Fibromyalgie
2020
| ANALYSE |
8-
Approche psychosociale
du syndrome fibromyalgique
) aux réalités relationnelles, sociales, organisationnelles et politiques du soin (Fassin, 1996). Ces différentes perspectives de la littérature analysée organisent notre expertise psychosociale selon deux grands axes : I- la production des savoirs sur le SFM : les représentations des symptômes vécus, plus spécifiquement de la douleur, et les stratégies de faire face à ces différentes expériences douloureuses ; II- la recherche de soin et le rapport aux soins, ainsi que les modalités des interactions avec les soignants.Représentations et expériences de la maladie
Attributions causales traumatiques des patients et mystère du syndrome fibromyalgique
, 2012
, 2013
, 2015
; Girard et coll., 2007
; Sallinen et Kukkurainen, 2015
; tableau 8.I
). Des traumatismes de type somatique sont aussi identifiés tels qu’un accident, une chirurgie, une chute, des problèmes gynécologiques/obstétriques (Cedraschi et coll., 2007
, 2012
, 2013
, 2015
). Le stress ou l’inquiétude, le surmenage, ou encore une immunité altérée, ressortent également comme des causes repérées par les patients (Lempp et coll., 2009
; Glattacker et coll., 2010
). Le traumatisme, physique ou psychologique, est désigné par certaines personnes interrogées comme événement déclencheur d’une maladie « dormant dans leur corps » (Madden et Sim, 2006
). Ainsi, les attributions des patients peuvent être internes ou externes, sont plus souvent instables que stables, c’est-à-dire que les causes sont perçues comme pouvant varier dans le temps et sont plus incontrôlables que contrôlables (Cedraschi et coll., 2013
). Cependant, malgré ces hypothèses, les patients concernés par le SFM rapportent un degré élevé de difficultés à comprendre la cause de la pathologie (Ferrari, 2012
; Ferrari et Russell, 2014a
), et un haut niveau d’injustice perçue (Ferrari et Russell, 2014b
).Tableau 8.I Littérature traitant des attributions causales des patients
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Suisse
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65 patients SFM
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Entretiens semi-structurés
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56 patientes SFM et 29 avec lombalgie
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Entretiens semi-structurés
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56 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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Codage par 3 cliniciens (un médecin interniste, un psychiatre, un psychologue) expérimentés dans la prise en charge de patients avec douleur chronique, d’entretiens de 56 femmes SFM
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Échelle Clinical Global Impression (CGI) : fournir une évaluation subjective de l’intensité de l’impact affectif de discours
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65 patients SFM
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Entretiens approfondis de type narratif
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Finlande
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11 patientes ayant une longue histoire de SFM
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Entretiens narratifs
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Royaume-Uni
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12 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
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17 patients SFM
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Entretiens semi-structurés
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|
Allemagne
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245 patients SFM
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SF-36 and fibromyalgia impact questionnaire
Illness Perception Questionnaire–revised
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Canada
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104 sujets répondant aux critères ACR 1990 de classification
272 sujets atteints de douleurs généralisées qui ne répondaient pas à ces critères
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Understand Pain Scale et Explain Pain Scale
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126 participants (64 arthrite rhumatoïde et 62 SFM)
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Injustice Experience Questionnaire, une échelle de douleur visuelle analogique, Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS)
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|
126 sujets (64 SFM, 62 arthrite rhumatoïde)
|
Mystery Scale component of the Pain Beliefs and Perceptions Inventory
|
Des symptômes pluriels et complexes
; Choy et coll., 2010
; Glattacker et coll., 2010
; Theadom et coll., 2011
; Dennis et coll., 2013
; tableau 8.II
). La perte des forces ressort également de l’étude de Glattacker et coll. (2010
). Selon les patients, les facteurs aggravants entrainant des « poussées » de SFM, incluent la détresse émotionnelle, le stress, le manque de sommeil, le surmenage, mais aussi les changements climatiques (Bennett et coll., 2007
; Vincent et coll., 2016
). Les symptômes caractéristiques des poussées incluent alors des douleurs corporelles de type « grippal/épuisement », de la fatigue et une variété d’autres symptômes (Vincent et coll., 2016
). Les troubles dépressifs et l’anxiété sont également des symptômes rapportés par les patients mais ils sont moins répandus que les symptômes précédents dans la littérature en général (Aïni et coll., 2010
). En 2008, Sim et Madden ont proposé une métasynthèse de 23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006, centrées sur l’expérience de la pathologie des patients avec un diagnostic de SFM (Sim et Madden, 2008
). En ce qui concerne la symptomatologie telle que rapportée par les patients, les résultats des études récentes sont similaires aux résultats présentés dans cette métasynthèse de 2008.Tableau 8.II Littérature traitant des symptômes
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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États-Unis
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2 569 patients SFM
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Questionnaire
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800 patients SFM
1 622 médecins dans 6 pays européens, au Mexique et en Corée du Sud
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Questionnaire
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44 patients SFM
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Enquête administrée par voie électronique : 7 questions ouvertes
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48 patientes SFM
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6 Focus groups*
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Allemagne
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245 patients SFM
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SF-36, Fibromyalgia Impact Questionnaire, Illness Perception Questionnaire révisé
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France
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22 patients SFM
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Entretiens non directifs, soit individuels, soit en groupe
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Royaume-Uni
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20 patients SFM
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Questions ouvertes par mail puis dialogues par email
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10 patientes SFM
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Récits de vie
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12 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
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23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
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Métasynthèse
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Norvège
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12 patientes SFM
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Récits de vie
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8 patientes SFM
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Entretiens qualitatifs
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Nouvelle-Zélande
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56 patients SFM
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Entretiens directifs
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Suède
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15 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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Espagne
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13 patientes SFM
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Focus group et entretiens semi-structurés
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Briones-Vozmediano
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13 patientes SFM
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Entretiens approfondis
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* Le focus group est une méthode de recherche fondée sur des discussions collectives libres qui explorent une question particulière ou un ensemble de questions spécifiées par le chercheur. Les focus groups comprennent généralement 4 à 12 personnes (Markova I. In Moscovici S, Buschini B. Les méthodes des sciences humaines. Paris : PUF, 2003 : 221-241).
), la douleur est présentée comme le symptôme le plus fréquemment rapporté par les patients. Elle est décrite comme omniprésente et constante. Elle est caractérisée par un certain nombre de dualités, de nature souvent ambiguë ou conflictuelle. Ainsi, la douleur peut être localisée spécifiquement, mais peut aussi être diffuse et mouvante. Elle peut être ressentie lors d’activités ou au repos. La douleur est très souvent décrite comme étant à la fois physique et mentale (Davidsen et coll., 2016
). Plusieurs études rapportées par Sim et Madden se sont focalisées sur le langage utilisé pour communiquer la douleur. Des métaphores couramment utilisées, comme « brûler », « bouillir », « rayonner », « ronger », « couper » et « poignarder » rendent compte de quelques caractéristiques de la douleur qui s’avèrent similaires dans les études sur l’expérience de la pathologie réalisées depuis 2006 (Råheim et Håland, 2006
; Theadom et coll., 2011
; McMahon et coll., 2012a
; Dennis et coll., 2013
; Vincent et coll., 2016
). Dans l’étude de Juuso et coll. (2011
), la douleur omniprésente est décrite comme insupportable, accablante et dominant toute l’existence. Pour autant ces études font ressortir la difficulté de décrire et de communiquer clairement et de façon précise la douleur éprouvée, ce qui reflète l’inadéquation du langage dans l’expression de cette expérience subjective. Les personnes atteintes de SFM décrivent une double peine : vivre avec une douleur agressive et imprévisible, et être mises en doute par les autres, face à l’invisibilité de la douleur.
). Dans les travaux plus récents, la fatigue est le symptôme le plus fréquemment cité par les patients après celui de la douleur. C’est un symptôme complexe. Dans l’étude d’Eilersten et coll. (2015
), elle est décrite comme imprévisible, incontrôlable et invisible pour les autres. Les patients se déclarent être trop fatigués pour combattre la douleur et poursuivre leurs activités habituelles, allant quelquefois jusqu’à parler de killer fatigue (« la fatigue tueuse ») (Dennis et coll., 2013
). Le travail de Grape et coll. (2017
) s’est focalisé sur la complexité des récits sur la fatigue et sur l’épuisement de patientes avec un diagnostic de SFM (Grape et coll., 2017
). Différentes compréhensions et significations de la fatigue et de l’épuisement, en lien avec le temps de la pathologie ressortent : 1) la fatigue est alarmante mais ignorée (avant la pathologie) ; 2) l’épuisement est paralysant (pendant la pathologie) ; 3) le développement d’une capacité à comprendre la fatigue et de moyens de la gérer (donner un sens à l’épuisement) ; 4) l’intégration de la fatigue à la vie (aujourd’hui).
). Les patients rapportent également une baisse de la concentration (Arnold et coll., 2008
) et des troubles de la mémoire (Lempp et coll., 2009
). Les dysfonctionnements cognitifs ou fibro-fog représentent également un répertoire d’expériences communes, largement partagées, qui rendent les interactions sociales plus difficiles pour les patients (Dennis et coll., 2013
).
), les patients se disent déprimés, facilement irritables, voire agressifs. Ils disent ne plus avoir le goût de vivre, ni la force de se battre. Ils ont le sentiment de ne pas être compris et rapportent que le monde ne les écoute pas. Certains évoquent explicitement des idées suicidaires.
