II. Conséquences sanitaires d’une exposition aux radiations ionisantes : approche épidémiologique générale et études épidémiologiques en Polynésie française et dans différents pays.....

2021


ANALYSE

6-

Données épidémiologiques sur la santé des populations exposées aux essais nucléaires du Nevada et de Semipalatinsk

Entre 1946 et 1980, les États-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni, la France et la Chine ont effectué 543 essais atmosphériques d’armes nucléaires dont la puissance a totalisé l’équivalent de 440 mégatonnes de TNT (Trinitrotoluène)1 . Ces essais ont eu lieu quasiment exclusivement sur 16 sites, situés dans neuf pays différents sur tous les continents.
Les sites du Nevada (États-Unis) et de Semipalatinsk (Kazakhstan) sont ceux où le plus grand nombre d’essais nucléaires ont été réalisés, bien qu’il ne s’agisse pas des plus puissants, qui eux ont été menés dans les îles Marshall (États-Unis) et en Nouvelle-Zemble (Union soviétique).

Nevada

Environ 44 % des essais nucléaires réalisés dans le monde l’ont été dans le désert du Nevada. Au total, 121 essais nucléaires atmosphériques y ont été effectués de 1951 à 1963. Certains auteurs estiment qu’il existe encore actuellement, dans la région du site d’essai du Nevada, un risque élevé de contamination des eaux souterraines par plusieurs isotopes radioactifs, notamment le plutonium-239 et le plutonium-240, qui peuvent être impliqués dans les processus hydrodynamiques des eaux souterraines, et atteindre ainsi la surface (Thomas, 1956renvoi vers).

Populations civiles

Cancer et autres pathologies de la thyroïde

La première étude portant sur l’impact des essais nucléaires du Nevada sur l’incidence du cancer de la thyroïde dans les populations exposées aux retombées est une étude de cohorte initiée en 1965 (Rallison et coll., 1975renvoi vers et 1990renvoi vers) et actualisée entre 1985 et 1986 (Kerber et coll., 1993renvoi vers), puis en 1997 (Lyon et coll., 2006renvoi vers). Initialement, cette étude de cohorte a consisté en la détection d’anomalies de la thyroïde chez 5 179 enfants d’écoles du Nevada, de l’Utah (zones proches du site d’essais) et de l’Arizona (un État présumé faiblement exposé) et âgés de 11 à 18 ans entre 1965 et 1968 (Rallison et coll., 1975renvoi vers) Un second screening a été réalisé entre 1985 et 1986 sur un nombre plus limité de sujets (3 122) (Rallison et coll., 1990renvoi vers). 3 122 individus ont fait l’objet d’une reconstruction dosimétrique (Kerber et coll., 1993renvoi vers). Une actualisation des estimations dosimétriques, basées sur les lieux d’habitation successifs des sujets et leurs habitudes alimentaires, a été publiée en 2006 (Simon et coll., 2006arenvoi vers). D’après les résultats, 1 435 sujets avaient reçu entre 0 et 74 mGy à la thyroïde, 651 entre 75 et 215 mGy, 242 entre 216 et 409 mGy et 164 avaient reçu 410 mGy ou plus à la thyroïde (Lyon et coll., 2006renvoi vers). Dans la publication de Lyon et coll. (2006renvoi vers), des nodules thyroïdiens ont été diagnostiqués chez 49 sujets (dont 13 avec adénomes et 8 avec des cancers différenciés), et des thyroïdites chez 123 sujets, dont 36 avec des hypothyroïdies. Les auteurs ont mis en évidence une relation dose-effet significative entre la dose de radiation reçue à la thyroïde et le risque de nodules, d’adénomes, et de thyroïdites, mais pas pour les cancers et les hypothyroïdies. D’une manière générale, la puissance de cette étude est faible, étant donné le nombre de sujets inclus et de pathologies thyroïdiennes, et les différences entre les relations dose-effet observées entre les pathologies doivent être interprétées avec une grande prudence. Elle a cependant permis de mettre en évidence une augmentation significative de l’incidence des pathologies thyroïdiennes dans leur ensemble, ceci même entre la 1re (0-74 mGy) et la 2e (75-215 mGy) catégorie de dose, avec un risque relatif égal à 1,5 (IC 95 % [1,1-2,1]). Pour la catégorie de dose la plus élevée (410 mGy ou plus), le risque relatif était de 2,4 (1,5-5,5), et, sur l’ensemble de la cohorte, l’excès de risque relatif par Gy était de 2,48 (IC 95 % [0,7-5,3]).
Une autre étude de cohorte a comparé 4 125 familles membres de l’Église des Saints des Derniers Jours (Mormons), vivant dans une zone exposée de l’Utah entre 1951 et 1962, à 781 735 familles membres de la même église, vivant dans le reste de l’Utah, pendant la période 1967-1975. Les pratiquants de cette religion avaient été choisis car leur mode de vie était considéré par les auteurs de l’étude, qui a porté sur l’ensemble des cancers, comme particulièrement peu à risque de cancer et limitant donc les facteurs de confusion potentiels non contrôlés. Les doses ont été reconstruites à partir des lieux d’habitation successifs (registre des lieux d’habitation). Entre 1958 et 1981, l’incidence des cancers de la thyroïde était 6,7 fois (IC 95 % [4,2-10,1]) plus élevée dans la zone exposée que dans la zone non exposée (Johnson, 1984renvoi vers).
Plus récemment, deux études géographiques nationales ont été réalisées (Gilbert et coll., 1998renvoi vers, 2010renvoi vers) suite à un travail de reconstruction de doses publié par le National Cancer Institute des États-Unis en 1997 (NCI, 1997renvoi vers ; Institute of Medicine et National Research Council, 1999renvoi vers). Cette reconstruction a conduit à une estimation des doses moyennes délivrées à la thyroïde par les retombées radioactives des essais nucléaires réalisés dans le Nevada, par comté et par État des États-Unis, à partir de modèles de dispersion prenant en compte le sexe et l’âge au moment des essais, avec différentes hypothèses sur la consommation de lait frais de vache par les enfants et les adultes, sur la durée d’allaitement des nouveau-nés, et sur la durée de la période d’alimentation mixte lait maternel/lait de vache. Les deux études géographiques ont combiné des données d’incidence, disponibles pour 194 comtés couverts par le registre SEER (Surveillance, Epidemiology, and End Results) de statistiques des cancers, dont ceux contaminés de l’Utah, et des données de mortalité, disponibles pour l’ensemble des États-Unis. Elles ont porté respectivement, sur 4 602 décès et 12 657 cas (Gilbert et coll., 1998renvoi vers) et 18 545 cas (Gilbert et coll., 2010renvoi vers) de cancer de la thyroïde, survenus, respectivement, entre 1957 et 1994 et entre 1973 à 2004. Dans ces deux études, il n’a pas été mis en évidence de relation entre les doses reçues à la thyroïde et l’incidence des cancers de la thyroïde, à l’exception de relations non significatives avec les doses reçues avant l’âge de 1 an (ERR/ Gy = 10,6 ; IC 95 % [-1,1-29] pour la mortalité et ERR/Gy = 2,4 ; IC 95 % [-0,5-5,6] pour l’incidence). Ceci malgré le fait que 1 600 des décès par cancer de la thyroïde de la 1re publication et 2 842 de la seconde, étaient survenus dans des comtés pour lesquels la dose moyenne était élevée (égale ou supérieure à 90 mGy).
D’une manière générale, les résultats des deux études de cohortes sont cohérents avec ce qu’on sait actuellement de la relation dose-effet pour les cancers de la thyroïde chez l’enfant (Lubin et coll., 2017renvoi vers). En revanche, ceux des études géographiques, théoriquement plus puissantes car portant sur beaucoup plus de sujets, sont plus surprenants. En effet, l’ensemble des études disponibles sur le sujet montre que la radiosensibilité des enfants de moins de 5 ans est plus élevée que celle des plus âgés, mais que la radiosensibilité des moins de 1 an n’est pas beaucoup supérieure. Cette absence de résultat significatif dans les études géographiques provient probablement de leurs limitations intrinsèques, à savoir l’absence de prise en compte de tout facteur de confusion et le fait que la reconstruction dosimétrique ne prend en compte que le lieu d’habitation au moment de la survenue du cancer, et pas celui au moment des essais, qui n’est pas connu.

