 % de tous les cancers chez les adultes. Ils se développent aux dépens des tissus de soutien de l’organisme ; les tissus adipeux, les tissus fibreux comme les tendons et les ligaments, les muscles striés ou lisses, les vaisseaux sanguins et lymphatiques et le derme. Ils surviennent aussi au niveau de viscères, comme la paroi du système digestif (estomac, intestin et côlon). Le pronostic est déterminé par la présence de métastases qui sont majoritairement pulmonaires et présentes dans environ 10 % des cas, ainsi que par la taille, le grade et le stade de la tumeur, et son emplacement. On recense plus de 50 types histologiques, dont la nature et le classement évoluent avec les progrès de la biologie moléculaire et la découverte de nouvelles entités.
Les dernières estimations réalisées par le réseau FRANCIM portent à 2 658 nouveaux cas annuels le nombre de ces tumeurs chez l’homme et à 2 636 nouveaux cas chez la femme en France, soit des taux d’incidence proches de 5 cas pour 100 000 personnes-années. D’après des registres européens et américains, le taux de survie à 5 ans de ce cancer est, tous types confondus, de l’ordre de 60 à 65 %.
L’étiologie de ces tumeurs est mal connue. La majorité sont des cas sporadiques, mais des associations avec certains syndromes génétiques tels que la maladie de Recklinghausen, le syndrome de Li-Fraumeni, le syndrome de Werner et le rétinoblastome sont aujourd’hui établies. Certains sarcomes apparaissent en lien avec des maladies du système immunitaire (sarcome de Kaposi dans le SIDA). Des facteurs de risque de l’environnement général ou professionnel sont par ailleurs également suspectés, tels que les rayonnements ionisants, les dioxines, le chlorure de vinyle (pour l’angiosarcome hépatique), l’arsenic, ou encore les pesticides.
La question du rôle des pesticides dans la survenue de sarcomes des tissus mous et des viscères a émergé très tôt par rapport au questionnement général sur les effets des pesticides sur la santé, dès la fin des années 1970 à la suite d’observations cliniques en Suède. Le nombre de patients atteints de cette pathologie et ayant manipulé des phénoxyherbicides était apparu anormalement élevé à des oncologues suédois. Des études épidémiologiques sur ces substances ainsi que sur les chlorophénols se sont alors multipliées dans les années 1970 et 1980 afin de clarifier le rôle spécifique de ces herbicides dans la survenue des sarcomes. C’est pourquoi plusieurs articles de synthèse ont été publiés sur le rôle des pesticides dans la survenue des sarcomes des viscères et des tissus mous, mais aucun d’entre eux n’a une portée générale sur l’utilisation des pesticides en agriculture : ils se sont généralement focalisés sur la question spécifique du potentiel cancérogène des phénoxyherbicides (dont le 2,4-D) ou des chlorophénols. La dernière revue sur le sujet incluait l’ensemble des études publiées jusqu’en 2014 concernant le rôle des phénoxyherbicides dans la survenue des sarcomes des tissus mous, soit 10 études cas-témoins et 10 études de cohortes. Les auteurs n’ont pas calculé de risque combiné à partir de ces études et, comme les revues précédentes, concluaient qu’il n’était pas possible d’être définitif quant à l’existence d’un risque associé à ces substances, sur la base des données existantes.
En raison de la faible incidence de ces cancers, les cohortes prospectives AHS et AGRICAN n’ont pas à ce jour produit de données sur le risque de sarcome en lien avec des expositions agricoles. Neuf analyses de cohortes rétrospectives, menées dans l’objectif d’explorer l’hypothèse d’un lien avec les chlorophénols ou les phénoxyherbicides, ont été recensées entre 1979 et 1986, aussi bien dans le contexte industriel qu’en agriculture. Certaines de ces cohortes ont ensuite été poursuivies de manière prospective dans les années 1990. Quatre d’entre elles comportaient moins de 500 travailleurs de sites de production et étaient très peu informatives car le nombre de cas restait limité et ne permettait généralement pas de conclure même si des tendances à des excès de sarcomes étaient observées. Un projet du Centre international de recherche sur le cancer a permis de combiner les données de 24 cohortes à l’échelle internationale, réunissant au total 26 615 ouvriers, et concernant des expositions aux phénoxyherbicides et chlorophénols sur la période 1939-1992, en prenant en compte les expositions aux dioxines. À partir de la survenue de 9 cas de sarcomes, l’exposition aux phénoxyherbicides et aux chlorophénols était associée à un doublement de risque de sarcome, à la limite de la significativité statistique (OR = 2,0 ; IC 95 % [0,91-3,79]). Cette analyse a été complétée d’une étude cas-témoins nichée, permettant une estimation approfondie des expositions aux phénoxyherbicides et chlorophénols, en prenant en compte des durées et des scores cumulés d’exposition (sur la base des secteurs, tâches, équipements de protection...). Le risque était multiplié par 10 pour les expositions aux phénoxyherbicides globalement et les risques étaient élevés pour le 2,4-D, le 2,4,5-T et le MCPA, mais les résultats ne sont pas statistiquement significatifs car les effectifs sont faibles. En revanche, il n’était pas mis en évidence d’élévation du risque en lien avec les chlorophénols.
Par ailleurs, trois cohortes rétrospectives ont été menées dans le contexte agricole. La première portait sur le rôle des expositions aux phénoxyherbicides dans la survenue de sarcomes des tissus mous dans une cohorte de 350 000 travailleurs agricoles et forestiers en Suède. Après caractérisation des expositions en sous-catégories à partir de l’intitulé des professions, il n’était pas observé d’élévation du risque de sarcome globalement ni dans chacune des catégories de professions. La seconde, en Finlande, incluait près de 2 000 applicateurs d’herbicides, mais ne décelait pas de cas de sarcomes sur une période de suivi de 18 années. Enfin, une cohorte danoise de plus de 3 000 jardiniers, menée sur la période 1975-2001, montrait une fréquence plus élevée de sarcomes chez les jardiniers nés avant 1915, considérés comme les plus exposés aux pesticides.
Une quinzaine d’études cas-témoins a été menée concernant le rôle des pesticides dans la survenue de sarcomes. La première de ces études, suédoise, à partir de 52 cas et 208 témoins mettait en évidence un risque 5 à 6 fois plus élevé de sarcomes chez les personnes exposées soit aux phénoxyherbicides soit aux chlorophénols. Cette étude s’appuyait sur un registre national de cancers et confirmait les diagnostics par une expertise anatomopathologique des tumeurs, et l’estimation des expositions reposait sur la déclaration des individus. L’hypothèse d’une contamination de ces pesticides par des dioxines (impuretés de fabrication) a été d’emblée évoquée par les auteurs. Une seconde étude a été initiée dans le même pays et selon un protocole identique, mais dans une autre région. Elle a mis en évidence des résultats similaires en incluant 110 cas et 220 témoins, à une période où le 2,4,5-TP, le phénoxyherbicide le plus fréquemment contaminé par des dérivés de dioxine, était interdit. Dans cette deuxième étude, des élévations de risque étaient observées aussi pour des phénoxyherbicides (2,4-D ou MCPA) a priori moins ou pas contaminés par des dioxines.
Dans la suite immédiate de ces deux études suédoises qui montraient des risques élevés, de nombreuses études cas-témoins ont été menées dans divers pays : en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande, en Italie ; dans l’État du Kansas, de Washington, et dans d’autres États nord-américains, en Suède, en Australie. Ces études, menées dans les années 1970 à 1990, étaient au total peu concordantes concernant le rôle des phénoxyherbicides et des chlorophénols, certaines montrant des élévations de risque, parfois statistiquement significatives, d’autres non, chez des travailleurs agricoles, des travailleurs du bois ou des jardiniers.
Deux études se sont intéressées à d’autres secteurs professionnels. Aux États-Unis, une étude a montré une élévation du risque chez les éleveurs ayant réalisé des traitements insecticides sur les animaux, plus marquée pour les périodes les plus anciennes, pour les applications par pulvérisation et les poudrages, et chez les personnes qui ne portaient pas d’équipements de protection, plus nette pour les sarcomes fibreux ou myomateux. Une étude canadienne, qui n’observait pas de lien avec les phénoxyherbicides, mettait en évidence une tendance à l’élévation du risque avec les insecticides et les fongicides ainsi qu’avec le traitement des semences de pommes de terre, et un risque significatif chez les éleveurs de poulets était mis en évidence ainsi qu’une tendance chez les éleveurs de moutons et de petits animaux. Des analyses portant sur des substances actives spécifiques montraient des liens avec l’aldrine et le diazinon, pour cette dernière molécule plus particulièrement pour les sarcomes indifférenciés ainsi que les sarcomes fibromateux et myomateux.
Ainsi, au total, une dizaine d’études de cohorte et une quinzaine d’analyses cas-témoins ont à ce jour exploré le lien entre les pesticides et les sarcomes des tissus mous et des viscères. Une attention particulière a été portée à deux familles de pesticides : les phénoxyherbicides et les chlorophénols, notamment dans les années 1970 et 1980 suite à des études cas-témoins suédoises qui montraient des associations particulièrement fortes avec ces substances. La contamination de ces pesticides par des dioxines lors de certains procédés de fabrication semblait pouvoir en partie expliquer les résultats et la divergence entre les études des différents pays. Mais les divergences pouvaient aussi s’expliquer par des différences méthodologiques, notamment les difficultés de caractérisation des cas (simple repérage sur des codes de la classification internationale des maladies ou caractérisation histopathologique précise, prise en compte de l’ensemble des sarcomes ou de sous-ensembles), ainsi que le choix des groupes (témoins sélectionnés en population générale ou parmi d’autres cas de cancer des registres), ou encore la caractérisation des expositions (simple intitulé d’emploi ou enquête détaillée sur la nature des expositions, leurs durées, leurs intensités). Par ailleurs, la rareté de la maladie s’accompagnait d’estimations instables, basées sur des nombres de cas très limités, en particulier dans les cohortes. Au final, si le rôle de dioxines était plausible dans les études portant sur des populations exposées de manière importante au 2,4,5-T, on ne pouvait exclure formellement le rôle propre des phénoxyherbicides et des chlorophénols, ni même celui d’autres pesticides dans la survenue de ces tumeurs. À partir des années 1990, de nouvelles études ont ainsi suggéré des liens avec des insecticides, notamment dans le traitement des animaux d’élevage, ainsi que des élévations de risque dans d’autres contextes professionnels tels que les métiers du bois.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les sarcomes des tissus mous et des viscères

