Fibromyalgie
2020
2-
Critères diagnostiques, diagnostics
différentiels, comorbidités
et sous-groupes
La fibromyalgie (FM) est définie comme un syndrome constitué de symptômes chroniques, d’intensité modérée à sévère incluant des douleurs diffuses et une sensibilité à la pression associées à de la fatigue, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs et de nombreuses plaintes somatiques. Dans la population générale, ces symptômes forment un continuum allant de peu à beaucoup et de léger à sévère (Wolfe et coll., 2016a
).
Cette entité est identifiée depuis longtemps par les auteurs anglo-saxons sous d’autres termes, et elle a connu un regain d’intérêt avec les travaux de deux rhumatologues canadiens, Smythe et Moldofsky et un américain, Yunus (Smythe et Moldofsky, 1977
; Yunus et coll., 1981
; Kahn et coll., 2007
). Elle a reçu différentes appellations notamment en France : fibrosite, polyenthésopathie, ou encore syndrome polyalgique idiopathique diffus (Kahn et Audisio, 1981
; Kahn et Vitale, 1995
) avant que le terme de FM ne s’impose (voir chapitre « L’expérience d’un trouble somatique fonctionnel : aspects sociologiques du syndrome fibromyalgique »). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a incluse dans la Classification internationale des maladies (CIM-10) dans le groupe des maladies rhumatismales à la rubrique M79 en 1992 (Kahn et coll., 2007
) et dans le groupe
Chronic Pain (MG30) dans sa version 11 en 2018
1
.
Critères de classification et de diagnostic de fibromyalgie
Il existe de nombreux critères de FM. Beaucoup sont des critères de classification, comme les critères de l’American College of Rheumatology 1990 (ACR 1990), et ont pour vocation d’homogénéiser les patients inclus dans les études. D’autres, comme les critères ACR 2016, sont aussi des critères de diagnostic qui peuvent être utilisés par le médecin en pratique courante. Certains de ces critères ne font plus appel à l’examen clinique voire ne nécessitent plus la présence d’un médecin, comme c’est le cas pour les critères ACR 2011. Beaucoup sont des auto-questionnaires qui sont parfois adaptés à des enquêtes téléphoniques (LFESSQ : London Fibromyalgia Epidemiology Study Screening Questionnaire) ou par internet (FAS : Fibromyalgia Assessment Status). D’autres sont bien adaptés au dépistage comme FiRST (Fibromyalgia Rapid Screening Tool). Enfin certains permettent d’évaluer aussi la sévérité de la pathologie, comme les critères ACR 2016.
Critères de l’American College of Rheumatology (ACR)
Critères de classification de fibromyalgie ACR 1990
À partir de la fin des années 1970, plusieurs critères de classification ont été développés dont les plus célèbres sont ceux de Smythe et Moldofsky en 1977 et ceux de Yunus et coll. en 1981 (Smythe et Moldofsky, 1977
; Yunus et coll., 1981
; Wolfe, 1990
; Wolfe et Hauser, 2011
; McBeth et Mulvey, 2012
). Dans un souci d’harmonisation, sous l’impulsion de Frédéric Wolfe et sous l’égide de l’
American College of Rheumatology (ACR), de nouveaux critères ont été publiés en 1990 (Wolfe et coll., 1990
). Ces critères, utilisés dans de nombreuses études cliniques analysées dans cette expertise collective, ont été élaborés à partir d’une étude cas–témoins qui a inclus 558 patients vus consécutivement et recrutés par des rhumatologues d’Amérique du Nord spécialisés dans la FM et provenant de 16 centres situés aux États-Unis et au Canada. Parmi ces 558 patients :
• 158 patients avaient une FM dite primitive ;
• 135 personnes servant de contrôles car indemnes de FM, étaient appariées sur l’âge et le sexe. Elles étaient atteintes de cervicalgies, lombalgies, pathologies locales ou régionales ou de rhumatismes inflammatoires possibles mais ne remplissant pas les critères diagnostiques (lupus, polyarthrite rhumatoïde (PR) ou autre rhumatisme) ;
• 135 patients avaient une FM concomitante c’est-à-dire une FM associée à une autre pathologie rhumatologique comme la PR, une arthrose des mains ou des genoux, des lombalgies chroniques ou des cervicalgies ;
• 130 personnes servant de contrôles pour le groupe FM concomitante précédent, appariées sur l’âge et le sexe avec les mêmes diagnostics de pathologie rhumatologique.
La comparaison de ces groupes a mené à proposer que, pour pouvoir être classé comme atteint de FM, les patients devaient avoir les deux critères suivants (tableau 2.I
) :
1. des douleurs diffuses c’est-à-dire à la partie droite du corps, la partie gauche du corps, au-dessus et en dessous de la ceinture et des douleurs du squelette axial (zone cervicale, thoracique antérieure, dorsale ou lombaire). Ces douleurs doivent être présentes depuis au moins trois mois ;
2. des douleurs à la palpation digitale d’au moins 11 points sensibles sur 18 sites prédéfinis (tableau 2.I
). La palpation digitale doit être exercée de façon progressive avec une force approximative de 4 kg (en pratique clinique, un appui jusqu’à ce que l’ongle devienne blanc).
Ces critères précisaient également que la présence d’une pathologie associée n’exclut pas le diagnostic de FM.
Tableau 2.I Critères de classification ACR 1990 (Wolfe et coll., 1990)
Douleur diffuse
Une douleur est considérée comme diffuse si tous les éléments suivants sont présents :
douleur du côté gauche du corps, douleur du côté droit du corps, douleur au-dessus de la taille, douleur en dessous de la taille. De plus, une douleur du squelette axial (colonne cervicale ou paroi thoracique antérieure ou colonne dorsale ou lombalgie) doit être présente.