Leucémies

Les leucémies ont été évaluées dans 4 études : 2 études géographiques, une étude de cohorte et une étude cas-témoins.
L’étude cas-témoins a porté sur la mortalité par leucémie entre 1952 et 1981 chez les membres et les apparentés du 1er degré d’un membre de l’Église des Saints des Derniers Jours nés et résidant dans l’Utah (Stevens et coll., 1990renvoi vers). Les doses reçues à la moelle osseuse des cas et des témoins ont été reconstruites à partir de l’âge des sujets et des lieux d’habitation successifs. Un total de 1 177 décès par leucémie et 5 330 témoins décédés d’autres causes, appariés sur le sexe, l’année de naissance et de décès ont été inclus. Cependant, dans cette étude, seulement 29 décès étaient survenus chez des sujets ayant reçu une dose à la moelle osseuse estimée à plus de 6 mGy (le maximum étant de 30 mGy). Pour l’ensemble des décès par leucémies, quel que soit l’âge, une relation à la limite de la significativité (p = 0,08) a été mise en évidence, le risque relatif étant de 1,72 (IC 95 % [0,94-3,12]) pour les sujets ayant reçu 6 mGy ou plus à la moelle osseuse, par comparaison à ceux ayant reçu moins de 3 mGy. Cette relation était significative (p = 0,04) dans une analyse limitée aux décès par leucémie survenus avant l’âge de 19 ans et avant 1964, le risque relatif étant de 5,82 (IC 95 % [1,55-21,80]) pour les sujets ayant reçu 6 mGy ou plus à la moelle osseuse (Stevens et coll., 1990renvoi vers).
L’étude de cohorte portant sur les cas incidents de tous les cancers chez les membres et apparentés du 1er degré de l’Église des Saints des Derniers Jours (Johnson, 1984renvoi vers) a mis en évidence une augmentation significative de l’incidence des leucémies entre 1958 et 1981. Cette incidence était 4,40 (IC 95 % [2,59-6,21]) fois plus élevée chez les sujets de la zone contaminée que chez ceux de la zone non contaminée, aussi bien chez les femmes (39 cas observés pour 9 attendus) que chez les hommes (5 cas observés pour 0,4 attendu).
Une étude géographique, publiée en 1984, a porté sur la mortalité par leucémie de l’enfant entre 1950 et 1978 dans le sud de l’Utah, de l’Oregon et de l’Iowa (Land et coll., 1984renvoi vers). Les auteurs ont étudié la différence entre la mortalité par leucémie de l’enfant chez les sujets nés au moment des essais, considérés comme exposés, à celle de ceux nés à distance de cette période (considérés comme non-exposés). Ils ont par ailleurs procédé à des comparaisons entre les 3 zones les plus contaminées de l’Utah et le reste de l’Utah, l’Oregon et de l’Iowa (Land et coll., 1984renvoi vers). Cette étude avait pour objectif de confirmer les résultats d’une première étude (Lyon et coll., 1979renvoi vers) qui avait conclu à une augmentation du risque de mortalité par leucémie dans les régions contaminées de l’Utah chez les enfants nés durant la période des essais nucléaires atmosphériques. Les estimations des doses moyennes à la moelle osseuse par canton provenaient d’une étude dosimétrique qui concluait que les doses moyennes cumulées dues aux essais atmosphériques du Nevada allaient de 4 à 11 mGy selon les comtés (Beck et Krey, 1983renvoi vers). À cette époque, ces doses étaient considérées comme très inférieures à celles pouvant entraîner une augmentation du risque de leucémie. L’étude géographique de Land et coll. (1984renvoi vers) n’a pas mis en évidence de variation significative pour la différence constatée : les enfants nés durant la période des essais nucléaires atmosphériques de l’Utah avaient un risque plus élevé de leucémies qu’ils soient nés ou non dans la zone la plus contaminée (Land et coll., 1984renvoi vers). Il faut cependant noter que la faiblesse de la variation des doses moyennes entre les différents comtés (un facteur 3) et l’hétérogénéité individuelle à l’intérieur de ces comtés rendent cette étude peu puissante, malgré l’effectif des populations concernées.
Une autre étude géographique, publiée peu après (Machado et coll., 1987renvoi vers), a comparé la mortalité par leucémie et cancer dans le sud-ouest de l’Utah avec celle du reste de l’Utah et des États-Unis. Elle a mis en évidence une augmentation et a conclu que la mortalité par leucémie entre 1955 et 1981 dans le sud-ouest de l’Utah était 2,95 (1,65-4,90) fois plus élevée que celle du reste des États-Unis.

Autres cancers

L’étude de cohorte réalisée chez les membres de l’Église des Saints des Derniers Jours et de leurs apparentés a mis en évidence un excès d’incidence de cancer de l’estomac (RR = 4,43 ; IC 95 % [2,59-6,21]) durant la période 1958-1981 et de cancer du sein (RR = 1,93 ; IC 95 % [1,30-2,77]) durant la période 1972-1982, dans les populations vivant dans les cantons les plus contaminés du sud de l’Utah par rapport aux populations vivant dans les cantons moins contaminés (Johnson, 1984renvoi vers).
Ces excès de risque n’ont pas été retrouvés dans l’étude de mortalité réalisée par Machado et coll. (1987renvoi vers) dans la région du sud-ouest de l’Utah et sur l’ensemble de la population de cet État.

Fertilité

La fertilité des sujets qui avaient été inclus dans l’étude de cohorte prospective sur les enfants des écoles du Nevada, de l’Utah et de l’Arizona (Lyon et coll., 2006renvoi vers) a fait l’objet d’une publication plus récente (Stone et coll., 2013renvoi vers). En utilisant les reconstructions dosimétriques publiées par le NCI (Simon et coll., 2006arenvoi vers), Stone et coll. (2013renvoi vers) ont mis en évidence une augmentation significative (test de tendance linéaire : p = 0,05) du risque d’infertilité en fonction de la dose à la thyroïde, le risque relatif étant respectivement de 1,22 (IC 95 % [0,82-1,67] et 1,36 (IC 95 % [0,96-1,90]) pour les 2e et 3e terciles de la distribution de dose. Dans cette étude concernant 274 sujets (sur un total de 1 389 participants) classés comme « infertiles », l’infertilité a été définie comme la non-fertilité malgré un désir d’enfant durant plus d’un an avant l’âge de 40 ans. En revanche, aucune association n’a été mise en évidence avec le risque de stérilité (30 cas parmi les 274 sujets infertiles). Les résultats, juste significatifs, de cette étude doivent être confirmés par d’autres études, car il s’agit de la 1re montrant une relation entre de faibles doses d’irradiation et le risque d’infertilité.