Exposition
Populations concernées par un excès de risque
Présomption d’un lien
Pesticides*
Travailleurs agricoles, travailleurs du bois, jardiniers, éleveurs
+

* principalement des phénoxyherbicides et des chlorophénols
+ d’après les résultats d’une cohorte et de plusieurs études cas-témoins Données nouvelles

Autres évènements de santé

Les problèmes de santé respiratoire, les pathologies de la thyroïde et l’endométriose n’avaient pas été analysés dans l’expertise de 2013 et font l’objet dans cette partie d’une analyse des études épidémiologiques et toxicologiques.

Santé respiratoire

L’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sont des maladies respiratoires chroniques fréquentes dont la prévalence a augmenté au cours des dernières décennies. L’asthme est la maladie chronique la plus fréquente chez les enfants, avec une prévalence en France de 11 % ; la prévalence de la BPCO atteint 5 à 10 % de la population des plus de 45 ans en France. Plus qu’une maladie, l’asthme est un syndrome respiratoire qui apparaît souvent dans l’enfance et se manifeste par des crises de durées et d’intensités variables, pendant lesquelles le patient présente une difficulté à respirer, une respiration sifflante, de la toux, et une sensation d’oppression thoracique. La BPCO, qui se développe en général à partir de 40-50 ans, est définie selon les dernières recommandations internationales par l’existence concomitante de symptômes respiratoires et d’un trouble ventilatoire obstructif fixé. Dans les études épidémiologiques, l’asthme est souvent évalué par questionnaire, le plus souvent sur la base d’une question sur la présence d’un diagnostic d’asthme qui est une définition très spécifique, mais aussi par la présence de symptômes respiratoires évocateurs d’asthme, en particulier les sifflements au cours des 12 derniers mois, qui est une définition globalement plus sensible, mais avec une spécificité moindre (bien qu’elle reste élevée). Le diagnostic de BPCO auto-déclaré est une définition spécifique mais très peu sensible ; cette définition est donc peu appropriée pour définir la prévalence de la maladie, mais reste opérationnelle dans le contexte d’études étiologiques dans lesquelles il est préférable de disposer de définition de la maladie avec une grande spécificité. Bien sûr, quand cela est possible, une définition basée sur les données de spirométrie post-bronchodilatation reste la technique de référence pour évaluer la BPCO en épidémiologie.
L’étiologie de ces maladies respiratoires chroniques reste mal comprise. L’asthme et la BPCO ont une composante génétique mais leur recrudescence rapide dans les pays développés souligne l’impact majeur de l’environnement au sens large. Plusieurs types de facteurs environnementaux, protecteurs (vie à la ferme, contact avec des agents infectieux dans la petite enfance...) ou nocifs (tabac, pollution de l’air, certaines expositions professionnelles...) ont été mis en cause dans le développement de l’asthme. Le tabac est le principal facteur de risque de la BPCO puisque 80 % des cas sont attribuables au tabagisme actif ou passif. Néanmoins, d’autres facteurs environnementaux ont été identifiés tels que la pollution de l’air, les expositions professionnelles à certaines substances chimiques (poussière de charbon, silice, poussières organiques...) ou sont suspectés, tels que l’exposition aux pesticides.
La littérature sur l’impact des pesticides sur la santé respiratoire est importante avec au total une centaine d’articles dont les deux tiers portent sur les expositions professionnelles : 67 articles sur les expositions professionnelles, dont 28 articles depuis 2014 (date de la dernière revue de la littérature) et 34 articles sur les expositions environnementales, dont 14 depuis 2014. Une revue de la littérature publiée en 2015 portant sur le rôle possible des expositions professionnelles aux pesticides dans l’apparition de symptômes et maladies respiratoires (asthme, BPCO, bronchite chronique) concluait que l’exposition professionnelle aux pesticides présentait un risque pour la santé respiratoire. Elle soulignait cependant la nécessité d’études supplémentaires, notamment des études de cohorte avec une caractérisation approfondie des expositions afin de documenter les relations dose-réponse et les expositions spécifiques aux pesticides et avec des mesures objectives de la santé respiratoire, en particulier des mesures de spirométrie pour évaluer l’obstruction bronchique. En ce qui concerne les expositions environnementales, la revue de la littérature de 2015 concluait à la nécessité d’études supplémentaires pour évaluer le rôle de l’exposition environnementale aux pesticides sur la santé respiratoire des enfants et des adultes. On note une forte variabilité de l’estimation de l’exposition et de la définition de l’évènement de santé ; de ce fait seules deux méta-analyses, l’une ciblant l’exposition professionnelle aux pesticides sur le risque de BPCO/bronchite chronique chez l’adulte et une seconde sur l’association entre l’exposition prénatale au DDE et la santé respiratoire des enfants, ont été publiées.
Au sujet des expositions professionnelles, la méta-analyse récente basée sur 9 cohortes conclut à un risque de BPCO ou bronchite chronique significativement augmenté avec l’exposition aux pesticides (OR = 1,33 ; IC 95 % [1,21-1,47]). Par ailleurs, les résultats des récentes études de cohortes en population générale, dont l’exposition était basée sur la matrice emploi-exposition ALOHA, et des cohortes d’agriculteurs ont permis d’étayer le rôle de l’exposition aux pesticides sur le niveau et le déclin de la fonction ventilatoire et sur l’incidence de la BPCO. Les études exposés-non exposés ou les études transversales conduites dans différentes régions du monde convergent pour indiquer un effet délétère de l’exposition professionnelle aux pesticides sur la santé respiratoire, et plus particulièrement les symptômes respiratoires, l’asthme, la fonction respiratoire, bien que la plupart de ces études aient été conduites sur des échantillons de petite à moyenne taille (< 300 personnes).

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et des altérations de la santé respiratoire

Exposition/populations
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle aux pesticides (sans distinction)
Fonction respiratoire
+
Asthme, sifflements
+
BPCO, bronchite chronique
++
Exposition environnementale aux pesticides au domicile (proximité, usages domestiques)
Fonction respiratoire
±
Asthme, sifflements
+

++ d’après les résultats d’une méta-analyse de très bonne qualité et convergence avec les résultats des études publiées depuis la méta-analyse Données nouvelles
+ d’après les résultats de plusieurs études dont au moins une grande cohorte Données nouvelles
± d’après les résultats de plusieurs études mais pas d’études de cohorte Données nouvelles

En milieu professionnel, une dizaine d’études chez des agriculteurs, avec en premier lieu la cohorte AHS (9 articles) portant sur un large nombre d’agriculteurs (> 20 000), ont évalué l’impact de l’utilisation de pesticides spécifiques sur différents paramètres de la santé respiratoire. Ces études ont permis d’identifier des substances candidates pour la santé respiratoire (tableau ci-dessous).
En ce qui concerne les expositions environnementales, 2 études de cohortes récentes n’ont pas mis en évidence d’association significative entre l’exposition pré- ou post-natale au DDE et la santé respiratoire des enfants d’âge scolaire (sifflements, asthme ou fonction ventilatoire). Cependant, une méta-analyse portant sur 10 études a conclu à un effet – à la limite du seuil de signification statistique – de l’exposition prénatale au DDE sur les symptômes de bronchite et sifflements à 18 mois (OR = 1,03 [1,00-1,07] pour un doublement de la concentration de p,p’-DDE dans le sang du cordon), mais l’étude ne retrouvait pas d’association avec les symptômes à 4 ans. Pour ce qui est des expositions environnementales aux pesticides organophosphorés, certains résultats d’études de cohorte basés sur des biomarqueurs d’exposition suggèrent un impact potentiel de ces pesticides sur la santé respiratoire des enfants, mais d’autres études sont nécessaires pour conclure. Enfin pour la BPCO et la bronchite chronique, il n’y a pas d’études rigoureuses permettant d’établir un lien de présomption.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque d’altération de la santé respiratoire

