Fibromyalgie

2020


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Synthèse

Syndrome fibromyalgique : une réalité clinique complexe

Le syndrome fibromyalgique (SFM) ou fibromyalgie (FM), dont la première mention daterait de 1815 pour désigner la douleur généralisée d’un « rhumatisme musculaire », est cliniquement défini comme « un syndrome constitué de symptômes chroniques d’intensité modérée à sévère incluant des douleurs chroniques diffuses sans cause apparente et une sensibilité à la pression, associées à de la fatigue, des troubles cognitifs et du sommeil et de nombreuses plaintes somatiques ». La fibromyalgie a été reconnue comme entité médicale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1992. Elle est classée dans le groupe des douleurs chroniques généralisées (Widespread Chronic Pain, MG30) dans la version 11 de sa classification internationale des maladies (CIM-11)1 . Malgré cette reconnaissance institutionnelle, la variabilité des symptômes, le manque de lien reconnu entre le syndrome fibromyalgique et un problème organique médicalement mesurable et la méconnaissance des mécanismes étiologiques sous-jacents soulèvent encore de nombreuses questions.
La prise en compte du syndrome fibromyalgique en tant que problème médical et public est issue d’un processus historique au cours duquel le regroupement, la dénomination et la catégorisation des symptômes et signes cliniques qui lui sont associés ont évolué, tout comme leurs représentations. Dans les années 1990, la première inscription de la fibromyalgie dans la CIM-10 et le développement des recherches sur cette thématique ont requalifié médicalement des troubles qui étaient auparavant « relégués » à la sphère psychologique ou sociale en tant que, par exemple, hystérie ou neurasthénie chez la femme. Le syndrome fibromyalgique a ainsi obtenu une reconnaissance clinique et une légitimité médicale ce qui a mené à une augmentation du nombre de diagnostics, tout en restant un sujet à controverse. En effet, en dépit de son inclusion dans la classification OMS, sa reconnaissance institutionnelle reste partielle et hétérogène.
Si le nombre de publications scientifiques sur la fibromyalgie s’est accru suite à cette reconnaissance, leur qualité, notamment méthodologique, est inégale. Cela repose sur les caractéristiques mêmes du syndrome, comme par exemple l’évolution permanente de ses critères de diagnostic depuis 1990 ou l’extrême variabilité inter-individuelle du nombre de symptômes, de la sévérité de ces derniers et des traitements proposés. Les questions abordées par la littérature publiée sur la fibromyalgie sont nombreuses, et concernent le vécu des patients, le diagnostic, l’étiologie et les approches thérapeutiques entre autres thèmes : comment reconnaître et poser un diagnostic de fibromyalgie ? Quels sont ses impacts individuels, sociaux et sociétaux ? Est-ce que poser un diagnostic de fibromyalgie apporte un bénéfice aux patients ? Les symptômes somatiques et psychiques et les éventuelles difficultés socio-économiques sont-ils une cause, une conséquence, les deux ? Quelles en sont les prises en charge possibles et quelle est l’efficacité de ces dernières ? L’analyse de la littérature disponible traitant de ces questions est synthétisée ci-dessous. Si l’évolution s’oriente vers toujours plus de connaissances sur ­ et ainsi de reconnaissance de ­ la fibromyalgie, celles-ci restent limitées et incomplètes, et répondre de manière univoque aux questions posées s’avère difficile. Les différences et spécificités de la fibromyalgie au sein du groupe des douleurs chroniques diffuses auquel elle appartient ne sont également pas abordées dans la littérature.

Des symptômes nombreux et imbriqués

La fibromyalgie est une entité hétérogène sur le plan clinique avec une grande variabilité du nombre et de l’intensité des symptômes. Comme toute douleur chronique, la fibromyalgie ne suit pas une évolution linéaire mais se caractérise par une grande fluctuation intra- et inter- individuelle des symptômes, en termes d’intensité et de types de symptômes. Ces derniers sont modulés par plusieurs facteurs plus ou moins identifiables, certains d’aggravation (stress, émotions, postures prolongées, changements climatiques, etc.), d’autres d’amélioration (changement de rythme, chaleur, relaxation, activité physique, etc.).

Des douleurs chroniques diffuses

Les douleurs chroniques diffuses (c’est-à-dire présentes depuis plus de 3 mois) spontanées et l’allodynie2 constituent les symptômes d’appel d’un diagnostic de fibromyalgie. Les douleurs spontanées sont majoritairement musculo-squelettiques (muscles, tendons, articulations). Dans l’étude clinique américaine qui a été à la source des premiers critères de classification d’une fibromyalgie émis par l’ACR (American College of Rheumatology) en 1990, deux tiers des 559 sujets interrogés évoquaient leur douleur comme « une douleur dans tout le corps »3 . Dans la composante sensorielle de la douleur, celle-ci est perçue par le patient comme « diffuse, multifocale ou migrante dans différentes zones localisées (épaules, bras, mains, dos, cuisses) ». Les termes « pulsatile, lancinante, tendue, épuisante, misérable » utilisés traduisent la composante affective et émotionnelle de la douleur.
La douleur chronique diffuse n’est cependant pas toujours perçue par les patients comme étant le symptôme neurologique le plus invalidant. Sont en effet rapportés d’autres symptômes neurologiques parmi lesquels on peut retenir :
• des crises de douleurs exacerbées, qui doivent être différenciées de la symptomatologie douloureuse habituelle. Si ces crises sont connues en pratique clinique, elles sont peu abordées dans la littérature. Cette majoration de l’intensité des symptômes habituels provoque un épuisement avec une intolérance majeure au moindre effort. Les principaux facteurs de déclenchement rapportés par les patients sont les situations stressantes, le dépassement de ses limites (physiques et/ou cognitives), un sommeil de mauvaise qualité, ou encore des changements brusques, par exemple climatiques ;
• des paresthésies, des dysesthésies (fourmillements, picotements, brûlures), une hypersensibilité à la lumière vive, aux bruits, aux odeurs ou à des troubles digestifs.

Une fatigue persistante

Une fatigue persistante est rapportée par 75 % des patients selon des études longitudinales menées sur plus de 5 ans. Cependant, peu de littérature scientifique est disponible sur la fatigue, et ce probablement pour plusieurs raisons. La fatigue pour laquelle on reconnaît plusieurs composantes (physique, cognitive, émotionnelle) est difficile à évaluer de manière objective. Elle résulte de processus complexes, et elle est influencée dans la fibromyalgie par de multiples facteurs comme l’intensité de la douleur, la détresse psychologique, une pauvre qualité de sommeil, un mode de vie sédentaire et un faible niveau d’activité et de fonctionnement physiques. S’il existe des questionnaires qui évaluent le niveau de fatigue, aucun n’a encore été validé pour le syndrome fibromyalgique.

Des troubles du sommeil

De 62 à 95 % des patients atteints de fibromyalgie rapportent des troubles du sommeil4 . D’après les méthodes d’analyse subjective5 , ces troubles du sommeil sont de type sommeil non réparateur, plus court et peu profond, même en l’absence d’une véritable insomnie. Avec les méthodes objectives6 , on observe une diminution de l’efficacité du sommeil avec une augmentation de l’éveil intra-sommeil (15 min en plus), une durée de sommeil plus courte (30 min en moins) et un sommeil plus léger (4 % en moins de sommeil lent profond) par rapport aux sujets contrôles. La comparaison des deux approches montre que le trouble est jugé comme plus sévère par l’évaluation subjective qu’il ne l’est dans l’évaluation objective. Ceci suggère l’existence d’une mauvaise perception du sommeil, similaire à ce qui est fréquemment observé dans l’insomnie. L’alpha delta sleep, qui est une activité alpha de veille qui se superpose à l’activité delta du sommeil lent, a été évoquée comme reflet du sommeil non réparateur dans la fibromyalgie. Cette activité cérébrale ne lui est cependant pas spécifique puisqu’elle peut s’observer dans d’autres types de douleurs chroniques voire chez le sujet sain satisfait de son sommeil.
La perturbation du sommeil évaluée objectivement dans la fibromyalgie est semblable à celle évaluée dans d’autres syndromes douloureux comme la polyarthrite rhumatoïde ou l’arthrose, alors qu’elle apparaît plus sévère que dans ces deux pathologies avec des méthodes subjectives. En revanche, les anomalies du sommeil observées dans la fibromyalgie sont différentes de celles décrites dans la dépression. Dans cette dernière, il existe en particulier un raccourcissement d’apparition de la première phase de sommeil paradoxal et un éveil précoce, alors que les troubles du sommeil dans la fibromyalgie se caractérisent par un sommeil fragmenté et moins profond, qui serait plutôt en relation avec le stress et l’anxiété.
Enfin, il est important de noter que la prévalence de troubles spécifiques du sommeil qui répondent à des traitements spécifiques, à savoir le syndrome des jambes sans repos et le syndrome d’apnées du sommeil, est rapportée par la littérature comme importante chez les patients atteints de fibromyalgie (de 23 à 64 % pour les premiers et jusqu’à 45 % pour le second chez des patients ayant bénéficié d’un enregistrement de sommeil).

Des troubles de l’humeur ou de la santé mentale

Des symptômes anxio-dépressifs sont rapportés chez 60 à 85 % des patients atteints de fibromyalgie. Cependant, les méthodes d’évaluation des troubles de l’humeur utilisées dans la littérature sont fréquemment des questionnaires standardisés dont le Fibromyalgia Impact Questionnary (FIQ) ou des entretiens cliniques structurés. Or, si les entretiens médicaux permettent de s’assurer objectivement d’un diagnostic de dépression7 , les questionnaires ne peuvent que révéler des signes de dépression ou d’anxiété sans pour autant poser le diagnostic de dépression.
Les études cas/témoins révèlent que les patients atteints de fibromyalgie ont des scores de dépression et d’anxiété plus élevés d’un tiers en moyenne que des sujets contrôles ou des patients atteints d’un autre trouble douloureux chronique tel que la polyarthrite rhumatoïde. Le risque suicidaire est également plus élevé d’un tiers dans les groupes « fibromyalgie ». Il semblerait que la fibromyalgie soit plus sévère si elle est associée à des symptômes d’anxiété et de dépression. Pour certains auteurs, la dépression et l’anxiété accentueraient la douleur dans la fibromyalgie, et pour d’autres, influenceraient plutôt la qualité de vie des patients.
Bien moins fréquents, d’autres troubles ont été rapportés tels que des symptômes maniaques en lien avec le surpoids, la douleur ou la mauvaise qualité de vie et de l’alexithymie8 qui tend à s’accentuer avec l’âge.

Le déficit cognitif et la plainte

Soixante-quinze pour cent des patients atteints de fibromyalgie rapportent des difficultés de concentration et d’attention, des oublis ou des « trous de mémoire » et un affaiblissement de la clarté mentale. Les patients disent ainsi « fonctionner avec un esprit cotonneux ». Le terme de « fibrofog » est utilisé dans la littérature anglophone pour faire référence à ces troubles rapportés par les patients. Plus de la moitié d’entre eux évaluent la sévérité de leurs troubles cognitifs9 comme étant supérieure ou égale à 6 sur une échelle allant de 0 à 10. Certains auteurs suggèrent que les patients atteints de fibromyalgie surestiment leurs difficultés cognitives. De fait, des écarts apparaissent entre les mesures relevant de l’appréciation du patient (mesure subjective réalisée à partir d’auto-questionnaires) de son fonctionnement cognitif et celles relevant des tests cognitifs (mesure objective réalisée par un tiers). D’autres auteurs expliquent cet écart par un biais méthodologique : les auto-questionnaires évaluent différents aspects de la vie quotidienne mettant en jeu plusieurs aptitudes cognitives tandis que les tests cognitifs « seraient plus restrictifs », évaluant une fonction spécifique. Si la perception d’une diminution des compétences cognitives est peu corrélée à la performance aux tests cognitifs, elle l’est fortement aux troubles de l’humeur (dépression et anxiété) et à la sévérité de la fibromyalgie.
L’atteinte des capacités cognitives des patients atteints de douleurs chroniques, dont la fibromyalgie, concerne plusieurs fonctions cognitives parmi lesquelles figurent la mémoire à court et long terme et les capacités d’attention et de concentration. Toute distraction interrompant la tâche en cours perturbe le processus de mémorisation tant au niveau de l’encodage que du rappel de l’information lors par exemple de l’apprentissage d’une liste de mots. Les études font également référence à une lenteur du traitement de l’information et plus récemment à une atteinte des fonctions exécutives. Parmi les fonctions exécutives, la mise à jour de la mémoire de travail, les capacités d’inhibition et la flexibilité seraient altérées de manière préférentielle par rapport aux autres aspects de ces fonctions, moins bien explorés.
Deux hypothèses sont avancées pour rendre compte de l’existence de troubles cognitifs chez les patients douloureux chroniques (y compris ceux atteints de fibromyalgie). La première hypothèse suggère qu’ils résulteraient d’une compétition entre la douleur et les activités cognitives pour l’acquisition des ressources attentionnelles : la douleur consommerait une grande partie de ces ressources par ailleurs nécessaires à la réalisation des tâches cognitives en situation de test ou de vie quotidienne. La seconde hypothèse, plus récente, fait référence aux mécanismes d’hypervigilance10  : les patients atteints de douleurs chroniques ne présentent pas de réduction des ressources attentionnelles, mais ont tendance à allouer leurs ressources différemment. Celles-ci sont presque exclusivement dirigées vers l’information se rapportant à la douleur (sensations, pensées et sentiments) et perturbent le traitement cognitif.
La performance cognitive des patients est influencée par de nombreux facteurs, certains associés à la fibromyalgie et d’autres à l’âge, au genre ou au niveau socioculturel. Les symptômes anxio-dépressifs, les troubles du sommeil et la fatigue joueraient un rôle secondaire dans la survenue des troubles cognitifs par rapport à la douleur chronique. Ainsi, une relation étroite existe entre la sévérité des troubles cognitifs et l’intensité de la douleur. L’effet des traitements pharmacologiques sur le fonctionnement cognitif est difficile à évaluer en raison de la petite taille des effectifs étudiés (souvent inférieure à 30 patients). Les études présentent des résultats contradictoires : certaines montrent un effet délétère du traitement ou une absence d’effet, alors que d’autres présentent une amélioration du fonctionnement cognitif. Enfin, il y a à ce jour peu d’informations concernant l’évolution des troubles cognitifs des patients atteints de fibromyalgie sur le long terme.