Participants aux essais nucléaires

Les militaires ayant participé à la série de tests nucléaires nommée Plumbbob en 1957, et en particulier ceux qui ont participé au test Smoky, sont considérés comme ayant été exposés à des retombées.
Le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) a publié deux études préliminaires qui ont conclu à un risque plus élevé de leucémies chez les participants au test Smoky, par comparaison au risque attendu d’après les données sur la population générale américaine (Caldwell et coll., 1980renvoi vers et 1983renvoi vers).
En 2000, le National Research Council (NRC) a publié les résultats d’une étude visant à évaluer un éventuel excès de décès par cancer chez les 70 000 militaires ayant participé à au moins une des 5 séries de tests nucléaires considérées comme ayant été les plus irradiantes pour le personnel militaire, dont la série Plumbbob (Thaul et coll., 2000renvoi vers) par comparaison à 65 000 militaires appelés « référents » car n’ayant participé ni aux essais nucléaires, ni aux bombardement d’Hiroshima et Nagasaki. L’étude, qui n’inclut pas d’information dosimétrique, a porté sur un total de 18 498 décès chez les participants à ces 5 séries de tests et de 17 657 décès chez les référents. La mortalité toutes causes et la mortalité tous cancers ne différaient pas significativement entre la cohorte de militaires potentiellement exposés et celle des référents. La seule catégorie de causes de décès en excès dans la cohorte potentiellement exposée était celle des causes externes (accident, suicide, empoisonnement), l’excès étant de 8 % (IC 95 % [2 %-8 %]). L’analyse de la mortalité par type de cancer n’a mis en évidence un excès significatif que pour les cancers du nasopharynx (RR = 2,64 ; IC 95 % [1,02-6,82]). Un excès non significatif a été montré pour les leucémies (RR = 1,15 ; IC 95 % [0,93-1,43]). L’analyse des variations de cet excès en fonction de l’âge des participants et du délai d’apparition des leucémies n’a pas fourni d’argument en faveur d’une origine radio-induite.
Une dernière étude, publiée en 2016 (Caldwell et coll., 2016renvoi vers), a utilisé des estimations de doses à la moelle osseuse active établies principalement à partir des dosimètres portés par les militaires (Till et coll., 2014renvoi vers ; Beck et coll., 2017renvoi vers). Elle a porté sur la mortalité par cancer et autres causes entre 1957 et 2010 chez 12 229 militaires ayant participé à la série de tests Plumbbob, dont 3 020 au test Smoky. Il est important de noter que les doses de radiations reçues étaient faibles, de l’ordre de quelques milligrays pour la plupart d’entre eux. Quelle que soit la période étudiée (1957-1979 ou 1957-2010), les 9 209 militaires qui avaient participé à la série de tests Plumbbob, mais pas au test Smoky, avaient une mortalité générale significativement inférieure à celle de la population générale américaine. Cette sous-mortalité était aussi significative pour la mortalité par cancer, diabète, pathologie cardiaque, pathologie pulmonaire, cirrhose et suicide. En revanche, les 3 020 militaires ayant participé au test Smoky avaient une mortalité significativement supérieure à celle de la population générale américaine (SMR = 1,06 ; IC 95 % [1,02-1,11]). Cette surmortalité a été retrouvée pour l’ensemble des cancers (SMR = 1,14 ; IC 95 % [1,05-1,25]), les cancers du système respiratoire (SMR = 1,16 ; IC 95 % [1,00-1,33]), l’ensemble des leucémies sauf les lymphoïdes chroniques (SMR = 1,89 ; IC 95 % [1,24-2,75]), les pathologies rénales (SMR = 1,53 ; IC 95 % [1,02-2,19]) et les accidents (SMR = 1,30 ; IC 95 % [1,06-1,57]). Dans une analyse limitée à la période 1957-1979, durant laquelle 301 décès étaient survenus, ces excès étaient observés pour toutes ces pathologies, mais n’étaient pas toujours significatifs. Cependant, pour les leucémies, le SMR était de 3,42 (IC 95 % [1,71-7,10]). Bien que l’excès de décès par leucémie durant la période la plus proche des essais nucléaires soit cohérent avec ce que l’on sait de la période de latence des leucémies radio-induites, les auteurs n’ont pas mis en évidence de relation entre la dose de radiation reçue à moelle osseuse et le risque de leucémie, le risque relatif chez les sujets ayant reçu une dose supérieure à 10 mGy étant de 0,53 (IC 95 % [0,12-2,38]), par rapport au risque observé pour les sujets qui avaient reçu une dose inférieure à 2 mGy, ce qui correspond à un excès de risque relatif par mGy de -0,05 (IC 95 % [-0,14-0,04]).

Conclusion sur les essais nucléaires du Nevada

Les résultats des différentes études publiées sur les effets sanitaires des essais nucléaires réalisés dans le Nevada peuvent paraître contradictoires (tableau 6.Irenvoi vers). Ceci principalement en raison de faibles niveaux de doses reçues par les populations civiles et militaires, et de la complexité de leur reconstruction. Les études cas-témoins et de cohorte sur les populations civiles ont, en général, conclu à une augmentation du risque de cancer de la thyroïde et de leucémie. Ces études permettent d’individualiser les estimations de doses, sont plus précises et permettent de prendre en compte certains facteurs de risque, ce qui est d’autant plus important que les doses, et leurs effets attendus, sont faibles. Cependant, elles sont de taille plus faible que les études géographiques et sont plus sensibles à différents types de biais dans leurs réalisations. Les études géographiques incluent davantage de sujets et de cas, mais elles ne permettent pas d’individualiser les estimations de doses, ni de prendre en compte les facteurs de risque des cancers.
Malgré l’absence de relation dose-effet dans certaines études géographiques, la synthèse des études publiées à ce jour montre que les doses de quelques dizaines de milligrays reçues à la thyroïde et de quelques milligrays reçues à la moelle osseuse active par les habitants des comtés les plus contaminés de l’Utah et du Nevada, sont associées à une augmentation de l’incidence des leucémies. Cette augmentation du risque est cohérente avec les connaissances actuelles sur les cancers et les pathologies bénignes de la thyroïde, et les leucémies radio-induites. Les résultats concernant les autres cancers et la fertilité sont crédibles, mais doivent être confirmés par d’autres études.
Les résultats des études sur les militaires ayant participé aux essais du Nevada sont difficiles à interpréter (tableau 6.IIrenvoi vers). Ceux concernant les militaires n’ayant pas participé au test Smoky, le plus contaminant, sont, étant donné les faibles doses reçues, cohérents avec ce qu’on connaît des effets sur la santé des rayonnements ionisants, et conduisent à conclure à une absence d’excès de décès par cancer ou autres pathologies radio-induites. Pour les militaires qui ont participé au test Smoky, il est plus difficile de conclure. En effet, l’excès de mortalité par cancer et leucémie observé chez ces sujets par comparaison à la population générale semble difficilement attribuable à une autre cause que la participation à ces essais. Toutefois, il est étonnant qu’aucune relation dose-effet n’ait été mise en évidence, alors que la reconstruction des doses, basée notamment sur le port de dosimètres, est plus précise que celle réalisée pour la population générale.