Famille
Substances actives
Populations
Présomption d’un lien
Fonction respiratoire
Asthme, sifflements
Bronchite chronique, BPCO
Organochlorés
    
Organochlorés
Population générale
±
DDT
Agriculteurs
±
±
 
Population générale
+
+
Heptachlore
Agriculteurs
±
±
Hexachlorocyclohexane (HCH)
Agriculteurs
±
±
Organophosphorés
    
Organophosphorés
Population générale
±
Chlorpyrifos
Agriculteurs
±
±
Coumaphos
Agriculteurs
±
±
Diazinon
Agriculteurs
±
±
Dichlorvos
Agriculteurs
±
±
Malathion
Agriculteurs
±
±
Parathion
Agriculteurs
±
±
Carbamates/Dithiocarbamates
    
Carbamates/Dithiocarbamates
Milieu agricole
±
Carbaryl
Agriculteurs
±
±
Pyréthrinoïdes
    
Pyréthrinoïdes
Population générale
±
Perméthrine
Agriculteurs
±
±
Triazines
    
Atrazine
Agriculteurs
±
Phénoxyherbicides
    
Phénoxyherbicides
Vétérans/Agriculteurs
±
±
2,4-D
Agriculteurs
±
2,4,5-T
Agriculteurs
±
±
Aminophosphonate glycine
    
Glyphosate
Agriculteurs
±
Autres
    
Chlorimuron-éthyle
Agriculteurs
±
±
Paraquat
Agriculteurs
±
+
±

+ d’après les résultats qui ont été rapportés dans au moins deux études indépendantes de bonne qualité (deux études conduites sur la même cohorte, comme l’AHS, ne sont pas considérées comme indépendantes) Données nouvelles
± d’après les résultats rapportés dans une seule étude (ou plusieurs études conduites sur une même cohorte) Données nouvelles

Les liens entre exposition à un certain nombre de pesticides et santé respiratoire ont été évalués sur la base de mécanismes physiopathologiques analysés sur des modèles animaux ou des lignées cellulaires in vitro. Il ressort de la littérature une constante production de stress oxydant suite à l’exposition aux 17 pesticides retenus à partir des données épidémiologiques (tableau ci-dessus). Les trois effets recherchés, stress oxydant, mitotoxicité et immunomodulation de la réponse inflammatoire sont retrouvés pour le chlorpyrifos et la perméthrine. La participation de deux facteurs (stress oxydant et mitotoxicité) est retrouvée pour le malathion, l’HCH, le DDT, l’atrazine, le glyphosate et le paraquat ; pour la participation du stress oxydant et de l’immunomodulation ces deux effets sont retrouvés pour le diazinon, le parathion, et le 2,4-D. Ainsi, le lien entre une exposition aux 17 pesticides et santé respiratoire est conforté par des données mécanistiques, en particulier pour 11 d’entre eux, y compris le chlorpyrifos et la perméthrine qui sont associés aux 3 effets. Parmi les 7 pesticides issus d’un classement moins restrictif, 6 sont associés à l’induction d’un stress oxydatif. Outre l’effet stress oxydatif, le carbofuran présente une activité mitotoxique, et la cyfluthrine et le chlorothalonil un effet immunomodulateur. Ces données mécanistiques, en particulier lorsqu’elles sont associées à un effet irritant (H317, H335) pour le chlorothalonil, devront être validées par des résultats d’enquêtes épidémiologiques, mais elles illustrent l’intérêt d’une réflexion partagée entre épidémiologie et toxicologie moléculaire. Par ailleurs, sur la base d’un effet immunomodulateur au niveau pulmonaire, 6 pesticides non retrouvés dans les données épidémiologiques ont été considérés : mancozèbe, méthoxychlore, deltaméthrine, indoxacarbe, imidaclopride et fipronil ainsi qu’un agent synergisant, fréquemment associé aux pyréthrinoïdes, le PBO.
Pour ce qui concerne les organophosphorés et les insecticides carbamates, l’effet toxique pulmonaire repose sur l’inhibition de l’acétylcholinestérase (AChE), enzyme de dégradation de l’acétylcholine et cible de ces agents. Cependant, l’effet bronchoconstricteur par activation des récepteurs muscariniques M3 des muscles lisses des voies respiratoires a été observé à des concentrations de pesticides qui n’inhibent pas l’AChE. L’impact des pesticides sur la santé respiratoire a longtemps été peu exploré en toxicologie, l’un des facteurs majeurs étant l’absence de recherche d’un tel effet sur le modèle expérimental rongeur. La pertinence d’une démarche allant d’un impact sur une cible vers la recherche d’un lien potentiel en pathologie chez l’être humain est à tester, par exemple sur ces composés.

Pathologies thyroïdiennes

La thyroïde est une glande endocrine qui synthétise des hormones intervenant dans de nombreux processus physiologiques tels que le métabolisme cellulaire, l’énergie musculaire, la température corporelle... Son fonctionnement est sous le contrôle de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien, une voie impliquant l’hormone thyréotrope (Thyrotropin-Releasing Hormone), produite par l’hypothalamus, qui stimule la synthèse de la thyréostimuline (Thyroid-Stimulating Hormone ; TSH) par l’antéhypophyse. La TSH agit sur les cellules folliculaires de la thyroïde pour stimuler la synthèse et la sécrétion des hormones thyroïdiennes tri-iodothyronine (T3) et thyroxine (T4). L’hypothyroïdie est caractérisée par une insuffisance de sécrétion d’hormones thyroïdiennes alors que c’est l’inverse en cas d’hyperthyroïdie. On distingue des formes franches avec une modification de la TSH, T4 et T3 en dehors des valeurs normales, et des formes infracliniques où seule la TSH est modifiée. Dans certains cas, l’origine est un déficit de stimulation hypophysaire, c’est-à-dire de TSH.
L’iode est indispensable à la production des hormones thyroïdiennes et doit être fourni par l’alimentation quotidienne. Dans les pays avec un apport suffisant en iode, la prévalence de l’hyperthyroïdie franche se situe entre 0,2 % et 1,3 %, alors que celle de l’hyperthyroïdie infraclinique est entre 1 % et 5 %. Concernant les hypothyroïdies franches, la prévalence dans la population générale est estimée entre 0,2 % et 5,3 % en Europe.
Parmi les facteurs de risque on retrouve le genre, l’auto-immunité, des antécédents familiaux de dysthyroïdie, certains traitements médicamenteux, l’âge, ou le déficit en iode. Les pesticides font partie des facteurs de risque suspectés et les quelques données épidémiologiques disponibles avaient été examinées lors de l’expertise de 2013, sans pouvoir se prononcer sur l’existence d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue de pathologies thyroïdiennes5 . La littérature s’est enrichie ces dernières années et sur plus de 70 études épidémiologiques identifiées, une soixantaine d’études portaient sur des populations en milieu professionnel ou en population générale, en proportion équivalente, et une dizaine sur des riverains de zones agricoles ou industrielles. La majorité des études est de type transversal, avec 15 études de cohorte et 3 études cas-témoins dont une nichée dans une cohorte.
Concernant le risque en milieu professionnel, une association entre l’exposition aux pesticides organochlorés et un risque accru d’hypothyroïdie a été retrouvée dans trois études de la cohorte américaine d’applicateurs de pesticides Agricultural Health Study (AHS), alors que les résultats sont moins concordants pour les autres familles de pesticides. Concernant les analyses par substances actives, le risque d’hypothyroïdie était augmenté chez les participants ayant utilisé certains insecticides organochlorés (chlordane, aldrine, heptachlore et lindane), des organophosphorés (diazinon, dichlorvos, malathion, et coumaphos), ainsi que des herbicides (dicamba, glyphosate et 2,4-D). En ajustant sur des pesticides corrélés, les associations sont restées significatives pour le chlordane, l’heptachlore, le diazinon et le dicamba. Les insecticides carbamates ou pyréthrinoïdes, ainsi que les fongicides et les fumigants étudiés n’étaient, eux, pas associés au risque d’hypothyroïdie. Ces résultats étaient généralement cohérents avec les précédentes analyses dans cette même cohorte sur les cas prévalents ou sur les cas incidents avec un moindre suivi. Une analyse plus fine des données issues de l’AHS a été menée pour explorer le risque d’hypothyroïdie infraclinique (définie par les auteurs comme une TSH > 4,5 mIU/l). Pour les catégories d’exposition les plus élevées, un risque multiplié par environ 4,7 a été retrouvé en lien avec l’exposition cumulée au cours de la vie à l’aldrine (avec une relation exposition-effet), ainsi qu’un risque multiplié par environ 2,8 pour l’herbicide pendiméthaline.
Toujours à partir de l’AHS, une étude transversale sur les conjointes des applicateurs de pesticides a montré une augmentation du risque d’hypo-thyroïdie avec l’exposition au chlordane, les fongicides bénomyl, manèbe/mancozèbe, et l’herbicide paraquat. Une étude longitudinale sur cette population a confirmé l’augmentation du risque d’hypothyroïdie en lien avec bénomyl et manèbe/mancozèbe, et a montré un lien avec le métalaxyl. Un risque accru d’hypothyroïdie était également retrouvé pour la pendiméthaline, le parathion et la perméthrine après ajustement sur d’autres pesticides corrélés. Il est à noter qu’une diminution du risque est observée pour certaines substances actives (l’insecticide phorate et les herbicides imazéthapyr et métolachlore).
Concernant le risque d’hyperthyroïdie, des analyses transversales et longitudinales ont mis en évidence une association pour le manèbe/mancozèbe chez les conjoints des applicateurs de pesticides dans la cohorte AHS. Dans l’analyse longitudinale, une association a été également retrouvée pour le diazinon et le métolachlore, tandis qu’une diminution du risque a été retrouvée pour l’herbicide trifluraline. En revanche, chez les sujets de la cohorte AHS (essentiellement des hommes), plusieurs pesticides étaient associés à une diminution de risque d’hyperthyroïdie (malathion, manèbe/mancozèbe, dicamba, métolachlore, atrazine et chlorimuron-éthyle).
De nombreuses autres études en milieu professionnel, pour la plupart de nature transversale, se sont intéressées aux liens entre l’exposition aux pesticides et les concentrations sériques d’hormones thyroïdiennes et de TSH en absence de diagnostic clinique de pathologie thyroïdienne. Les résultats de ces études sont hétérogènes et ne permettent pas de conclure à une dysthyroïdie.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et pathologies thyroïdiennes