Une condition physique souvent altérée

Plusieurs études montrent que le niveau général de condition physique chez les patients est fortement diminué comparé à celui d’individus contrôles ajustés sur le genre et l’âge. La diminution touche de nombreuses composantes de la condition physique : capacité cardio-respiratoire, force et endurance musculaires, souplesse articulaire et musculo-tendineuse, agilité motrice. Outre cette diminution de la condition physique, une augmentation significative de la perception de l’effort, mesurée par l’échelle de Borg11 , est rapportée. L’une des conséquences de ces altérations est une diminution des activités de la vie quotidienne et une incidence plus élevée des chutes. Ainsi, parmi les patients atteints de douleurs chroniques diffuses (dont la fibromyalgie), 95 % se situeraient sous les normes de l’échelle capacités motrices (AMPS-Motors) et plus de 41 % sous celles de l’échelle capacités exécutives (AMPS-Process) ; cela indique une inefficience dans la performance des tâches et un besoin potentiel d’assistance. Une peur du mouvement avec comportement d’évitement pouvant aller jusqu’à une véritable kinésiophobie est estimée être présente chez 40 % des patients atteints de fibromyalgie par certaines études. D’autres facteurs comme l’obésité, les troubles de l’humeur ou la consommation de médicaments peuvent aussi contribuer à entretenir ce processus, pouvant conduire à un véritable déconditionnement physique comme cela est observé dans des maladies chroniques avec atteinte organique identifiée12 . Paradoxalement, la littérature rapporte qu’une meilleure condition physique est associée à des niveaux plus faibles de douleur ressentie et une meilleure qualité de vie dans la fibromyalgie.

Un devenir à long terme des patients peu décrit

Les données de la littérature sur le devenir à long terme dans la fibromyalgie sont peu nombreuses. Une étude menée sur 1 555 patients rapporte que la douleur, la fatigue, les symptômes fonctionnels, la dépression et la fonction globale sont en moyenne peu différents entre la première et la dernière visite (suivi moyen de 4 ans). Il y a cependant beaucoup de variation à l’échelon individuel : 10 % des patients ont une amélioration franche, 15 % ont une amélioration modérée et 36 % ont une aggravation du score à l’échelle de sévérité de la fibromyalgie (voir paragraphe suivant pour la définition de cette échelle). Une autre étude, menée sur 28 cas, rapporte des périodes prolongées de rémission (supérieure à un an) pour 26 % des patients et une guérison 26 ans après le diagnostic pour environ 11 %.
Les rares études ayant exploré la question de la mortalité montrent qu’elle ne serait pas différente de celle de la population générale. Cependant, un risque suicidaire plus élevé (de 1 à 10 fois) par rapport à la population générale a été rapporté dans 4 études. D’après ces études, le comportement suicidaire semblerait lié à la sévérité de la fibromyalgie, et davantage aux symptômes de détresse psychique (symptômes anxio-dépressifs) qu’aux symptômes physiques. Enfin, il faut être attentif aux facteurs de risque de morbidité notamment cardiovasculaire comme la consommation de tabac ou d’alcool, ou l’obésité, qui sont plus fréquents chez les patients comparés à la population générale. Par exemple, 2 études rapportent que 21 à 35 % des patients sont en surpoids et 32 à 50 % sont obèses.

Un diagnostic difficile à poser

Des critères de classification et de diagnostic en perpétuelle évolution

Sans qu’ils soient considérés par tous comme un gold-standard et bien qu’ils aient été initialement développés dans un but de recherche, les critères de classification ACR 1990 ont pendant longtemps constitué la principale référence pour émettre un diagnostic de fibromyalgie. Ils reposent sur l’existence de douleurs diffuses (à droite et à gauche, au-dessus et en dessous de la ceinture et axiales) et d’au moins 11 points douloureux à la pression (palpation digitale avec une force de 4 kg) dans des sites prédéfinis. Ils ont fait néanmoins l’objet de nombreuses critiques : d’une part, l’évaluation des points douloureux est variable et rarement faite en pratique courante ; d’autre part, ils ne prennent pas en compte les autres composantes de la fibromyalgie à savoir la fatigue, les troubles du sommeil et cognitifs et autres symptômes somatiques.
De nouveaux critères ont été élaborés à partir de 2010 et la dernière version (ACR 2016) correspond à des critères de diagnostic et non plus de classification (tableau Irenvoi vers). Le critère « présence de points douloureux à la pression » disparaît dès les critères ACR 2010 préliminaires pour laisser la place à des zones douloureuses. Les critères ACR 2016 intègrent deux nouveaux éléments : un index de douleurs diffuses ou IDD et l’échelle de sévérité des symptômes. Dans l’IDD (noté de 0 à 19), les douleurs diffuses sont définies par des zones douloureuses dans 19 sites prédéfinis. L’échelle de sévérité des symptômes (notée de 0 à 12) est la somme de l’intensité (total de 0 à 9) de 3 symptômes (fatigue, sommeil non réparateur et troubles cognitifs noté chacun de 0 à 3) et la présence ou non de 3 autres symptômes (maux de tête, douleurs abdominales et dépression). La somme de ces deux éléments définit pour chaque patient une échelle de sévérité de la fibromyalgie ou FS (pour Fibromyalgia Symptom, Fibromyalgianess Scale, ou Fibromyalgia Severity) allant de 0 à 31, qui peut s’utiliser indépendamment des critères diagnostiques. Si le questionnaire est rempli par le médecin, les critères ACR 2016 sont valides pour poser le diagnostic en pratique courante et suivre l’évolution de la fibromyalgie. Le questionnaire rempli par le patient n’est quant à lui pas utilisable pour poser le diagnostic mais l’est pour une classification dans le cadre d’une recherche clinique. Les critères ACR 2016 sont appelés à remplacer les critères ACR 1990. Quelques données de la littérature montrent cependant que les médecins connaissent peu les critères ACR et qu’ils font davantage confiance à leur expérience clinique pour poser le diagnostic. La complexité de ces critères pourrait être un frein à leur utilisation.

Tableau I Révision 2016 des critères diagnostiques de fibromyalgie ACR 2010/2011 (Wolfe et coll., 2016)

Critères
Un patient satisfait les critères de SFM modifiés 2016 si les 3 conditions suivantes sont remplies :
1. Index de douleurs diffuses (IDD) ≥ 7 et échelle de sévérité des symptômes (SS) ≥ 5 ou IDD entre 4-6 et échelle SS ≥ 9
2. Douleurs généralisées définies par la présence de douleurs dans au moins 4 des 5 régions. Les douleurs des mâchoires, de la poitrine et de l’abdomen ne sont pas incluses dans la définition de douleur généralisée.
3. Les symptômes sont présents à ce niveau pendant au moins 3 mois.
4. Le diagnostic de fibromyalgie est validé indépendamment d’autres diagnostics. Un diagnostic de fibromyalgie n’exclut pas d’autres maladies cliniquement importantes.
(1) Index de douleur diffuse : noter le nombre de zones où le patient a ressenti la douleur au cours de la dernière semaine. Dans combien de zones le patient a eu cette douleur ? Le score sera compris entre 0 et 19.
Région supérieure gauche (Région 1)
Région supérieure droite (Région 2)
Région axiale (Région 5)
Mâchoire gauche*
Mâchoire droite*
Cou
Ceinture scapulaire gauche
Ceinture scapulaire droite
Bas du dos
Bras gauche
Bras droit
Haut du dos
Avant-bras gauche
Avant-bras droit
Poitrine*
  
Abdomen*
Région inférieure gauche (Région 3)
Région inférieure droite (Région 4)
 
Hanche (fesse, trochanter), gauche
Hanche (fesse, trochanter), droit
 
Cuisse gauche
Cuisse droite
 
Jambe gauche
Jambe droite
 
* : non inclus dans la définition de douleur généralisée
(2) Score de l’échelle de sévérité des symptômes
- Fatigue,
- Se réveiller fatigué (sommeil peu réparateur),
- Troubles cognitifs
Pour chacun des 3 symptômes, indiquer le niveau de gravité au cours de la dernière semaine selon le barème suivant :
   0 ­ aucun problème
   1 ­ problèmes mineurs ou légers ; habituellement légers ou intermittents
   2 ­ modérés ; problèmes importants ; survenant fréquemment et/ou à un niveau modéré
   3 ­ sévères ; problèmes continus qui ont un impact important sur la vie
Le score de l’échelle de sévérité des symptômes est la somme de chaque score de gravité des 3 symptômes (fatigue, réveillé fatigué, troubles cognitifs) (0-9) additionnée de la somme (0-3) du nombre des symptômes suivants que le patient a ressentis pendant les 6 derniers mois :
   (1) Maux de tête (0-1)
   (2) Douleurs ou crampes abdominales (0-1)
   (3) Dépression (0-1)
Le score final de sévérité des symptômes est entre 0 et 12.
L’échelle de sévérité de la fibromyalgie (FS) est la somme de l’index de douleur diffuse et du score de l’échelle de sévérité des symptômes (0-31).
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Des outils de type questionnaire ont également été développés pour l’aide au diagnostic. Au moins 8 questionnaires sont disponibles, dont la complexité, la sensibilité et la spécificité sont variables. Parmi eux, l’auto-questionnaire FiRST pour Fibromyalgia Rapid Screening Tool (tableau IIrenvoi vers) suscite un grand intérêt. Validé en français, il repose sur 6 questions qui explorent l’existence de douleurs diffuses, la qualité (brûlure, piqûre, etc.) de ces douleurs, la présence d’une fatigue, de sensations anormales non douloureuses, de troubles du sommeil et cognitifs et d’autres symptômes associés. Sa sensibilité comparée aux critères ACR 1990 s’étend de 84 à 92 % et sa spécificité de 55 à 87 %. Ses performances doivent cependant être précisées pour le diagnostic d’un syndrome fibromyalgique associé à des rhumatismes. Cet auto-questionnaire est simple, rapide, bien adapté au dépistage de la fibromyalgie en pratique clinique courante. Il est de plus bien adapté pour une utilisation dans un cadre de recherche.