Tableau 6.I Descriptif des principales études sur les populations civiles exposées aux essais nucléaires du Nevada

Référence
Type d’étude
Population
Pathologies étudiées et nombre de cas
Dosimétrie ; dose moyenne
Conclusions
Land et coll., 1984renvoi vers
Étude géographique
Comparaison population exposée (nés ou enfants durant les essais) / non exposée (nés après ou décédés avant les essais)
Zones plus contaminées : 3 régions du sud de l’Utah
Zones moins contaminées : sud de l’Utah, l’Oregon, Iowa
Décès entre 1950 et 1978
Mortalité par leucémies de l’enfant
Zones plus contaminées :
population exposée : 60 décès
population non exposée : 29 décès
Zones moins contaminées : population exposée : 593 décès
population non exposée : 491 décès
Pas de dosimétrie individuelle
Définition des zones plus ou moins contaminées à partir des résultats de Beck et Krey (1983renvoi vers)
Pas de différence significative entre l’augmentation du risque (exposés / non exposés) en fonction du niveau de contamination de la zone
Pas d’augmentation du risque de décès par leucémie de l’enfant liée aux retombées des essais du Nevada
Stevens et coll., 1990renvoi vers
Étude cas-témoins
Membre ou apparentés 1er degré d’un membre de l’Église des Saints des Derniers Jours (Mormons)
Population née avant 1958, décédée entre 1952 et 1981, et résidant dans l’Utah au moment du décès
Mortalité tous âges par leucémie
1 177 décès par leucémie entre 1952 et 1981, et 5 330 témoins, appariés sur le sexe, l’année de naissance et de décès
Seulement 29 décès avec dose ≥ 6,0 mGy (max = 30 mGy)
Doses reconstruites à partir des lieux d’habitation successifs (registre des lieux d’habitation) et l’âge
Toutes leucémies sauf LLC :
3,0-5,9 mGy :
OR = 1,08 (IC 95 % [0,89-1,30])
6,0-30,0 mGy :
OR = 1,72 (IC 95 % [0,94-3,12]), p-tendance = 0,084
LLC :
3,0-5,9 mGy :
OR = 1,68 (IC 95 % (0,76-1,50])
6,0-30,0 mGy :
OR = 1,70 (IC 95 % [0,61-4,73]), p-tendance ≥ 0,1
LLA :
3,0-5,9 mGy :
OR = 1,08 (IC 95 % [0,91-1,27])
6,0-30,0 mGy :
OR = 1,69 (IC 95 % [1,01-2,84]), p-tendance ≥ 0,084
Décès avant 19 ans, Toutes leucémies sauf LLC :
3,0-5,9 mGy :
OR = 1,30 (IC 95 % [0,43-3,99])
6,0-30,0 mGy :
OR = 5,82 (IC 95 % [1,55-31,8]), p-tendance = 0,041
Johnson, 1984renvoi vers
Étude de cohorte rétrospective
Cohorte exposée : 4 125 familles de membres de l’Église des Saints des Derniers Jours (Mormons), vivant dans une zone exposée de l’Utah entre 1951 et 1962
Cohorte non exposée : 781 735 membres de familles de la même église, vivant dans le reste de l’Utah, durant la même période
Incidence tous cancers entre 1958 et 1981
Doses reconstruites à partir des lieux d’habitation successifs (registre des lieux d’habitation) et l’âge
Sur l’ensemble de la période 1958-1981 :
Incidence significativement plus élevée dans la cohorte exposée que dans la zone non exposée, pour les cancers suivants :
Estomac : RR = 3,10 (IC 95 % [1,73-4,99])
Thyroïde : RR = 6,67 (IC 95 % [4,19-10,11])
Leucémie : RR = 4,43 (IC 95 % [2,59-6,21])
Sur la période 1972-1981 :
Incidence significativement plus élevée dans la cohorte exposée que dans la zone non exposée, pour le cancer du sein :
RR = 1,93 (IC 95 % [1,30-2,77])
Machado et coll., 1987renvoi vers
Étude géographique
Zone exposée : Sud de l’Utah
Zones non exposées : reste de l’Utah et reste des États-Unis
Population née avant 1959
Mortalité tous cancers
Période d’étude : Leucémies et sarcomes : entre 1955 et 1981
Autres cancers : entre 1964 et 1981
Pas de dosimétrie individuelle. Définition des zones plus ou moins contaminées à partir des résultats de Beck et Krey (1983renvoi vers)
Pas d’excès de décès dans les zones les plus contaminées, sauf pour les leucémies de l’enfant
Leucémies de l’enfant (< 15 ans) pour la période 1955-1980 : SIR = 2,95 (IC 95 % [1,65-4,90])
Rallison et coll., 1975renvoi vers, 1990renvoi vers ; Kerber et coll., 1993renvoi vers ; Lyon et coll., 2006renvoi vers
Étude de cohorte constituée rétrospectivement et suivie prospectivement
Analyse interne
Cohorte exposée : 4 818 écoliers des zones les plus contaminées de l’Utah, du Nevada, et de l’Oregon, nés entre 1947 et 1954
Incidence des pathologies thyroïdiennes
Examens médicaux entre 1964 et 1966 et entre 1985 et 1986
Nodules : 49
Adénomes : 13
Cancers : 8
Thyroïdites : 123
Hypothyroïdies : 36
Doses à la thyroïde reconstruites à partir des lieux d’habitation et des habitudes alimentaires (Simon et coll., 2006arenvoi vers)
Groupement des sujets en 4 catégories de doses : 0-49 mGy, 20-249 mGy, 250-399 mGy, 400 mGy et +
Relation dose-effet significative pour les nodules, les adénomes et les thyroïdites, mais pas pour les cancers et les hypothyroïdies
RR pour la catégorie la plus exposée, par rapport à la catégorie la moins exposée :
Nodules : RR = 4,0 (IC 95 % [1,7-9,3])
Adénomes : RR = 13,8 (IC 95 % [3,0-62,8])
Thyroïdites : RR = 5,6 (IC 95 % [3,5-9,2])
Cancers : RR = 2,1 (IC 95 % [0,2-18,2 ])
Hypothyroïdies : RR = 3,3 (IC 95 % [1,2-9,1])
Gilbert et coll., 1998renvoi vers, 2010renvoi vers
Étude géographique
Mortalité : ensemble des États-Unis
Incidence : 194 comtés couverts par le SEER, dont ceux l’Utah
1re publication : période 1957-1994
2e publication : période 1973-2004
Incidence et mortalité, cancers de la thyroïde
1re publication : 12 657 cas, dont 1 600 dans les comtés avec dose moyenne à la thyroïde ≥ 90 mGy, et 4 602 décès
2e publication : 18 545 cas, dont 2 842 dans les comtés avec dose moyenne ≥ 90 mGy
Doses moyennes à la thyroïde reconstruites par comté et par État, à partir de modèles de dispersion, le sexe, et l’âge au moment des essais, avec 4 hypothèses sur la consommation de lait frais (Hundahl, 1998renvoi vers ; Institute of Medicine et National Research Council, 1999renvoi vers)
Pas de relation dose-effet significative pour la dose reçue après l’âge de 1 an, quels que soient les modèles et hypothèses
1re étude : Mortalité ERR/Gy de 10,6 (IC 95 % [-1,1-29]) à 22 (IC 95 % [3,2-50]) selon les modèles ; Incidence : ERR/Gy de 2,4 (IC 95 % [-0,5-5,6]) à 6,6 (IC 95 % [2,5-11]) selon les modèles
2e étude : ERR/Gy = 2,0 (IC 95 % [0,7-3,4]) pour la dose reçue avant l’âge d’un an, plus élevé chez les hommes que chez les femmes, et stable dans le temps entre 1973 et 2004
Stone et coll., 2013renvoi vers
Étude de cohorte rétrospective suivie prospectivement
Cohorte exposée : 4 818 écoliers des zones les plus contaminées de l’Utah, du Nevada et de l’Oregon, nés entre 1947 et 1954
Infertilité, malgré désir d’enfant, durant plus d’un an avant l’âge de 40 ans : 274 cas
Stérilité : 30 cas
Doses à la thyroïde reconstruites à partir des lieux d’habitation et des habitudes alimentaires (Simon et coll., 2006arenvoi vers)
Augmentation significative (p = 0,05) du risque d’infertilité en fonction de la dose à la thyroïde. RR pour les 2e et 3e terciles de la distribution des doses : 1,22 (IC 95 % [0,82-1,67]) et 1,36 (IC 95 % [0,96-1,90])

Abréviations : ERR : excès relatif de risque ; LLA : Leucémie lymphoïde aiguë ; LLC : Leucémie lymphoïde chronique ; SEER : Surveillance, Epidemiology, and End Results ; SIR : ratio d’incidence standardisé.