), les patients évoquent des répercussions du SFM sur leur vie sexuelle, parce qu’ils « se sentent lâchés » par leur corps, ce qui entrave une sexualité épanouie d’une part, et d’autre part en lien avec un climat relationnel avec le partenaire souvent dégradé. L’altération de la sexualité apparaît à la fois comme cause et conséquence de l’ajustement du couple. Dans l’étude de Matarín Jiménez et coll. (2017
), malgré des limites éprouvées dans la sexualité, cette dernière est importante pour l’identité et la qualité de vie des femmes atteintes de SFM. Dans l’étude de Briones-Vozmediano et coll. (2016
), portant sur la façon dont le genre façonne les expériences des femmes vivant avec le SFM, ces dernières rapportent le sentiment de ne plus être la femme et l’épouse qu’elles ont le sentiment d’avoir été, tant dans la gestion des tâches ménagères que dans les relations intimes avec leur partenaire. Elles estiment ne pas assumer leurs « obligations » matrimoniales par manque d’énergie, ce qui entraîne chez elles un sentiment de culpabilité et d’insuffisance.Corps étranger et monde vécu altéré
). Il nous paraît important de noter que les symptômes semblent avoir un emplacement corporel spécifique et que les plaintes développent la conscience d’un corps défaillant. Les personnes ne peuvent plus compter sur leur corps (Lempp et coll., 2009
; McMahon et coll., 2012a
). Elles ont l’impression de perdre leurs repères et sensations habituelles (Cedraschi et coll., 2013
; Dennis et coll., 2013
), l’usage (muscles léthargiques, perte de contact, immobilisation) et le contrôle de leur propre corps (McMahon et coll., 2012a
; Dennis et coll., 2013
). Elles décrivent les efforts considérables qu’elles fournissent pour tenter d’imposer un ordre et un sens à la complexité, à la multiplicité et à l’instabilité de leurs symptômes (Dennis et coll., 2013
). Des travaux rapportent le sentiment de dépossession du corps (intrusion par une force étrangère, sentiment de corps oppressant, manque de volonté du corps) (Nettleton, 2006
; Van Altena, 2008
; Madden et Sim, 2016
). Les personnes peuvent également se sentir prisonnières de leur propre corps (McMahon et coll., 2012a
), ou ont l’impression d’être déconnectées de leur corps, qu’elles considèrent comme méconnaissable parce « qu’étrange et étranger » (Råheim et Håland, 2006
). Les récits des femmes interrogées dans cette dernière étude soulignent un monde vécu comme étant transformé et altéré par un corps en souffrance chronique. Elles décrivent une lutte dans laquelle elles ont l’impression que leur existence est en jeu.Tableau 8.III Littérature traitant du corps étranger et du monde vécu altéré
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Royaume-Uni
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12 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
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10 patientes SFM
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Récits de vie
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20 patients SFM
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Questions ouvertes par mail, ensuite dialogue par email
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18 patients qui vivent avec des symptômes médicalement inexpliqués
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Entretiens qualitatifs
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23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
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Métasynthèse
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17 patients SFM
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Entretiens semi-structurés
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Belgique
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6 patientes SFM
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Entretiens semi-directifs
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Suisse
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56 patientes SFM
|
Entretiens semi-directifs
|
|
|
56 patientes SFM
|
Codage par 3 cliniciens (un médecin interniste, un psychiatre, un psychologue) expérimentés dans la prise en charge de patients avec douleur chronique
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|
Norvège
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12 patientes SFM
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Récits de vie
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28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
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Revue systématique d’études qualitatives disponibles en mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
|
; Mengshoel et coll., 2017
). Elle entraîne le sentiment d’une rupture brutale à tous les niveaux existentiels (Wuytack et Miller, 2011
). À l’image de ces vécus, les récits des personnes concernées par le SFM sont morcelés (Sim et Madden, 2008
; McMahon et coll., 2012a
) et ont une haute charge émotionnelle (Cedraschi et coll., 2015
).Relations aux autres bouleversées et activités perturbées :
perte du sentiment d’identité
; Sim et Madden, 2008
; Wuytack et Miller, 2011
; Golden et coll., 2015
). La perception d’un manque de compréhension renforce davantage encore le processus de l’enfermement (Armentor, 2017
). Le SFM modifie les liens familiaux : certains liens sont fragilisés, le SFM perturbant les rôles familiaux habituels, alors que d’autres s’en trouvent renforcés lorsque les proches deviennent source de soutien, tant sur le plan pratique qu’émotionnel (Wuytack et Miller, 2011
). Les patients décrivent une ambivalence dans l’interaction. Malgré quelques rencontres positives, la frustration découlant de l’incompréhension perçue domine (Kool et coll., 2009
; Kool et coll., 2010
). Par conséquent, les patients préfèrent ne pas partager leurs expériences (Wuytack et Miller, 2011
). L’incrédulité et le manque de compréhension chez les autres sont rapportés comme sources de difficultés dans les relations des patients (Armentor, 2017
). Les patients estiment que la gravité de leur état est sous-estimée par la famille, les amis et les professionnels de santé (Golden et coll., 2015
).
; Sim et Madden, 2008
). Les patients sont souvent amenés à réduire leur activité professionnelle voire à cesser de travailler, ce qui donne lieu à des sentiments d’inutilité et de perte d’identité. Les activités de loisirs sont également grandement affectées (Wuytack et Miller, 2011
).
; Wuytack et Miller, 2011
). La santé physique, mentale et sociale des patients est compromise et le SFM affecte leur sentiment d’identité (Lempp et coll., 2009
). Il ressort de cette littérature que le SFM a de graves conséquences sur la vie des patients. Le caractère aléatoire et instable des symptômes leur fait vivre des émotions pénibles et ne peut être circonscrit, ni par le contrôle personnel ni par un traitement efficace (Stuifbergen et coll., 2006
). Les personnes atteintes de SFM expriment un profond sentiment de perte de leur personnalité d’avant, de leur ancien « soi », ce qui se retrouve dans d’autres syndromes de douleur chronique (Russell et coll., 2018
; tableau 8.IV
).Tableau 8.IV Littérature traitant de la perte du sentiment d’identité
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Littérature globale
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États-Unis
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48 patientes SFM
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Focus groups
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1 228 patients SFM
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Enquête
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20 patientes SFM
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Entretiens semi-directifs
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91 patientes SFM
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Illness Perception Questionnaire
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Royaume-Uni
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12 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
|
|
|
14 patients SFM
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Focus groups
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|
23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
|
Métasynthèse
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|
Belgique
|
6 patientes SFM
|
Entretiens semi-directifs
|
|
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Pays-Bas
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10 patients SFM
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Entretiens
Hierarchical cluster analysis
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142 patients atteints d’arthrite rhumatoïde
167 patients SFM
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Questionnaire
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Canada
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55 patientes SFM
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Entretiens approfondis et test standardisé (Sickness Impact Profile)
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Littérature traitant spécifiquement du genre masculin
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États-Unis
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1 163 patients hommes avec diagnostic SFM
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Enquête qualitative
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Norvège
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5 patients hommes avec diagnostic SFM
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Récits de vie
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) ainsi que Sallinen et Mengshoel (2017
) ont choisi de se focaliser sur les hommes atteints de SFM. L’étude de Muraleetharan et coll. aux États-Unis est basée sur une enquête qualitative à laquelle 1 163 hommes déclarant souffrir de SFM ont répondu. Sallinen et Mengshoel, en Finlande, ont quant à eux interviewé cinq hommes ayant reçu un diagnostic de SFM. Ces deux études font apparaître la double peine vécue par ces hommes : faire face à des symptômes accablants et ne pas être reconnu comme patient, le SFM étant considéré comme une pathologie de femmes.Stratégies de faire face des patients : vers des expériences
de « mieux-être »
; Sim et Madden, 2008
; Sallinen et coll., 2011
; Kengen Traska et coll., 2012
). Elles reposent sur un ensemble d’attitudes comprenant la résistance, l’accommodation et l’acceptation. Cependant, celles-ci ne sont pas nécessairement des étapes séquentielles, linéaires ou exclusives dans la mesure où certains informateurs décrivent avoir atteint un équilibre entre l’attitude qui consiste à lutter contre les symptômes (résistance) et celle qui cherche à vivre avec (accommodation, adaptation) (Sim et Madden, 2008
).
) ont identifié ce que signifie « se sentir bien » pour treize femmes souffrant de SFM. Cela consiste à avoir la force de s’impliquer, pouvoir contrôler sa vie, être autonome. Celles-ci expliquent ainsi combien être actives au quotidien leur procure un « calme intérieur », un « sentiment de bonheur », et « de bonnes sensations » tant au niveau du corps que de l’esprit. Le printemps et l’été sont décrits comme des saisons plus favorables pour être actives ou se sentir mieux. Se sentir bien c’est aussi trouver son propre rythme, prendre soin d’autrui et être prise en charge par l’entourage et les soignants. L’enjeu de la légitimité est essentiel. Les personnes concernées par le SFM veulent être crues et acceptées par les autres et éprouver des sentiments d’appartenance.