Tableau II Auto-questionnaire FiRST (Perrot et coll., 2010)

Vous souffrez de douleurs articulaires, musculaires ou tendineuses depuis au moins 3 mois. Merci de répondre à ce questionnaire, pour aider votre médecin à mieux analyser votre douleur et vos symptômes. Compléter ce questionnaire en répondant par oui ou par non à chacune des questions suivantes :
- Mes douleurs sont localisées partout dans tout mon corps
- Mes douleurs s’accompagnent d’une fatigue générale permanente
- Mes douleurs sont comme des brûlures, des décharges électriques ou des crampes
- Mes douleurs s’accompagnent d’autres sensations anormales, comme des fourmillements, des picotements, ou des sensations d’engourdissement, dans tout mon corps
- Mes douleurs s’accompagnent d’autres problèmes de santé comme des problèmes digestifs, des problèmes urinaires, des maux de tête, ou des impatiences dans les jambes
- Mes douleurs ont un retentissement important dans ma vie : en particulier, sur mon sommeil, ma capacité à me concentrer avec une impression de fonctionner au ralenti.
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Un manque actuel de biomarqueurs pour conforter le diagnostic

Les critères de classification ACR 1990 ont permis de constituer des groupes de patients à des fins de recherche biomédicale, y compris pour l’identification de marqueurs biologiques ou fonctionnels qui seraient propres à la fibromyalgie afin de définir des critères de diagnostic plus objectifs. Une susceptibilité génétique dans l’hypersensibilité à la douleur a été explorée de manière intensive, mais aucune spécificité des associations rapportées entre fibromyalgie et polymorphismes génétiques n’a pu être mise en évidence. Si les études des taux de neurotransmetteurs pronociceptifs comme la substance P, le glutamate ou le NGF (neural growth factor) dans le liquide céphalo-rachidien ou le cerveau des patients donnent des résultats encourageants à l’échelle de comparaison de groupes, il n’est pas vérifié que les différences observées puissent être utilisées au niveau individuel en tant que biomarqueur.
Les développements technologiques récents issus de la physique, de la chimie et de la biologie moléculaire, ont fourni de nouveaux moyens d’exploration. Ainsi sont maintenant investigués, outre les modifications génétiques, des modifications épigénétiques15 comme l’expression de micro-ARN et la méthylation du génome, le transcriptome, le protéome et le métabolome. Malgré les résultats prometteurs de ces travaux pour les connaissances fondamentales sur la fibromyalgie, ils sont trop préliminaires pour l’identification de biomarqueurs spécifiques ou utilisables en pratique clinique courante. Une des difficultés majeures pour l’interprétation des données est l’établissement d’un lien de causalité entre les anomalies observées et les symptômes fibromyalgiques. En d’autres termes, il est impossible de déterminer si les différences observées entre les populations de patients et les populations contrôles sont la cause ou la conséquence de la fibromyalgie. Les différences rapportées actuellement dans la littérature, qu’elles soient génétiques, biologiques ou fonctionnelles, ne sont pas spécifiques de la fibromyalgie car elles sont associées à d’autres syndromes douloureux chroniques.

De nombreux diagnostics différentiels, des comorbidités
et une concomitance avec d’autres pathologies douloureuses

Outre les nombreux symptômes propres à la fibromyalgie, les patients atteints de fibromyalgie présentent de nombreuses autres comorbidités ayant des prévalences variables. Sans être exhaustifs, les principaux diagnostics différentiels sont des pathologies endocriniennes et métaboliques (hypothyroïdie, hyperparathyroïdie, ostéomalacie, diabète phosphoré), des rhumatismes inflammatoires et des maladies auto-immunes (spondyloarthrite axiale non radiographique, syndrome de Gougerot-Sjögren) ou encore la prise de certains médicaments (statine, anti-aromatases). En dehors des zones douloureuses, la présence d’autres signes cliniques doit donc faire rechercher une autre pathologie. Si aucun examen biologique n’est utile pour le diagnostic de fibromyalgie, il est fondé de vérifier la normalité de constantes biologiques usuelles pour écarter les diagnostics différentiels possibles. Un avis spécialisé (rhumatologue, neurologue, médecine interne selon les cas) peut être nécessaire.
Certains des symptômes somatiques fonctionnels définissant la fibromyalgie constituent la composante essentielle d’autres entités comme le syndrome de fatigue chronique, le syndrome de l’intestin irritable, le dysfonctionnement temporo-mandibulaire ou les céphalées de tension. Ces entités sont considérées comme faisant partie des syndromes de sensibilisation centrale ou Chronic Overlapping Pain Conditions (COPC) incluant d’autres entités comme, par exemple, la vulvodynie, la cystite interstitielle, la migraine chronique ou encore certaines lombalgies chroniques. Si ces entités ne constituent pas en pratique courante un diagnostic différentiel de la fibromyalgie, elles ont tendance à s’associer entre elles et avec la fibromyalgie sur laquelle elles ont un impact négatif avec des douleurs plus intenses et une consommation plus importante de médicaments. Par exemple, les critères de fibromyalgie ont été retrouvés chez 20 à 65 % des patients ayant un syndrome de l’intestin irritable. Réciproquement, 30 à 70 % des patients souffrant de fibromyalgie ont un syndrome de l’intestin irritable. Enfin, certaines formes de syndrome d’Ehler-Danlos hypermobile ou syndrome d’hypermobilité articulaire bénigne et l’hypersensibilité au gluten recouvrent en partie le syndrome fibromyalgique.
Complexifiant ce tableau clinique, des maladies chroniques notamment rhumatismales (polyarthrite rhumatoïde et spondyloarthropathie) et auto-immunes (syndrome de Gougerot-Sjögren, lupus érythémateux systémique, thyroïdite autoimmune) sont fréquemment associées à un syndrome d’allure fibromyalgique. Le diagnostic de fibromyalgie n’exclut donc pas la présence possible d’une autre maladie. La distinction entre fibromyalgie primitive et fibromyalgie concomitante, dite également secondaire, n’est pas possible à l’aide des critères diagnostiques ACR car leur sémiologie est identique. De nombreux auteurs considèrent cependant qu’un syndrome fibromyalgique concomitant constitue un sous-groupe particulier. Outre les difficultés diagnostiques, un syndrome d’allure fibromyalgique perturbe l’évaluation de l’activité des rhumatismes et il est nécessaire de le prendre en compte afin d’éviter de sur-traiter le rhumatisme.

Une extrême hétérogénéité des formes cliniques en termes
de présentation et de sévérité

L’expression phénotypique du syndrome fibromyalgique, qui implique de nombreux symptômes à spectre large en termes de nombre et d’intensité, peut donc varier considérablement d’un patient à l’autre. Les facteurs d’hétérogénéité sont multiples : association de symptômes, sévérité des symptômes, concomitance ou non à un autre syndrome ou maladie, mais aussi critères diagnostiques utilisés, facteurs déclenchants, facteurs démographiques, etc. L’identification de sous-groupes de fibromyalgie de manière reproductible est ainsi un champ de recherche en plein développement mais aucun de ceux ayant été proposés ne fait aujourd’hui consensus.
L’un des premiers classements possibles et important à réaliser est un classement en termes de sévérité. Cependant, l’existence d’un large spectre dans la sévérité de la fibromyalgie, rapporté par les cliniciens, transparaît peu dans la littérature bien que des outils soient disponibles. Le score FS calculé dans les critères ACR 2016 a été proposé comme outil de classement en différentes catégories de sévérité : aucune (0-3), discrète (4-7), modérée (8-11), sévère (12-19) et très sévère (20-31), mais ce classement n’a pas été validé par d’autres sociétés savantes et n’a semble-t-il pas été utilisé dans la littérature. Les outils les plus fréquemment utilisés, seuls ou associés, dans la littérature sont le questionnaire générique SF-36 (Medical Outcomes Study 36-Item Short-Form Health Survey) et sa version courte SF-12, et le questionnaire FIQ (Fibromyalgia Impact Questionnaire et sa version révisée FIQR) spécifiquement développé pour la fibromyalgie. Le questionnaire SF-36 est un questionnaire d’évaluation générique composé de 36 questions (12 questions pour la version courte) regroupées en 8 dimensions. Ses propriétés n’ont pas été validées au sein d’une population de patients atteints de fibromyalgie. Or on sait, par exemple, que le SF-36 peut poser un problème d’effet plancher important pour les patients atteints des formes les plus sévères (une proportion élevée de patients ayant le score minimum de 0), ce qui rend difficile la différenciation entre les très mauvais états de santé. Le FIQ est un instrument traduit en français conçu en 10 items (avec un total de 20 questions) pour mesurer les composantes de l’état de santé qui seraient les plus touchées par la fibromyalgie. Les propriétés psychométriques du FIQ ont été validées. Il peut cependant sous-estimer l’impact de la pathologie et mesurer de façon inadéquate l’effet d’un traitement chez les patients présentant des symptômes légers avec des difficultés pour le premier item de fonctionnement physique. Afin de répondre à certaines limites du FIQ original, une version révisée du FIQ (FIQ-R) a été développée mais n’est à ce jour validée ni pour les hommes ni en langue française. La sensibilité au changement de cette version révisée n’a pas encore été évaluée et sa fiabilité n’a pas été vérifiée. Enfin, ces instruments posent un problème de chevauchement car ils ne permettent pas de distinguer l’évaluation de la fonction physique de celle de la qualité de vie.
L’impact des manifestations fibromyalgiques sur les fonctions physiques, mais aussi sur les fonctions émotionnelles et sociales, rend particulièrement délicates la définition et l’évaluation de la sévérité à l’échelle individuelle, et requiert un instrument d’évaluation multidimensionnel. La catégorisation comme légère, modérée ou sévère devrait idéalement être fondée sur l’évaluation clinique, l’état fonctionnel et sur des questionnaires prenant en considération le point de vue du patient. En l’absence d’un instrument de ce type validé au niveau international, il n’y a pas de classification consensuelle de la sévérité de la fibromyalgie à ce jour.

Des données de prévalence variables en fonction des critères utilisés mais des valeurs qui restent élevées

L’estimation de la prévalence16 de la fibromyalgie est dépendante des critères utilisés mais reste dans des valeurs relativement élevées (tableau IIIrenvoi vers). Ainsi, la prévalence dans la population générale a été estimée entre 2 et 4 % avec les critères de classification ACR 1990. Une enquête épidémiologique américaine (National Heath Interview Study) menée en 2012 a estimé la prévalence de la fibromyalgie à 1,75 % en utilisant les critères ACR 2011. La méta-analyse la plus récente (2017) menée sur plus de 3,6 millions de personnes estime la prévalence moyenne de la fibromyalgie toutes populations et âges confondus à 1,78 %. En France, une étude réalisée sur un échantillon représentatif de 1 014 français a estimé la prévalence à 2,2 % sur la base du questionnaire LFES-SQ17 à 4 items et à 1,4 % sur la base du questionnaire LFES-SQ à 6 items18 . Une autre, plus récente, a estimé cette prévalence à 1,6 % en utilisant une procédure diagnostique multi-étape (LFES-SQ suivi d’un examen clinique) auprès d’un échantillon représentatif de foyers français.
La prévalence augmente avec l’âge ; selon les études, elle atteint un maximum soit pour les classes d’âge moyen (30-50 ans), soit après 50 ans. La plupart des études montrent que la prévalence est faible (≤ 1 %) chez les jeunes adultes (moins de 25-30 ans). Quelle que soit la discipline, la littérature fait état d’une forte représentativité féminine parmi les patients. Or, la prévalence selon le genre fournit des résultats évoluant fortement en fonction des critères utilisés. Si une prépondérance féminine est observée avec les critères ACR 1990 (sexe ratio femme/homme de 13,7/1), elle devient bien moins importante avec leur évolution : le ratio est de 2,3/1 avec les critères ACR 2011 et de moins de 1,4/1 avec les critères ACR 2016.

Tableau III Prévalence du syndrome fibromyalgique en fonction de la zone géographique et des critères de diagnostic utilisés

 
Prévalence (%) [IC 95ˆ%]
Zone géographique (OMS)
 
Europe
2,64 [2,10-3,18]
Amériques
2,41 [1,69-3,13]
Pacifique
1,62 [1,00-2,24]
Méditerranée orientale
4,43 [-3,00-11,86]
Critères de diagnostic
 
ACR
2,32 [1,85-2,79]
LFESSQ
2,94 [0,29-5,59]
FIQ
4,82 [3,63-6,00]
Interrogatoires
0,71 [0,59-0,84]
Examen clinique
4,34 [2,74-5,94]

FIQ : Fibromyalgia Impact Questionnaire ; LFESSQ : London Fibromyalgia Epidemiology Study Screening Questionnaire.

19
Il existe très peu de données sur l’incidence20 de la fibromyalgie. Selon les bases de données d’assurance américaines, l’incidence de la fibromyalgie est estimée à 688 et 1 128 cas pour 100 000 personnes par année chez les hommes et les femmes, respectivement. Son incidence augmente avec l’âge avant d’atteindre un plateau à partir de 40 ans chez les hommes (environ 1 200 cas pour 100 000 entre 40 et 65 ans) et 45 ans chez les femmes (environ 2 100 cas pour 100 000 entre 40 et 65 ans).