Exposition/populations
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle aux pesticides (sans distinction)
Hypothyroïdie franche ou infraclinique
+
Exposition professionnelle aux fongicides (sans distinction)
Hypothyroïdie
±

+ d’après les résultats de la cohorte AHS et études transversales Données nouvelles
± d’après les résultats de la cohorte AHS Données nouvelles

Une trentaine d’études en population générale ont été identifiées, dont trois avec des effectifs importants : l’étude américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey), une étude coréenne et une étude thaïlandaise. Les résultats ne concernent pas les mêmes substances actives et sont, en général, discordants selon le genre et l’âge. Il est cependant possible de retenir de l’étude coréenne, que les concentrations urinaires d’acide 3-phénoxybenzoïque (3-PBA), métabolite commun à plusieurs pyréthrinoïdes (cyperméthrine, deltaméthrine, mais pas à la cyfluthrine) étaient associées négativement aux T4 et T3 totaux, surtout chez les hommes. De l’étude NHANES, on retient une association entre le 3,5,6-trichloro-2-pyridinol (TCPγ ; métabolite urinaire du chlorpyrifos et du chlorpyrifos-méthyl), le p,p’-DDE sérique (métabolite du pesticide organochloré DDT) et les hormones thyroïdiennes, même si les résultats divergent entre les hommes et les femmes et selon l’âge. Les résultats d’autres études en population générale portant sur des effectifs réduits renforcent les associations ci-dessus, notamment pour TCPγ, dieldrine, hexachlorobenzène et DDT. Néanmoins, les résultats des études en population générale, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de conclure de manière certaine à une association entre l’exposition à des pesticides et des variations cohérentes des concentrations circulantes en hormones thyroïdiennes.
De nombreuses études ont exploré plus particulièrement le lien entre pesticides et le risque de dysthyroïdies dans certaines populations sensibles (femmes enceintes et nouveau-nés) ou des populations particulièrement exposées (riveraines de zones agricoles ou industrielles).
Les dysthyroïdies pendant la grossesse peuvent avoir des effets néfastes sur la santé de la femme enceinte, mais aussi sur le développement et la croissance du fœtus, et l’impact des pesticides sur la fonction thyroïdienne pendant cette période sensible a fait l’objet de plusieurs travaux. Dans l’étude de cohorte californienne CHAMACOS, l’exposition à l’hexachlorobenzène est associée à une baisse de T4 libre et totale, et dans une étude transversale ce pesticide est associé à une baisse de T3 totale. Dans deux études transversales sur des femmes enceintes chinoises, les taux urinaires des métabolites de pesticides organophosphorés étaient associés à une diminution de la TSH et une augmentation de T4 libre, alors que les pyréthrinoïdes étaient associés à une diminution de T3 libre.
Plusieurs études sur des couples mères-enfants ont exploré l’effet de l’exposition prénatale aux pesticides sur la fonction thyroïdienne chez les nouveau-nés. La plus récente, menée sur une cohorte prospective aux Pays-Bas, n’a trouvé aucune relation entre l’exposition aux pesticides organophosphorés et les taux d’hormones thyroïdiennes chez la mère ou dans le sang de cordon, malgré un niveau d’imprégnation important. L’exposition aux pyréthrinoïdes (mesurée par le métabolite 3-PBA dans les urines) a été analysée au 1er trimestre de grossesse chez des femmes enceintes japonaises et aucune association n’était retrouvée avec les concentrations de TSH et T4 chez les femmes comme chez les nouveau-nés, tandis que dans une autre étude de cohorte en Afrique du Sud, les pyréthrinoïdes étaient positivement associés à la TSH chez les nouveau-nés. Quelques études transversales de petite taille sur des couples mères-enfants ont montré que les taux de certains pesticides organochlorés chez les mères étaient généralement associés à une baisse d’hormones thyroïdiennes et/ou une augmentation de la TSH chez les nouveau-nés.
Quelques études portant sur des populations riveraines ont été identifiées. Dans une étude espagnole, les personnes résidant dans une zone d’agriculture intensive où les pesticides étaient davantage utilisés présentaient une augmentation de risque de 49 % d’hypothyroïdie et, dans une moindre mesure, d’autres pathologies thyroïdiennes (goître, thyroïdite et thyrotoxicose). Une étude brésilienne portant sur une population habitant une zone industrielle contaminée par les pesticides organochlorés a retrouvé une association négative entre l’endosulfan II et la T3 totale, et aussi entre le DDT et la T4 libre chez les hommes, alors que ces associations étaient positives chez les femmes. Cette étude a montré également une augmentation d’hormones thyroïdiennes en lien avec α-chlordane, HCB, heptachlore et méthoxychlore chez les femmes, et une diminution de T4 libre et une augmentation de TSH en lien avec le β-HCH chez les hommes. Enfin, dans deux études portant sur des populations habitant à proximité de zones industrielles, une augmentation des taux d’HCB était associée à une baisse de T4 totales.
Concernant le cancer de la thyroïde, une seule étude a mis en évidence une augmentation de risque en lien avec l’exposition au malathion chez les conjointes des applicateurs de pesticides de l’AHS. En revanche, aucune augmentation de risque n’a été observée dans d’autres populations avec des effectifs importants (familles d’agriculteurs, résidentes de fermes, travailleurs dans une usine de production de pesticides). Pris dans leur ensemble, les résultats de ces études ne montrent pas de lien robuste entre l’exposition aux pesticides et la survenue d’un cancer de la thyroïde.
Les résultats d’études toxicologiques expérimentales apportent des éléments de plausibilité biologique à certaines associations décrites ci-dessus. Les pesticides pourraient être à l’origine de ces effets par des mécanismes capables de perturber la fonction thyroïdienne en agissant sur de nombreux processus biologiques au niveau de la glande ou dans les tissus périphériques parmi lesquels une modification de la production des hormones thyroïdiennes (l’inhibition de la thyroperoxydase, des désiodases, du transport de l’iode), de leur biodisponibilité (altération de la fixation aux protéines de transport), de leur métabolisation (stimulation ou inhibition du métabolisme des enzymes hépatiques de phase II), de la production/inhibition de T3 par modification de l’activité de désiodases ou interaction avec les récepteurs génomiques ou non génomiques.
Parmi les familles de pesticides qui sont ressorties des études décrites ci-dessus, les organochlorés, dans leur ensemble, semblent être associés à une diminution de la T4 (les résultats obtenus sur la T3 libre sont contradictoires). Une augmentation de l’activité uridine diphosphate glucuronyltransférase (UGT) hépatique, qui est observée avec le DDT et le HCB, pourrait être responsable de cet effet. Toutefois, des études in vitro montrent que des mécanismes impliquant d’autres acteurs de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien, comme le fonctionnement du récepteur à la TSH, sont possibles. D’autres études confirment dans des modèles expérimentaux que certains fongicides carbamates (mancozèbe et thirame) diminuent la production des hormones thyroïdiennes, un effet qui pourrait être lié à une dérégulation de l’activité de la thyroperoxydase. Les résultats des travaux in vitro et in vivo vont également dans le sens d’une diminution des hormones thyroïdiennes liée à une exposition aux organophosphorés (à des doses environnementales dans certains cas). Sur le plan mécanistique, cet effet peut être attribué à une diminution de leur synthèse. Les résultats expérimentaux sur les pyréthrinoïdes suggèrent fortement un effet sur l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien. Des études in vitro suggèrent un mécanisme d’action impliquant le récepteur des hormones thyroïdiennes pour la perméthrine, la tétra-méthrine et la deltaméthrine, notamment à des doses faibles (de l’ordre de 10-8 M) toutefois insuffisamment étudiées in vivo (à l’exception de la perméthrine, pour laquelle les résultats in vitro et in vivo sont concordants).
Le glyphosate, le fipronil et l’imidaclopride (appartenant à la famille des néonicotinoïdes), pour lesquels les données épidémiologiques étaient faibles (ou manquantes), ont été également analysés et ont montré qu’ils pouvaient avoir un effet potentiel de perturbation thyroïdienne.
Les rongeurs représentent le modèle classiquement utilisé en toxicologie réglementaire pour évaluer les potentiels effets sur la fonction thyroïdienne, malgré ses limites telle que l’absence d’expression de la protéine sérique de liaison des hormones thyroïdiennes (thyroxine binding globulin ; TBG) et l’importance de la régulation de la conjugaison hépatique des hormones thyroïdiennes. Des modèles reposant sur la métamorphose des poissons ou batraciens pourraient remplacer celui des rongeurs après une étape de criblage in vitro. Ces modèles rongeurs et batraciens révèlent assez souvent un dimorphisme sexuel quant à l’expression de gènes dans différents tissus, dont certains peuvent être co-régulés par l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique avec des conséquences phénotypiques ou physiopathologiques.
Par ailleurs, parmi les pistes à explorer trois d’entre elles méritent un intérêt particulier : i) peu d’expérimentations concernent l’évaluation de pesticides comme potentiels perturbateurs du système immunitaire (par exemple dans la maladie de Basedow) lequel peut représenter un évènement initial amplifié par les interférences sur les cibles de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien ; ii) peu d’expérimentations se sont intéressées à la régulation non génomique (par exemple par liaison à l’intégrine αvβ3) de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien suite à une exposition aux pesticides ; iii) peu d’expérimentations sont orientées vers les mélanges qui évaluent les effets spécifiques de différents principes actifs en comparaison de combinaisons classiquement retrouvées en agriculture et élevage.
Enfin, des pesticides présentant un effet perturbateur thyroïdien devraient être suivis par les enquêtes épidémiologiques et réciproquement les associations trouvées sur des populations exposées devraient provoquer des recherches sur les mécanismes d’action. Ce domaine toxicologique manquait jusqu’à très récemment d’une approche AOP6 qui lèvera les ambiguïtés et controverses générées par des tests in vivo avec leurs limites.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque d’hypo-thyroïdies franches ou infracliniques ou une augmentation des niveaux de thyréostimuline