), huit femmes indiquées comme rétablies (« who had recovered from FMS ») rapportent l’effort considérable qu’elles doivent poursuivre pour rester en « bonne santé ». Elles réalisent trois formes différentes de travail : un travail de la pathologie et un travail de la vie quotidienne, consistant à réorganiser leur vie avec le SFM d’un point de vue pratique (prévention des symptômes, mise en place de stratégies de coping...), mais aussi un travail biographique qui renvoie à la façon dont la personne rétablie recrée sa propre histoire, via notamment le récit permettant la reconstruction du soi (Grape et coll., 2015
).Tableau 8.V Littérature traitant des stratégies de coping des personnes avec un diagnostic de fibromyalgie
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Pays
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Référence
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Stratégies de coping
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Espagne
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– Changer les routines quotidiennes
– Faire face à la douleur en étant créatif et en trouvant différentes façons de faire sans ressentir la douleur (dans la sexualité notamment)
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États-Unis
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Au moment des poussées :
– Recourir à des traitements pharmaceutiques et non pharmaceutiques (massage, chaleur/froid, hydrothérapie et exercice doux ; méditation, respiration profonde, prière et humour)
– Se reposer
– Éviter de « faire quoi que ce soit »
– Attendre que la douleur passe
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|
|
Kengen Traska
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– Réguler/planifier
– Se focaliser sur des distractions mentales ou physiques (exercices par exemple)
– Éviter la douleur attribuable à une sensibilité extrême au toucher
– Bénéficier du support social d’autres patients
– « Se bouger » et « mettre son masque »
– Recourir aux médicaments
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Canada
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– Mettre en place des parcours et routines quotidiens pour réguler et gérer son énergie
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Royaume-Uni
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– Installer des routines strictes
– Se focaliser sur des distractions mentales ou physiques (exercice par exemple)
– Prendre un bain chaud ou se faire masser
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– Réguler les niveaux d’activité et résister à l’envie « de faire trop d’efforts »
– Réévaluer les attitudes et les priorités, s’engager dans une réflexion positive
– Relativiser
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Finlande
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– Recourir au soutien par les pairs
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Métasynthèse
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– Rechercher de l’information pour comprendre le SFM
– S’engager dans une pensée positive
– Résister à la prédominance des symptômes
– Trouver de la distraction dans des activités agréables
– Planifier les activités en utilisant des routines quotidiennes soigneusement structurées et limiter certaines activités
– Recourir aux réseaux sociaux ou familiaux et à des groupes de soutien
– Recourir à l’aide professionnelle de médecins ou thérapeutes
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|
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Norvège
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– Mise en place de routines
– Forcer son corps à agir
– Vaincre la douleur encore et encore
– Participer, être impliqué
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Recherche d’informations sur Internet : quête de réponses
et de légitimité
; Chen, 2012
; tableau 8.VI
). Elles accordent également beaucoup d’importance à l’information émanant des professionnels de la santé, de la famille et des amis. Parmi les sources en ligne, les sites Web, les portails de santé et les comptes de réseaux sociaux liés à la santé sont les plus fréquemment utilisés. Les sujets d’intérêt pour les personnes atteintes de SFM varient au fur et à mesure de l’évolution de la pathologie d’un stade initial de « confusion », au diagnostic et, éventuellement, à un stade d’équilibre dans lequel elles sont satisfaites de la manière dont elles parviennent à faire face à leur état. Leurs recherches portent sur les symptômes et les traitements, mais reflètent également et bien souvent un besoin de comprendre la signification de leur condition (Chen, 2012
). L’étude de Chen (2016
) a identifié quatre principales positions dans les parcours de pathologie : le début des symptômes, la progression vers le diagnostic, l’acceptation et le développement d’une stratégie de prise en charge efficace. Les informations recherchées changent au fil de ces parcours, passant d’une recherche active d’informations à une phase de veille pour être au courant de l’actualité sur le diagnostic avec une recherche ciblée intermittente, notamment lors de l’apparition de nouveaux symptômes, ou encore dans l’objectif de vérifier une information apprise de manière fortuite.Tableau 8.VI Littérature traitant de la recherche d’information des patients
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Canada
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Analyse des 25 premiers sites Web identifiés à l’aide de Google et du mot clé de recherche « fibromyalgia »
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442 personnes avec SFM
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Enquête
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États-Unis
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190 personnes avec SFM
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Enquête en ligne
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23 personnes avec SFM
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Entretiens
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Italie
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Exploration à l’aide de Google Trends (GT) de l’activité Internet liée au SFM
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) ont exploré l’intérêt que représente le SFM sur Internet, via l’analyse de l’activité Internet autour du terme fibromyalgia en utilisant l’outil Google Trends (voir également le chapitre « L’expérience d’un trouble somatique fonctionnel : aspects sociologiques du syndrome fibromyalgique »). Une très grande quantité d’informations sur le SFM ainsi que des sujets connexes existent en ligne, et un intérêt important pour ces sites est repérable au cours des treize dernières années. On note cependant une légère baisse de cet intérêt, avec une stabilisation au cours de ces cinq dernières années. Les préoccupations des internautes portent principalement sur les effets secondaires des médicaments et sur la nature « insaisissable » du SFM : s’agit-il d’une condition réelle ou imaginaire ? Cela existe-t-il vraiment ou est-ce « tout dans la tête » ?
) font ressortir que les ressources d’information sur le SFM en ligne ne fournissent pas d’informations complètes. Elles sont même caractérisées par une mauvaise qualité et lisibilité et s’avèrent peu utilisables pour la plupart des gens.Expériences des traitements : expression d’une ambivalence
et médiation de la relation de soin
). Les personnes concernées par le SFM ont un avis sur ce qui est susceptible de les aider, de les soulager, et sur ce qui au contraire n’améliore pas les symptômes. Elles font le plus souvent l’expérience de différents types de traitements et le recueil de leurs points de vue et constats apporte un éclairage riche pour l’ajustement de leur prise en charge.
). Plus récemment, Katz et Leavitt (2017
) ont montré qu’il s’agissait des opiacés contre la douleur, des médicaments pour améliorer le sommeil, et des stimulants ADD (attention deficit disorder ou troubles de l’attention) pour les symptômes de type fibro-fog. Les informateurs d’une étude qualitative au Royaume-Uni ont également des perceptions positives vis-à-vis de l’acupuncture, de l’hydrothérapie et des centres antidouleur (Ashe et coll., 2017
; tableau 8.VII
).
; Roux et Durif-Bruckert, 2014
; Durif-Bruckert et coll., 2015
) et elles émettent des craintes à propos de ces traitements. Leur crainte porte tout d’abord sur les effets secondaires des médicaments (Durif-Bruckert et coll., 2015
), notamment la prise de poids (Ashe et coll., 2017
; Matarín Jiménez et coll., 2017
).Tableau 8.VII Littérature abordant les médicaments
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil
de données
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Littérature traitant des médicaments
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États-Unis
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Article d’analyse non empirique
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2 596 patients SFM
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Enquête
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|
95 patients
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Questionnaire
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|
Royaume-Uni
|
14 patients SFM
|
Entretiens qualitatifs
|
|
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Littérature traitant de l’ambivalence des patients vis-à-vis des médicaments
|
|||
|
Royaume-Uni
|
14 patients SFM
|
Entretiens qualitatifs
|
|
|
12 patients SFM
|
Entretiens qualitatifs
|
||
|
20 patients SFM
|
Questions ouvertes par mail, puis dialogues par email
|
||
|
France
|
35 patients SFM
|
Entretiens semi-directifs
|
|
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35 patients SFM
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Entretiens semi-directifs
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Espagne
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13 patientes SFM
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Focus group et entretiens semi-structurés
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États-Unis
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8 patientes SFM
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Entretien de groupe
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Littérature traitant de l’activité physique
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Espagne
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46 patientes SFM
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Focus groups
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Royaume-Uni
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14 patients SFM
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Focus groups
|
|
). Elles craignent encore que les médicaments dissimulent les symptômes sans traiter les causes et les problèmes de fond de la pathologie (Lemp et coll., 2009
). Dans l’étude de Dennis et coll. (2013
), les participants signalent une réticence à traiter leurs symptômes avec des médicaments, et envisagent la médication comme une solution de dernier recours. Kengen Traska et coll. (2012
) ont également montré que la médication ne constitue pas une stratégie prioritaire de gestion de la pathologie pour les patients. Il faut cependant relever que malgré ces réserves, les patients restent à la recherche du traitement qui fonctionne et qui les soulage. Ashe et coll. (2017
) ont mis en lumière la lutte des informateurs de leur étude face aux médecins pour obtenir des antalgiques.
), mais aussi Durif-Bruckert et coll. (2015
), relèvent une gêne de la part des patients envers les médecins prescrivant des thérapies psychothérapiques pour la douleur (voir également chapitre « Efficacité des accompagnements psychothérapiques des personnes présentant un syndrome fibromyalgique »). Ce type de traitement proposé par les soignants constituerait pour eux un indice de la faible importance et de la non-légitimité accordées à leur pathologie. Plus généralement, les médicaments jouent un rôle important de médiation dans la relation de soin (Durif-Bruckert et coll., 2015
). De même, les personnes consultant pour un SFM évaluent la qualité de la relation avec le soignant au travers des modalités de prescription des médicaments : le temps pris par le médecin pour expliquer, affiner et ajuster leurs effets. Et réciproquement, la prise en compte par les médecins des représentations que les patients ont des médicaments peut permettre une plus juste prescription (Roux et Durif-Bruckert, 2014
).