Une étiologie complexe qui fait intervenir plusieurs facteurs
et qui s’inscrit dans le modèle médical biopsychosocial

De nombreuses études ont été publiées sur l’étiologie de la fibromyalgie au cours des 20 dernières années. Il est cependant important de souligner à ce stade que plusieurs écueils méthodologiques sont susceptibles de limiter la portée des résultats. La majorité des études analysées s’est appuyée sur les critères de classification ACR de 1990, qui ont depuis évolué. De ce fait, des divergences de résultats sont possibles avec l’utilisation des critères de classification plus récents. Par ailleurs, un biais existe dès lors que le recrutement se fait essentiellement au sein de structures spécialisées dans le traitement de la douleur. En effet, on peut supposer que ces patients ont des symptômes et des répercussions psychosociales de la fibromyalgie plus sévères que les autres, nécessitant une prise en charge spécifique. Les résultats des études publiées, majoritairement effectuées dans les pays anglo-saxons (États-Unis et Europe du Nord essentiellement), ne sont pas tout à fait transposables à la population française du fait des spécificités culturelles. Le nombre insuffisant d’études incluant des groupes contrôles présentant d’autres douleurs chroniques (le plus souvent rhumatismales) constitue également un frein pour appréhender les aspects spécifiques de la fibromyalgie. Les échelles et questionnaires d’évaluation ne sont généralement pas validés auprès d’une population de patients souffrant de fibromyalgie. Enfin, la littérature disponible ne permet pas d’analyser les éventuelles différences liées au sexe et à l’âge dans la mesure où la quasi-totalité des études ont été réalisées chez des femmes d’âge moyen (30-50 ans) et nous ne disposons aujourd’hui pas de données solides concernant la douleur chronique diffuse chez l’enfant ou l’adolescent.
Malgré ces limitations, l’évolution des connaissances fondamentales notamment en neurosciences et le nombre de travaux publiés sur l’étiologie de la fibromyalgie ont explosé ces dernières années. Le syndrome fibromyalgique semblant multifactoriel dans son étiologie, il s’inscrit parfaitement dans le modèle médical biopsychosocial (figure 1Renvoi vers). Ce modèle peut en lui-même expliquer l’hétérogénéité observée dans la fibromyalgie car il considère facteurs biologiques, psychologiques et sociaux sur un pied d’égalité dans un système de causalités complexes, multiples et circulaires menant à l’altération de l’état de santé. Un tel modèle permet de ne plus considérer comme « psychosomatiques » les souffrances pour lesquelles on ne connaît pas (encore) d’altération biologique. L’évolution des connaissances a ainsi conduit à une évolution majeure de la conception physiopathologique que l’on a sur la fibromyalgie, passant d’un syndrome médicalement inexpliqué à un syndrome de douleurs nociplastiques ou dysfonctionnelles.
Figure 1 Modèle biopsychosocial de la santé et de la pathologie (d’après Engel, 1982)
21

Des mécanismes biologiques de mieux en mieux connus

La littérature sur la physiopathologie de la fibromyalgie repose essentiellement sur l’exploration de la douleur. En effet, les données sur la physiopathologie de la fatigue, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs, ou encore de l’humeur ou de la santé mentale ont été peu, voire pas du tout, explorées. Cependant, il existe une étroite et complexe interaction entre les symptômes dans toutes les formes de douleur chronique dont les mécanismes restent à être explorés. Une de ces interactions mises en jeu et toujours incomprises sur le plan mécanistique dans la fibromyalgie est celle du triptyque sommeil, dépression et douleur (figure 2) : la douleur entraîne une perturbation du sommeil, qui elle-même exacerbe la douleur. La dépression interagit également avec le sommeil et la douleur : le trouble du sommeil peut être un facteur de risque dans le développement d’une dépression ou encore être le premier signe d’une dépression. Il en est de même dans la relation entre dépression et douleur. Cette triple interaction douleur-sommeil-dépression rend compte des difficultés rencontrées à faire la part des causes et des conséquences entre ces trois facteurs.
Figure 2 Illustration schématique des interrelations étroites existant entre les symptômes fibromyalgiques

Une neurobiologie de la douleur chronique diffuse dans la fibromyalgie
qui se dessine

Les hypothèses physiopathologiques actuelles concernant la douleur fibromyalgique22 sont divisées en deux grandes catégories : celles faisant de la fibromyalgie une pathologie du système nerveux central et celles en faisant une pathologie davantage liée à des anomalies du système nerveux périphérique et/ou des muscles squelettiques (figure 3ARenvoi vers et BRenvoi vers). Ces deux hypothèses, toutes deux étayées par de nombreux travaux, ne sont pas mutuellement exclusives.

• Mécanismes centraux

Les travaux reposant sur des méthodes d’évaluation quantifiée de la sensibilité ont montré dès les années 1980 que la fibromyalgie était associée à une hypersensibilité généralisée à la douleur (diminution des seuils de douleur) liée à une hyperexcitabilité des systèmes nociceptifs centraux. Deux principaux mécanismes, qui sont une altération des systèmes endogènes de modulation de la douleur et une sensibilisation centrale, rendraient compte de cette hyperexcitabilité.
La première hypothèse implique les systèmes endogènes de modulation de la douleur (entre autres les systèmes opioïdes endogènes et les systèmes catécholaminergiques dans le tronc cérébral) qui exercent une action puissante inhibitrice ou facilitatrice sur la transmission neuronale des messages douloureux. Des travaux fondés sur l’analyse du phénomène classique d’inhibition d’une douleur par une autre douleur appliquée sur un autre endroit du corps – phénomène dit de contre-irritation – ont mis en évidence chez les patients atteints de fibromyalgie des anomalies de ce processus de modulation. Ces anomalies consistent principalement en une diminution de l’activité du système inhibiteur diffus, également connu sous le nom de contrôle inhibiteur diffus nociceptif (CIDN), descendant du tronc cérébral vers la moelle épinière. Si la défaillance des systèmes endogènes de modulation pourrait rendre compte d’une hypersensibilité diffuse à la douleur dans la fibromyalgie, son origine n’est pas connue (figure 3A et B). La présence de symptômes dépressifs accentuerait plus encore le défaut d’activation du CIDN, connu pour inhiber l’information nociceptive, mais les mécanismes en jeu sont à déterminer.
Figure 3 A Hypothèses des mécanismes biologiques à l’origine des douleurs chroniques diffuses dans le syndrome fibromyalgique
Figure 3 B Hypothèses des mécanismes biologiques à l’origine des douleurs chroniques diffuses dans le syndrome fibromyalgique
L’hypersensibilité à la douleur caractérisant la fibromyalgie pourrait également résulter de phénomènes de sensibilisation centrale. Il s’agit d’un processus pathologique lié à des modifications durables des propriétés physiologiques des neurones nociceptifs, notamment dans la moelle épinière. Ces modifications conduiraient à la pérennisation, voire à l’exacerbation, de l’hyperexcitabilité des systèmes nociceptifs centraux. Cependant, ce mécanisme n’est en aucun cas spécifique de la fibromyalgie puisqu’il interviendrait dans de nombreux autres syndromes douloureux chroniques.
Un axe complémentaire de recherche a concerné les perturbations des mécanismes physiologiques impliqués dans la réponse aux stress. L’accumulation de stress physiques, psychologiques ou émotionnels peut entraîner des perturbations des deux principaux systèmes impliqués dans la réponse physiologique au stress, à savoir, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) et le système sympathique. Ces deux effecteurs fortement interconnectés sont reliés aux structures cérébrales impliquées dans la perception et la modulation de la douleur. La fibromyalgie est associée à une moindre réactivité de l’axe HHS et du système sympathique aux stress (physiques et/ou psychologiques), ce qui pourrait moduler la perception et la modulation de la douleur. De nouveau, ces anomalies ne sont en rien spécifiques de la fibromyalgie et leur lien causal avec la symptomatologie fibromyalgique n’est pas solidement établi.

• Mécanismes périphériques

Divers travaux récents ont conduit à remettre en cause les hypothèses physiopathologiques reposant exclusivement sur des mécanismes nerveux centraux. Des modifications périphériques, essentiellement nerveuses, ont été identifiées. En particulier, 30 % à 50 % des patients souffrant de fibromyalgie qui ont été testés présentent une réduction du nombre de fibres nerveuses périphériques sensitives de petit diamètre. Certains auteurs avancent ainsi que la fibromyalgie pourrait correspondre, au moins pour un sous-groupe de patients, à une forme atypique de neuropathie des petites fibres. Cette forme de neuropathie est un trouble généralement dominé par une douleur neuropathique et un dysfonctionnement du système nerveux autonome, dans lequel les fibres nerveuses sensitives A-delta et C sont sélectivement atteintes. Cependant, cette interprétation neuropathique de la fibromyalgie est loin de faire l’unanimité vu le faible nombre de patients explorés sur le plan anatomo-pathologique et elle n’est en rien exclusive des autres mécanismes évoqués.
D’autres études ont réévalué le rôle d’anomalies observées dans les muscles squelettiques comme une diminution de la densité de capillaires sanguins, pouvant entre autres choses induire un défaut d’oxygénation musculaire. Par ailleurs, un rôle potentiel de mécanismes immunologiques et inflammatoires médiés notamment par les cytokines pro- et anti-inflammatoires a été évoqué. La plupart de ces hypothèses reposent néanmoins sur un faible nombre d’études réalisées dans de petites populations de patients, et qui sont encore contradictoires dans leurs résultats. Ces hypothèses sont donc actuellement trop fragiles pour que soit établi un lien de causalité entre anomalies musculaires ou processus inflammatoires et fibromyalgie.

Des modifications non spécifiques en neuro-imagerie cérébrale

L’imagerie du cerveau à l’aide de méthodes non invasives telles que l’imagerie par résonance magnétique (IRM), fonctionnelle (IRMf) ou non, a révélé la grande complexité des mécanismes physiologiques centraux impliqués dans la perception de la douleur et a permis de visualiser les structures cérébrales responsables de l’analyse et de la modulation du message douloureux. L’utilisation de ces méthodes est à l’origine du concept de « matrice de la douleur », un réseau hautement connecté de structures corticales et sous-corticales dans le cerveau au sein duquel le message douloureux est traité. Il faut néanmoins souligner que dans ce domaine en pleine évolution technologique, beaucoup d’études menées sur la fibromyalgie l’ont été sur un nombre peu élevé de participants à l’aide de méthodes d’imagerie qui ne satisfont plus aux standards de qualité actuels. De plus, des facteurs importants pour l’interprétation des données comme la présence de troubles de l’humeur, de troubles du sommeil ou la consommation médicamenteuse ne sont pas toujours pris en compte.

• Réponses cérébrales à des stimuli

L’application d’un stimulus nociceptif (de type pression sur l’ongle du pouce) active la matrice de la douleur chez les patients atteints de fibromyalgie en utilisant des stimuli non-douloureux qui n’activent pas la matrice de la douleur chez des contrôles. Cependant, les modes et zones d’activation chez les patients peuvent fortement différer selon les études, ce qui ne permet pas d’identifier une signature précise. D’autres études ont montré que les patients souffrant de fibromyalgie activent moins fortement des aires corticales qui sont impliquées dans l’exécution des tâches cognitives, en particulier le cortex préfrontal. De nouveau, il est impossible de déterminer si la fibromyalgie est associée à un profil de réponse cérébrale typique.

• Changements dans la connectivité fonctionnelle au repos

Des changements dans la connectivité fonctionnelle du cerveau chez des patients atteints de fibromyalgie, en particulier dans les zones qui font partie du Default Mode Network (DMN)23 , ont été rapportés dans toutes les études menées à l’exception d’une. Par exemple, une augmentation d’activité du DMN a été observée dans la fibromyalgie quand la personne n’est pas focalisée sur le monde extérieur, le cerveau étant alors actif mais dans un état de « vagabondage d’esprit ». Cependant, il faut noter que le DMN est perturbé dans d’autres formes de douleur chronique, ce qui souligne encore une fois que ces modifications ne sont pas spécifiques à la fibromyalgie.

• Imagerie structurelle et métabolique

En dépit de la grande variabilité des résultats des études morphométriques, il apparaît que 2 structures du cerveau sont fréquemment modifiées dans la fibromyalgie : le cortex cingulaire antérieur (ACC pour anterior cingulate cortex) et l’insula au sein de la matrice de la douleur. En outre, une équipe a rapporté des taux de glutamate (un neurotransmetteur excitateur) plus élevés en réponse à une stimulation douloureuse dans l’insula et le cortex cingulaire postérieur des patients, en lien avec un seuil de douleur plus bas. Ces taux se normalisaient après une intervention thérapeutique (acupuncture) ayant augmenté le seuil de douleur. Cependant, cette observation devrait être confirmée à l’aide de standards actuels d’imagerie cérébrale pour être retenue.