Famille
Substances actives
Populations
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Organochlorés (sans distinction)
Applicateurs, agriculteurs
+
DDT/DDE
Applicateurs, agriculteurs, autres professionnels
±
 
Population générale (femmes enceintes, enfants et nouveau-nés)
+
Aldrine
Applicateurs
±
Heptachlore
Applicateurs/agriculteurs
+
Lindane
Applicateurs
±
Chlordane
Applicateurs/agriculteurs
+
Hexachlorobenzène (HCB)
Population générale (femmes enceintes et nouveau-nés)
+
 
Populations riveraines des zones agricoles ou industrielles
±
Carbamates/Dithiocarbamates
  
Bénomyl
Applicateurs
±
Manèbe/mancozèbe*
Applicateurs, travailleurs agricoles, ouvriers en industrie de production
+
Organophosphorés
  
Chlorpyrifos
Population générale
±
Diazinon*
Applicateurs
+
Malathion*
Applicateurs
+
Parathion
Applicateurs
±
Pyréthrinoïdes
  
Pyréthrinoïdes
Population générale (adultes et nouveau-nés)
±
Phénoxyherbicides
  
2,4-D
Agriculteurs
±
Autres
  
Paraquat
Applicateurs, agriculteurs
±
Glyphosate
Applicateurs, agriculteurs
±
Dicamba
Applicateurs
±
Pendiméthaline
Applicateurs
±

+ d’après les résultats qui ont été rapportés dans au moins deux études indépendantes de bonne qualité (deux études conduites sur la même cohorte, comme l’AHS, ne sont pas considérées comme indépendantes) Données nouvelles
± d’après les résultats rapportés dans une seule étude (ou plusieurs études conduites sur une même cohorte) Données nouvelles
* excès de risque d’hyperthyroïdie avec une présomption faible d’un lien (±)

Endométriose

L’endomètre est une muqueuse qui recouvre la paroi interne de l’utérus et dont les propriétés évoluent au cours du cycle menstruel : épaississement et vascularisation dans la première phase, accueil éventuel de l’embryon au cours de la deuxième phase, ou en l’absence de fécondation, desquamation produisant les règles ou menstruations. L’inflammation chronique de ce tissu (endométriose) est une maladie qui se caractérise par la présence anormale (ectopique) de cellules endométriales en dehors de la cavité utérine et qui pourrait, selon certaines données, toucher 5 à 10 % des femmes en âge de procréer. On distingue (principalement) des localisations ovariennes (endométriome ovarien), péritonéales superficielles et sous-péritonéales, ces dernières pouvant être rétro-péritonéales ou profondes en infiltrant les viscères abdominaux ou pelviens.
L’étiologie de la maladie reste largement méconnue. Diverses études suggèrent des facteurs génétiques, nutritionnels ou hormonaux non exclusifs. Parmi les facteurs les plus souvent associés au risque d’endométriose, on trouve un âge précoce aux premières règles, un cycle menstruel plus court, un faible poids de naissance, un indice de masse corporelle (IMC) plus faible au cours de la vie ou le fait d’avoir moins d’enfants. Un rôle de certains perturbateurs endocriniens qui contribueraient à son développement et à sa sévérité est évoqué.
Les études épidémiologiques publiées à ce jour sur le lien entre les pesticides et le risque d’endométriose, sont peu nombreuses et portent uniquement sur l’exposition non professionnelle. La plupart des études identifiées dans cette expertise collective ont examiné les pesticides organochlorés, alors qu’une seule étude a concerné des pesticides peu persistants.
Deux revues systématiques avec méta-analyse, publiées en 2019, ont examiné le rôle de l’exposition aux polluants organiques persistants (POP), incluant des pesticides organochlorés, dans la survenue de la maladie. L’exposition aux pesticides organochlorés était associée avec une augmentation statistiquement significative du risque d’endométriose sur la base des résultats d’une étude de cohorte (mesurant l’exposition et posant le diagnostic d’endométriose simultanément) et quatre études cas-témoins. Selon les auteurs, ce résultat est à considérer avec précaution étant donnée l’hétérogénéité de ces études. La seconde méta-analyse concluait également à une augmentation statistiquement significative du risque sur la base de 8 études dont deux cohortes sur la même population et 6 études cas-témoins.
Les premières études cas-témoins hospitalières portant sur le sujet, réalisées au Canada et au Japon et publiées en 1998 et 2005, n’ont pas mis en évidence une association entre le risque d’endométriose et l’exposition à une douzaine de pesticides organochlorés. Cependant, l’interprétation des résultats de ces études est difficile à cause des données non chiffrées et d’incertitudes liées à la méthodologie. Deux autres études, réalisées aux États-Unis et en Italie, se sont intéressées aux POP et ont aussi examiné l’hexachlorobenzène (HCB) et/ou le dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE), mais aucune élévation de risque statistiquement significative n’a été mise en évidence.
Deux publications dans lesquelles deux sous-cohortes américaines ont été explorées, avec mesure de l’exposition et diagnostic de la pathologie simultanés, ont été identifiées. Dans la première sous-cohorte de 600 femmes, les taux sériques de deux isomères d’un même pesticide (hexachlorocyclohexane, HCH), étaient retrouvés associés à un risque accru de la maladie. Le γ-HCH était le seul parmi une cinquantaine de POP (dont onze pesticides organochlorés) associé à une élévation de risque dans une sous-cohorte ayant subi une laparoscopie ou laparotomie pour d’autres indications, tandis que le β-HCH était le seul associé dans une deuxième sous-cohorte de femmes recrutées dans la population générale et diagnostiquées par IRM. Une étude dans ces mêmes sous-cohortes, publiée en 2020, a mesuré les taux urinaires d’une douzaine de substances actives (ou de leurs métabolites) appartenant aux familles des pesticides organophosphorés, insecticides pyréthrinoïdes, et phénoxyherbicides. Aucune différence significative dans la somme des concentrations des pesticides entre les femmes atteintes ou non d’endométriose n’a été retrouvée, toutefois les auteurs ont conclu que des expositions élevées au diazinon, chlorpyrifos ou chlorpyrifos-méthyl (des pesticides organophosphorés) pourraient être associées à un risque d’endométriose en raison de l’observation de tendances.
L’existence d’un lien potentiel entre l’exposition au HCH et au HCB et la maladie a été suggérée par trois études cas-témoins. Dans une étude américaine, les concentrations sériques de pesticides organochlorés ont été mesurées chez 248 cas et 538 témoins de la population. Deux composés, β-HCH et mirex, étaient positivement associés à l’endométriose (pour les 3e et 4e quartiles d’exposition). L’association avec β-HCH était plus forte lorsque l’analyse était restreinte aux cas d’endométriose ovarienne.
Dans une autre étude américaine portant sur des très faibles effectifs (84 femmes dont 32 diagnostiquées avec endométriose), les taux sériques de six pesticides organochlorés ont été mesurés. Le HCB était associé à une augmentation statistiquement significative du risque pour le tercile d’exposition le plus élevé (multiplié par 5), alors que des tendances étaient observées pour l’aldrine, le β-HCH et le mirex, mais l’interprétation de ces résultats est limitée par le faible nombre de sujets avec des dosages au-dessus de la limite de détection. Une étude cas-témoins hospitalière en France a évalué l’association entre l’exposition aux POP, dont plusieurs pesticides organochlorés, et l’endométriose profonde avec ou sans endométriose ovarienne chez 55 cas et 44 témoins. Des associations positives ont été montrées pour trans-nonachlore, dieldrine, β-HCH et HCB et cis-heptachlore époxyde (risque multiplié par 5).
Sur le plan mécanistique, l’immunomodulation de l’activité cytotoxique des cellules NK ou de la fonction macrophagique (associée à une inflammation) est retrouvée à de multiples niveaux (association clinique et/ou études expérimentales) avec différentes classes de pesticides dont les organochlorés et les organophosphorés examinés dans les études épidémiologiques ci-dessus. Ces dérégulations peuvent expliquer à la fois la migration favorisée des cellules endométriales et l’absence d’élimination de celles-ci au niveau des lésions. L’influence des œstrogènes semble essentielle, mais avec une complexité qui nécessite de prendre en compte la temporalité d’action de pesticides pro- ou anti-œstrogéniques (notamment pour les formes profondes). Le rôle de l’épigénétique en tant que processus conduisant à des variations d’expression d’acteurs clés de l’endométriose (aromatase, récepteurs aux œstrogènes...), demeure insuffisamment exploré et pourrait permettre de définir des profils de sensibilité au développement de cette pathologie.
L’endométriose est une maladie complexe impliquant probablement plusieurs mécanismes physiopathologiques pour expliquer les multiples formes cliniques. Plusieurs hormones, notamment les œstrogènes, sont suspectées d’intervenir dans ces mécanismes et il est donc logique de poser l’hypothèse d’un rôle des perturbateurs endocriniens environnementaux, et notamment certains pesticides, comme agents étiologiques.
Les résultats d’une dizaine d’études épidémiologiques sur le sujet, pris dans leur ensemble, conduisent à la présomption faible d’un lien entre l’exposition aux pesticides organochlorés et le risque d’endométriose. Deux substances actives appartenant à cette famille, β-HCH et HCB, semblent être impliquées mais avec une force de preuve faible. Une étude récente a suggéré un lien avec certains pesticides organophosphorés, mais cette observation doit être confirmée. Des difficultés à évaluer précisément le degré et la temporalité d’exposition en raison d’un manque de marqueurs adaptés et une variabilité des taux de détection sont des sources importantes d’incertitude. Des études observationnelles de haute qualité méthodologique semblent donc nécessaires pour confirmer ces liens et approfondir les recherches sur d’autres agents perturbateurs endocriniens.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et l’endométriose