; Russell et coll., 2018
). L’objectif de ces études est de comprendre la faible adhésion à cette pratique qui pourtant est celle qui est connue pour améliorer le plus la santé des patients (voir chapitre « Activités physiques et thérapies multidisciplinaires dans la fibromyalgie »). Ces derniers travaux posent une association entre le sentiment d’atteinte de l’identité et la difficulté à se sentir en mesure d’entreprendre une activité physique. Les professionnels de la santé doivent tenir compte de ce lien lors de la prescription d’exercices (Russell et coll., 2018
). Une première étape réussie de l’accompagnement thérapeutique des personnes atteintes de SFM consiste à créer une relation empathique et à rassurer le patient sur le fait que le clinicien comprend l’impact de la maladie et comprend les défis que présente le SFM en termes d’activité physique et d’engagement dans l’exercice.Conclusion
Représentations réciproques entre les médecins
et les personnes atteintes de fibromyalgie : malaise
dans la relation de soin
Connaissances et représentations du SFM chez les professionnels
de santé
), les États-Unis (Hadker et coll., 2011
; Hughes et coll., 2016
), mais aussi le Mexique (Martínez Lavín, 2007
), et plus récemment l’Iran (Kianmehr et coll., 2017
), et le Pérou (Acuña Ortiz et coll., 2016
). Le même constat ressort de l’enquête transnationale de Perrot et coll. (2012
). Ce savoir limité sur le SFM des personnels de santé en « première ligne » a été mesuré dans les différentes études par une auto-déclaration des médecins, ou à partir d’une évaluation des connaissances réalisée par questionnaires. Comme indiqué par Able et coll., malgré des préconisations médicales publiées aux États-Unis, la connaissance du SFM reste limitée, et son traitement variable en fonction des spécialités médicales (Able et coll., 2016
).
) menées sur 328 médecins au Canada, une majorité de médecins généralistes enquêtés ne croyaient pas qu’on puisse poser un diagnostic de FM et près d’un quart d’entre eux décrivaient les patients atteints de SFM comme des simulateurs. Dans une étude espagnole publiée en 2018, Briones-Vozmediano et coll. montrent que parmi douze soignants interrogés, « la femme qui se plaint » représente le prototype du patient atteint de SFM. Dans la même étude, ces derniers questionnent également la véracité des symptômes décrits par les patients. Ces auteurs ont repéré deux positions différentes dans les discours des professionnels de la santé enquêtés. Certains croient en la souffrance des patients, et défendent l’existence du SFM en tant que maladie. D’autres doutent de certains patients et considèrent qu’ils peuvent prétendre avoir de faux symptômes ou qu’ils les exagèrent afin d’obtenir des avantages tels que des arrêts maladie ou une aide financière liée à une allocation d’invalidité. Par ailleurs, Pastor et coll. (2012
), en Espagne, ou encore Amber et coll. (2014
) aux États-Unis, ont montré qu’une majorité de médecins considère que les causes principales du SFM sont d’ordre psychologique et non biologique. Le tableau 8.VIII
rassemble les différentes études traitant des connaissances et représentations du SFM chez les soignants.Tableau 8.VIII Littérature abordant les connaissances et représentations du syndrome fibromyalgique chez les personnels de santé
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil des données
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Iran
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190 médecins généralistes
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Questionnaire détaillé (incluant des items sur les signes et les symptômes, les critères de diagnostic et le traitement)
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Pérou
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145 médecins
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Questionnaire
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États-Unis
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72 médecins internistes et généralistes
211 étudiants en médecine
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Questionnaire
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94 médecins de première ligne
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Méthodologie mixte : sondages suivis de groupes de travail semi-structurés
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66 infirmiers praticiens
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Questionnaire
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Rhumatologues (n = 54), médecins de premier recours (n = 25), groupe hétérogène de médecins spécialistes de la douleur, médecine physique, psychiatrie, neurologie, obstétrique ou gynécologie, ostéopathie ou spécialité non spécifiée (n = 12)
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Questionnaire
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||
|
Espagne
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12 prestataires de soin impliqués dans le soin de patients atteints de SFM
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Entretiens semi-structurés individuels
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208 médecins généralistes
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Brief Illness Perception Questionnaire, échelles ad hoc d’auto-efficacité clinique, comportement clinique et satisfaction
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France
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1 622 médecins dans 6 pays européens, Mexique et Corée du Sud
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Questionnaire via un entretien téléphonique de 15 minutes
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Canada
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189 généralistes
139 spécialistes
|
Méthodologie mixte : groupes de discussion, entretiens semi-structurés et enquête quantitative électronique
|
Problématique de la formation et de la sensibilisation
des étudiants en médecine
). En Norvège, Album et Westin (2008
) ont montré qu’il est peu valorisé pour les étudiants en médecine et les médecins de prendre en charge le SFM, à l’inverse de pathologies qui se situent en haut de l’échelle du prestige dans la culture médicale comme l’infarctus du myocarde, la leucémie et les tumeurs cérébrales. Le fait que le patient typique atteint de SFM soit une femme pourrait faire partie des facteurs explicatifs. Plus largement, des scores de faible prestige sont attribués aux pathologies et aux spécialités associées notamment aux affections chroniques n’ayant pas de localisation corporelle spécifique, ou encore dont les procédures de traitement sont peu sophistiquées. Le SFM répond à ces critères qui sont peu valorisés. Ces résultats sont identiques dans la même étude réactualisée récemment (Album et coll., 2017
).
) menée aux États-Unis, les étudiants en médecine développent davantage que les médecins l’idée d’une origine organique et non psychosomatique du SFM. Les étudiants en médecine interrogés par Silverwood et coll. (2017
) en Norvège ont au contraire une compréhension limitée du SFM et sont sceptiques quant à son existence. Ces attitudes sont influencées par le « curriculum caché » des étudiants, à savoir des connaissances non inscrites dans les cursus de formation qui se transmettent de manière implicite au travers des attitudes et comportements de leurs professeurs vis-à-vis de cette pathologie. Le manque d’enseignement formel au sujet du SFM vient signifier implicitement le peu de sérieux et la faible priorité qui lui sont accordés. En revanche, rencontrer un patient, un ami ou un membre de la famille atteint de SFM peut accroître les connaissances et mener à des perceptions différentes de la pathologie. Amber et coll. (2013
) ont montré que la compréhension que les étudiants ont du SFM dans les premières années de la formation en médecine peut être influencée par la publicité sur les médicaments, mais qu’après une formation médicale suffisante, leur compréhension du SFM est davantage influencée par des sources factuelles qui renversent avec succès toute forme d’influence de la publicité. Friedberg et coll. (2008
) ont montré quant à eux que l’exposition, même relativement brève des étudiants, via un séminaire interactif de courte durée, à des informations factuelles sur des pathologies spécifiques médicalement inexpliquées comme le syndrome de fatigue chronique ou le SFM, est associée à des attitudes plus favorables envers ces pathologies. Ces enjeux se retrouvent chez des étudiants d’autres disciplines. Au Canada, les étudiants en chiropraxie, naturopathie, kinésithérapie et ergothérapie sont en désaccord sur l’étiologie du SFM (Busse et coll., 2008
). Les étudiants en chiropraxie sont les plus sceptiques à l’égard du SFM en tant qu’entité diagnostique utile, et lui associent davantage que les autres une étiologie psychologique et non biologique. Ces représentations qui varient en fonction des sources de formation et d’informations, sont déterminantes sur les recours et les interactions de soin.Tableau 8.IX Littérature traitant de la formation et de la sensibilisation des étudiants en médecine à la fibromyalgie
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Norvège
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242 médecins seniors, 327 médecins généralistes, et 317 étudiants en dernière année de médecine
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Questionnaire
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3 études sur le prestige des maladies dans la culture médicale
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Analyse comparative
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Royaume-Uni
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21 étudiants en médecine
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Entretiens qualitatifs
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États-Unis
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72 médecins internistes et de famille
211 étudiants en médecine
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Questionnaire
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120 étudiants
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Questionnaire
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45 étudiants en quatrième année de médecine
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Questionnaire avant et après séminaire interactif
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|
Canada
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336 étudiants en chiropratique, naturopathie, physiothérapie et ergothérapie
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Enquête
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Une rencontre « embarrassante » avec les patients :
la problématique du diagnostic
). Pour Hayes et coll., le SFM est sous-diagnostiqué et son traitement est sous-optimal (Hayes et coll., 2010
). Le diagnostic ressort bien comme la problématique centrale du SFM et le retard de diagnostic se présente comme l’un des facteurs aggravants du SFM.
). Le SFM n’est pas un diagnostic exclusif et peut être concomitant à d’autres maladies comme nous avons pu le lire dans le chapitre « Critères diagnostiques, diagnostics différentiels, comorbidités et sous-groupes ». Une étude de population utilisant le questionnaire d’auto-évaluation de 31 points a révélé que 17 % des 845 patients atteints d’arthrose, 21 % de 5 210 atteints de polyarthrite rhumatoïde et 37 % de 439 atteints de lupus érythémateux disséminé remplissaient les critères ACR 2010 de diagnostic de SFM (Wolfe et coll., 2011
). Cette composante fibromyalgique peut influer sur l’efficience de la prise en charge, et il est important de la reconnaître pour éviter une surenchère médicamenteuse inutile. Or, les écueils des soignants vis-à-vis du SFM rencontrent et renforcent ceux des patients. Les deux groupes sont insatisfaits du processus de gestion du SFM dans son ensemble. Patients et professionnels de santé expriment leur mécontentement quant au délai pour établir un diagnostic et obtenir un traitement efficace. Les patients indiquent le besoin d’un plus grand soutien moral de la part des professionnels, alors que ces derniers se sentent souvent frustrés et ont le sentiment d’être peu aidants pour les patients. Les patients et les professionnels s’accordent sur l’incertitude à fournir une cause pathologique claire, à identifier les symptômes et à choisir une intervention pour résoudre un problème entourant la prise en charge du SFM (Briones-Vozmediano et coll., 2013
), l’incertitude recouvrant une « perception subjective de l’incapacité à fournir une explication précise du problème de santé du patient » (Pincus et coll., 2018
).