Dans cette définition, douleur d’épaule ou de fesse est considérée comme une douleur pour chaque côté atteint. Une lombalgie est une douleur du segment inférieur.
Douleur à la pression digitale d’au moins 11 des 18 points sensibles suivants :
- occiput : bilatéral, à l’insertion des muscles sous-occipitaux ;
- cervical bas : bilatéral, à la partie antérieure des espaces inter-transversaux au niveau C5-C7 ;
- trapèze : bilatéral, à la partie moyenne du bord supérieur ;
- sus-épineux : bilatéral, à l’insertion au-dessus de l’épine de l’omoplate, près du bord interne ;
- deuxième côte : bilatéral, à la seconde jonction chondrocostale, juste à côté de la jonction à la surface supérieure ;
- épicondyle latéral : bilatéral, à 2 cm au-dessous des épicondyles ;
- fesse : bilatéral, au quadrant supéro-externe de la fesse, au pli fessier antérieur ;
- grand trochanter : bilatéral, en arrière de la saillie du grand trochanter ;
- genou : bilatéral, vers le coussinet graisseux médian, proche de l’interligne.
La palpation digitale doit être faite avec une force approximative de 4 kg. Pour qu’un point douloureux soit considéré comme présent, le sujet doit signaler que cette palpation est douloureuse. « Sensible » n’est pas considéré comme « douloureux ».
Les 2 critères doivent être satisfaits. Les douleurs diffuses doivent être présentes depuis au moins 3 mois.
La présence d’une pathologie associée n’exclut pas le diagnostic de fibromyalgie.
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Les critères ACR 1990 ont une sensibilité estimée de 88,4 % et une spécificité de 81,1 %. Les patients atteints de FM primitive et ceux atteints de FM concomitante ne différant pas significativement, il était recommandé que cette distinction soit abandonnée. Ces critères ont été par la suite utilisés dans de très nombreuses publications, et ils le sont toujours. Ils ont cependant fait l’objet de nombreuses critiques dont deux principales, y compris par ceux ayant participé à leur définition (Wolfe et coll., 2010a
). La première critique repose sur l’évaluation des points douloureux à la pression, qui est rarement faite en pratique courante et si elle est faite, elle l’est souvent de façon incorrecte. Le nombre de points douloureux peut ainsi varier d’un praticien à l’autre et surtout dans le temps chez un même patient (Bidari et coll., 2009
). La deuxième critique importante est l’absence de prise en compte des autres composantes de la FM comme la fatigue, les troubles du sommeil, les troubles cognitifs et les nombreux autres symptômes somatiques associés (Crofford et Clauw, 2002
). On leur a également reproché de n’identifier que les formes les plus sévères de FM (Wolfe, 2003
). Les femmes pourraient être plus sensibles aux points douloureux à la pression, ce qui aboutirait à la surreprésentation de ce genre (Maquet et coll., 2004
). Certains considèrent que le délai de 3 mois de douleurs diffuses est trop bref, d’autres reprochent le mélange des formes de FM primitives et concomitantes. Enfin et surtout, il s’agit de critères de classification et non de critères de diagnostic (Kahn et coll., 2013
). La concordance entre les critères de classification et le diagnostic du clinicien a été estimée être de 75,2 % (Kappa : 0,50 ; [IC 95 % 0,35-0,59]) par suivi de 206 patients, ce qui est modéré (Katz et coll., 2006
). La concordance est de 86,6 % avec les critères de diagnostic proposés par l’
Association of the Medical Scientific Societies in Germany (AWMF) (Hauser et coll., 2010
).
Critères ACR 2010 préliminaires de diagnostic de fibromyalgie
Vingt ans après les critères ACR 1990, F. Wolfe et coll. ont révisé les critères de classification (Wolfe et coll., 2010a
). Trente rhumatologues, dont 10 experts ayant publié sur la FM, ont participé à ce travail, mené sur un total de 829 patients. Lors de la phase d’élaboration des critères, la cohorte étudiée était composée de 258 patients chez qui le diagnostic de FM avait été posé soit selon les critères ACR 1990 (64 % d’entre eux) soit sur l’avis du médecin (36 %) et de 256 contrôles ayant une pathologie douloureuse non inflammatoire (cervicalgies, lombalgies, arthrose, tendinite et douleur régionale) et qui n’avaient pas été diagnostiqués auparavant comme ayant une FM. L’étude a ainsi révélé que 75 % des patients diagnostiqués auparavant comme ayant une FM remplissaient les critères ACR 1990, donc 25 % ne les remplissent pas, ainsi que 2 % des contrôles. Trois groupes de patients ont alors été constitués :
• un groupe FM+/+ auparavant diagnostiqué FM qui remplissait les critères ACR90 au moment de l’étude (n = 196) ;
• un groupe FM+/- auparavant diagnostiqué FM ne remplissant plus les critères ACR90 au moment de l’étude (n = 67) ;
• un groupe FM-/- non atteint de FM auparavant et au moment de l’étude (n = 251).
Les groupes FM+/+ et FM+/- se différenciaient clairement par le nombre de points douloureux à la pression. Globalement, les patients du groupe FM+/- avaient un nombre de régions douloureuses et une intensité des symptômes somatiques, de la fatigue, des troubles cognitifs et des troubles du sommeil qui se rapprochaient davantage des patients du groupe FM+/+ que du groupe contrôle même si leurs symptômes étaient moins sévères. Aussi, il a été décidé d’abandonner les points douloureux à la pression et de substituer un index de douleur diffuse (WPI pour
Widespread pain index) et de prendre en compte une échelle de sévérité des symptômes (SS). Les critères diagnostiques de 2010 proposés, listés dans le tableau 2.II
, étaient présents chez 9 % des contrôles, 53 % des patients avec un diagnostic antérieur de FM et 86 % des patients atteints d’une FM remplissant les critères ACR 1990. La sensibilité de ces nouveaux critères est de 82,6 %, et leur spécificité de 91 %.