Exposition
Populations concernées par un excès de risque
Présomption d’un lien
Pesticides organochlorés
Population générale
±

± d’après les résultats de deux méta-analyses publiées à la même période (basées sur cinq études et huit études qui se recoupent partiellement) Données nouvelles

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque de l’endométriose

Famille
Substances actives
Populations concernées par un excès de risque
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
β-hexachlorohexane (β-HCH)
Population générale
± a
Hexachlorobenzène (HCB)
Population générale
± b

± a d’après les résultats d’une étude de cohorte et deux études cas-témoins Données nouvelles
± b d’après les résultats d’une étude de cohorte et une étude cas-témoins Données nouvelles

Focus sur des substances actives

Alors que la logique qui avait été utilisée dans l’expertise depuis 2013 était une entrée par pathologie, trois substances ont fait l’objet d’un focus, le chlordécone et le glyphosate à la demande des commanditaires de l’expertise, auxquels se sont ajoutés les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase ou SDHi. L’exposition au chlordécone, n’abordant que l’association avec le cancer de la prostate, est analysée dans la section correspondante « Cancer de la prostate, focus sur le chlordécone ». Ces trois substances ont été examinées parce qu’elles font l’objet de débats scientifique et sociétaux et qu’elles sont parfaitement représentatives de la complexité du domaine de la santé environnementale. En effet, le chlordécone est une substance active qui a été utilisée dans une région restreinte, les Antilles françaises, essentiellement sur une culture, la banane, et pour laquelle il existe des données toxicologiques, mais seulement deux études épidémiologiques. À l’inverse, le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé dans le monde et de nombreuses études épidémiologiques et toxicologiques sont disponibles. Mais, ces études sont parfois contradictoires et difficiles à interpréter et l’analyse du potentiel cancérogène du glyphosate a généré en 2015 une différence d’interprétation entre le Circ et l’Efsa. Enfin, pour les SDHi, très peu d’études sont disponibles et l’appréciation du risque repose à l’heure actuelle essentiellement sur le mécanisme d’action de ces pesticides.