). Jordan et coll. (2007
) ont examiné le contexte social plus large de l’incertitude diagnostique, soulignant que les pairs en bonne santé et les enseignants remettent en question la légitimité de la douleur chez les enfants et les adolescents souffrant de douleur chronique en l’absence de documentation médicale. Ainsi, ils offrent plus de soutien aux enfants ayant des problèmes de douleur diagnostiqués médicalement plutôt qu’inexplicables.Tableau 8.X Littérature traitant du diagnostic de fibromyalgie chez le jeune et l’adulte
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Royaume-Uni
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Revue littérature enfants, adolescents avec des douleurs chroniques
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15 parents/soignants d’adolescents avec des douleurs chroniques
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Focus groups
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Pas de précision méthodologique
| |||
|
18 patients qui vivent avec des symptômes médicalement inexpliqués
|
Entretiens qualitatifs
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||
|
Norvège
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11 patientes SFM
|
Focus groups
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|
|
Canada
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189 généralistes,
139 spécialistes
|
Méthodologie mixte : groupes de discussion, entretiens semi-structurés et enquête quantitative électronique
|
|
|
Espagne
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Briones-Vozmediano
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12 patients SFM
9 professionnels de la santé
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Entretiens semi-structurés
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Italie
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252 rhumatologues
86 patients SFM
|
Exercices Delphi*
|
|
|
États-Unis
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23 cliniciens ayant de l’expertise avec SFM 100 patients SFM
|
Exercices Delphi
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|
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Pas de précision méthodologique
| |||
|
Mexique
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Pas de précision méthodologique
|
* Méthode structurée de construction d’un consensus par questionnaires associés à des échanges d’opinion.
) et l’autre aux États-Unis (Mease et coll., 2008
) ont montré que médecins et patients s’accordent également sur les symptômes les plus communs du SFM : douleur, fatigue, troubles du sommeil et perturbations de la qualité de vie liée à la santé, symptômes dépressifs voire dépression comorbides et troubles cognitifs. Cependant, Salaffi et coll. montrent que l’intensité des points douloureux est considérée par les cliniciens mais pas par les patients. Ces derniers relèvent en revanche une sensibilité environnementale (aux odeurs, sons, lumières, changements de température) alors que les soignants ne la retiennent pas. Mease et coll. ont quant à eux repéré que la raideur est classée par les patients mais pas par les cliniciens. En revanche, les effets secondaires des traitements sont importants pour les cliniciens mais ne sont pas identifiés comme tels par les patients.
), tandis qu’un manque de diagnostic affecterait négativement les activités de la vie quotidienne et la qualité de vie. Le diagnostic est d’autant plus important que la société n’accorde pas la permission d’être malade en l’absence de pathologie identifiable reconnue (Nettleton, 2006
; voir chapitre « L’expérience d’un trouble somatique fonctionnel : aspects sociologiques du syndrome fibromyalgique »).L’attitude ambivalente des médecins vis-à-vis du diagnostic :
plusieurs formes de réponses
; Jutel, 2009
). Ainsi par l’élaboration diagnostique, le patient et les professionnels s’approprient la pathologie en tant qu’objet d’expertise et de réponses médicales. Le diagnostic a une fonction de garant de l’autorité médicale. Lorsqu’au cours d’une consultation le médecin ne retrouve aucune explication somatique, il éprouve les limites de son savoir et se sent mis en échec. Dans l’étude de Hayes et coll. (2010
), les médecins généralistes, davantage que les spécialistes, pensent qu’il est difficile de reconnaitre un SFM.
). Ils peuvent hésiter à accepter des patients atteints de SFM, non à cause d’une image stigmatique du « patient difficile », mais plutôt à cause de la difficulté de contrôler sur le plan clinique les symptômes du SFM (Homma et coll., 2016
; tableau 8.XI
).
) montrent qu’il est fort possible que de nombreux médecins généralistes hésitent à diagnostiquer des pathologies mal définies et suggèrent qu’il existe une forte variation de l’utilisation du terme diagnostique SFM. Il est important de nouveau de signaler que le SFM peut être concomitant à un autre diagnostic comme la polyarthrite rhumatoïde, ce qui peut expliquer que la réponse thérapeutique n’est pas celle attendue. Sur le terrain des soins, et au regard des représentations qui nourrissent les interactions médecin/patient, le défi pour les médecins est bien celui de tolérer l’incertitude d’une symptomatologie autant fluctuante que confuse et pour autant génératrice de plaintes exprimées et de conséquences bien inscrites dans le réel (McMahon et coll., 2012b
). L’incertitude entourant le SFM semble influencer la pratique professionnelle des soignants et participer à une faible reconnaissance du SFM en tant que pathologie grave (Briones-Vozmediano et coll., 2018
).
). Dans ce cas de figure, le médecin aide le patient à aller vers l’acceptation de la situation et propose des voies de gestion des symptômes sans reconnaître pour autant le syndrome en tant que tel.
; Griffith et Ryan, 2015
; Mengshoel et coll., 2017
). L’absence de diagnostic médical traditionnel conduit donc les médecins pour sortir de l’impasse diagnostique à créer le plus fréquemment un diagnostic psychologique qui s’apparente à un diagnostic clinique dans sa fonction de modèle explicatif (Mik-Meyer et Obling, 2012
). Plus radicalement, Pastor et coll. (2012
) en Espagne ou encore Amber et coll. (2014
) aux États-Unis, ont montré qu’une majorité de médecins considère que les causes principales du SFM sont d’ordre psychologique.Tableau 8.XI Littérature traitant de l’ambivalence des médecins vis-à-vis du diagnostic de fibromyalgie
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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États-Unis
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100 000 publications de groupes de discussion USENET
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Travail sur le terrain, entretiens informels, analyse approfondie de groupes de discussion
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|
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66 infirmiers praticiens
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Questionnaire
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Double récit qui juxtapose les récits d’une patiente et ceux de son psychiatre traitant
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|
72 médecins internistes et de famille
211 étudiants en médecine
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Questionnaire
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|
Canada
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189 généralistes,
139 spécialistes
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Méthodologie mixte : groupes de discussion, entretiens semi-structurés et enquête quantitative électronique
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|
|
55 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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||
|
Japon
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233 médecins (Japan College of Rheumatology, Japan Rheumatism Foundation) ayant de l’expérience auprès de patients atteints de SFM
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Questionnaires : Brief Illness Perception Questionnaire, Illness Invalidation Inventory, Difficult Doctor–Patient Relationship Questionnaire (DDPRQ- 10)
|
|
|
Espagne
|
208 médecins généralistes
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Brief Illness Perception Questionnaire, échelles ad hoc d’auto-efficacité clinique, comportement clinique et satisfaction
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|
Briones-Vozmediano
|
12 prestataires de soin impliqués dans le soin de patients atteints de SFM
|
Entretiens semi-structurés
|
|
|
Royaume-Uni
|
23 études qualitatives
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Revue narrative
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|
|
18 patients qui vivent avec des symptômes médicalement inexpliqués
|
Entretiens qualitatifs
|
||
|
France
|
Revue d’articles (45)
4 experts santé et 10 patients SFM
|
Entretiens qualitatifs
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|
|
Danemark
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21 médecins de premier recours
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8 entretiens de groupe, 3 entretiens individuels
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|
|
Norvège
|
28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
|
Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
|
; Mik-Meyer et Obling, 2012
; Crooks, 2015
). Pour se qualifier et maintenir un rôle de patient légitime, ils « s’accrochent » et travaillent laborieusement à rendre leurs symptômes socialement visibles, réels et physiquement présents (Mik-Meyer et Obling, 2012
). Ils les adaptent aux attentes du corps médical (et même aux différentes spécialités médicales). Des auteurs décrivent la construction de récits qui sont présentés aux médecins et qui quelquefois, à force d’être « bricolés » et ajustés aux uns et aux autres, s’avèrent plus ou moins cohérents (Mik-Meyer et Obling, 2012
; Mengshoel et coll., 2017
). L’adaptation de ces comportements de malade fait inévitablement penser à la notion de « carrière déviante » développée par Becker (1985
), qui sous-entend l’apprentissage et l’adoption de bons comportements, des bonnes interactions, et des discours qui savent convaincre. Dans ce contexte interactif, il s’agit d’apprendre à « être fibromyalgique » afin d’être reconnu et traité comme tel. Mais être un patient légitime ne vient pas sans effets secondaires. Les médecins sont alors coproducteurs de nouveaux rôles adoptés par les patients atteints de SFM qui ne sont pas sans conséquences sur leur vie quotidienne, sur leurs relations sociales, familiales, professionnelles et avec le système de santé (Mik-Meyer et Obling, 2012
).