La cohorte de validation a inclus 315 patients (42 % atteints d’une FM, 13 % d’une FM diagnostiquée antérieurement mais ne remplissant plus les critères ACR 1990, 44 % non atteints). Les critères diagnostiques 2010 diagnostiquaient 91 % des patients classés comme atteints de FM selon les critères ACR 1990.
Pour satisfaire les critères diagnostiques préliminaires ACR 2010, il faut donc remplir trois conditions (tableau 2.II
) :
1. avoir un index de douleurs diffuses ≥ 7 et une échelle de sévérité des symptômes ≥ 5 (évalués suivant la méthode indiquée plus bas)
ou un index de douleurs diffuses entre 3 et 6 et une échelle de sévérité des symptômes ≥ 9 ;
2. avoir des symptômes présents à ce niveau depuis au moins 3 mois ;
3. ne pas avoir d’autres pathologies qui pourraient expliquer les douleurs.
L’index de douleur diffuse est le nombre de régions où le patient a ressenti la douleur au cours de la dernière semaine (0 à 19). L’échelle de sévérité prend en compte trois symptômes : fatigue, sommeil non réparateur et troubles cognitifs. Chacun est classé de la manière suivante : aucun trouble (0), troubles mineurs (1), modérés (2), sévères (3). Sont également pris en compte les symptômes somatiques (liste non exhaustive de 41 symptômes) qui sont cotés de la manière suivante : pas de symptôme (0), peu (1), un nombre modéré (2), beaucoup (3). Le score de l’échelle de sévérité des symptômes correspond à la somme de chaque score de gravité des 3 symptômes (fatigue, sommeil non réparateur, troubles cognitifs), additionnée au score de gravité des symptômes somatiques. Le score final est compris entre 0 et 12. Il est important de noter que la sévérité des symptômes doit être évaluée par le médecin et non par le patient (Wolfe et coll., 2011a
).
Tableau 2.II Critères diagnostiques préliminaires de fibromyalgie ACR 2010 (Wolfe et coll., 2010a)
Critères
Un patient satisfait les critères de diagnostic de FM si les 3 conditions suivantes sont remplies :
1. index de douleurs diffuses (IDD) ≥ 7 et échelle de sévérité des symptômes (SS) ≥ 5 ou IDD entre 3-6 et échelle SS ≥ 9
2. les symptômes sont présents à ce niveau pendant au moins 3 mois
3. le patient n’a pas d’autre pathologie qui pourrait expliquer les douleurs
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Index de douleur diffuse : notez le nombre de zones où le patient a ressenti la douleur au cours de la dernière semaine. Dans combien de zones le patient a eu cette douleur ? Le score sera compris entre 0 et 19.
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Ceinture scapulaire gauche
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Hanche (fesse, trochanter), gauche
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Mâchoire gauche
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Haut du dos
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Ceinture scapulaire droite
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Hanche (fesse, trochanter), droite
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Mâchoire droite
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Bas du dos
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Bras gauche
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Cuisse gauche
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Poitrine
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Cou
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Bras droit
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Cuisse droite
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Abdomen
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Avant-bras gauche
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Jambe gauche
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Avant-bras droit
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Jambe droite
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Score de l’échelle de sévérité des symptômes
Fatigue, se réveiller fatigué (sommeil peu réparateur), troubles cognitifs
Pour chacun des 3 symptômes, indiquez le niveau de gravité au cours de la dernière semaine selon le barème suivant :
0 – aucun problème
1 – problèmes mineurs ou légers ; habituellement légers ou intermittents
2 – modérés ; problèmes importants ; survenant fréquemment et/ou à un niveau modéré
3 – sévères ; problèmes continus qui ont un impact important sur la vie
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Considérant les symptômes somatiques en général, indiquez si le patient a :
0 – pas de symptôme
1 – peu de symptômes
2 – un nombre modéré de symptômes
3 – beaucoup de symptômes
Le score de l’échelle SS correspond à la somme de chaque score de gravité des 3 symptômes (fatigue, réveillé fatigué, troubles cognitifs), additionnée au score de gravité des symptômes somatiques. Le score final est compris entre 0 et 12 ;
Les symptômes somatiques à rechercher : douleurs musculaires, syndrome du côlon irritable, fatigue, difficulté à penser ou à se souvenir, faiblesse musculaire, maux de tête, douleurs ou crampe abdominales, fourmillement ou picotements, étourdissement, insomnie, dépression, constipation, douleurs dans le haut de l’abdomen, nausées, nervosité, douleurs thoraciques, troubles visuels, fièvre, diarrhée, bouche sèche, prurit, respiration sifflante, syndrome de Raynaud, urticaire/zébrures, bourdonnements d’oreilles, vomissements, brûlures d’estomac, aphtes, modification ou perte du gout, convulsions, yeux secs, essoufflement, perte d’appétit, éruption cutanées, sensibilité au soleil, difficultés d’audition, ecchymoses faciles, perte des cheveux, besoin fréquent d’uriner, mictions douloureuses, spasmes de la vessie.