Glyphosate et formulations à base de glyphosate

Les propriétés herbicides du glyphosate ont été découvertes par la société Monsanto en 1970 et la première formulation commerciale contenant du glyphosate a été mise sur le marché en 1974 sous l’appellation Roundup. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé dans le monde, sa consommation est passée de 56 000 tonnes en 1994 à plus de 820 000 tonnes en 2014 avec un usage principalement agricole. C’est également l’herbicide le plus utilisé en France, avec des quantités annuelles vendues de 6 421 tonnes (en 2009) et 10 070 tonnes (en 2014). Une partie de ces quantités est vendue sous forme de produits commerciaux autorisés pour le grand public (les non professionnels) : entre 13,9 % (2017) et 23,7 % (2013).
Du fait de ses modalités et circonstances d’application, l’absorption cutanée est considérée comme la principale voie d’exposition chez les utilisateurs professionnels ou non. Cependant, la contamination des denrées alimentaires peut également entraîner une exposition des consommateurs par voie orale. Une fois absorbé dans l’organisme, le glyphosate est très peu métabolisé (moins de 1 %) et est éliminé dans les urines sous forme inchangée. Sans potentiel d’accumulation notoire, sa demi-vie chez l’être humain est estimée entre 5 et 10 h. Par conséquent, la quantification du glyphosate dans les urines représente la méthode la plus appropriée pour estimer et suivre au cours du temps l’exposition des populations. Néanmoins, cela exige des méthodes analytiques rigoureuses combinant des techniques d’extraction, de séparation et de détection.
Les concentrations urinaires fréquemment retrouvées dans les populations exposées professionnellement ou en population générale sont de l’ordre du µg/l. Ces valeurs sont inférieures d’un facteur 100 à 1 000 à celles attendues pour une exposition chronique correspondant à la dose journalière admissible (DJA) actuellement déterminée par l’Efsa, soit 0,5 mg/kg/j. Pour autant, cette valeur de référence, basée sur des données expérimentales chez l’animal de laboratoire, ne permet pas d’exclure tout risque chez l’être humain, en particulier lors d’expositions répétées et sur le long terme. C’est ainsi que de nombreuses études épidémiologiques se sont intéressées à la survenue de pathologies tumorales et non tumorales lors d’expositions professionnelles (et dans une moindre mesure dans des circonstances d’exposition résidentielle) à des préparations à base de glyphosate.
En 2013, l’expertise collective Inserm avait conclu que l’exposition au glyphosate était associée à un excès de risque de lymphomes non hodgkiniens (LNH) avec une présomption faible d’un lien s’agissant des agriculteurs et une présomption moyenne d’un lien s’agissant des populations exposées professionnellement sans distinction de leur catégorie d’emploi. De nouvelles données ont été acquises depuis 2013. Le suivi de la cohorte AHS aux États-Unis n’a pas montré d’associations entre le fait d’appliquer du glyphosate dans un cadre professionnel et le risque de survenue de LNH ou de ses principaux sous-types. Néanmoins, une méta-analyse publiée par le consortium Agricoh, combinant la cohorte AHS ainsi que deux autres cohortes de travailleurs agricoles (AGRICAN en France et CNAP en Norvège) et totalisant plus de 300 000 sujets dont 2 430 cas de LNH, a montré une association statistiquement significative entre le risque de survenue d’un lymphome diffus à grandes cellules B et l’exposition au glyphosate. De ce fait, la présomption de lien entre l’exposition au glyphosate et le risque de survenue de LNH a été considérée comme moyenne quelle que soit la catégorie d’emploi (agriculteur ou autres).
Concernant le myélome multiple (MM), l’expertise collective Inserm 2013 n’avait pas pu établir de lien de présomption entre l’exposition au glyphosate et le risque de survenue de cette pathologie car les quelques études cas-témoins, françaises et nord-américaines, ainsi que la cohorte AHS s’appuyaient sur un nombre de cas limité. Récemment, un nouveau suivi de la cohorte AHS n’a pas mis en évidence d’association avec le MM. Cependant, une méta-analyse reprenant des études cas-témoins antérieures y compris certaines données issues de la cohorte AHS a montré un risque augmenté, à la limite de la significativité statistique, chez des agriculteurs exposés au glyphosate. Tenant compte de ces nouvelles données, la présomption de lien au regard du risque de survenue du MM est considérée comme faible (±). Elle repose sur un faible niveau de preuves : risque élevé mais à la limite de la significativité statistique dans une méta-analyse de trois études cas-témoins et d’une cohorte.
Très peu d’informations étaient disponibles concernant l’exposition au glyphosate et la survenue de lymphome de Hodgkin (LH) lors de l’expertise collective Inserm de 2013. La littérature scientifique publiée depuis cette date est peu abondante avec trois études dont une méta-analyse (basée sur deux études cas-témoins antérieures) et un suivi de la cohorte AHS. Aucune association entre l’exposition au glyphosate et la survenue de LH n’a été observée. Au regard de ces résultats, aucune présomption de lien ne peut être établie.
En 2013, l’expertise collective Inserm rapportait une seule étude concernant l’exposition professionnelle au glyphosate et le risque de survenue de leucémies. Cette étude, basée sur la cohorte AHS, suggérait une augmentation du risque dans le deuxième tercile d’exposition au glyphosate. De ce fait, aucune présomption de lien n’a pu être établie et cette étude n’incluait pas les leucémies aiguës myéloïdes. Depuis 2013, deux méta-analyses ont été publiées à partir des données issues du consortium Agricoh et ont conclu à l’absence d’association avec le risque de survenue de leucémie lymphoïde chronique (LLC). Une troisième analyse a porté sur trois études cas-témoins et a également conclu à l’absence d’association avec la LLC. Deux des trois études cas-témoins ayant évalué le risque de survenue de leucémie à tricholeucocytes ont montré une augmentation du risque, bien que non statistiquement significative, en lien avec l’exposition au glyphosate. Un suivi récent de la cohorte AHS n’a pas confirmé la tendance à l’élévation de risque de LLC mise en évidence antérieurement. Enfin, ce nouveau suivi de l’étude AHS est la première étude à évaluer le risque de leucémie aiguë myéloïde en lien avec l’exposition au glyphosate ; à partir d’un nombre de cas limité, l’étude a rapporté un doublement non significatif du risque de leucémie aiguë myéloïde chez les sujets les plus exposés. Tenant compte de ces derniers résultats de la cohorte AHS, la présomption de lien entre l’exposition au glyphosate et le risque de survenue de leucémies est considérée comme faible.
Le cancer de la prostate et le cancer de la vessie ont fait l’objet d’études en lien avec l’exposition au glyphosate au sein de la cohorte AHS. S’agissant du cancer de la prostate, les différents suivis de la cohorte au cours du temps n’ont pas montré d’excès de risque. Quant au cancer de la vessie, les auteurs ont constaté une élévation de risque mais non statistiquement significative. Actuellement, sur la base des études disponibles, il n’est pas possible d’établir une présomption de lien entre l’exposition au glyphosate et la survenue de cancers de la prostate et de la vessie.
Concernant les pathologies non tumorales, quelques études, majoritairement au sein de la cohorte AHS, indiquent que l’exposition professionnelle dans le secteur agricole à de multiples pesticides, dont le glyphosate, est associée à un risque augmenté de sifflements respiratoires (avec ou sans composante allergique) chez les hommes agriculteurs et applicateurs industriels et d’asthme allergique chez les conjointes applicatrices de pesticides. Compte tenu du nombre limité d’études et du fait que les résultats reposent principalement sur une seule cohorte (AHS), la présomption de lien sur la santé respiratoire est qualifiée de faible.
D’autres travaux, provenant exclusivement de la cohorte AHS, ont signalé un excès de risque d’hypothyroïdie chez les hommes applicateurs de glyphosate, sans pouvoir mettre en évidence une relation dose-effet. Chez les conjointes, elles-mêmes applicatrices de glyphosate, aucune association avec le risque d’hypothyroïdie n’a été observée.
Finalement, différentes études se sont intéressées à la survenue de troubles anxio-dépressifs, de la maladie de Parkinson, de maladies rénales chroniques d’étiologie inconnue chez l’adulte, à la durée de la grossesse, aux caractéristiques staturo-pondérales des nouveau-nés, à des malformations congénitales ou à la survenue de troubles neurocomportementaux chez le jeune enfant en lien avec une exposition professionnelle ou résidentielle au glyphosate. Cependant, la nature des études (écologiques pour la plupart), l’imprécision des mesures d’exposition, les faibles effectifs ou l’incohérence des conclusions, ne permettent pas à ce jour de conclure et donc d’établir de présomption de lien avec une exposition au glyphosate.
Qu’en est-il de la plausibilité biologique des associations observées ? De nombreuses études expérimentales ont été réalisées et celles-ci se sont intéressées au développement de pathologies cancéreuses mais aussi non cancéreuses en regard des données récentes en épidémiologie.
Ces dernières années, le glyphosate a été au centre d’un débat sur sa cancérogénicité. À l’origine se trouve une divergence entre les conclusions du Circ et d’autres agences, nationales ou internationales, chargées du classement et de la réglementation des substances chimiques. Elle s’explique en grande partie par les différentes approches et critères employés.
S’agissant des essais de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire tout comme des études de mutagénicité, le niveau de preuve est relativement limité. Cependant, de nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques (cassures de l’ADN ou modifications de sa structure). Ces dommages, s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les cellules, peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogenèse. De tels effets sont cohérents avec l’induction directe ou indirecte d’un stress oxydant par le glyphosate, observée chez différentes espèces et systèmes cellulaires, parfois à des doses d’exposition compatibles avec celles auxquelles les populations peuvent être confrontées.
Au-delà de la capacité du glyphosate à induire la production d’espèces réactives de l’oxygène, d’autres caractéristiques toxicologiques ont été décrites. Le glyphosate est utilisé pour bloquer la synthèse des acides aminés chez les plantes. Son mode d’action principal repose sur le blocage d’une enzyme essentielle exprimée par les plantes mais aussi par les champignons et certaines bactéries. Contrairement à ces organismes, les animaux et l’être humain ne possèdent pas le gène codant cette enzyme. Or, des études expérimentales suggèrent des effets délétères en lien avec un mécanisme de perturbation endocrinienne, une toxicité mitochondriale (mitotoxicité associée à des perturbations comportementales dans des modèles comme le poisson zèbre), une activation des voies œstrogéniques sans liaison aux récepteurs de l’œstradiol ou une altération de la stéroïdogenèse. De nouvelles études publiées depuis 2013, qui demandent à être confirmées, indiquent également une dérégulation de la concentration de neurotransmetteurs (compatibles avec des altérations comportementales), mais aussi du microbiote du système digestif chez plusieurs espèces animales (dont l’humain), cible logique du glyphosate puisque certaines bactéries expriment l’enzyme ciblée chez les plantes. De tels mécanismes mériteraient d’être approfondis et davantage pris en considération dans les procédures d’évaluation réglementaires.
La question environnementale et ses retentissements indirects sur la santé humaine via l’hypothèse d’un effet de l’utilisation du glyphosate sur les écosystèmes et leur régulation dépassent le cadre de cette expertise. Elle mériterait d’être abordée dans le cadre de l’approche intégrée et systémique « One Health » et devrait être intégrée par les décideurs au même titre que les aspects sociaux et économiques pour la prise de décision.

Fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase

Les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase ou SDHi constituent une famille de fongicides, dont certains, comme la carboxine et le flutolanil sont utilisés depuis plus de trente ans, et d’autres, tels que ceux de seconde génération depuis une dizaine d’années (boscalide, benzovindiflupyr, isopyrazam, penthiopyrade, sédaxane...). Alors que l’utilisation de la première génération de ces pesticides en France a diminué ces dix dernières années, celle des SDHi de nouvelle génération est en hausse et s’élargit à d’autres spectres d’activité (par exemple pour le traitement contre les nématodes sur les gazons).
La population française est potentiellement exposée aux SDHi par l’air, l’alimentation, l’eau, et le sol (utilisation sur les pelouses de stades ou de golfs), ou en milieu professionnel lors de la manipulation et l’épandage des produits. En France, les programmes de surveillance dans les différents milieux s’intéressent à plusieurs SDHi, notamment le boscalide (le plus vendu) qui est surveillé et détecté dans le compartiment aérien et les systèmes aquatiques. Le boscalide, avec le flutolanil et la carboxine ont été inclus dans les études françaises de l’alimentation totale (EAT) qui visent à évaluer le risque pour la santé du consommateur et ils font l’objet (avec le bixafène, le fluopyram, le fluxapyroxade, le penthiopyrade et le benzovindiflupyr) d’une surveillance dans les denrées alimentaires. Au niveau européen, les fongicides SDHi ont été quantifiés dans 2,2 % de plus de 500 000 analyses des échantillons d’aliments réalisées en 2018. Parmi seize SDHi mesurés, le fluopyram et le boscalide étaient, de loin, les plus souvent quantifiés et le boscalide a dépassé la limite maximale en résidus dans 0,08 % des échantillons testés. Les SDHi ne figurent pas dans les programmes existants de surveillance biologique humaine en France ; par conséquent, il existe très peu de données sur l’imprégnation de la population générale par ces substances. En France, une seule étude académique, portant sur 311 femmes enceintes de la cohorte ELFE, a quantifié le boscalide avec une fréquence de détection de 63 % dans les cheveux. Aucune étude n’a été retrouvée permettant d’évaluer l’exposition des professionnels aux SDHi.
Le mécanisme d’action des fongicides SDHi est basé sur la perturbation du fonctionnement mitochondrial par l’inhibition de l’activité SDH, un complexe enzymatique impliqué dans la respiration cellulaire (complexe II) et donc essentiel à la vie. Chez l’être humain, les conséquences d’une inactivation génétique de la SDH (mutation de l’un des quatre gènes codant les sous-unités de l’enzyme) sont bien documentées avec le développement de pathologies neurologiques et cancéreuses, notamment liées à l’accumulation du substrat de la SDH, le succinate. Un niveau élevé de cet « oncométabolite » peut entraîner des processus associés à la tumorigenèse : notamment une dérégulation de l’homéostasie métabolique, un stress oxydant induisant un état de « pseudo-hypoxie » cellulaire, des modifications épigénétiques, et la mise en place d’une transition épithélio-mésenchymateuse impliquée dans le processus métastatique. Si les perturbations mitochondriales d’origine génétique chez l’être humain prédisposent à de nombreuses pathologies, cela ne signifie pas ipso facto qu’une inhibition partielle ou totale de l’activité de la SDH, par exemple dans le cas d’une exposition chronique aux SDHi, entraînerait les mêmes effets physiopathologiques.
Néanmoins, le complexe SDH est fortement conservé entre espèces. En effet, des études de cristallographie et de génétique ont montré que la structure de la SDH est conservée d’une espèce à l’autre avec des séquences peptidiques homologues au niveau du site catalytique. Tout ceci conduit à s’interroger légitimement sur les conséquences délétères des expositions aux SDHi sur la santé humaine et sur la biodiversité. Malgré la conservation de la structure de la SDH au cours de l’évolution, certains travaux suggèrent une variabilité importante du profil d’inhibition de son activité par différents SDHi selon les espèces. Ces études reposent sur des mesures de la concentration inhibitrice médiane (IC50), ce qui correspond, dans ce cas-ci, à la concentration d’un SDHi donné inhibant à moitié l’activité de la SDH. Toutefois, les résultats de ces études sont difficiles à comparer du fait de différences voire de lacunes méthodologiques. Les données actuellement disponibles sont donc insuffisantes pour conclure à une spécificité des SDHi pour la SDH des champignons et à leur innocuité pour les espèces non-cibles. Pour cela, il est nécessaire d’une part de produire in vitro des données d’IC50 à partir d’échantillons de nature homogène et d’autre part de générer des données expérimentales in vivo dans des modèles animaux, prenant en compte les caractéristiques de toxicocinétique, de toxicodynamique et de biotransformation des SDHi dans les organismes entiers.
Concernant les effets toxiques potentiels des SDHi sur différentes espèces, une série d’études sur les poissons-zèbres, dont la moitié ont été publiées par le même groupe de recherche, montrent que l’exposition aux SDHi pourrait entraîner des anomalies de développement et de nombreuses malformations ainsi que des perturbations du métabolisme, de la fonction thyroïdienne, ou de la reproduction. Ces effets suggèrent que ces fongicides pourraient être considérés, au moins chez cette espèce, comme des perturbateurs endocriniens.
Quelques études ont exploré les effets des SDHi sur les écosystèmes. Elles ont montré que, chez les abeilles, l’exposition au boscalide modifie la composition du microbiote intestinal et a un impact sur le comportement. D’autres études ont mis en évidence des effets délétères sur des organismes du sol (toxicité et effets sur le comportement chez les nématodes et lombrics) et les organismes aquatiques (toxicité chez les algues et effets tératogènes chez des amphibiens). Ces études mériteraient d’être poursuivies afin de documenter les impacts des SDHi sur la biodiversité et éventuellement sur la régulation des écosystèmes et leurs répercussions sur la santé humaine.
Les données de cancérogénicité sur les SDHi, analysées ici, proviennent exclusivement des rapports des agences sanitaires européennes qui publient les conclusions des évaluations des dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché élaborés par les entreprises. Selon ces conclusions, la majorité des SDHi ne présentent aucune génotoxicité. Cependant, pour la majorité des SDHi, les études chez les rongeurs montrent une augmentation de l’incidence des adénomes et des carcinomes dans différents organes : principalement le foie mais aussi la thyroïde, le poumon et l’utérus avec pour certains un dimorphisme sexuel. En dépit de ces observations, la grande majorité des SDHi autorisés au niveau européen ne sont pas classifiés par les instances réglementaires comme des substances susceptibles ou suspectées de provoquer le cancer. Ces conclusions ont été tirées sur la base du mode d’action rapporté par des études industrielles pour rendre compte des effets cancérigènes des SDHi chez le rongeur qui implique l’activation du récepteur nucléaire CAR (constitutive androstane receptor). Ce mode d’action est considéré comme spécifique aux rongeurs et n’a pas été jugé pertinent pour l’être humain par les agences sanitaires. Ces problématiques concernant le mode d’action ainsi que les modèles expérimentaux utilisés font encore l’objet de débat au sein de la communauté scientifique et au sein même des agences et il n’est pas possible d’exclure actuellement que d’autres mécanismes d’action mis en jeu dans la transformation tumorale que celui concernant le récepteur CAR soient impliqués, et pertinents pour l’être humain.
Concernant les tests réglementaires, des réflexions sont en cours au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’évaluation du potentiel cancérogène des substances non reconnues comme étant génotoxiques telles que les SDHi. Le groupe d’experts international de l’OCDE a reconnu dans cette déclaration de consensus le besoin d’élargir l’évaluation avec des essais in vitro/ex vivo, selon une approche intégrative basée sur le concept des voies d’effets indésirables (adverse outcome pathway), qui consiste à décrire une séquence logique d’évènements liés de façon causale à différents niveaux d’organisation biologique. Certains mécanismes identifiés par l’OCDE sont pertinents pour les SDHi, dont le stress oxydant et l’épigénotoxicité, alors que d’autres mécanismes d’intérêt qui n’ont pas été retenus pourraient comprendre notamment la mitotoxicité et la transition épithélio-mésenchymateuse. Les tests visant à établir le caractère cancérogène ou non d’une substance pourraient également intégrer la notion d’impact sur la progression tumorale (promotion/métastase), le processus d’initiation criblé notamment par les tests de génotoxicité et de mutagénicité n’étant pas le seul impliqué dans la pathologie cancéreuse. Cependant, faire des recommandations précises sur l’amélioration des essais et des modèles en toxicologie réglementaire nécessiterait d’analyser l’ensemble des processus et des essais utilisés, ce qui dépasse largement le cadre de cette expertise.
Enfin, comme pour tous les pesticides, la toxicologie réglementaire évalue les substances actives et pas les formulations. Or, pour les SDHi, certaines formulations contiennent des fongicides de la famille des strobilurines qui inhibent la respiration cellulaire au niveau du complexe III de la chaîne respiratoire et qui pourraient donc potentialiser les effets sur la fonction mitochondriale. Cela souligne l’importance de tester non seulement les substances actives mais aussi les formulations dans des études de toxicologie.
Concernant les effets chez l’être humain, il n’existe à ce jour pratiquement aucune donnée épidémiologique portant sur les effets possibles des substances actives SDHi sur la santé des agriculteurs ou de la population générale. La seule étude ayant examiné cette question, menée sur les participants de la cohorte ELFE, n’a pas montré d’association entre l’exposition au boscalide pendant la grossesse et la croissance intra-utérine. En utilisant une estimation indirecte de l’exposition aux SDHi, c’est-à-dire en considérant les tâches ou activités agricoles potentiellement exposantes aux SDHi, présents sur le marché depuis plusieurs décennies et compatibles avec les délais d’apparition de pathologies (par exemple cancéreuses ou dégénératives), les rares données disponibles ne révèlent pas de signal laissant supposer un sur-risque spécifique dans ces populations agricoles. Très peu de données sont donc disponibles chez l’être humain pour évaluer le risque lié à l’utilisation des SDHi. Un renforcement de la biosurveillance humaine, l’exploitation de cohortes existantes (AGRICAN, ELFE...) à court terme et à plus long terme, la mise en place de nouvelles études épidémiologiques, pourraient permettre de mieux cerner les conséquences potentielles d’une exposition professionnelle ou non professionnelle aux SDHi sur la santé humaine.

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