; Mengshoel et coll., 2017
).Processus diagnostique
) ou qu’ils souhaitent éviter l’appartenance à ce qu’ils considèrent être un groupe stigmatisé (Mengshoel et coll., 2017
; tableau 8.XII
). Mais la grande majorité d’entre eux le recherchent dans l’idée d’une reconnaissance de l’expérience de la douleur (Guinot et coll., 2012
) et d’une possibilité de gestion de la pathologie. Nous avons reconstitué un schéma des étapes du processus diagnostique (figure 8.1
).Tableau 8.XII Littérature traitant du processus diagnostique
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Royaume-Uni
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23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
|
Métasynthèse
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|
Norvège
|
28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
|
Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
|
|
|
France
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Article d’analyses non empiriques
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| Figure 8.1 Schéma des émotions liées au diagnostic de fibromyalgie ressenties par le patient et rapportées dans la littérature |
Des fonctions qui apportent un véritable soulagement
; tableau 8.XIII
). Nacu et Benamouzig (2010
) parlent du « moment fondateur du diagnostic ». Les fonctions attendues sont clairement présentées et pour certaines développées par les informateurs de nombreuses études, et les bénéfices sont investis sur plusieurs niveaux. Au niveau de l’expérience corporelle, l’identification de la réalité du SFM est une assurance contre l’absence d’une pathologie grave (Undeland et Malterud, 2007
; Mengshoel et coll., 2017
) et représente une perspective de prévention des facteurs aggravants et de diminution des symptômes (Nacu et Benamouzig, 2010
). Le diagnostic peut ainsi rassurer les personnes concernées qu’elles ne souffrent pas, par exemple, d’arthrite inflammatoire ou d’un cancer, mettant ainsi un terme à un cycle de préoccupations médicales et d’examens répétés.
; Cooper et Gilbert, 2017
). Il semble faciliter la réintégration dans le monde social dans la mesure où les classifications biomédicales ont, en tant que constructions sociales, un effet symbolique majeur. De ce point de vue, le diagnostic présente des enjeux identitaires essentiels en tant que garde-fou contre la marginalisation et la stigmatisation (Mengshoel et coll., 2017
). La reconnaissance de la pathologie par les autres crée une augmentation des sentiments de sécurité, de confiance et d’aide (Juuso et coll., 2014
). Il ne fait aucun doute du point de vue des patients que le défaut de diagnostic génère un processus de victimisation (Sim et Madden, 2008
) ainsi qu’un sentiment d’abandon du patient en termes de prise en charge.Tableau 8.XIII Littérature traitant des fonctions du diagnostic dans la fibromyalgie
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Pays
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Référence
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Population
|
Méthode de recueil de données
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Royaume-Uni
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23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
|
Métasynthèse
|
|
|
France
|
Revue d’articles (45)
4 experts santé et 10 patients SFM
|
Entretiens qualitatifs
|
|
|
Norvège
|
11 patientes SFM
|
Focus groups
|
|
|
28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
|
Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
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||
|
Afrique du Sud
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15 patients SFM
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Entretiens approfondis de type narratif
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Suède
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9 patientes SFM
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Entretiens narratifs
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Le caractère limité du soulagement : une validité ambiguë sur le long terme
; Mengshoel et coll., 2017
; tableau 8.XIV
). Le soulagement disparait lorsque les traitements s’avèrent inefficaces, lorsque la situation ne s’améliore pas et qu’elle stagne, voire se dégrade (Madden et Sim, 2006
; Undeland et Malterud, 2007
; McMahon et coll., 2012b
). Mais plus fondamentalement, une majorité d’articles font ressortir qu’être un « patient légitime » ne vient pas sans effets secondaires (Mik-Meyer et Obling, 2012
). Les informateurs constatent une reconnaissance fragile (McMahon et coll., 2012b
), c’est-à-dire que le diagnostic de SFM ne résout pas l’incertitude et apporte peu de rassurance durable.Tableau 8.XIV Littérature traitant du caractère limité du soulagement associé au diagnostic
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Pays
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Référence
|
Population
|
Méthode de recueil de données
|
|
Royaume-Uni
|
23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
|
Métasynthèse
|
|
|
23 études qualitatives
|
Revue narrative
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||
|
11 patientes SFM
|
Focus groups
|
||
|
Norvège
|
28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
|
Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
|
|
|
Danemark
|
17 patients SFM
|
Entretiens semi-structurés
|
|
|
21 médecins de premier recours
|
8 entretiens de groupe, 3 entretiens individuels
|
||
|
France
|
Revue d’articles (45)
4 experts santé et 10 patients SFM
|
Entretiens qualitatifs
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). Madden et Sim (2006
) relèvent une augmentation de l’incertitude également sur le sens du diagnostic. De plus, Nacu et Benamouzig (2010
) notent que la focalisation sur certains symptômes médicalisés empêche des comportements d’adaptation (coping) potentiellement utiles en l’absence de traitement et permettant une amélioration durable. Pour ces mêmes auteurs, une certaine frustration est partagée par les soignants et les patients (Nacu et Benamouzig, 2010
).
). Ils perçoivent que les médecins ne répondent pas à leur désir de soutien affectif (Salmon et coll., 2009
, cités par Mik-Meyer et Obling, 2012
). Enfin un point fondamental ressort de l’ensemble des études qualitatives qui donnent la parole aux patients : le diagnostic de SFM n’a pas aidé les informateurs à convaincre l’entourage (Madden et Sim, 2006
). Les informateurs se sont sentis mal jugés et « pas pris au sérieux », et ont commencé à douter de la compétence des médecins en même temps que de leur propre capacité à guérir.
; Dennis et coll., 2013
). Le diagnostic ne fournit pas dans le temps une explication significative des symptômes et a un pouvoir limité de légitimer la pathologie. Les personnes se sentent blâmées, affectées dans leur dignité à aller mieux (Mengshoel et coll., 2017
).Mise en doute des symptômes et atteinte à la dignité de la personne
; Homma et coll., 2016
; Madden et Sim, 2016
; Armentor, 2017
; tableau 8.XV
). Ainsi, de nombreux patients se disent affectés par le risque ou la réalité d’assimilation entre SFM et problèmes psychologiques ou sociaux posée par le médecin. Ils rapportent les attributions négatives qui leur sont destinées : au travers des termes de « handicap », de « troubles de la personnalité », d’« hypocondrie », de « trouble de l’humeur » ainsi que de la mise en cause perçue de leur courage ou motivation pour se rétablir (Mengshoel et coll., 2017
). Les femmes sont d’autant plus affectées que la stigmatisation par la « psychologisation » est renforcée par les considérations de genre (Crooks et Chouinard, 2006
; Crooks et coll., 2008
; Van Altena, 2008
; Katz et coll., 2010
; Pryma, 2017
; Moretti, 2018
). Des préjugés sexistes peuvent impacter les interactions médecin-patient, en particulier dans le processus diagnostique. Les dimensions de la « biologie de la femme » sont facilement transposées en « troubles de la femme » et en comportements pathologiques décrits sur le mode de la plainte démonstrative (allusion à « l’hystérique ») et de la perte de contrôle. « Cette façon d’être est considérée, encore une fois, comme étant caractérisée par la passivité, la victimisation, l’irritabilité, la dramatisation, la vulnérabilité, la sensibilité, l’incapacité à gérer ses états d’âme, la fluctuation des humeurs et par conséquent une moindre tolérance à la douleur entraînant une exagération dans la manifestation sans gêne ni honte de son mal-être » (Moretti, 2018
).Tableau 8.XV Littérature traitant de l’expérience diagnostique du patient
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Royaume-Uni
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17 patients SFM
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Entretiens semi-directifs
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Belgique
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6 patientes SFM
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Entretiens semi-directifs
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Japon
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233 médecins (Japan College of Rheumatology, Japan Rheumatism Foundation) ayant de l’expérience auprès de patients SFM
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Questionnaires : Brief Illness Perception Questionnaire, Illness Invalidation Inventory, Difficult Doctor–Patient Relationship Questionnaire (DDPRQ-10)
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Norvège
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28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
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Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
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Canada
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18 patientes ayant développé des maladies arthritiques
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Entretiens semi-structurés
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55 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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États-Unis
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20 patientes SFM
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Entretiens semi-directifs
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61 rhumatologues
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Enquête
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24 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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1163 patients hommes SFM
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Enquête qualitative
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24 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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Italie
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Recherche ethnographique
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) a recueilli son matériau de recherche s’inscrit dans ce schéma : « la parole des médecins du centre et de la pratique clinique à laquelle j’ai assisté. (...) Le processus de féminisation qui caractérise la définition des critères diagnostiques du syndrome a ainsi, au fil du temps, entraîné la re-détermination de la conception selon laquelle les femmes sont majoritairement touchées par cette pathologie. Une idée constamment reconfirmée par une pratique médicale quotidienne passée et actuelle qui, dans les faits, en utilisant justement ces critères, a révélé et révèle davantage de formes de FM chez les patients de sexe féminin que chez ceux de sexe masculin » (Moretti, 2018
). Le comportement fibromyalgique, que Moretti appelle « l’habitus », entendu comme les éléments qui sont à l’origine du syndrome ou sont la cause de son aggravation, est considéré alors comme étant liés à un tempérament strictement féminin plutôt que masculin. « Les consultations avec les patients masculins mettaient en évidence la difficulté, voire même l’impossibilité, d’établir un diagnostic du fait d’un manque d’éléments pour le faire, malgré l’existence de symptômes qualitativement et quantitativement similaires à ceux du syndrome fibromyalgique » (Moretti, 2018
). L’étude de Muraleetharan et coll. (2018
) montre également le sous-diagnostic de SFM chez les hommes. En effet, les interactions avec les prestataires de soins de santé sont découragées par le risque de diagnostic erroné ou de non-reconnaissance des symptômes. Une autre étude a notamment montré que les rhumatologues ont plus tendance à rechercher une preuve physique (trouver suffisamment de points douloureux) pour étayer une conclusion diagnostique de SFM chez les patients de sexe masculin (Katz et coll., 2010
). Des travaux dans le contexte américain soulignent que ces enjeux liés au genre sont associés aux préjugés raciaux, invitant à une analyse du SFM qui intègre l’intersectionnalité, notion désignant les expériences de personnes subissant simultanément plusieurs formes de discrimination, comme par exemple les expériences de femmes noires (Kempner, 2017
; Pryma, 2017
). Dans les études du corpus étayant ce chapitre, même lorsque les échantillons sont mixtes, les analyses questionnent rarement la problématique du genre pourtant centrale dans le SFM, et qui se manifeste au cĹ“ur de la relation de soin.Perte de confiance dans l’autorité médicale : la dimension iatrogène
du diagnostic
; Mengshoel et coll., 2017
; tableau 8.XVI
) dans la mesure où un diagnostic ne devient réel et significatif que s’il ouvre la voie à un soulagement ou à un accompagnement et à une compréhension du tableau symptomatique. La valeur diagnostique ici n’est pas perçue comme étant fondée dans la mesure où il n’y a pas de prise en compte de la spécificité des besoins et de reconnaissance des douleurs spécifiques (Sallinen et coll., 2011
; Mengshoel et coll., 2017
).