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Ces critères ont surpris la communauté médicale sur plusieurs aspects (Kahn et coll., 2013
) : ce sont des critères diagnostiques et non plus seulement des critères de classification ; ils ne font pas appel à des points douloureux à la pression mais à des régions douloureuses et ne font donc plus appel à l’examen clinique (Vanderschueren et coll., 2010
; Smythe, 2011
). L’examen clinique doit cependant et bien évidemment être fait, y compris pour la recherche des points douloureux (Wolfe et coll., 2010a
). La complexité de ces critères est évidente, et il est peu probable qu’ils soient utilisés en pratique courante notamment par les médecins généralistes alors que c’était un des objectifs principaux (Kahn et coll., 2013
). Une étude récente menée au Canada auprès des médecins généralistes et de différentes spécialités le confirme (Kumbhare et coll., 2018
). Ils excluent les patients qui ont une pathologie qui pourrait également expliquer les douleurs. Ce critère n’exclut pas une autre pathologie comme une PR mais pose problème dans certaines affections comme les spondyloarthrites axiales ou le syndrome de Gougerot-Sjögren car le clinicien est souvent incapable de différencier les douleurs liées au rhumatisme et les douleurs d’un syndrome fibromyalgique (SFM). On a aussi reproché à ces critères le recrutement exclusivement rhumatologique. L’objectif de ces critères n’est pas seulement diagnostique mais aussi d’évaluer la sévérité des symptômes pour un suivi longitudinal de patients. Ces critères de diagnostic préliminaires sont approuvés par l’ACR, mais nécessitent une validation externe.
Critères diagnostiques préliminaires 2010 modifiés ou critères ACR 2011
Les critères ACR 2011 ont été élaborés par Wolfe et coll. pour mener des études épidémiologiques et de recherche clinique (Wolfe et coll., 2011a
). Ce sont donc des critères de classification présentés sous forme d’un auto-questionnaire ne nécessitant pas l’intervention d’un médecin (tableaux 2.III
et 2.IV
). Ils ont été élaborés à partir des données de la banque nationale américaine des maladies rhumatismales (
US national data bank for rheumatic disease ou NDB). Le recrutement et le diagnostic ont été faits par un rhumatologue à l’inclusion des patients dans cette banque, qui avait eu lieu en moyenne 6,5 ans avant l’évaluation du questionnaire. Les critères ont été testés chez 7 233 patients dont le diagnostic à l’inclusion était FM (729 patients), arthrose ou autre pathologie rhumatologique non inflammatoire (855), lupus (439), et PR (5 210). Par rapport aux critères préliminaires de diagnostic ACR 2010, la principale modification concerne l’évaluation des symptômes somatiques. L’évaluation par le médecin de la présence de symptômes somatiques (liste de 41 symptômes) est en effet remplacée par une question sur la présence lors des 6 derniers mois (au lieu de la dernière semaine) de maux de tête (0 ou 1), de douleurs ou crampes abdominales (0 ou 1), et de dépression (0 ou 1) (tableau 2.III
). Il est précisé pour ce dernier item qu’il se rapporte dans le questionnaire à des symptômes dépressifs ou sentiments ou humeur dépressive, et non pas à une dépression caractérisée. Le score de l’échelle de sévérité des symptômes est la somme du nombre de ces trois symptômes et de la sévérité des trois autres symptômes qui sont fatigue, sommeil non réparateur, et troubles cognitifs, cotée de la même manière que dans les critères ACR 2010. Le score final est toujours compris entre 0 et 12. Par ailleurs est créée dans ces critères l’échelle des symptômes de la FM (FS pour
Fibromyalgia Symptom ou
Fibromyalgianess Scale puis
Fibromyalgia Severity) qui est la somme de l’index de douleurs diffuses (IDD, 0 à 19) et de l’échelle de sévérité des symptômes (0 à 12), et qui va donc de 0 à 31.
Les critères ACR 2011 sont satisfaits chez 60 % des patients diagnostiqués comme atteints d’une FM, chez 21,1 % des patients atteints d’une PR, 16,8 % d’une arthrose, et 36,7 % d’un lupus (Wolfe et coll., 2011a
). Le FS est un continuum, le seuil à 13 séparant le mieux les patients ayant et n’ayant pas les critères diagnostiques d’une FM, avec une sensibilité de 96,6 % et une spécificité de 91,9 %. Le FS mesure l’intensité des symptômes physiques et psychiques et il peut s’utiliser indépendamment de la présence des critères diagnostiques de FM qui peuvent fluctuer dans le temps (Wolfe et coll., 2015
). Un classement en différentes catégories de sévérité a été proposé en fonction du score : aucune (0-3), discrète (4-7), modérée (8-11), sévère (12-19) et très sévère (20-31) (Wolfe et coll., 2015
), mais ce classement n’a pas été validé par d’autres et n’a semble-t-il pas été utilisé dans la littérature.
Wolfe et coll. ont comparé la performance des critères ACR 2010 (basée sur une évaluation effectuée par le médecin) et des critères ACR 2011 (basée sur une évaluation effectuée par le patient) en reprenant la base de données qui avait servi à élaborer les critères ACR 2010 (Wolfe et coll., 2016b
). Sur les 514 patients évalués, 225 remplissent les critères ACR 2011 et 215 les critères ACR 2010 avec 84 cas discordants. La concordance entre les deux critères est de 83,7 % avec un Kappa de 0,67 (substantielle). Le score FS mesuré par les patients et par les médecins est identique, mais il y a des discordances importantes entre médecin et patient au niveau individuel. Donc les critères ACR 2011 ont une concordance acceptable pour la recherche mais insuffisante pour un diagnostic et une décision clinique. Les critères ACR 2011 sont meilleurs pour la recherche car ils multiplient les investigateurs (les patients), alors que les critères ACR 2010 ont moins d’investigateurs car restreints aux médecins, ce qui peut biaiser les résultats. Ces critères ont été validés en langue française (tableau 2.IV
) (Fitzcharles et coll., 2012
).