Un apport limité des modèles animaux

Les modèles animaux ont pour but de créer un modèle expérimental d’une pathologie, ou de certains de ses symptômes. Leur mise au point puis leur validation sont des processus complexes. Il faut ici souligner que le développement et l’utilisation de modèles animaux sont encadrés par des lois de bioéthique très strictes et sont régulièrement contrôlés afin de veiller au bien-être animal24 . Ainsi, tous les projets scientifiques nécessitant l’utilisation d’animaux de laboratoire doivent avoir obtenu un accord préalable par un comité d’éthique local puis être déclarés et acceptés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Quatre modèles, tous établis chez le rongeur, sont rapportés comme « modèle de fibromyalgie » dans la littérature. Tous sont induits et utilisent des stress répétés, chimiques ou physiques, pour induire une hyperalgésie généralisée : injections intramusculaires répétées d’une solution d’acide dilué, combinaison d’une fatigue musculaire à une injection musculaire d’acide, déplétion d’amines biogéniques par injection de réserpine25 , et stress au froid intermittent. Leur point commun est de générer une hyperalgésie généralisée cutanée et/ou musculaire durant plusieurs jours et sans lésion tissulaire apparente. Certains reproduisent d’autres symptômes fibromyalgiques comme des troubles du sommeil et des symptômes dépressifs. Ces modèles apportent des connaissances fondamentales importantes pour la compréhension de l’hyperalgésie généralisée sans lésion apparente induite. Cependant, la douleur chronique dont ils souffrent est temporaire puisqu’elle disparaît progressivement de manière spontanée. Ces modèles animaux ne reproduisent donc pas durablement la fibromyalgie, et ne sont pas des plus pertinents pour étudier cette dernière ou pour tester de nouvelles approches thérapeutiques.

Des facteurs psychologiques importants à considérer

Les travaux menés sur la dimension psychologique dans le syndrome fibromyalgique indiquent qu’il existerait des particularités qui lui sont propres même si des profils communs à la douleur chronique en général (catastrophisme, kinésiophobie, acceptation de la douleur...) sont reconnus. Si, comme pour les facteurs biologiques, les liens de causalité ne sont pas encore avérés, des facteurs psychologiques tels que les traits de personnalité ou les émotions joueraient un rôle dans la survenue et la pérennisation des douleurs chroniques et dans les stratégies d’ajustement (ou coping26 ) développées par les patients souffrant de fibromyalgie pour y faire face.
Les facteurs psychologiques contribuant au déclenchement d’une fibromyalgie peuvent être divisés en facteurs contextuels et relationnels, en facteurs de personnalité, et en facteurs de perception et de cognition (tableau IVrenvoi vers). De même, il existe des facteurs psychologiques qui exposent les patients à une certaine vulnérabilité et favorisent sa pérennisation. Il s’agit de facteurs relationnels tels qu’un manque de soutien social et un sentiment élevé de solitude ; de facteurs de représentation de la fibromyalgie avec une perception négative ; un catastrophisme élevé avec ses trois dimensions que sont la rumination, l’amplification et l’impuissance ; enfin des facteurs d’ordre émotionnel tels que des sentiments d’incertitude et d’injustice, une peur de la douleur et du mouvement, une humeur dépressive, une anxiété, de la tristesse et de la colère.
De l’analyse de la littérature se dégagent deux profils psychologiques distincts chez les patients : un premier groupe marqué par un fort névrosisme et une détresse psychologique importante, qui favorisent un état clinique très altéré et des retentissements psychosociaux fréquents ; un second groupe présentant une faible détresse psychologique, une meilleure qualité de vie et une évolution plutôt favorable de la symptomatologie.

Tableau IV Facteurs psychologiques identifiés comme impliqués dans la survenue d’une fibromyalgie

Facteurs contextuels et relationnels
Événements de vie perçus comme plus négatifs
Dysfonctionnements familiaux durant l’enfance (désorganisation, conflits, manque de cohésion)
Styles parentaux anxieux ou autoritaires
Style d’attachement insecure
Facteurs de personnalité
Modèle psychobiologique de Cloninger :
Faible recherche de nouveauté
Évitement du danger
Faible auto-détermination
Modèle du Big Five :
Névrosisme
Agréabilité
Ouverture
Psychoticisme
Triade névrotique (hypocondrie, dépression, hystérie)
Équilibre affectif (faible affectivité positive et affectivité négative élevée)
Lieu de contrôle externalisé
Facteurs perceptifs et cognitifs
Hyperactivité représentationnelle prémorbide et hypoactivité représentationnelle actuelle
Hypervigilance envers les stimuli négatifs
Amplification somatosensorielle
Alexithymie*
Difficulté de représentation des états mentaux d’autrui

* Difficulté à identifier et à exprimer ses émotions.

L’approche psychosociale, qui s’intéresse à l’expérience subjective des patients, a exploré les causes que ces derniers attribuent à leurs troubles. Il en ressort une haute prévalence d’événements traumatiques, notamment d’ordre psychologique, tels que le deuil d’un proche, un vécu de violence, un traumatisme dans l’enfance, ou encore un divorce (figure 4Renvoi vers). Des traumatismes de type somatique sont aussi identifiés tels qu’un accident, une chirurgie, une chute ou encore des problèmes gynécologiques/obstétriques. Le traumatisme, physique ou psychologique est désigné par certains comme un événement déclencheur d’une maladie auparavant « dormant dans leur corps ».
Figure 4 Attributions causales relatives au déclenchement de la fibromyalgie selon les personnes atteintes (d’après Cedraschi et coll., 2013)
27

La dimension sociale en jeu dans la fibromyalgie

Importance de la reconnaissance du statut de patient

Bien qu’il semble que la situation ait positivement évolué ces dernières années avec les connaissances acquises en neurosciences, l’impossibilité de relier le syndrome fibromyalgique à un problème organique clairement identifié et à le confirmer à l’aide d’un biomarqueur aurait longtemps discrédité les plaintes des patients, qui restent subjectives. L’absence d’une cause organique reconnue par tous les professionnels de santé permet au doute de s’installer chez certains concernant l’origine des symptômes : sont-ils aussi physiques ou uniquement psychosomatiques ? De cette question peut découler une représentation du syndrome comme « réel » dans le premier cas ou « non réel » dans le second cas avec stigmatisation possible du patient. C’est ainsi que les symptômes dits « médicalement inexpliqués » peuvent être considérés comme « médicalement suspects ». Le syndrome constituerait alors une « illness you have to fight to get28  » : si la responsabilité du trouble est imputée aux patients, ceux-ci doivent se battre pour être reconnus malades. Il en résulte une situation paradoxale dans laquelle la douleur et les autres symptômes sont à la fois à abolir mais aussi nécessaires pour le patient afin de légitimer son identité sociale de personne souffrant d’une maladie.

Renforcement des problèmes sociaux et d’inégalités de genre

La littérature montre que le syndrome fibromyalgique est fréquemment associé à une catégorie socio-économique modeste, à des revenus faibles, à des professions nécessitant des tâches manuelles répétitives, et à un manque de contrôle des personnes sur leur environnement de travail. Les conséquences d’une affection douloureuse comme la fibromyalgie peuvent renforcer des inégalités sociales : marginalisation, comorbidités, limitations des relations familiales et sociales et perte d’autonomie faiblement compensée par les aides sociales.
La fibromyalgie semble encore considérée comme « une maladie de femmes » même si la prédominance du genre féminin parmi les patients diagnostiqués à l’aide des critères diminue avec l’évolution de ces derniers. Il semble que cette prédominance féminine ait pu renforcer une certaine propension à délégitimer ou à minimiser, au point de la rendre invisible, la souffrance exprimée par les patients. Il a été montré que le monde médical évalue plus facilement des symptômes comme d’origine psychosomatique chez les femmes que chez les hommes. De même, la douleur des femmes serait traitée moins sérieusement que celle des hommes, même lorsqu’elle émane d’une cause biomédicale connue, et plus encore quand celle-ci n’a pas été établie. Comme pour d’autres affections typiquement féminines (exemple de l’endométriose), la reconnaissance et la prise en charge des conséquences du trouble ont été et sont pour certaines encore limitées, que ce soit dans la sphère privée ou dans les politiques de santé publique. La représentation de la fibromyalgie comme un trouble jusque-là très majoritairement féminin suscite cette question : s’agit-il d’une preuve de son caractère psychosocial ou, au contraire, d’une conséquence d’une spécificité de la biologie féminine ? « L’invisibilisation » de la question du genre perdure au travers du manque paradoxal de recherches investiguant l’effet de genre dans les travaux biomédicaux, même si cela tend à diminuer avec la diminution du sexe ratio femme/homme.

Autres facteurs associés au syndrome fibromyalgique

De nombreux facteurs sont associés au syndrome fibromyalgique mais ne lui sont pas spécifiques car ils s’observent dans la plupart des syndromes douloureux chroniques généralisés. Ces facteurs peuvent être qualifiés de facteurs prédisposants, déclenchants voire d’entretien ou de sévérité plutôt que de risque ou étiologiques. Ainsi, la prévalence de la fibromyalgie varie en fonction des catégories socio-culturelles et socio-économiques des populations étudiées, étant plus élevée dans les populations économiquement défavorisées et moins éduquées. La littérature disponible suggère que les « agrégats de cas », c’est-à-dire une prévalence élevée de fibromyalgie rapportée dans certaines familles, reposent à la fois sur des facteurs génétiques et des facteurs familiaux d’exposition environnementale et comportementale. Malgré un nombre élevé d’études et le concept répandu d’une origine traumatique de la fibromyalgie, le niveau de preuve du rôle déclenchant de traumatismes (accidents de la route, traumatismes cervicaux) est classé comme faible par plusieurs revues systématiques. Si un antécédent de troubles de stress post-traumatique est rapporté avec des prévalences comprises entre 15 et 60 % selon les études, ces dernières souffrent de limites méthodologiques trop importantes pour permettre de conclure sans doute possible.

L’impact individuel et sociétal de la fibromyalgie

La littérature montre que le syndrome fibromyalgique affecte toutes les dimensions de la vie des patients, que ce soit au niveau personnel, familial ou socio-professionnel.

Sur la qualité de vie

Les symptômes, en particulier la douleur qui est omniprésente mais aussi la fatigue qui épuise, le sommeil perturbé, les troubles cognitifs, et les symptômes dépressifs portent atteinte à la santé physique et mentale. Les patients considèrent qu’ils bouleversent leurs relations aux autres et, de façon particulièrement marquée, qu’ils portent atteinte à leur identité individuelle et sociale. Le caractère aléatoire et instable des symptômes leur fait vivre des émotions pénibles et incontrôlables. Ils expriment le sentiment d’une rupture brutale à tous les niveaux existentiels et un profond sentiment de perte de leur personnalité « d’avant ».
Les outils les plus fréquemment utilisés dans la littérature, seuls ou associés, pour évaluer la qualité de vie sont le questionnaire générique SF-36, sa version courte SF-12 et le questionnaire FIQ. Les études évaluant la qualité de vie des patients comparée à celle de la population générale à l’aide de ces outils arrivent au même constat, à savoir une altération de celle-ci. Cette altération est constante, plus marquée dans la dimension physique mais également observée dans les dimensions psychique et sociale. De nombreux facteurs ont été explorés en rapport avec la qualité de vie mais aucun lien de causalité n’a été démontré. L’effet de l’âge est bien documenté : la dimension physique serait plus altérée chez les patients jeunes que chez les patients âgés lorsque les scores obtenus sont comparés à ceux d’une population générale de même âge et même sexe. La dimension psychique serait la plus altérée chez les patients d’âge moyen. La douleur, les symptômes anxio-dépressifs, la fatigue, les troubles du sommeil et des traumatismes anciens auraient un impact négatif. Les stratégies d’ajustement et le soutien familial et social exerceraient un effet positif sur la qualité de vie des patients.
Au-delà de l’évaluation de la qualité de vie par des outils de mesure validés, quelques études explorent d’autres aspects du vécu des patients comme la sexualité, la relation avec les autres et le risque de suicide, mais ces études restent trop peu nombreuses et de qualité trop faible pour conclure sur ces questions. D’une manière générale, les limites méthodologiques des travaux disponibles invitent à une grande prudence vis-à-vis de la généralisation des résultats qui méritent d’être confirmés en particulier sur l’évolution, mal connue, de la qualité de vie des patients.