Tableau 6.II Descriptif des principales études sur les personnels militaires participants aux essais nucléaires du Nevada

Référence
Type d’étude
Population
Pathologie étudiées et nombre de cas
Dosimétrie ; dose moyenne
Conclusions
Thaul et coll., 2000renvoi vers
Cohorte
70 000 participants à au moins une des 5 séries de tests considérés comme ayant été les plus irradiants pour le personnel militaire, et 65 000 référents
Mortalité toutes causes
Pas de reconstitution dosimétrique. Décision prise à la suite d’une évaluation des informations dosimétriques disponibles
Pas d’excès de mortalité toutes causes ou de mortalité par cancer
Causes externes (accidents, suicides, empoisonnements) :
RR = 8 (IC 95 % [1,02-1,08])
Cancer du nasopharynx :
RR = 2,64 (IC 95 % [1,02-6,82])
Leucémies :
RR = 1,15 (IC 95 % [0,93-1,43])
Caldwell et coll., 1980renvoi vers et 1983renvoi vers
Cohorte
Comparaison par rapport à la population générale des États-Unis
3 072 participants au test atmosphérique Smoky
Mortalité tous cancers, entre 1957 et 1979
Dosimètres films des personnels
Dose < 50 mSv pour 72 % des participants
Excès de cas de leucémie :
SIR = 2,6 (IC 95 % [1,2-4,6])
Excès de décès par leucémie :
SMR = 1,6 (IC 95 % [1,1-5,1])
Pas de relation dose-effet
Pas d’excès pour les autres cancers
Caldwell et coll., 2016renvoi vers
Cohorte
Comparaison par rapport à la population générale des États-Unis
12 219 vétérans ayant participé à la série de tests atmosphériques Plumbbob en 1957, dont 3 020 ayant participé au test Smoky
Mortalité, tous cancers, entre 1957 et 2010
Dosimétrie individuelle reconstituée pour une sous-cohorte de 1 857 sujets et basée sur les films et des mesures effectuées par l’armée (Till et coll., 2014renvoi vers ; Beck et coll., 2017renvoi vers)
Dose moyenne à la moelle osseuse active : 3,2 mGy (max : 500 mGy)
Participants au test Smoky : Excès de mortalité par leucémie : SMR = 1,89 (IC 95 % [1,24-2,75]), mais pas de relation dose-effet. Pas d’excès pour les autres cancers
Autres participants à la série de test Plumbbob : pas d’excès de mortalité par cancer ni par leucémie (SMR = 0,87 ; IC 95 % [0,64-1,51])

Semipalatinsk

Selon les publications, 118 à 125 essais nucléaires atmosphériques ont été réalisés entre 1949 et 1969 dans la région de Semipalatinsk dans le nord-est du Kazakhstan2 . Toutefois, la plus grande partie (80-90 %) de l’exposition des populations locales provient de trois essais, effectués en 1949, 1951 et 1953, qui ont respectivement contaminé les villages de Dolon, Kanonerka, Korostely et la région de l’Altaï en Russie, pour le 1er, la région de Kaynar dans le sud du champ de tirs pour le 2e, et les régions de Sarzhal, Karaul dans le sud du champ de tirs et, dans une moindre mesure, Kaynar, pour le 3e (Hille et coll., 1998renvoi vers).
D’une manière générale, les populations de ces villages ont été exposées à des doses estimées comme étant plusieurs dizaines de fois supérieures à celles concernant les habitants des comtés considérés comme contaminés au Nevada.
Les études de cohorte ont été rendues possibles suite à la création d’un registre des cancers en 1957. Pour assurer le suivi des populations exposées, la Semipalatinsk Historical Cohort a été constituée dès le début des années 1960. Elle comprend des habitants permanents de dix villages proches du site où ont eu lieu les tests atmosphériques (Cheremushka, Dolon, Kaynar, Kanonerka, Kaskabulak, Karaul, Kundyzdy, Mostik, Sarzhal et Znamenka) et les habitants de six villages plus éloignés considérés comme exempts de retombées radioactives ou très peu exposés (Bol’shaia Bukon, Ivanovka, Karandykol, Kokpekty, Preobrazhenka et Ulguli-Malsh).
À ce jour, aucune étude n’a été effectuée sur les participants aux essais nucléaires réalisés par l’Union soviétique3 . Les seules études publiées concernent les populations des villages et zones contaminés.

Thyroïde

Une étude transversale a porté sur un screening des nodules thyroïdiens par échographie effectué en 1998 sur 2 994 sujets issus pour 66 % d’entre eux de la Semipalatinsk Historical Cohort, pour 21 % de sujets habitant dans des villages contaminés mais non inclus dans cette cohorte, et pour 13 % de sujets habitant dans des villages couverts dans cette cohorte, mais qui n’avaient pas été inclus. Au moins un nodule thyroïdien a été détecté chez 907 sujets. La ponction à l’aiguille fine a permis de poser un diagnostic de cancer thyroïdien chez 26 sujets. Une première reconstitution dosimétrique individuelle a été basée sur une modélisation des retombées des 11 essais atmosphériques réalisés entre 1949 et 1962, les lieux d’habitation successifs et une enquête alimentaire par interview des sujets (Land et coll., 2008renvoi vers). Une seconde évaluation a intégré à la précédente les résultats d’interviews en groupes (« focus group ») de femmes ayant eu des enfants durant la période des essais atmosphériques et d’experts ayant à l’époque de ces tests une fonction leur permettant de connaître les habitudes comportementales et/ou alimentaires de la population (Schwerin et coll., 2010renvoi vers ; Drozdovitch et coll., 2011renvoi vers). À partir de la 1re estimation dosimétrique, il a été estimé que le risque de nodule augmentait significativement avec la dose à la thyroïde, l’augmentation du risque relatif par Gray reçu à la thyroïde étant de 2,42 (IC 95 % [1,31-4,16]) pour les hommes et de 0,22 (IC 95 % [0,021-0,52]) pour les femmes. En revanche, aucune relation dose-effet significative n’a été mise en évidence pour les cancers thyroïdiens (Land et coll., 2008renvoi vers). Une seconde estimation prenant en compte les résultats de la nouvelle dosimétrie et la nature des incertitudes (partagées ou individuelles) a conduit à réévaluer à la hausse le coefficient de risque pour les nodules : 3,99 (IC 95 % [2,33-19,07]) pour les hommes et 0,35 (IC 85 % [0,01-1,00]) pour les femmes. La relation dose-effet n’était pas significative pour les rares cancers thyroïdiens (84 cas pour 2 376 individus inclus dans la cohorte) (Land et coll., 2015renvoi vers). Par ailleurs, cette étude a permis de préciser les facteurs génétiques de susceptibilité au cancer de la thyroïde après irradiation (Sigurdson et coll., 2009renvoi vers).
Une étude transversale a porté sur un screening effectué en 2001 par palpation thyroïdienne et par échographie sur 196 enfants (< 15 ans) de 2 villages contaminés situés sur le trajet des retombées, Kaynar et Karaul. Ce screening n’a permis de diagnostiquer que 2 goitres, mais ni nodules ni cancers de la thyroïde. Les auteurs ont conclu qu’il n’y avait pas d’augmentation du risque de pathologie thyroïdienne chez les enfants vivant dans ce village (Hamada et coll., 2003renvoi vers). Cette étude ne présentait cependant que peu d’intérêt étant donné que la demi-vie de l’iode-131 est de l’ordre de 8 jours et que le dernier essai nucléaire atmosphérique au Kazakhstan a été réalisé en 1962. Il aurait été plus pertinent de sélectionner non pas des sujets âgés de moins de 15 ans en 2001 mais qui étaient enfants en 1969, ou en 1953 pour se limiter aux essais les plus polluants.