Tableau 2.III Critères préliminaires de fibromyalgie ACR 2010 modifiés (critères ACR 2011 ; Wolfe et coll., 2011a)
Critères
Un patient satisfait les critères de diagnostic de SFM si les 3 conditions suivantes sont remplies :
1. index de douleurs diffuses (IDD) ≥ 7 et échelle de sévérité des symptômes (SS) ≥ 5 ou IDD entre 3-6 et échelle SS ≥ 9
2. les symptômes sont présents à ce niveau pendant au moins 3 mois
3. le patient n’a pas d’autre pathologie qui pourrait expliquer les douleurs
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Index de douleur diffuse : notez le nombre de zones où le patient a ressenti la douleur au cours de la dernière semaine. Dans combien de zones le patient a eu cette douleur ? Le score sera compris entre 0 et 19.
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Ceinture scapulaire gauche
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Hanche (fesse, trochanter), gauche
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Mâchoire gauche
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Haut du dos
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Ceinture scapulaire droite
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Hanche (fesse, trochanter), droite
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Mâchoire droite
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Bas du dos
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Bras gauche
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Cuisse gauche
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Poitrine
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Cou
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Bras droit
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Cuisse droite
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Abdomen
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Avant-bras gauche
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Jambe gauche
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Avant-bras droit
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Jambe droite
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Score de l’échelle de sévérité des symptômes
Fatigue, se réveiller fatigué (sommeil non réparateur), troubles cognitifs
Pour chacun des 3 symptômes, indiquez le niveau de gravité au cours de la dernière semaine selon le barème suivant :
0 – aucun problème
1 – problèmes mineurs ou légers ; habituellement légers ou intermittents
2 – modérés ; problèmes importants ; survenant fréquemment et/ou à un niveau modéré
3 – sévères ; problèmes continus qui ont un impact important sur la vie
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Symptômes suivants pendant les 6 derniers mois :
– douleur ou crampes abdominales
– dépression
– mal de tête
Le score de sévérité des symptômes est la somme de chaque score de gravité des 3 symptômes (fatigue, se réveiller fatigué, troubles cognitifs), additionnée de la somme des symptômes céphalée, douleurs abdominales et dépression. Le score final est compris entre 0 et 12.
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Tableau 2.IV Critères diagnostiques préliminaires de fibromyalgie ACR 2010 modifiés (ACR 2011), questionnaire français validé (Fitzcharles et coll., 2012)
Questionnaire sur l’échelle de diagnostic et de sévérité de la fibromyalgie
En utilisant l’échelle suivante, veuillez indiquer pour chaque item le degré de gravité des problèmes éprouvés au cours de la dernière semaine en cochant la case appropriée.
0 : Aucun problème
1 : Problèmes mineurs ou légers ; habituellement légers ou intermittents
2 : Modérés ; problèmes importants ; survenant fréquemment et/ou à un niveau modéré
3 : Sévères : problèmes continus qui ont un impact important sur la vie
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Fatigue
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□ 0
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□ 1
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□ 2
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□ 3
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Problème de concentration
ou de mémoire
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□ 0
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□ 1
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□ 2
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□ 3
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Se réveiller fatigué (sommeil peu réparateur)
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□ 0
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□ 1
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□ 2
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□ 3
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Pendant les derniers 6 mois, avez-vous eu les symptômes suivants ?
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Douleur ou crampes intestinales
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□ Oui
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□ Non
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Dépression
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□ Oui
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□ Non
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Mal de tête
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□ Oui
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□ Non
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Douleur articulaire / corporelle
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Veuillez indiquer si vous avez éprouvé de la douleur ou de la sensibilité au cours des 7 derniers jours dans les régions énumérées ci-dessous.
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Veuillez marquer d’un X la case correspondante en prenant soin de préciser s’il s’agit du côté droit ou du côté gauche.
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□ Épaule, gauche
□ Épaule, droite
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□ Haut de la jambe, gauche
□ Haut de la jambe, droit
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□ Bas du dos
□ Haut du dos
□ Cou
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□ Hanche, gauche
□ Hanche, droite
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□ Bas de la jambe, gauche
□ Bas de la jambe, droit
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□ Bras supérieur, gauche