). Plus globalement l’insatisfaction à l’égard du médecin traitant se manifeste lorsque le patient a l’impression d’un mauvais contrôle du traitement de la part de ce dernier, et lorsqu’il se sent « écarté » et incompris (Homma et coll., 2018
). Plus que le diagnostic et bien au-delà, les participants souhaitent être perçus comme « personne entière » et recherchent auprès des médecins une reconnaissance de la spécificité des besoins et des niveaux d’accompagnement individuels. Ce dernier point a été exprimé avec force dans les récits de l’étude de Sallinen et Mengshoel (2017
). L’ambivalence médicale et l’errance diagnostique marquées par une absence de reconnaissance et des références médicales éclatées approfondissent la détresse fibromyalgique et la perte de confiance dans le soin.Tableau 8.XVI Littérature traitant de la perte de confiance dans l’autorité médicale
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Royaume-Uni
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17 patients SFM
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Entretiens semi-directifs
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23 études qualitatives réalisées entre 1995 et 2006
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Métasynthèse
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Finlande
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20 patientes SFM
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Récits de vie
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5 hommes SFM
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Récits de vie
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Norvège
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28 articles contenant des informations sur les expériences du diagnostic des patients
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Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
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Canada
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42 patients SFM
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Questions ouvertes
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Japon
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304 patients SFM
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Questionnaire
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États-Unis
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66 infirmiers praticiens
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Questionnaire
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France
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Article d’analyse non empirique
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Article d’analyse non empirique
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) reconstruit sur la base des résultats de la littérature, peut être envisagé dans cette perspective comme l’un des facteurs qui prédisposent au développement du syndrome. Il serait même susceptible de l’aggraver en favorisant des comportements qui se répercutent sur les symptômes de différentes manières, en fonction des états de gravité de la pathologie, de l’intensité de la plainte, mais aussi des structures psychiques des personnes concernées. Certaines d’entre elles se sentent profondément atteintes et s’inscrivent dans une quête de reconnaissance qui renforce leur état de dépendance vis-à-vis des médecins. Hugues et coll. (2006
) insistent sur la dimension iatrogène du diagnostic. Ces auteurs font entre autres le constat qu’à long terme, les recours au médecin ne diminuent pas. Après le diagnostic, les marqueurs d’utilisation des soins de santé ont diminué, mais en l’espace de deux ou trois ans, la plupart des visites médicales ont atteint des niveaux supérieurs ou égaux à ceux observés au moment du diagnostic, comme souligné par des analyses économiques d’accès aux soins (voir chapitre « Analyse économique du syndrome fibromyalgique »).
; Mengshoel et coll., 2017
) et/ou plus fondamentalement dans celui d’une reconnaissance de la maladie. Il est vrai que certains patients ayant souvent pâti d’une malheureuse expérience passée avec le milieu médical (généralement un manque de considération de leur souffrance) sont excessivement revendicatifs et construisent leur agressivité sur un manque de confiance envers le corps médical (Ranque et Nardon, 2017
). Dans ce contexte, la recherche d’informations sur Internet peut devenir le support d’une activité qui concurrence frontalement l’autorité du monde médical quand ce dernier ne propose rien de consistant (Akrich et Méadel, 2009
). À terme, l’érosion de la légitimité du diagnostic, et les doutes et souffrances psychiques et sociales associés, redoublent l’exacerbation de l’ensemble des symptômes et génèrent encore plus d’incertitudes et d’anxiété.
).Participation aux soins et émergence d’un soi expert
; tableau 8.XVII
). Les patients atteints de SFM considèrent qu’un style de communication ouvert et centré sur le patient est particulièrement positif (Ullrich et coll., 2014
). Peu de recherches se sont appuyées sur une méthodologie intégrant des observations de consultations. Cette méthode apporte pourtant des éléments riches et originaux, comme dans l’étude de Eide et coll. (2011
), basée sur des enregistrements de premières consultations de patients concernés par le SFM avec des infirmières spécialisées en Norvège. Les résultats révèlent que les patients confient davantage leurs préoccupations sur la douleur, ainsi que leurs réactions émotionnelles, lorsque les infirmières manifestent davantage d’empathie. Il ressort de ces travaux sur le SFM la nécessité d’une relation thérapeutique essentiellement humaine, « qui pousse le médecin aux limites de ses capacités d’empathie et de communication » (Ranque et Nardon, 2017
). Ce constat est particulièrement vrai dans le contexte de pathologies chroniques médicalement inexpliquées.
). Ces situations sont décrites essentiellement en référence à l’interdisciplinarité (Ashe et coll., 2017
) (voir chapitre « Activités physiques et thérapies multidisciplinaires dans la fibromyalgie »), à la négociation des savoirs, à la collaboration et, à un autre niveau, à la reconstitution narrative ainsi qu’à l’application des conceptions de l’éducation thérapeutique. Toutes ces dimensions renvoient au modèle de soin centré sur le patient et au modèle participatif de la relation médecin-malade (Bieber et coll., 2006
, 2008
; Finestone et coll., 2015
; Colmenares-Roa et coll., 2016
) qui favorisent l’élaboration de projets thérapeutiques et l’émergence d’un soi expert basé sur une connaissance privilégiée du corps propre (Madden et Sim, 2016
). Nous en précisons ci-dessous les différents bénéfices et intérêts en nous référant aux études respectives.Tableau 8.XVII Littérature traitant de la participation des patients aux soins et de l’émergence d’un soi expert
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Canada
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42 patients SFM
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Questions ouvertes
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8 patients SFM
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Entretiens semi-structurés approfondis
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150 rhumatologues
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Enquête comprenant 13 questions
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55 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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Allemagne
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256 patients SFM
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Questionnaire KOPRA
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Norvège
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5 consultations initiales entre patients atteints de SFM et infirmières cliniciennes spécialisées
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Enregistrement et analyse
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28 articles avec informations sur les expériences du diagnostic des patients
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Revue systématique d’études qualitatives jusqu’à mai 2016, selon les principes de la méta-ethnographie
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Finlande
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20 patientes SFM
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Récits de vie
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Royaume-Uni
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14 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
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17 patients SFM
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Entretiens semi-directifs
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18 patients qui vivent avec des symptômes médicalement inexpliqués
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Entretiens qualitatifs
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23 études qualitatives
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Revue narrative
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Mexique
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8 patients SFM
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Récits de la maladie
Recherche anthropologique
Ethnographie à l’hôpital
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Pays-Bas
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193 patients avec des symptômes SFM, randomisés à un groupe d’étude diagnostiqué par une infirmière spécialisée en rhumatologie (groupe SRN, n = 97) ou à un groupe contrôle diagnostiqué par un rhumatologue (groupe RMT, n = 96).
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Mesures : accord initial entre l’infirmière et le rhumatologue du groupe SRN, diagnostic final après 12 à 24 mois de suivi, satisfaction du patient, coûts de diagnostic.
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Belgique
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6 patientes SFM
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Entretiens semi-directifs
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France
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Article d’analyse non empirique
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Article d’analyse non empirique
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Revue d’articles (45)
4 experts santé et 10 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
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35 patients SFM
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Entretiens semi-directifs
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États-Unis
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Une centaine d’étudiants, toutes professions de la santé
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Présentation d’une étude de cas d’un patient SFM puis questionnaire
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; Kroese et coll., 2008
; Wuytack et Miller, 2011
). Les médecins généralistes ne peuvent gérer seuls ces situations lourdes, « les spécialistes d’organes » manquent de vue d’ensemble, les psychiatres ont du mal à composer avec des symptômes physiques (ayant toujours la hantise de laisser passer un problème somatique). Afin de ne pas se décourager et s’épuiser, et réduire le soin du SFM au renvoi des patients de médecin en médecin (Ghazan-Shahi et coll., 2012
), une prise en charge interdisciplinaire est fortement indiquée, impliquant la rhumatologie, la neurologie, la rééducation fonctionnelle, la psychiatrie ainsi qu’un accès à des ressources rares : rééducation, gymnastique ou thérapies comportementales et cognitives. L’accompagnement interdisciplinaire combinant des approches non médicamenteuses (éducation, activité physique et thérapie comportementale) et le management médicamenteux de la douleur et des troubles du sommeil ressortent comme étant plus efficaces (Guinot et coll., 2012
; Jobst et coll., 2013
). Dans cette forme d’accompagnement, le patient est au centre du processus thérapeutique et adhère pleinement (dans l’idéal, décide lui-même de) à la démarche de prise en charge (Ranque et Nardon, 2017
).