Leucémies

Une étude cas-témoins nichée à l’intérieur de la Semipalatinsk Historical Cohort a inclus 22 cas de leucémie autre que la leucémie lymphoïde chronique et 132 témoins appariés sur le sexe et l’année de naissance. La dose médiane pour l’ensemble des sujets était de 0,89 Sv (0,01 à 5,71 Sv). Il a été observé que les sujets ayant reçu une dose de 2 Sv ou plus présentaient un risque de leucémie 1,91 (IC 95 % [0,38-9,67]) fois plus élevé que ceux pour lesquels la dose estimée était inférieure à 0,5 Sv (Abylkassimova et coll., 2000renvoi vers).

Tous cancers

Une étude géographique a porté sur la distribution spatiale des cancers de l’enfant diagnostiqués entre 1981 et 1990 au Kazakhstan (Zaridze et coll., 1994renvoi vers). Un total de 1 508 cancers de l’enfant a été répertorié à partir du registre des cancers de cette période (le cancer était une maladie à déclaration obligatoire à l’époque de l’Union soviétique), parmi lesquels 512 leucémies aiguës. Le risque de cancer de l’enfant était 2,02 (1,59-2,56) fois plus important dans les populations vivant à moins de 200 km du site d’essais nucléaires de Semipalatinsk, par rapport à celles vivant à plus de 400 km de ce site. Le risque relatif de leucémies aiguës était de 1,76 (1,19-2,59).
Une étude de cohorte a comparé l’incidence des cancers solides entre 1956 et 1994 dans une cohorte de 9 900 sujets nés ou enfants durant la période des essais nucléaires et résidant dans un des villages les plus contaminés, par rapport à celle dans une cohorte similaire de 10 125 habitants de villages qui n’étaient pas situés sur la trajectoire des retombées radioactives (Gusev et coll., 1998renvoi vers). L’estimation des doses était basée sur des rapports internes du site d’essais nucléaires (Gusev et coll., 1997renvoi vers) et était très imprécise. Il a été estimé que les sujets de la cohorte la plus contaminée avaient reçu une dose effective moyenne de 2 000 mSv, ceux de la cohorte la moins contaminée ayant reçu 70 mSv. Un total de 120 cancers a été observé dans la cohorte la plus exposée, ce nombre étant de 70 dans l’autre cohorte. Un excès significatif d’incidence de cancer solide a été rapporté dans la cohorte la plus contaminée (avec un risque relatif maximal de 2,79 pour l’année 1970, p = 0,0006), cet excès ayant été attribué aux cancers du poumon, de l’œsophage et de l’estomac (Gusev et coll., 1998renvoi vers).
Une étude de mortalité par cancer solide reposant sur la Semipalatinsk Historical Cohort a été publiée (Bauer et coll., 2005renvoi vers). L’estimation des doses avait été améliorée et semi-individualisée, dans le cadre de la « joint Russian NCI dosimetry », qui était basée sur une modélisation des retombées de chaque essai, des transferts dans le sol, et prenant en compte le sexe, l’âge et les lieux d’habitation de chaque sujet, ainsi que les habitudes alimentaires moyennes dans chaque village (Gordeev et coll., 2002renvoi vers ; Simon et coll., 2003renvoi vers). Ceci a conduit à des estimations nettement plus faibles que celles de l’étude de (Gusev et coll., 1998renvoi vers) : 634 mSv en moyenne pour la cohorte la plus contaminée et 20 mSv pour la cohorte témoin. Les auteurs ont limité l’étude aux sujets en bonne santé en 1960, éliminé les sujets pour lesquels l’information minimale nécessaire à la reconstruction des doses n’était pas disponible, et conservé dans leur analyse 9 850 sujets de la cohorte la plus contaminée et 9 604 sujets de l’autre. Un total de 532 décès par cancer a été observé dans la cohorte de sujets exposés aux retombées nucléaires, ce nombre étant de 357 dans la cohorte la moins exposée. Les résultats ont confirmé ceux de l’étude d’incidence de Gusev et coll. (1998renvoi vers). Un excès significatif de décès par cancer solide a été observé dans la cohorte la plus contaminée, l’ERR/Sv étant de 1,77 (IC 95 % [1,35-2,27]) et serait associé aux cancers du poumon, de l’œsophage, de l’estomac et du sein. Une analyse interne, limitée à la cohorte exposée, a conduit aux mêmes conclusions, avec cependant un ERR/Sv plus faible pour l’ensemble des cancers solides, 0,81 (IC 95 % [0,46-1,33]) (Bauer et coll., 2005renvoi vers).

Pathologies cardiovasculaires

Une analyse de la mortalité par pathologies cardiovasculaires entre 1960 et 1980 a été réalisée sur la Semipalatinsk Historical Cohort (Grosche et coll., 2011renvoi vers). Au total, 1 982 décès par pathologie cardiovasculaire ont été répertoriés dans la cohorte exposée et 1 358 dans la cohorte non exposée. La dosimétrie a utilisé les résultats de la « joint Russian NCI dosimetry » réalisée par le NCI et les russes pour les études sur les cancers de la thyroïde (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers ; Land et coll., 2008renvoi vers). La dose moyenne au cœur a été estimée à 90 mGy pour la cohorte exposée et considérée comme inférieure à 1 mGy pour la cohorte non exposée. Le risque de décès par pathologie cardiovasculaire était 2,27 (IC 95 % [2,10-2,45]) fois plus élevé dans la cohorte exposée : 2,23 (IC 95 % [2,02-2,60]) pour les pathologies cardiaques et 2,30 (IC 95 % [2,00-2,65]) pour les pathologies cérébrovasculaires. Mais, à l’intérieur de la cohorte exposée, il n’a pas été constaté d’augmentation du risque en fonction de la dose, ni pour l’ensemble des pathologies cardiovasculaires, ni pour une catégorie de ces pathologies. Les auteurs ont conclu qu’il n’y avait pas eu d’effet des retombées nucléaires des essais atmosphériques sur la mortalité par pathologie cardiovasculaire observée de 1960 à 1990 dans le Kazakhstan (Grosche et coll., 2011renvoi vers).
Une étude transversale de la prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) essentielle a été réalisée en 2013 chez 1 755 sujets âgés de 18 à 91 ans (1 048 femmes et 707 hommes) vivant dans 2 villages contaminés, Maiskii et Lebiazhinskii (Markabayeva et coll., 2018renvoi vers). L’HTA essentielle a été définie comme une pression sanguine systolique de 140 mm Hg ou plus et/ou une pression artérielle diastolique moyenne de 90 mm Hg ou plus et/ou un traitement anti-hypertenseur autodéclaré. Un diagnostic d’HTA essentielle a été posé chez 431 femmes et 234 hommes. La dosimétrie individualisée utilisée a été celle de la « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers). La médiane de la dose efficace a été estimée à 59 mSv. Le risque relatif d’HTA essentielle après ajustement sur l’âge, l’indice de masse corporelle, le cholestérol total, le tabagisme et la consommation d’alcool, pour les sujets ayant reçu respectivement, de 20 à 59 mSv, de 60 à 185 mSv, et 186 mSv ou plus, par rapport aux sujets ayant reçu moins de 20 mSv, était de 1,52 (IC 95 % [1,09-2,12]), 1,67 (IC 95 % [1,20-2,33]) et 1,93 (IC 95 % [1,37-2,75]), pour l’ensemble des deux sexes. La relation dose-effet n’était significative que pour les hommes, les risques relatifs étant de 2,30 (IC 95 % [1,18-4,51]), 2,25 (IC 95 % [1,13-4,50]) et 3,68 (IC 95 % [1,77-7,64]), mais l’absence de test d’interaction empêche de déterminer si cette différence entre les sexes n’est pas due au hasard (Markabayeva et coll., 2018renvoi vers).