□ Bras supérieur, droit
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□ Mâchoire, gauche
□ Mâchoire, droite
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□ Aucune douleur dans ces régions
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□ Avant-bras, gauche
□ Avant-bras, droit
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□ Poitrine
□ Abdomen
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Vos symptômes sont présents depuis au moins 3 mois : □ Oui □ Non
Évaluation des critères de diagnostic préliminaires ACR 2010 et ACR 2011
En 2016, Wolfe et coll. ont fait une revue critique de 14 études évaluant les critères ACR 2010 pour 4 études (Kim et coll., 2012
; Bidari et coll., 2013
; Moyano et coll., 2015
; Yanmaz et coll., 2016
) et ACR 2011 pour 11 études (Wolfe et coll., 2010a
; Hauser et coll., 2012
; Ferrari et Russell, 2013
; Marcus et coll., 2013
; Usui et coll., 2013
; Bennett et coll., 2014
; Segura-Jiménez et coll., 2014
; Carrillo-de-la-Peña et coll., 2015
; Egloff et coll., 2015
) par rapport aux critères ACR 1990. Cette revue, incluant au total 6 411 patients, a servi de base à la révision des critères ACR (voir paragraphe suivant) (Wolfe et coll., 2016a
). Globalement, les critères ACR 2010 et 2011 ont une sensibilité médiane à 86 % et moyenne à 83 %, et une spécificité médiane à 90 % et moyenne à 86 %. Il faut ajouter à cette revue l’étude récente de Casanueva et coll., qui ont évalué la version espagnole des critères chez 803 patients atteints de FM et 366 patients non atteints de FM (147 atteints de PR et 219 d’arthrose) avec une sensibilité estimée de 85,6 % et une spécificité de 73,2 % (Casanueva et coll., 2016b
). D’autres études publiées n’ont pas été prises en compte dans cette revue en raison d’une qualité méthodologique jugée trop faible par les auteurs (Usui et coll., 2012
; Prateepavanich et coll., 2014
; Jones et coll., 2015
; Wolfe, 2015
). Deux études (une iranienne et une japonaise) ont une sensibilité faible à 59 et 64 %, respectivement (Bidari et coll., 2013
; Usui et coll., 2013
). Les critères d’évaluation de l’étude de Bidari et coll. ont été critiqués, et il a été suggéré que des différences culturelles dans l’évaluation des symptômes pourraient expliquer cette faible sensibilité (Bidari et coll., 2013
; Casanueva et coll., 2016b
; Wolfe et coll., 2016a
). Deux autres études ont une spécificité faible, ce qui indique que de nombreux patients contrôles remplissent les critères de diagnostic de FM (Bennett et coll., 2014
; Egloff et coll., 2015
). Dans l’étude de Bennett et coll., la spécificité est de 67 %, mais Wolfe et coll. font remarquer que le FS était élevé chez les contrôles (11 en moyenne), ce qui est proche du seuil observé dans la FM. Dans l’étude menée par Egloff et collaborateurs, la spécificité est de 60 % (Egloff et coll., 2015
). Dans cette étude ont été inclus 300 patients consécutifs consultant un centre spécialisé pour un syndrome douloureux fonctionnel comme des céphalées de tension, un dysfonctionnement temporo-mandibulaire, des douleurs faciales atypiques, des lombalgies chroniques, des douleurs thoraciques atypiques, des douleurs fonctionnelles gastro-intestinales, ou des douleurs pelviennes chroniques. La population contrôle présentait donc une grande fréquence de douleur régionale (Egloff et coll., 2015
). Pour différencier ces syndromes douloureux régionaux de la FM, un critère de douleurs généralisées a été créé dans la version ACR révisée issue de cette revue de la littérature (Wolfe et coll., 2016a
). Une étude de 284 patients ayant des douleurs chroniques diffuses montre que 65 % remplissent les critères ACR 1990 et 94 % les critères ACR 2010 (On et coll., 2015
).
Révision 2016 des critères ACR de diagnostic
Cinq et six ans après la création des critères préliminaires de diagnostic, Wolfe et coll. les ont révisés (tableau 2.V
) (Wolfe et coll., 2016a
).
La première modification concerne la définition des douleurs diffuses car de nombreux patients atteints d’un syndrome douloureux régional répondent aux critères de FM. Il a donc été introduit un critère supplémentaire de douleurs généralisées, différent du critère « douleurs diffuses » des critères ACR 1990, défini par une douleur d’au moins quatre des cinq régions supérieure droite, supérieure gauche, inférieure droite, inférieure gauche et axiale. Les mâchoires, la poitrine et l’abdomen sont exclus. En conséquence l’IDD est au minimum de 4, contre 3 auparavant.
La seconde modification a pour but de résoudre le problème de l’exclusion des patients qui ont une pathologie pouvant expliquer les douleurs car cette formulation a été considérée comme peu claire (Toda, 2011
). Les recommandations ACR 1990 sont endossées à ce propos : le diagnostic de FM est valide indépendamment d’autres diagnostics, la présence d’autres maladies cliniquement importantes n’excluant plus un diagnostic de FM. Les conséquences de cette modification sont importantes car cela signifie que tout patient remplissant les critères ACR 2016 est diagnostiqué comme atteint d’une FM, et qu’il n’y a plus de faux positif. On peut être atteint d’une FM et d’une autre pathologie mais plus d’une FM OU d’une autre pathologie si les critères de FM sont satisfaits.
Tableau 2.V Révision 2016 des critères diagnostiques de fibromyalgie ACR 2010/2011 (Wolfe et coll., 2016a)
Critères
Un patient satisfait les critères de SFM modifiés 2016 si les 4 conditions suivantes sont remplies :
1. index de douleurs diffuses (IDD) ≥ 7 et échelle de sévérité des symptômes (SS) ≥ 5 ou IDD entre 4-6 et échelle SS ≥ 9
2. douleurs généralisées définies par la présence de douleurs dans au moins 4 des 5 régions. Les douleurs des mâchoires, de la poitrine et de l’abdomen ne sont pas incluses dans la définition de douleur généralisée
3. les symptômes sont présents à ce niveau pendant au moins 3 mois
4. le diagnostic de fibromyalgie est validé indépendamment d’autres diagnostics. Un diagnostic de fibromyalgie n’exclut pas d’autres maladies cliniquement importantes
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(1) Index de douleur diffuse : notez le nombre de zones où le patient a ressenti la douleur au cours de la dernière semaine. Dans combien de zones le patient a eu cette douleur ? Le score sera compris entre 0 et 19.