Sur l’activité professionnelle

La fibromyalgie retentit globalement sur la qualité de vie des patients en milieu professionnel. Cependant, les enquêtes sont relativement rares et portent le plus souvent sur des populations de travailleurs précis (métallurgie brésilienne, travailleurs du secteur de la santé dans la région d’Hiroshima au Japon, travailleurs de l’industrie textile turque), rendant leurs résultats difficilement généralisables. Une étude, relativement ancienne, réalisée auprès de plus de 7 000 travailleurs finlandais âgés de plus de 30 ans (cohorte mini Finland Health Survey29 ) rapporte qu’une prévalence plus élevée de fibromyalgie chez les inactifs (1,85 %) que chez les actifs (0 à 0,77 %) est observée comme pour d’autres syndromes douloureux chroniques. Cependant, cette observation peut s’expliquer par un phénomène de sélection dit « effet travailleurs sains », les personnes les plus sévèrement atteintes tendant à être exclues du monde du travail. Une étude de cohorte de bonne qualité méthodologique montre d’ailleurs que les femmes souffrant de fibromyalgie et professionnellement actives ont globalement un meilleur état de santé que celles qui sont inactives. L’effet positif du travail est plus net pour les catégories socio-professionnelles élevées bénéficiant de meilleures conditions de travail et de vie.
Le syndrome fibromyalgique peut donc compromettre la poursuite de l’activité professionnelle en l’absence d’aménagement des conditions ou de la durée du travail. Le taux d’emploi varie entre 34 et 77 % selon les pays. Les quelques études réalisées, aucune en France, rapportent des taux d’invalidité à un temps t allant de 19 à 45 % et des pourcentages de personnes non employées à cause de la fibromyalgie allant de 34 à 50 % dans les échantillons consultés. Aucune étude ne suggère que la fibromyalgie est une maladie professionnelle, c’est-à-dire directement liée aux conditions de travail, ni même une maladie liée au travail (work-related disease) au sens de l’OMS30 . Si l’activité professionnelle peut améliorer l’état de santé des personnes atteintes de fibromyalgie, en revanche, des conditions de travail pénibles connues pour favoriser la survenue de troubles musculo-squelettiques (TMS) contribueraient à révéler l’existence d’une fibromyalgie ou à aggraver l’intensité ou la durée des symptômes (douleurs et fatigue notamment). C’est pourquoi, s’il est probable qu’exercer ou poursuivre une activité professionnelle apporte un réel bénéfice physique, psychologique et social pour certaines personnes, cet effet varie en fonction du contexte clinique et des situations individuelles.
Une plus forte prévalence de fibromyalgie est rapportée chez les travailleurs finlandais peu qualifiés et exposés aux tâches physiquement pénibles (1,48 % dans l’agriculture contre 0 % chez les cadres d’après une étude). La douleur, les troubles cognitifs et la fatigue caractéristiques de la fibromyalgie sont sources à des degrés divers d’incapacité parfois prolongée au cours des activités professionnelles impliquant, par exemple, des efforts musculaires répétés ou une élévation des bras au-delà de l’horizontale. Tout comme pour les douleurs chroniques diffuses et les TMS, les patients atteints de fibromyalgie appartenant aux catégories peu qualifiées sont plus exposés aux contraintes physiques du travail et au manque d’autonomie. Ces inégalités sociales se conjuguent à des inégalités de genre, car les femmes sont plus fréquemment exposées aux tâches parcellaires réalisées sous contraintes de temps avec de faibles marges de manœuvre. L’absence de possibilité de modulation des efforts et des gestes ou du temps de travail en fonction des variations de l’état fonctionnel serait donc une source importante de handicap, d’incapacité et même d’invalidité pour les travailleurs souffrant de fibromyalgie. Si travailler est recommandé, demeurer en emploi semble rester « une lutte permanente » pour nombre de personnes souffrant d’un syndrome fibromyalgique.

Son impact économique

Il est classique, en économie, de distinguer les coûts directs31 médicaux et non médicaux, les coûts indirects32 et les coûts intangibles33 . Plusieurs de ces paramètres ont été évalués dans la littérature sur la fibromyalgie : son poids économique supporté par la collectivité, la comparaison des coûts en fonction de modalités de prises en charge (médicaments, prise en charge usuelle versus prise en charge multidisciplinaire) et le rapport coût/efficacité de ces prises en charge. Aucune des études n’a été réalisée en France et très peu en Europe.
Le poids économique du syndrome fibromyalgique augmente avec la sévérité de l’affection (évaluée à l’aide notamment du FIQ, tableau Vrenvoi vers). Des études cas-témoins montrent que des patients ont significativement plus de dépenses de santé que des témoins non atteints appariés. Dans ces études, les patients ont également plus de comorbidités associées sans qu’une évaluation soit faite des dépenses qui reviennent spécifiquement au syndrome fibromyalgique. Les études menées sur les ressources consommées par les patients avant et après diagnostic montrent que les dépenses de santé dans les années qui suivent celui-ci sont au moins équivalentes, si ce n’est plus élevées, que durant la période qui le précède. La littérature ne permet pas de déterminer si cette augmentation est due à des difficultés de prise en charge une fois la fibromyalgie diagnostiquée ou, au contraire, à une prise en charge adaptée aux besoins des patients.

Une prise en charge multimodale

La littérature sur la prise en charge de la fibromyalgie est abondante. Cette prise en charge vise à réduire les symptômes de la fibromyalgie (douleur mais aussi troubles du sommeil, troubles cognitifs, troubles de l’humeur, fatigue) et à améliorer la situation de handicap liée ainsi que la qualité de vie. L’évaluation d’un bénéfice modéré ou substantiel pour le patient est généralement réalisée en appliquant les recommandations du groupe IMMPACT (Initiative on Methods, Measurement, and Pain Assessment in Clinical Trials), qui vise à assurer la qualité des essais cliniques34 .

Tableau V Coûts médicaux directs et indirects (pertes de productivité) en Allemagne, en France et aux États-Unis par patient et par an en fonction de la sévérité du syndrome évaluée à l’aide de l’outil FIQ

Sévérité
Fibromyalgie légère
Fibromyalgie modérée
Fibromyalgie sévère
Pays
Moyenne (écart-type)
Médiane
Moyenne (écart-type)
Médiane
Moyenne (écart-type)
Médiane
Allemagne*
(211 patients)
52
 
66
 
93
 
Coûts médicaux directs
1 133 (737)
989
1 133 (1ˆ098)
876
1 995 (2 534)
1 235
Coûts indirects
786 (2 004)
0
5 004 (11 108)
0
8 466 (15 015)
0
France*
(88 patients)
      
Coûts médicaux directs
564 (440)
528
949 (1842)
504
794 (636)
595
Coûts indirects
4 816 (12 433)
0
5 576 (12 736)
0
9 190 (16 808)
0
États-Unis**
(203 patients)
      
Coûts médicaux directs
4 854 (3 509)
4 600
5 662 (4 159)
4 861
9 318 (8 304)
7 040
Coûts indirects
5 366 (13 449)
0
20 556 (31 505)
6 719
33 139 (36 570)
28 118

* en EUR2008 ; ** en USD2009.

35
Une ambivalence forte des patients à l’égard des traitements est rapportée dans la littérature et souligne les enjeux de la relation de soin. Les patients accordent une grande importance aux médicaments pour leurs effets espérés, tout en redoutant leurs effets secondaires. Ils sont pour eux le signe que le médecin reconnaît leur pathologie comme un trouble relevant du domaine biomédical. Les quelques travaux disponibles relatent une gêne de la part des patients envers les médecins prescrivant des thérapies psychothérapiques pour la douleur, car ce type de traitement constituerait pour eux un indice de la faible importance et de la non légitimité accordées à leur pathologie. Enfin, leurs représentations des thérapies basées sur l’activité physique sont globalement positives, mais ils se disent attentifs à ce que ces thérapies ne s’assimilent pas à une manière d’évacuer la prise en charge médicale.

Les modalités de prises en charge proposées

Les recommandations internationales émises par des sociétés savantes

Plusieurs recommandations de pratique clinique ont été émises par des sociétés savantes pour la prise en charge de la fibromyalgie, qui sont issues des études fondées sur les preuves. Elles incluent des recommandations américaines de l’American Pain Society, allemandes de l’Association of the Scientific Medical Societies in Germany, canadiennes de la Canadian Pain Society et européennes de l’European League Against Rhumatism (EULAR). Cette dernière a constaté que l’évidence en faveur d’un effet reste relativement modeste pour de nombreux traitements. Un algorithme a été proposé (figure 5Renvoi vers), qui souligne l’intérêt d’une thérapie non pharmacologique et d’une éducation thérapeutique du patient (ETP) en première ligne et place les médicaments à recommandation modérée en seconde ligne. L’analyse de la littérature en sciences économiques souligne quant à elle le caractère prometteur, sur le plan de leurs résultats coût-efficacité, des thérapies non médicamenteuses (thérapies comportementales et psycho-éducationnelles).

Une activité physique adaptée et régulière pour réintégrer
le mouvement dans la vie quotidienne

Une activité physique adaptée (APA) doit être considérée comme le socle du traitement de la fibromyalgie afin de permettre l’apprentissage et le maintien d’exercices aussi bien spécifiques que non spécifiques. Plusieurs revues systématiques et méta-analyses récentes démontrent l’efficacité et l’innocuité à court et à moyen terme d’exercices aérobies, comme la marche, dans la fibromyalgie malgré les biais méthodologiques inhérents aux études menées dans le domaine de la médecine de rééducation. Le niveau de preuve d’efficacité des exercices en résistance est modérément élevé car ce type d’exercices requiert un entraînement encore plus personnalisé. De nombreuses questions restent néanmoins en suspens concernant les protocoles à mettre en place (intensité, fréquence, adhésion). Il apparaît cependant que les programmes d’exercices doivent être personnalisés et adaptés à chaque situation, en particulier au rythme de vie de la personne suivant le concept d’activity pacing, c’est-à-dire d’adaptation à la gestion des activités physiques et de la vie quotidienne suivant un rythme approprié. La prescription et supervision d’une activité physique adaptée par des professionnels de la santé semble donc indispensable pour un effet thérapeutique optimal. Les thérapies de mouvement méditatif comme le Yoga, le Tai-chi ou le Qi Gong peuvent s’avérer intéressantes pour les patients qui ont une adhésion faible aux programmes d’exercices plus classiques. Des études avec des méthodologies plus robustes sont nécessaires pour déterminer l’impact de traitements plus passifs (balnéothérapie, cryothérapie, électrothérapie, etc.).
Figure 5 Algorithme décisionnel proposé par l’EULAR pour la prise en charge thérapeutique de la fibromyalgie chez l’adulte (adapté de Macfarlane et coll., 2017)
36

Des psychothérapies promouvant les stratégies d’ajustement

Les psychothérapies constituent l’une des modalités de prise en charge des patients souffrant de fibromyalgie. Les objectifs principaux sont (i) d’améliorer le bien-être (psychologique, physique et fonctionnel) et la qualité de vie, (ii) de promouvoir l’estime de soi et le sentiment d’auto-efficacité, (iii) d’encourager la mobilisation de stratégies d’ajustement adaptatives variées et (iv) de diminuer le stress. Les psychothérapies dans la fibromyalgie n’ont donc pas pour objectif direct une diminution de l’intensité douloureuse ou des autres symptômes somatiques mais principalement l’adoption par le patient de stratégies d’acceptation et d’appropriation de la fibromyalgie au quotidien. Or, les études disponibles évaluant les niveaux de preuve de l’efficacité des psychothérapies utilisent principalement des critères d’ordre quantitatif tels que l’intensité douloureuse et l’incapacité fonctionnelle, ce qui ne correspond pas aux objectifs premiers des psychothérapies et peut représenter un biais pour l’interprétation de la littérature. Un second biais possible concerne l’hétérogénéité des pratiques psychothérapiques incluses, notamment dans les méta-analyses.
Les psychothérapies les plus couramment pratiquées dans la littérature sont issues des approches comportementale et cognitive, psychanalytique, systémique et humaniste. D’autres interventions thérapeutiques concernent l’hypnose, la méditation en pleine conscience ou encore l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing). Dans l’état actuel des connaissances, les psychothérapies apportent globalement un bénéfice, avec une amélioration significative maintenue à 6 mois de l’état de santé somatique et psychologique et du fonctionnement au quotidien. La grande majorité des travaux porte sur l’efficacité des thérapies comportementales et cognitives (TCC). Malgré l’hétérogénéité importante des interventions évaluées (contenu, cadre thérapeutique, etc.), les TCC au sens large, comme la thérapie d’acceptation et d’engagement, améliorent de manière notable la symptomatologie et la qualité de vie des patients à court et moyen terme. Les différents types de TCC évalués semblent tout autant efficaces mais les bienfaits sont plus marqués pour les interventions thérapeutiques les plus longues (à partir de 25 heures) et menées en « présentiel ». Les médiateurs thérapeutiques qui contribuent le plus efficacement à une évolution clinique favorable chez les patients ne sont pas encore bien connus. Néanmoins, les interventions psychothérapiques, bien que fondées sur des postulats théoriques fort différents et mobilisant des techniques spécifiques, conduisent souvent à des bénéfices thérapeutiques relativement similaires. Cela suggère le rôle prépondérant des facteurs psychothérapiques communs tels qu’une alliance thérapeutique positive.
Plus récemment, ont été publiées plusieurs études sur l’efficacité de l’hypnose et de la méditation en pleine conscience utilisant le protocole MBSR (mindfulness based stress reduction). L’hypnose et l’imagerie guidée ont un certain intérêt dans l’accompagnement thérapeutique des personnes souffrant de fibromyalgie, surtout si elles sont associées à d’autres interventions. L’efficacité des thérapies de méditation en pleine conscience est toutefois à confirmer par des études complémentaires, même si les premiers résultats sont plutôt encourageants. D’autres thérapies comme les thérapies humanistes, systémiques, psychanalytiques, narratives et l’EMDR mériteraient d’être évaluées.