Descendance

Deux études transversales ont porté respectivement sur le rapport mâle/femelle (sex-ratio) (Mudie et coll., 2007renvoi vers) et le taux de gémellité (Mudie et coll., 2010renvoi vers) parmi les enfants de 3 992 femmes nées entre 1929 et 1949 et résidant entre 1948 et 1952 dans un des 14 villages contaminés inclus dans la Semipalatinsk Historical Cohort Study. Entre 1949 et 1999, ces femmes ont donné naissance à 11 464 enfants (5 918 garçons et 5 546 filles) dont 282 issus de grossesse gémellaire. La dosimétrie utilisée était celle de la « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers). La dose efficace moyenne reçue a été estimée à 446 mSv pour les mères et à 412 mSv pour les pères. Aucune relation dose-effet significative n’a été mise en évidence, que ce soit pour le rapport mâle/femelle (p = 0,4) ou pour le taux de naissances gémellaires (p = 0,7), qu’elles soient dizygotiques ou monozygotiques.

Conclusion sur les essais nucléaires de Semipalatinsk

Les essais nucléaires réalisés par l’Union soviétique dans la région de Semipalatinsk ont conduit à une irradiation importante des habitants des villages environnant le site, et en particulier de ceux situés sur le trajet des retombées des 3 essais les plus contaminants. Les doses moyennes reçues à la thyroïde par les habitants de ces villages étaient de plusieurs centaines de milligrays, et celles reçues au niveau des autres organes, de plusieurs dizaines de milligrays (tableau 6.IIIrenvoi vers).
Une seule étude (Land et coll., 2008renvoi vers et 2015renvoi vers) a utilisé une méthodologie adéquate pour mettre en évidence un éventuel effet de ces retombées sur le risque de cancer thyroïdien, mais elle a porté sur un échantillon de trop faible taille. Les résultats obtenus sur les pathologies thyroïdiennes bénignes montrent cependant clairement que les retombées radioactives ont induit ce type de pathologies. Les essais nucléaires atmosphériques ont significativement augmenté l’incidence de l’ensemble des autres cancers, en particulier des leucémies, des cancers du poumon, du sein et du tractus digestif, chez les habitants des villages contaminés. Malgré l’absence de relation dose-effet significative, qui illustre probablement encore une fois les difficultés inhérentes à la reconstruction rétrospective des doses, il est très probable que ces essais aient augmenté fortement l’incidence des pathologies cardiaques dans ces populations.
À ce jour, aucune étude n’a été réalisée sur les personnels militaires ayant travaillé sur ce site.

Tableau 6.III Descriptif des principales études sur les populations civiles exposées aux retombées des essais nucléaires du Kazakhstan

Référence
Type d’étude
Population
Pathologies étudiées et nombre de cas
Dosimétrie ; dose moyenne
Conclusions
Zaridze et coll., 1994renvoi vers
Étude géographique
Ensemble du Kazakhstan, période 1981-1990
Cancer de l’enfant : 1 508 cas diagnostiqués entre 1981 et 1990, dont 512 leucémies aiguës
Pas de dosimétrie
Risque relatif pour les populations vivant < 200 km du site d’essais nucléaires de Semipalatinsk, versus > 400 km :
Tous cancers : 2,02 (1,59-2,56)
Leucémies aiguës : 1,76 (1,19-2,59)
Gusev et coll., 1998renvoi vers
Incidence
Étude de cohorte : comparaison de 2 populations, exposée et non exposée, sujets nés ou enfants durant les essais, et en bonne santé en 1960
« Historical Semipalatinsk Cohort »
Population exposée : 9 900 habitants de 9 villages situés sur le trajet des retombées des 3 essais les plus contaminants
Population non exposée : 10 125 habitants de villages situés à distance des retombées radioactives
Décès entre 1960 et 1999
Tous cancers
Cohorte exposée : 120 cancers
Cohorte non exposée : 70 cancers
Dosimétrie basée sur des rapports internes :
Cohorte exposée : dose efficace moyenne 2 000 mSv
Cohorte non exposée : dose efficace estimée à 70 mSv
Excès significatif d’incidence de cancer dans la population exposée
Excès d’incidence pour les cancers de l’œsophage, de l’estomac et du poumon
Bauer et coll., 2005renvoi vers
Mortalité
Étude cohorte : comparaison de 2 populations, exposée et non exposée, sujets nés ou enfants durant les essais, et en bonne santé en 1960
« Historical Semipalatinsk Cohort »
Population exposée : 9 850 habitants de 9 villages situés sur le trajet des retombées des 3 essais les plus contaminants
Population non exposée : 9 604 habitants de villages situés à distance des retombées radioactives
Décès entre 1960 et 1999
Tous cancers
Cohorte exposée : 532 décès par cancer
Cohorte non exposée : 357 décès par cancer
Dosimétrie individualisée « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers)
Cohorte exposée :
dose efficace moyenne égale à 634 mSv (entre 70 et 4 000 mSv)
Cohorte non exposée :
dose efficace estimée à 20 mSv
Excès de mortalité par cancer dans la population exposée :
ERR/Gy = 1,77 (IC 95 % [1,35-2,27])
Excès de mortalité pour les cancers de l’œsophage (ERR/Sv = 2,37 ; IC 95 % [1,47-2,63]), de l’estomac (ERR/Sv = 1,68 ; IC 95 % [0,83-2,99]), du poumon (ERR/Sv = 2,60 ; IC 95 % [1,38-4,63]), et du sein (ERR/Sv = 1,28 ; IC 95 % [0,27-3,28])
Abylkassimova et coll., 2000renvoi vers
Étude cas-témoins
Étude nichée dans la « Historical Semipalatinsk Cohort »
Décès par leucémies tous âges
22 cas et 132 témoins appariés sur le sexe et l’année de naissance
Dose efficace médiane pour l’ensemble des sujets : 0,89 Sv (0,01 à 5,71)
Risque de décès par leucémie 1,91 (IC 95 % [0,38-9,67]) fois plus élevé pour les doses supérieures à 2 Sv, par rapport aux doses inférieures à 0,5 Sv
Hamada et coll., 2003renvoi vers
Étude transversale
196 enfants (< 15 ans) de 2 villages contaminés : Kaynar et Karaul
Pathologies thyroïdiennes
Screening par palpation thyroïdienne et par échographie : 2 goitres, 0 nodule, 0 cancer
Pas de dosimétrie individuelle
Pas d’augmentation de risque de pathologie thyroïde
Sigurdson et coll., 2009renvoi vers ; Land et coll., 2008renvoi vers et 2015renvoi vers
Étude transversale
2 994 sujets : 66 % provenant de la « Historical Semipalatinsk Cohort », 21 % d’un village non inclus dans la HSC, et 13 % de villages de la HSC, mais qui n’avaient pas été inclus dans la HSC
Pathologies thyroïdiennes
Screening par échographie
907 sujets avec au moins un nodule thyroïdien
26 cancers thyroïdiens
1re dosimétrie individuelle basée sur une modélisation des retombées des 11 essais réalisés entre 1949 et 1962, les lieux d’habitation successifs et une enquête alimentaire par interview (Land, 2009)
2nde dosimétrie individuelle intégrant aussi les résultats d’interview par groupe des femmes ayant eu des enfants durant la période des essais (« focus groups »), ainsi que d’experts (Schwerin et coll., 2010renvoi vers ; Drozdovitch et coll., 2011renvoi vers)
1re publication (2008) : Risque de nodule significativement augmenté avec la dose à la thyroïde : ERR/Gy = 2,42 (IC 95 % [1,31-4,16]) pour les hommes ; ERR/Gy = 0,22 (IC 95 % [0,021-0,52]) pour les femmes. Pas de relation significative pour les cancers
2e publication (2015), après prise en compte de la nature des incertitudes (partagées ou individuelles) : Nodules ERR/Gy = 9,99 (IC 95 % [2,33-19,07]) chez les hommes, et 0,35 (IC 85 % [0,01-1,00]) chez les femmes
Pas de relation significative pour les cancers
Grosche et coll., 2011renvoi vers
Étude de cohorte
Historical Semipalatinsk Cohort (voir Bauer et coll., 2005renvoi vers)
Mortalité cardiovasculaire entre 1960 et 1980
Cohorte exposée : 1 982 décès par pathologie cardiovasculaire
Cohorte non exposée : 1 358 décès par pathologie cardiovasculaire
Dosimétrie individualisée « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers)
Dose moyenne au cœur 90 mGy pour la cohorte exposée et < 1 mGy pour la cohorte non exposée
Risque de décès par pathologie cardiovasculaire : 2,27 (IC 95 % [2,10-2,45]) fois plus important dans la cohorte exposée ; 2,23 (IC 95 % [2,02-2,60]) pour les pathologies cardiaques et 2,30 (IC 95 % [2,00-2,65]) pour les pathologies cérébrovasculaires
Pas d’augmentation du risque en fonction de la dose, dans la cohorte exposée
Conclusion des auteurs : pas d’augmentation de risque de décès par pathologie cardiaque due aux retombées des essais nucléaires
Markabayeva et coll., 2018renvoi vers
Étude transversale
1 755 sujets âgés de 18 à 91 ans, vivant en 2013 dans 2 villages contaminés Maiskii et Lebiazhinskii : 1 048 femmes et 707 hommes
Hypertension artérielle essentielle
Screening par prise de tension et de sang
431 cas chez les femmes et 234 cas chez les hommes
Dosimétrie individualisée « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers)
Dose efficace médiane : 59 mSv
Relation dose-effet significative pour les hommes, mais par pour les femmes
Risque relatif d’hypertension artérielle essentielle ajusté sur l’indice de masse corporelle, le cholestérol total, le tabagisme et la consommation d’alcool, pour les sujets ayant reçu respectivement, de 20 à 59 mSv, de 60 à 185 mSv, et 186 mSv ou plus, par rapport aux sujets ayant reçu moins de 20 mSv :
Ensemble des 2 sexes : 1,52 (IC 95 % [1,09-2,12]), 1,67 (IC 95 % [1,20-2,33]) et 1,93 (IC 95 % [1,37-2,75])
Femmes : 1,37 (IC 95 % [0,88-2,11]), 1,31 (IC 95 % [0,84-2,07]) et 1,27 (IC 95 % [0,79-2,05])
Hommes : 2,30 (IC 95 % [1,18-4,51]), 2,25 (IC 95 % [1,13-4,50]) et 3,68 (IC 95 % [1,77-7,64])
Mudie et coll., 2007renvoi vers
Étude transversale
3 992 femmes nées entre 1929 et 1949 et vivant entre 1948 et 1950 dans 14 villages contaminés, et 3 704 pères
Descendance : rapport mâle/femelle
11 464 enfants nés entre 1948 et 1999 : 5 918 fils et 5 546 filles
Dosimétrie individualisée pour les mères et les pères « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers)
Dose efficace moyenne : mères = 446 mSv, pères = 412 mSv
Pas de relation significative (p = 0,4) entre la dose efficace reçue par les mères et/ou par les pères et le rapport mâle/femelle des enfants
Mudie et coll., 2010renvoi vers
Étude transversale
3 992 femmes nées entre 1929 et 1949 et vivant entre 1948 et 1950 dans 14 villages contaminés, et 3 704 pères
Descendance : taux de gémellité
11 464 enfants nés entre 1948 et 1999 : 141 naissances gémellaires
Dosimétrie individualisée pour les mères et les pères « joint Russian NCI dosimetry » (Gordeev et coll., 2002renvoi vers, 2006arenvoi vers et brenvoi vers ; Simon et coll., 2006brenvoi vers)
Dose efficace moyenne : mères = 446 mSv, pères = 412 mSv
Pas de relation significative (p = 0,7) entre la dose efficace reçue par les mères et/ou par les pères et le sex-ratio des enfants