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Région supérieure gauche (Région 1)
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Région supérieure droite (Région 2)
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Région axiale (Région 5)
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Mâchoire gauche*
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Mâchoire droite*
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Cou
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Ceinture scapulaire gauche
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Ceinture scapulaire droite
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Bas du dos
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Bras gauche
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Bras droit
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Haut du dos
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Avant-bras gauche
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Avant-bras droit
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Poitrine*
Abdomen*
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Région inférieure gauche (Région 3)
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Région inférieure droite (Région 4)
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Hanche (fesse, trochanter), gauche
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Hanche (fesse, trochanter), droite
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Cuisse gauche
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Cuisse droite
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Jambe gauche
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Jambe droite
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* : non inclus dans la définition de douleur généralisée
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(2) Score de l’échelle de sévérité des symptômes
– Fatigue
– Se réveiller fatigué (sommeil peu réparateur)
– Troubles cognitifs
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Pour chacun des 3 symptômes, indiquer le niveau de gravité au cours de la dernière semaine selon le barème suivant :
0 – aucun problème
1 – problèmes mineurs ou légers ; habituellement légers ou intermittents
2 – modérés ; problèmes importants ; survenant fréquemment et/ou à un niveau modéré
3 – sévères ; problèmes continus qui ont un impact important sur la vie
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Le score de l’échelle de sévérité des symptômes est la somme de chaque score de gravité des 3 symptômes (fatigue, se réveiller fatigué, troubles cognitifs) (0-9) additionnée de la somme (0-3) du nombre des symptômes suivants que le patient a ressentis pendant les 6 derniers mois :
(1) maux de tête (0-1)
(2) douleurs ou crampes abdominales (0-1)
(3) dépression (0-1)
Le score final de sévérité des symptômes est entre 0 et 12.
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L’échelle de sévérité de la fibromyalgie (FS) est la somme de l’index de douleur diffuse et du score de l’échelle de sévérité des symptômes (0-31)
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La troisième modification est le fait que l’échelle de sévérité (FS) est ajoutée comme un composant à part entière des critères. Cette échelle mesure l’amplitude de la sévérité des symptômes de FM, et peut s’utiliser indépendamment des critères diagnostiques.
Enfin, l’évaluation par le médecin du poids des symptômes somatiques est remplacée par la notification unique d’une présence de céphalées, de crampes ou de douleurs abdominales, et de dépression durant les six mois précédents. Il n’y a donc plus qu’un seul jeu de critères qui peuvent être remplis soit par le médecin soit par le patient. Les critères ACR 2016 sont valides pour poser le diagnostic de FM en pratique médicale courante lorsque le questionnaire les listant est rempli par le médecin. Le questionnaire rempli par le patient n’est quant à lui pas utilisable pour poser le diagnostic mais l’est pour une classification dans le cadre d’une recherche clinique.
Ablin et Wolfe ont comparé les critères ACR 2016 et 2011 à partir des données de la banque nationale américaine NDB qui comportent les données pour 16 987 personnes (PR : 12 037, maladies non inflammatoires : 2 359, SFM : 1 602, lupus érythémateux systémique : 989) (Ablin et Wolfe, 2017
). Vingt-huit pour cent de ces 16 987 personnes remplissent les critères ACR 2011 et 24 % les critères ACR 2016. La concordance est de 96,2 %. Quatorze pour cent des patients qui remplissent les critères ACR 2011 ne remplissent pas les critères ACR 2016 car ils ne répondent pas au nouveau critère de douleur généralisée. Le meilleur seuil FS de sévérité pour séparer les patients répondant de ceux ne répondant pas aux critères diagnostiques de FM est passé de 13 à 14.
Il est à noter que certains auteurs remettent en question le fait que ces critères reçoivent l’appellation ACR, l’association ne les ayant d’après eux pas approuvés dans leur ensemble (Wang et coll., 2015
).
Autres critères et outils diagnostiques pour le syndrome fibromyalgique
Critères 2013 alternatifs aux critères de l’ACR
Ces critères, également américains, ont été proposés par Bennett et coll. en 2014 (Bennett et coll., 2014
). Cinq rhumatologues, deux spécialistes de la douleur et un psychologue ont recruté 321 patients (135 patients atteints d’une FM répondant aux critères ACR 1990 et 186 contrôles avec des douleurs chroniques variées).
Leurs critères comportent :
• un inventaire des localisations douloureuses sur 28 régions du corps avec un score final entre 0 et 28 ;
• un questionnaire d’impact des symptômes comportant 10 items : le SIQR (
Symptom Impact Questionnaire) correspondant au FIQR (
Revised Fibromyalgia Impact Questionnaire) sans utiliser le terme explicite de FM (Bennett et coll., 2009
; Friend et Bennett, 2011
). Le FIQR est une révision du FIQ qui est utilisée de longue date comme outil d’évaluation de la FM, et qui est validée en français (Perrot et coll., 2003
). Ce questionnaire évalue l’intensité de 10 symptômes par une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 10 : douleurs, fatigue, raideur, sommeil, dépression, mémoire, anxiété, sensibilité au toucher, troubles de l’équilibre, sensibilité aux bruits, à la lumière, aux odeurs et au froid. La somme des 10 items de l’EVA est divisée par 2 pour obtenir le score de symptômes SIQR (0 à 50).
Le diagnostic de FM est retenu lorsque :
1. les symptômes et les localisations douloureuses ont persisté pendant au moins 3 mois ;
2. le score de localisation des douleurs est supérieur ou égal à 17 ;
3. le score des symptômes FIQR est supérieur ou égal à 21.
La sensibilité de ces critères par rapport aux critères ACR 1990 est de 80 %, la spécificité de 80 %. Cependant, ces critères ont été peu utilisés dans la littérature.