) font également ressortir la valorisation d’une coopération entre les patients et les professionnels de la santé pour accélérer leur guérison. Ainsi, « l’ordre négocié » issu de la sociologie interactionniste de l’école de Chicago (Baszanger, 1986
; Strauss, 1992
) est à envisager comme le résultat d’un processus de négociation entre le praticien et le patient, dans lequel les deux parties peuvent exercer leur influence, chacun apportant ses savoirs et ses expertises (Durif-Bruckert et coll., 2015
; Mengshoel et coll., 2017
). Il s’inscrit dans un processus de réévaluation du diagnostic donné, d’un croisement et d’une appropriation réciproque des points de vue : le pouvoir est exercé par chaque partie (Madden et Sim, 2016
). Cette perspective ouvre la possibilité de nommer les problèmes et difficultés avec des mots (et pas seulement avec un terme diagnostique) qui rendent compte de l’expérience vécue par le patient, et qui font sens à la fois pour le patient et le médecin (voir communication « Les pièges que nous tendent les symptômes fonctionnels »).
). La possibilité de prise de parole et de reconstitution par les patients des expériences et trajectoires privées a une valeur thérapeutique. Entre autres auteurs, McMahon et coll. considèrent les récits comme des « réorganisateurs identitaires », ce que nous avons pu également expérimenter dans d’autres recherches (Durif-Bruckert, 2007). Tout d’abord, ils permettent au patient de se réapproprier sa propre histoire (Sallinen et coll., 2011
), de faire valoir un espace propre de ressentis et de défendre sa propre langue profane (les métaphores et les théories explicatives élaborées en lien avec le vécu corporel et émotionnel). Dans le contexte du SFM, la reconstitution du cours de la douleur (association de la survenue, de l’intensité et du sens) permet de remettre de la cohérence et de l’intelligibilité dans les trajectoires de la pathologie fréquemment jugées comme étant « chaotiques », « discontinues », et « brisées » (Sallinen et coll., 2011
; McMahon et coll., 2012b
). Elle représente un exercice de reconstruction et de réorganisation des expériences vécues : possibilité de revenir sur les ruptures, de reformuler des liens, de questionner les évènements, de remettre en perspective des étapes de vie jusque-là figées (Nettleton, 2006
; Sallinen et coll., 2011
). « Prendre la parole » est aussi reprendre un « certain » contrôle de la situation. Le récit a pour fonction de faciliter le processus d’adaptation à une nouvelle réalité : processus d’acceptation de l’incertitude, de l’inexpliqué et plus fondamentalement ajustement à la variabilité de la douleur et aux activités de la vie quotidienne (McMahon et coll., 2012b
).Les enjeux du diagnostic : incertitudes et controverses
; tableau 8.XVIII
). Cet « au-delà » joue précisément un rôle central dans la gestion du SFM. Car fondamentalement, le véritable défi des médecins (et la véritable réponse faite à la demande d’un patient avec un diagnostic de SFM) consiste à aider le patient à se rétablir malgré et au cĹ“ur même des incertitudes et des controverses dont le SFM est fondamentalement l’objet et qui sous-tendent les conditions dans lesquelles se réalise le diagnostic.Tableau 8.XVIII Littérature traitant des enjeux du diagnostic
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Pays
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Référence
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Population
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Méthode de recueil de données
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Norvège
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11 patientes SFM
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Focus groups
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Canada
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55 patientes SFM
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Entretiens semi-structurés
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Belgique
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6 patientes SFM
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Entretiens semi-directifs
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Royaume-Uni
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Article d’analyse non empirique
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France
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Enquête ethnographique
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Revue d’articles (45)
4 experts santé et 10 patients SFM
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Entretiens qualitatifs
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; voir communication « Les pièges que nous tendent les symptômes fonctionnels »). À l’instar de nombreux auteurs en anthropologie, en psychologie sociale et en sociologie, D. Le Breton (2017
) rappelle que toutes les pathologies « relèvent d’une immersion historique sociale et culturelle », c’est-à-dire qu’elles émergent sur la scène médicale de façon soudaine, se diffusent largement, à travers toute la planète, ce qui leur donne un lien de parenté, malgré les différences culturelles. Ainsi certaines formes de somatisations « prennent » et se diffusent « parce qu’elles cristallisent à un moment donné des sensibilités collectives (...) amenant la médecine à remanier son système d’interprétation et ses catégories nosographiques » (Le Breton, 2017
). Ces pathologies émergentes comme les maux de dos, les douleurs chroniques et bien d’autres qui expriment des souffrances réelles, relèveraient de « prêts à porter culturels qui flottent à une époque donnée et se cristallisent concrètement à travers la légitimité paradoxale accordée du bout des lèvres par la médecine, les médias qui les vulgarisent, et les associations de patients qui se battent pour leur reconnaissance » (Le Breton, 2017
). La participation de différents types d’acteurs renforce simultanément l’intérêt pour ces pathologies émergentes. C’est ce que développent Nacu et Benamouzig (2010
) qui basent le cours de leur réflexion à la fois sur une revue de littérature de 45 références (1975-2010), sur les aspects biomédicaux et les approches en sciences sociales concernant le SFM, sur un ensemble de littérature grise accessible sur internet (sites gouvernementaux, associations professionnelles et de patients, forums de discussion et sites des principaux quotidiens français et américains), et en complément sur des entretiens approfondis d’experts de la santé publique en France (médecins spécialistes, spécialistes de santé publique non médecins). Selon ces auteurs, le SFM illustre une forme contemporaine et plus générale de médicalisation, dans laquelle les médecins sont associés à l’industrie pharmaceutique. Ils renvoient ainsi le lecteur au concept de disease mongering (que l’on peut traduire par « propagande de pathologie ») proposé par Payer pour caractériser le façonnage de nouvelles maladies sous l’effet des intérêts conjugués de l’industrie pharmaceutique : financement d’études, participation des firmes aux activités professionnelles, par exemple à travers l’organisation et le sponsoring de congrès médicaux européens et internationaux, de groupes professionnels et d’associations de malades (voir également chapitre « L’expérience d’un trouble somatique fonctionnel : aspects sociologiques du syndrome fibromyalgique »). Sans être à l’origine de la problématique, ces dernières analyses contribuent à la diffusion du SFM dans l’espace public et à une réelle familiarisation avec cette entité, alors même qu’elle demeure méconnue sur le plan clinique et ne reçoit pas de reconnaissance médicale. Le noyau sémantique, matrice des significations sociales qui circulent dans l’ensemble des discours sociaux, professionnels et associatifs sur le SFM, est à la fois suscité et « repris » par l’histoire privée du patient. De façon plus ciblée, les femmes semblent étiquetées comme étant naturellement prédisposées à cette forme d’expression pathologique douloureuse par leur sensibilité et leur débordement émotionnel. Nous l’avons vu, les relations avec les médecins sont largement marquées par des non-dits, qui renvoient fondamentalement au stigmate « psy » mais aussi, et ce n’est pas sans lien, aux rapports de genre.
), sans aucun doute comme un moyen de prendre corps, d’avoir un corps. Cette plainte traduit une souffrance profonde, à la fois dans le rapport à soi-même et au social. Elle traduit l’impossibilité à vivre et à trouver sa place. Les corps malades sur un mode chronique « fracturent les protocoles sociaux » en raison de leur incapacité à répondre de façon fiable aux attentes (Crooks et coll., 2008
) et à définir les contours d’un soi identitaire. Les fonctions identifiantes et protectrices de la douleur (D. Anzieu, 1985
, parle de « l’enveloppe de la douleur »), sorte de barrières contre des épisodes de vie impensables, laissent sous-entendre la complexité des soins à apporter aux patients concernés par le SFM. Il s’agit là de l’une des lectures incontournables du SFM, ainsi qu’une voie d’identification des réponses à lui donner. Les controverses sur la prise en charge du SFM se traduisent encore au travers de la difficulté à lui attribuer une appellation stable et systématisée : Wuytack et Miller (2011
) parlent de « trouble complexe » plutôt que de « syndrome douloureux ». Nacu et Benamouzig (2010
) définissent le SFM comme le résultat d’un « continuum de réactions » à un environnement social stressant, ou encore comme une situation de détresse marginalisante. Pour Bass et Henderson (2014
), le SFM est un trouble dimensionnel et là encore, le terme de « continuum » et non de « maladie » est utilisé. Il est fortement associé à des problèmes autres que douloureux et à la détresse émotionnelle, au moins aussi invalidants que les symptômes somatiques qui sont décrits de façon plus adéquate en termes de « détresse polysymptomatique ». Toutes ces pistes que nous donnent patients et soignants doivent être mises en relation avec des situations observées à propos d’autres maladies chroniques, pour lesquelles des considérations comparables essentiellement thérapeutiques sont décrites.Conclusion
). La fermeture la plus préjudiciable et sans aucun doute la plus iatrogène est bien le rejet et le regard péjoratif porté à la demande du patient (par exemple il est très péjoratif de dire « c’est psychologique » sans soigner le psychologique).
). Le SFM est lié et exposé aux contextes et discours sociaux mais aussi à l’organisation de la médecine qui montre ses limites au travers d’un paradoxe anxiogène qui consiste à valoriser l’autonomie du patient alors même que ses savoirs et dires sont encore trop négligés, discutés et objets d’une certaine méfiance, notamment dans le contexte d’un SFM.Références
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