Une prise en charge pharmacologique ciblée

La quantité de publications scientifiques sur la prise en charge médicamenteuse est importante. Les revues systématiques et les méta-analyses publiées portent essentiellement sur des antiépileptiques (prégabaline, gabapentine) et des antidépresseurs (amitriptyline, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline comme la duloxétine ou le milnacipran, inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) comme la fluoxétine, paroxétine et le citalopram). D’autres publications concernent des molécules recommandées dans la douleur chronique, et par extension dans la fibromyalgie, tels que des anti-inflammatoires non stéroïdiens, le tramadol ou des psychotropes. Les critères d’évaluation retenus sont l’amélioration supérieure ou égale à 50 % et à 30 % de la douleur. Une impression d’amélioration de l’état général est également recommandée, estimée supérieure à 25 % par le FIQ ou d’améliorée à très améliorée par le patient global impression of change (PGIC). Enfin, le bénéfice/risque est évalué à l’aide du nombre de sujets à traiter (NNT pour number needed to treat)37 et du nombre nécessaire pour nuire (NNH pour number needed to harm). Les essais cliniques publiés dans la littérature comportent néanmoins quelques biais. En particulier, ils s’appuient sur une population répondant à des critères d’inclusion et d’exclusion précis afin d’être assez homogènes et de permettre de conclure à l’efficacité d’un traitement dans une situation et une population bien définies. De ce fait, sont exclus des patients prenant plusieurs médicaments, ayant des comorbidités, ou ne répondant pas aux critères sociaux retenus.
Il existe des différences internationales pour l’accès aux médicaments prescrits dans le syndrome fibromyalgique. En France et en Europe, aucun médicament n’a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’indication fibromyalgie tandis que la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis a accordé une AMM pour 3 médicaments : la prégabaline, la duloxétine et le milnacipran. Les études cliniques montrent une amélioration supérieure ou égale à 30 % de la douleur (≥ 50 % pour la prégabaline) et une amélioration de la qualité de vie pour ces 3 médicaments. Leurs effets bénéfiques sur le PGIC sont variables et sont généralement faibles à absents sur la fatigue, le sommeil ou la condition physique. Il n’existe pas de différence d’efficacité et de tolérance entre duloxétine 60 mg, prégabaline 300 mg et milnacipran 100 mg. Ces molécules, qui agissent sur le système nerveux central, ont des effets indésirables connus comme une somnolence et des vertiges. Ces derniers peuvent entraîner l’arrêt du traitement avant la durée de 12 semaines jugée nécessaire pour envisager son efficacité. Les antidépresseurs de type ISRS ne montrent pas de supériorité documentée pour l’amélioration de la douleur, de la fatigue, ou du sommeil par rapport au placebo, mais peuvent être bénéfiques pour traiter une dépression avérée chez un patient. L’amitriptyline est un médicament très utilisé depuis longtemps en première ligne pour la fibromyalgie sans pour autant être soutenu par beaucoup d’études cliniques.
Les recommandations les plus récentes pour la prise en charge médicamenteuse de la fibromyalgie sont celles de l’EULAR. Cette société savante accorde une recommandation modérée pour la prégabaline, la duloxétine, le milnacipran et l’amitryptiline. En France, les autorités de santé et plusieurs sociétés savantes ont émis des recommandations afin de prévenir le mésusage des antalgiques et co-antalgiques. Elles stipulent en particulier de ne pas utiliser d’opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse incluant la fibromyalgie. Il en est de même de la FDA à propos des opioïdes, et la Grande-Bretagne a décidé de restreindre en 2019 la prescription des gabapentinoïdes (dont la prégabaline) dont le mésusage peut conduire à des décès. Quelle que soit la molécule choisie, un traitement médicamenteux particulier n’est pas efficace pour tous les patients souffrant de fibromyalgie, une amélioration de 30 % ou plus de la douleur étant estimée chez seulement 40 % de patients. La majorité des patients n’obtient donc pas de soulagement significatif d’où l’importance de réévaluer l’efficacité et la balance bénéfice-risque du traitement avec le prescripteur afin de discuter au mieux de la conduite thérapeutique à mener.

Des effets prometteurs de la neurostimulation non invasive

Plusieurs études ont évalué l’effet de la neurostimulation non invasive telle que la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (STMr) et la stimulation électrique transcrânienne à courant continu (STCC) dans la fibromyalgie. La majorité des travaux met en évidence des effets positifs sur la douleur ou sur les fonctions cognitives de ces deux approches de stimulation du cerveau dans des zones choisies. Néanmoins, il subsiste d’importantes divergences entre les études, notamment sur la cible corticale la plus appropriée et la durée de la thérapie. En raison de la faible qualité des études menées jusqu’ici, les lignes directrices récentes de l’Académie européenne de neurologie ont formulé « des recommandations faibles » pour l’utilisation de la STMr dans la fibromyalgie.

Une éducation thérapeutique du patient indispensable

L’ETP est un processus continu intégré aux soins qui vise à aider le patient et ses proches à comprendre la maladie chronique et ses traitements afin de maintenir ou d’améliorer sa qualité de vie. Elle a pour objectif de permettre au patient de devenir acteur de sa santé. L’ETP permet de mieux comprendre les objectifs thérapeutiques poursuivis, de travailler sur les attentes des patients et ainsi de favoriser l’adhésion au programme thérapeutique. L’objectif est qu’au fil du temps, les patients développent différentes stratégies d’ajustement pour faire face et trouver une réponse adaptée à leur symptomatologie.
Les recommandations internationales, dont celles de l’EULAR, soulignent l’importance de l’ETP dans la fibromyalgie tout en indiquant que la preuve des effets bénéfiques de l’ETP mise en place seule est limitée. Elle modifierait favorablement les préjugés et la perception de la pathologie, mais le niveau de douleur n’est amélioré que de façon inconstante et il n’y a pas d’amélioration de la fonctionnalité et de la qualité de vie. À l’inverse, il existe une forte preuve d’efficacité de la combinaison ETP/apprentissage d’exercices physiques. Si la littérature ne mentionne pas les caractéristiques d’un programme d’ETP spécifique à recommander pour la prise en charge de la fibromyalgie, elle insiste sur le fait qu’il doit reposer sur une vision biopsychosociale de la fibromyalgie.

Approches thérapeutiques isolées ou prises en charge multi/interdisciplinaires ?

Un programme multidisciplinaire résulterait de l’addition de compétences de différents professionnels de la santé sans interaction véritable. Un programme interdisciplinaire impliquerait une évaluation globale préalable à la prise en charge thérapeutique avec discussions coordonnées d’équipes afin, entre autres, de favoriser la cohérence des messages donnés au patient. Si une distinction entre approches multidisciplinaires et interdisciplinaires est faite par certains travaux, il est en réalité difficile de distinguer clairement ces deux approches dans les protocoles rapportés dans la littérature (figure 6Renvoi vers).
Figure 6 Représentation schématique du continuum entre prise en charge multidisciplinaire et prise en charge interdisciplinaire qui illustre la complexité de leur définition respective dans la littérature
Les études randomisées et contrôlées et les revues systématiques d’évaluation de ces approches rapportent leur efficacité sur la douleur, la fatigue et la qualité de vie. Pour certaines, les effets bénéfiques diminueraient voire disparaîtraient avec le temps. Pour d’autres, un effet non seulement à court terme mais également à moyen terme (6 à 12 mois) est rapporté. Sur la base de cette littérature, les recommandations EULAR sont de réserver un programme multimodal de réhabilitation aux patients les plus sévères (figure 5Renvoi vers). L’évaluation systématique des études menées sur les approches multi/interdisciplinaires dans la fibromyalgie comparée à une approche thérapeutique isolée s’avère néanmoins une tâche difficile à réaliser car il existe de grandes variabilités dans la méthodologie utilisée et dans les programmes thérapeutiques mis en place.

L’importance de la qualité des relations sociales

Relation soignants-soignés

La littérature rapporte une longue trajectoire d’errance médicale pour les patients, que ce soit dans la recherche d’un diagnostic, dans leur quête des soins afin de réduire ou de rendre supportables douleurs et fatigue, ou encore dans le processus d’acceptation et de légitimation de leurs handicaps auprès des proches, des employeurs et des institutions. Ils subissent une double peine : vivre avec une douleur agressive et imprévisible, qui de surcroît, est souvent mise en doute par les autres du fait de son invisibilité.
Le diagnostic est accueilli par les patients avec soulagement. De leur point de vue, le défaut de diagnostic crée un processus de victimisation ainsi qu’un sentiment d’abandon en termes de prise en charge, alors que le diagnostic permet une reconnaissance de l’expérience de la douleur et offre la possibilité d’entrée dans un parcours de soins (figure 7Renvoi vers). Le diagnostic constitue « un moment fondateur » dans la mesure où il met fin à l’errance médicale et semble faciliter la réintégration dans le monde social. Cependant, sur le long terme, il peut perdre son caractère bénéfique lorsque les traitements s’avèrent inefficaces, lorsque la situation ne s’améliore pas, qu’elle stagne, voire se dégrade. De nombreux patients se disent affectés par le risque ou la réalité d’assimilation entre fibromyalgie et problèmes psychologiques ou sociaux. Les femmes sont d’autant plus affectées que la stigmatisation par la formule « c’est psychologique » ou « dans votre tête » relèverait selon elles de préjugés sexistes. Dès lors s’installe une perte de confiance vis-à-vis des médecins. Certains auteurs insistent ainsi sur la dimension iatrogène du diagnostic de fibromyalgie, en particulier lorsque le patient ressent un rejet et un regard péjoratif porté à sa demande.
Un nombre important de patients considère qu’un style de relation thérapeutique centré sur le patient est efficace pour atténuer leur souffrance profonde. La rencontre d’un médecin qui montre de l’empathie et d’une structure médicale attentive aux symptômes est déterminante pour désamorcer un éventuel effet iatrogène du diagnostic. Cependant, la grande diversité des plaintes et des symptômes évoqués laisse parfois les médecins perplexes qui, ne trouvant aucune explication et se sentant mis en échec, ressentent un réel malaise. Enfin, les réponses thérapeutiques peuvent varier en fonction des spécialités, du positionnement du médecin vis-à-vis de la dimension du diagnostic « fibromyalgie » et de son engagement vis-à-vis de la relation de soins.
Figure 7 Schéma des émotions liées au diagnostic de fibromyalgie ressenties par le patient et rapportées dans la littérature

Réseau social et associations de malades

Le soutien social, en particulier celui des proches, est fondamental dans la manière dont le syndrome fibromyalgique va affecter la vie des personnes qui en sont atteintes. L’adaptation à ses conséquences peut nécessiter de recourir à des ressources matérielles ou morales, plus ou moins importantes, qu’elles soient fournies par la famille ou d’autres membres du groupe social, et ce parfois pour des tâches du quotidien et domestiques. La taille du réseau social et la satisfaction vis-à-vis de l’aide qu’il apporte ont un impact non négligeable sur l’efficacité des stratégies personnelles et la confiance qu’ont les patients dans leurs capacités à gérer leur pathologie.
Les associations de malades font partie intégrante de l’histoire médicale contemporaine. Elles permettent un partage des expériences et une entraide entre patients, servant de contre-pouvoir face aux doutes présentés par le monde médical. En décembre 2008, le réseau européen d’associations de patients atteints de fibromyalgie (European network of fibromyalgia associations) obtient ainsi du Parlement européen une déclaration invitant les États membres à reconnaître la fibromyalgie comme une maladie et à œuvrer à sa prise en charge. La participation aux forums et groupes de soutien dédiés sur Internet peut constituer un soutien pour les patients. Si ces communautés servent d’appui pour les personnes atteintes de fibromyalgie, elles constituent également un cadre dans lequel certaines dérives sont possibles. Les échanges s’établissant autour d’une thématique unique, chaque trouble rapporté par un individu peut être interprété comme porteur d’un sens pour la maladie, un symptôme possible. Les renseignements disponibles sur Internet étant de teneur et de validité scientifique très variées, ils peuvent conduire à des autodiagnostics erronés ou engendrer des interactions conflictuelles avec les médecins.