Conclusion

Environ la moitié des essais nucléaires atmosphériques réalisés dans le monde l’ont été sur les sites du Nevada (États-Unis) et de Semipalatinsk (Kazakhstan).
Autour de ces deux sites, certaines zones habitées ont été davantage contaminées que les autres, en général à la suite d’erreurs de prévisions météorologiques (direction des vents, pluies...) ou d’erreurs dans l’évaluation de la puissance de la bombe. Ces zones particulières ont fait et continuent à faire l’objet d’un grand nombre d’études scientifiques, tant sur le versant dosimétrique que sur le versant épidémiologique. Ces zones se situent dans les régions sud de l’Utah et du Nevada aux États-Unis, et correspondent à des villages situés sur le trajet des retombées radioactives de 3 essais pour le Kazakhstan.
Un des problèmes de santé publique que posent ces retombées radioactives vient de l’iode-131, le radioisotope produit en plus grande quantité et qui se fixe sur la thyroïde. C’est pourquoi les doses de radiations reçues à la thyroïde par les personnes exposées aux retombées sont en général au moins 10 fois supérieures à celles reçues aux autres organes qui, elles, sont dues principalement au strontium-90 et au césium-137.
Les travaux de reconstruction dosimétrique ont conclu que les habitants des villages kazakhs contaminés ont reçu des doses de radiations plus de 10 fois supérieures à celles de leurs homologues du Nevada : en moyenne, plusieurs centaines de mGy à la thyroïde, versus plusieurs dizaines de mGy, et plusieurs dizaines de mGy au reste du corps versus plusieurs mGy. Tant au Nevada qu’à Semipalatinsk, il est possible de conclure que les doses reçues à la thyroïde par les habitants des zones les plus contaminées par les retombées radioactives ont vu leur risque de pathologies thyroïdiennes et de cancer de la thyroïde augmenter. Malgré les incertitudes importantes inhérentes aux difficultés et à l’imprécision des reconstitutions dosimétriques basées sur des données de contamination environnementale, les résultats de la plupart des études montrent que ces retombées ont aussi eu un effet sur le risque de leucémie dans les populations vivant dans les zones contaminées aux alentours de ces deux sites d’essais. Bien que peu d’études aient été réalisées sur les autres cancers, il semble qu’il y ait eu, autour des deux sites, une augmentation de l’incidence des cancers de l’estomac et du sein et, autour de Semipalatinsk, des cancers de l’œsophage. Les effets des retombées radioactives sur l’incidence des pathologies non cancéreuses dans ces populations ont été moins étudiés. Ceux concernant l’augmentation de l’infertilité autour du Nevada doivent être confirmés, car une telle augmentation n’avait jamais été décrite auparavant pour ce niveau de doses. Malgré l’absence de relation dose-effet significative, qui illustre probablement les difficultés inhérentes à la reconstruction rétrospective des doses, et étant donnée la différence d’incidence entre les cohortes exposées et non exposées, il est vraisemblable que les retombées de ces essais aient augmenté l’incidence des pathologies cardiaques dans les populations exposées.
Les résultats des études sur les militaires ayant participé aux essais du Nevada sont difficiles à interpréter. En effet, un excès de mortalité par cancer et leucémie a été constaté pour les militaires ayant participé au test le plus contaminant mais aucune relation dose-effet n’a été mise en évidence, alors que la reconstruction des doses, basée notamment sur le port de dosimètres, est plus précise que celle réalisée pour la population générale. À ce jour, aucune étude n’a été réalisée sur les personnels militaires ayant travaillé sur le site de Semipalatinsk.

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