Fibromyalgie

2020


Préambule

La fibromyalgie est une forme de douleur chronique diffuse qui est définie comme un syndrome fait de symptômes chroniques, d’intensité modérée à sévère, incluant des douleurs diffuses avec sensibilité à la pression, de la fatigue, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs et de nombreuses plaintes somatiques. Une forte prévalence féminine est rapportée dans la littérature, et le terme de syndrome fibromyalgique est utilisé pour rendre compte de douleurs généralisées chroniques chez les enfants et les adolescents, sans qu’il soit très clair que cette entité soit similaire au syndrome de l’adulte. En France, la prévalence du syndrome fibromyalgique est estimée être égale à 1,6 %. Le syndrome fibromyalgique peut avoir des conséquences médicales et psychosociales majeures (restriction d’activités, handicap moteur invalidant, arrêts de travail prolongés, etc.). Une errance médicale importante est rapportée par les personnes atteintes de ce syndrome, tandis qu’une proportion non négligeable de praticiens indiquent se sentir désarmés devant les patients souffrant de fibromyalgie. Son traitement n’est pas codifié et il est le plus souvent symptomatique. En raison de nombreux examens, de consultations répétées auprès de spécialistes, de visites fréquentes pour soins de santé, d’un absentéisme au travail possible, la fibromyalgie génèrerait d’importants coûts individuels et collectifs.
La douleur, symptôme clef mais pas unique de la fibromyalgie, est définie selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes ». Cette définition souligne en partie la nature complexe des douleurs chroniques diffuses en général et donc de la fibromyalgie, qui peuvent faire appel à une construction multidimensionnelle. La France a été pionnière dans l’amélioration de la prise en charge de la douleur avec notamment un engagement des pouvoirs publics qui s’est traduit par trois plans d’action triennaux successifs pour développer la lutte contre la douleur1 . Cependant, l’absence de signes biomédicaux qui seraient reconnus par tous comme signes objectifs de maladie dans la fibromyalgie et une prévalence rapportée comme relativement élevée dans la population générale font que son étiologie, son diagnostic, sa prise en charge, et même sa réalité clinique, demeurent des sujets soumis à controverse. Le fondement des débats est notamment de savoir si la fibromyalgie est « réelle ». En l’absence d’éléments cliniques tangibles, l’organicité de la fibromyalgie est en effet remise en cause et la nécessité d’une prise en charge parfois sous-estimée. Cette dernière est jugée (trop) difficile, chronophage et peu valorisante par certains professionnels de santé, du fait entre autres de ses nombreuses comorbidités. Cela peut être à l’origine d’incompréhensions, de frustrations et de réserves entre soignants et soignés. Reflétant ces tensions, les professionnels de santé sont classés en « fibro-sceptiques », « fibro-conscients » ou « fibro-bienveillants » par les associations de patients. Le ministère des Solidarités et de la Santé est ainsi régulièrement interpellé par les associations de patients et par leurs relais parlementaires sur la fibromyalgie à cause des délais de diagnostic qu’ils estiment importants, des inégalités régionales de reconnaissance du handicap par l’Assurance maladie, et d’une variabilité dans la qualité de leur prise en charge.
La fibromyalgie a été reconnue comme une pathologie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1990. Elle est classée en tant qu’« autres affections des tissus mous, non classées ailleurs » (M79.7) dans la version no 10 de la Classification internationale des maladies (CIM) et en tant que « douleur chronique généralisée » dans la version no 11, publiée en juin 2018 (MG30.01 Widespread Chronic Pain). La Ligue européenne contre les rhumatismes (EULAR) a émis des premières recommandations de prise en charge en 2007. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a approuvé l’usage de la prégabaline, de la duloxétine et du milnacipran dans la fibromyalgie2 . En revanche, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a refusé leur extension dans cette indication.
En 2007, l’Académie nationale de médecine a publié un rapport sur la fibromyalgie, dans lequel elle recommande d’utiliser le terme de syndrome et non pas de maladie pour définir l’ensemble des symptômes caractéristiques de la fibromyalgie, faute de données biologiques et anatomo-pathologiques permettant d’asseoir le diagnostic3 . En décembre 2008, le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) a rédigé à la demande de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) des recommandations professionnelles sur la douleur chronique en général, incluant la fibromyalgie4 . Ces recommandations ont été suivies en juillet 2010 d’un rapport d’orientation sur le syndrome fibromyalgique de l’adulte après saisine du ministère de la Santé5 . En octobre 2016, une commission d’enquête parlementaire sur la fibromyalgie a publié une liste de 20 propositions6 . Elle propose entre autres de substituer le mot maladie au mot syndrome dans la terminologie utilisée par les autorités sanitaires françaises pour caractériser la fibromyalgie. En 2017, la SFETD a publié un livre blanc de la douleur, dans lequel la fibromyalgie est amplement abordée en tant qu’entité clinique7 .
L’ensemble de ces rapports et propositions n’ont pas ou peu évoqué la physiopathologie et le syndrome fibromyalgique juvénile. La Direction générale de la santé (DGS) a donc sollicité l’Inserm pour qu’il réalise un bilan des dernières connaissances acquises sur le syndrome fibromyalgique en incluant entre autres points ces deux thèmes. La procédure d’expertise collective de l’Inserm mise en Ĺ“uvre pour répondre à cette demande consiste en une analyse d’un corpus documentaire sur la fibromyalgie, composé de publications des dix dernières années, par un groupe pluridisciplinaire de quinze experts, cliniciens et/ou chercheurs dans les domaines de l’algologie, l’économie, la médecine physique et de réadaptation, la médecine du travail, la neurologie, les neurosciences, la pédiatrie, la pharmacologie, la psychiatrie, la psychologie, la psychosociologie, la rhumatologie, la santé publique et la sociologie (voir annexes 1 et 2). Les chapitres du rapport d’expertise s’appuient sur l’analyse de ce corpus par les experts selon leur discipline. Si le nombre d’études explorant le syndrome fibromyalgique est important, leur qualité est souvent discutable. Les experts se sont efforcés d’en faire une lecture critique en évaluant les méthodologies employées et la robustesse des résultats.
Dix-huit textes d’analyse composent ce rapport d’expertise collective Inserm organisé autour de trois thèmes : un premier thème porte sur les aspects bio-psycho-sociaux du syndrome fibromyalgique et son impact individuel et sociétal. Un deuxième thème s’intéresse à l’évaluation des approches thérapeutiques multimodales proposées et leur efficacité, et un troisième thème a trait aux hypothèses émises quant à l’étiologie du syndrome fibromyalgique. Un chapitre aborde la forme juvénile du syndrome fibromyalgique qui reprend une majorité des éléments traités pour la forme adulte. Il est important de noter que dans ce rapport, les experts ont fait le choix d’utiliser indifféremment le terme de fibromyalgie, de syndrome fibromyalgique ou de syndrome de fibromyalgie, car dans la littérature scientifique analysée – essentiellement rédigée en langue anglaise – il n’existe pas de différence de sens entre les termes anglophones équivalents (fibromyalgia, fibromyalgia syndrome). Quatre communications écrites résumant les interventions orales d’intervenants extérieurs, dont des représentants d’associations de patients françaises et européennes, complètent les réflexions des experts, mais les points de vue exprimés dans ces communications n’engagent que leurs auteurs.

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