Le syndrome dit de fibromyalgie chez les enfants
et les adolescents

Les publications concernant spécifiquement le syndrome de fibromyalgie juvénile sont assez limitées contrairement à celles sur les douleurs chroniques diffuses de l’enfant et de l’adolescent. L’utilisation du terme diagnostique « syndrome de fibromyalgie » ou « fibromyalgie » chez l’enfant et l’adolescent souffrant de douleurs chroniques diffuses est en effet controversée aussi bien dans la littérature médicale qu’en pratique clinique courante. Ainsi, les mêmes symptômes peuvent être décrits sous des termes variés : « douleur chronique diffuse » (chronic widespread pain ou CWP), « douleurs musculo-squelettiques diffuses », « fibromyalgie juvénile » ou « syndrome de fibromyalgie juvénile ». Moins de dix équipes médicales hospitalo-universitaires dans le monde ont publié des petites séries (quelques dizaines) de patients diagnostiqués comme atteints de syndrome de fibromyalgie juvénile (tableau VIrenvoi vers). Une équipe américaine a écrit l’essentiel de la littérature à partir d’un même groupe d’une centaine de patients, décrit initialement en 2002 et qui a fait depuis l’objet de l’essentiel de leurs publications. Aucune publication française n’est disponible. Le nombre de patients évalués dans la littérature est donc extrêmement faible par rapport, entre autres, à la prévalence rapportée dans la population générale. Le degré de retentissement du syndrome n’est pas toujours précisé, rendant ces groupes de patients probablement non homogènes. L’ensemble de ce constat rend donc difficile, voire impossible, d’émettre des conclusions à partir de la littérature traitant spécifiquement de la « fibromyalgie juvénile ».

Tableau VI Études rétrospectives descriptives de jeunes diagnostiqués comme atteints de fibromyalgie entre 1985 et 2013

Référence
Lieu, Structure
Pays
Critères
N
Filles (%)
Âge moyen (ans, min-max)
Yunus et Masi, 1985
Rhumatologie pédiatrique
États-Unis
Yunus et Masi
33
94
14,7 (13-17)
Siegel et coll., 1998
Rhumatologie pédiatrique
États-Unis
ACR 1990
33
94
13,4 (10-20)
Gedalia et coll., 2000
Rhumatologie pédiatrique
États-Unis
ACR 1990
59
79
13,7 (5-17)
Cheng et coll., 2005
Rhumatologie pédiatrique
Chine
Yunus et Masi et ACR 1990
6
83
13,2 (7-16)
Eraso et coll., 2007
Rhumatologie pédiatrique
États-Unis
ACR 1990
148
75
< 18
Durmaz et coll., 2013
3 écoles en Turquie
Turquie
Yunus et Masi
61
77
14,8 (12-18)

Des critères de diagnostic non validés

La première description de fibromyalgie chez l’enfant remonte au travail des rhumatologues Yunus et Masi publié en 1985 dans lequel ils décrivent 33 jeunes, dont 31 filles, souffrant de douleurs et d’une symptomatologie proche de celle des patients adultes ayant reçu un diagnostic de fibromyalgie. Ils définissent alors des « critères » de fibromyalgie juvénile, en s’inspirant des premiers critères chez l’adulte et des symptômes de leur groupe de patients.
On retrouve donc la présence obligatoire de douleurs musculo-squelettiques chroniques évoluant depuis plus de 3 mois, touchant plus de 3 sites, associées, au minimum, à 4 points douloureux à la pression recherchés sur 18 sites, et à 3 ou 5 signes (selon le nombre de points douloureux) parmi 10 (anxiété, fatigue, troubles du sommeil, céphalées chroniques, syndrome de l’intestin irritable, impression de gonflement des tissus ou d’engourdissement, variations de la douleur avec l’activité physique, les conditions météorologiques, l’anxiété et le stress) sans autre maladie ni hyperlaxité articulaire. Après l’établissement des critères de classification ACR 1990 pour l’adulte, les études pédiatriques sur le syndrome de fibromyalgie portent ce diagnostic en utilisant les critères de Yunus et Masi ou de l’ACR 1990. L’évolution ultérieure des critères n’a été que très peu suivie par la littérature pédiatrique. Dans tous les cas, aucun des critères utilisés, issus de travaux menés chez l’adulte, n’a été validé chez le jeune.
Quatre publications rapportent le résultat d’enquêtes réalisées en population pédiatrique générale (écoles et collèges) pour estimer la prévalence du syndrome de fibromyalgie juvénile. Elles font état d’une prévalence allant de 1,2 % à 6,2 %. Cependant, pour certains de ces travaux, cette dernière a été estimée à l’aide de questions générales du type « douleur au moins une fois par mois ou par semaine », sans tenir compte de l’impact fonctionnel ou de l’utilisation de critères de diagnostic/classification existants. La méthodologie et les chiffres rapportés par ces travaux sont donc discutables.

Une clinique proche de celle du syndrome fibromyalgique de l’adulte

Les jeunes patients décrits comme atteints de syndrome de fibromyalgie se présentent avec des douleurs musculo-squelettiques diffuses ou multiples, associées à plusieurs symptômes, dont les plus fréquents sont les troubles du sommeil, l’asthénie et les céphalées. D’autres symptômes peuvent être associés comme des arthralgies, des troubles fonctionnels intestinaux, des troubles de la santé mentale (anxiété et dépression) et plus rarement des troubles cognitifs. Les patients décrits sont essentiellement des jeunes adolescentes (84 % en moyenne) avec un âge moyen aux premiers symptômes égal à 14 ans. Un déconditionnement à l’effort avec kinésiophobie est également rapporté.
Si les questions de comorbidités, de concomitance ou de diagnostic différentiel se posent également chez les jeunes, elles sont moins abordées dans la littérature comparativement aux adultes. Par exemple, l’association syndrome de fibromyalgie juvénile – hypermobilité articulaire, qui est la plus étudiée en pédiatrie, rapporte des pourcentages allant de 4 à 81 % des cas. Cette variation importante repose essentiellement sur la définition utilisée par les auteurs pour caractériser l’hypermobilité articulaire. L’hypermobilité ou hyperlaxité articulaire est fréquemment retrouvée dans la population pédiatrique (10-15 %) et peut être à l’origine de douleurs chroniques. Lorsqu’elle se manifeste par de telles douleurs, et en l’absence de cause génétique retrouvée, le diagnostic retenu actuellement est celui de la forme hypermobile du syndrome d’Ehler-Danlos ou de troubles du spectre de l’hypermobilité. Certains auteurs émettent l’hypothèse qu’une hypermobilité jouerait un rôle important dans la symptomatologie du syndrome de fibromyalgie juvénile, alors que d’autres considèrent leur association comme fortuite étant donnée la fréquence élevée de l’hypermobilité articulaire dans la population pédiatrique. La proximité sémiologique du syndrome de fibromyalgie juvénile avec le syndrome de fatigue chronique doit aussi être soulignée. Contrairement à l’adulte, aucune maladie inflammatoire ou dysimmunitaire n’a été à ce jour rapportée comme associée à la fibromyalgie chez le jeune.

Une étiologie non explorée avec des facteurs favorisants et/ou associés

Les étiologies possibles du syndrome de fibromyalgie juvénile sont peu abordées dans la littérature pédiatrique. Comme chez l’adulte, une interrelation étroite pouvant former une spirale négative entre douleur chronique, troubles du sommeil, troubles de l’humeur et déconditionnement physique est évoquée. Les questions de facteurs prédisposants, d’entretien ou d’aggravation et les intrications causes /conséquences sont également posées. Quelques études viennent corroborer les facteurs retrouvés chez l’adulte, qui sont classifiés par les auteurs comme « intrinsèques » et « extrinsèques ». Les facteurs intrinsèques majeurs sont : une sensibilisation centrale, des troubles dysautonomiques, un contrôle et une gestion inadaptés de la douleur, et des troubles de l’humeur ou du sommeil. Comme chez l’adulte, les facteurs extrinsèques sont variés. La littérature cite entre autres un dysfonctionnement familial, une réaction plus protectrice, voire dramatisante, des parents face à la douleur, des traumatismes ou des abus physiques ou sexuels sans pour autant que ces facteurs soient une généralité.

Un retentissement important et une évolution inconnue

Le syndrome dit « de fibromyalgie juvénile » est rapporté comme ayant un retentissement majeur sur le jeune à plusieurs niveaux : estime de soi, scolarité, fonctionnement familial et social, bien-être psychologique, etc. Ainsi, les adolescents se perçoivent comme trop sensibles et isolés, impopulaires et non éligibles à une relation d’amitié. L’absentéisme scolaire, voire une déscolarisation, est rapporté comme important, allant jusqu’à un total de 27 jours d’absence sur l’année scolaire contre 9 dans la population générale d’après une étude. Cependant, aucune étude n’indique la cause précise de cet absentéisme. Une altération de la qualité de vie et des scores de fonctionnement global apprécié par l’index FDI (Functional Disability Index) est décrite. Enfin, l’impact fonctionnel de la douleur semble plus important chez ces jeunes patients par rapport à ceux souffrant d’autres pathologies chroniques notamment d’arthrite juvénile idiopathique. Un défaut des stratégies d’adaptation mises en place par les patients est mis en avant par certains auteurs pour expliquer cet impact fonctionnel accru. La plupart des études rapportant l’évolution du syndrome sont anciennes et sont très hétérogènes dans leurs conclusions, rapportant des taux de guérison allant de 0 % à 73 % (suivi de 1 à 8 ans).

Prises en charge des enfants et des adolescents

Les études disponibles ont été réalisées uniquement aux États-Unis, principalement par la même équipe. Comme chez l’adulte, elles montrent qu’une activité physique associée à des traitements psychothérapiques de type TCC est un facteur essentiel d’amélioration. En revanche, les rares médicaments préconisés dans le syndrome fibromyalgique de l’adulte, comme les antidépresseurs et les antiépileptiques, n’ont pas d’efficacité prouvée chez le jeune.
Le syndrome de fibromyalgie juvénile serait donc un syndrome complexe qui associe de multiples symptômes variables en nombre et en intensité chez chaque enfant ou adolescent. De ce fait, une approche multi/interdisciplinaire adaptée aux besoins du patient semble essentielle pour une prise en charge optimale, comme chez l’adulte. Seules les sociétés savantes allemandes de pédiatrie et de la douleur ont publié des recommandations38 concernant le syndrome dit « de fibromyalgie juvénile » en proposant de l’assimiler aux douleurs chroniques diffuses juvéniles. Elles recommandent de :
• s’abstenir d’utiliser les médicaments anti-douleur ;
• restreindre les médicaments aux comorbidités associées (dépression par exemple) ;
• prévoir une éducation thérapeutique du patient et de sa famille ;
• privilégier une psychothérapie fondée sur les preuves comme celles développées au sein des thérapies antidouleur multimodales ou les TCC ;
• instaurer une prise en charge par un kinésithérapeute et/ou un ergothérapeute.

Syndrome de fibromyalgie juvénile ou douleurs chroniques diffuses ?

Au terme de l’analyse bibliographique se pose la question de la pertinence de différencier une forme de fibromyalgie au sein des douleurs musculo-squelettiques chroniques diffuses ou multi-sites de type CWP sans support lésionnel dont souffrent certains jeunes. Dans la littérature, deux attitudes s’opposent : quelques équipes décrivent des patientes adolescentes souffrant de ce qu’elles nomment fibromyalgie, les autres, majoritaires, décrivent sans utiliser le terme de fibromyalgie des jeunes avec douleurs musculo-squelettiques chroniques plus ou moins diffuses, touchant plusieurs sites (en particulier le rachis) et souvent associées à d’autres symptômes tels que des céphalées, des douleurs abdominales, des troubles du sommeil et de l’humeur. Aucune différence nette entre les caractéristiques cliniques, les modes de prise en charge et l’évolution de ces jeunes, classifiés de façon différente, n’a été rapportée. Ceci suggère donc que l’utilisation du terme de fibromyalgie résulte essentiellement d’un parti pris propre à quelques équipes et non d’une entité clinique distincte. De plus, les critères de classification ou de diagnostic de la fibromyalgie, qui sont très évolutifs chez l’adulte, n’ont jamais fait l’objet de travaux de validation approfondis chez l’enfant et l’adolescent. Enfin, la littérature ne détermine pas s’il existe un avantage thérapeutique pour le jeune de recevoir le diagnostic de fibromyalgie. Dans tous les cas, le risque d’enfermer un jeune dans une future identité d’adulte souffrant de fibromyalgie peut être questionné. L’ensemble de ces raisons ont mené les sociétés savantes de pédiatrie allemandes, ayant réalisé comme ici une analyse de la littérature, à rejeter par consensus la possibilité de distinguer un groupe fibromyalgie au sein du groupe douleurs chroniques diffuses et inexpliquées de l’enfant et de l’adolescent.

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