Critères diagnostiques AAPT 2018
Un groupe de travail sur la FM, international et multidisciplinaire, a été créé à l’initiative de l’
American Association of Physics Teachers (AAPT) dans le cadre du programme
ACTTION-APS Pain Taxonomy pour élaborer des critères diagnostiques (Arnold et coll., 2018
). ACTTION (
Analgesic, Anesthetic, and Addiction Clinical Trial Translations Innovations Opportunities and Networks) est un partenariat public-privé entre la
United States (US) Food and Drug Administration (FDA) et l’
American Pain Society (APS). Les critères diagnostiques ont été élaborés à partir d’une revue de la littérature, de réunions de consensus et de l’analyse de banques de données de population créées au Royaume-Uni. Le choix, la définition et la combinaison des critères minimaux pour définir une FM devaient être compatibles avec la prévalence de la FM dans la population, estimée par les études qui ont utilisé les critères ACR 1990.
Pour le diagnostic de FM il faut :
• des douleurs multi-sites dans au moins 6 régions sur 9 (tête, bras droit, bras gauche, thorax, abdomen, haut du dos et rachis, bas du dos et rachis incluant les fesses, jambe droite, jambe gauche) ;
• des troubles du sommeil ou une fatigue jugés de sévérité modérée à sévère par le médecin ;
• les douleurs multi-sites avec fatigue ou troubles du sommeil doivent être présents depuis au moins 3 mois.
La présence d’une autre pathologie n’exclut pas le diagnostic de FM. Cependant une évaluation clinique est recommandée pour évaluer les affections qui pourraient expliquer entièrement les symptômes du patient et/ou contribuer à la sévérité des symptômes.
Ces critères qui ont été publiés très récemment, ont l’avantage de leur simplicité. Ils demandent à être évalués, et l’avenir dira s’ils sont acceptés et utilisés par les médecins pour le diagnostic de FM en pratique courante et pour les travaux de recherche.
Le Fibromyalgia Diagnostic Screen 2012
Le
Fibromyalgia Diagnostic Screen est un outil proposé en 2012 par Arnold et coll. destiné au dépistage de la FM par les médecins généralistes (Arnold et coll., 2012
).
Il comporte :
• un auto-questionnaire portant sur 16 zones douloureuses (divisées en 5 régions : axiale, supérieure droite, inférieure droite, supérieure gauche, inférieure gauche) ;
• un score d’intensité de 6 symptômes (sensibilité au toucher, fatigue, sommeil non réparateur, troubles de la mémoire, dépression, anxiété) ;
• la recherche de points douloureux par le médecin dans 8 sites.
Cet outil a été évalué dans une étude multicentrique de 150 patients atteints de douleurs chroniques (Martin et coll., 2014). Sa sensibilité est de 68 %, sa spécificité de 82 % par rapport aux critères ACR 1990. La sensibilité est inférieure aux critères diagnostiques modifiés ACR 2010 et au LFESSQ (London Fibromyalgia Epidemiology Study Screening Questionnaire, voir ci-dessous), mais sa spécificité est meilleure. Ce questionnaire n’est pas validé en français et a été peu utilisé dans la littérature.
Test de dépistage de Jones (2017)
Les auteurs proposent un test de dépistage de FM chez des patients atteints de douleurs chroniques en soin primaire (Jones et coll., 2018
). Ce dépistage repose sur une question : «
I have a persistent deep aching over most of my body » (« j’ai des douleurs persistantes dans tout mon corps ») et le déclenchement d’une douleur lorsque le médecin pince le tendon d’Achille avec une force de 4 kg pendant 4 secondes. Une réponse positive aux 2 tests dépisterait une FM avec une sensibilité de 64 % et une spécificité de 86 % (diagnostic de FM posé initialement dans son dossier par un médecin sénior). Les performances de ce test de dépistage, très simple et rapide, demandent confirmation.
London Fibromyalgia Epidemiology Study Screening Questionnaire ou LFESSQ (1999)
Ce questionnaire a été développé pour des études épidémiologiques menées par téléphone (White et coll., 1999
). Il comporte 4 questions sur la douleur et 2 sur la fatigue. Il est validé en français (Bannwarth et coll., 2009
).
Fibromyalgia Rapid Screening Tool ou FiRST (2010)
FiRST est un auto-questionnaire français créé par le cercle d’étude de la douleur en rhumatologie (Perrot et coll., 2010
). Il a été évalué chez 162 patients, 92 ayant une FM selon les critères ACR 1990 et 70 une pathologie rhumatologique sans FM (32 PR, 13 arthroses diffuses, 25 spondylarthrites ankylosantes). Le questionnaire comporte 6 questions portant sur l’existence de douleurs diffuses, d’une fatigue, les caractéristiques de la douleur, la présence de sensations anormales non douloureuses, de symptômes somatiques, de troubles du sommeil et de la concentration (tableau 2.VI
). Le patient doit répondre par oui ou par non à chaque question. Le critère est satisfait lorsque la réponse est oui à au moins 5 des 6 questions. La sensibilité de cet auto-questionnaire est de 90,5 et sa spécificité de 85,7 %.
Les performances de FiRST ont été évaluées par 4 études européennes, dont 3 en langue espagnole (Torres et coll., 2013b
; Casanueva et coll., 2016a
; Collado et coll., 2016
; Zis et coll., 2016
). La sensibilité de FiRST comparée aux critères ACR 1990 s’étend de 84 à 92 % et sa spécificité de 55 à 87 %. La faible spécificité (55 %) rapportée dans l’étude de Torres et coll. s’expliquerait par la population contrôle utilisée qui avait des pathologies variées, les patients n’ayant pas de diagnostic de pathologies rhumatologiques préétabli et ceux avec des troubles psychiatriques et des scores d’anxiété et de dépression élevés n’ayant pas été exclus (Torres et coll., 2013b
; Collado et coll., 2016
).
FiRST a également été évalué pour sa capacité à dépister une FM concomitante chez des patients atteints de rhumatismes. Chez 605 patients atteints de rhumatismes inflammatoires divers, les performances, bien qu’un peu moindres, notamment dans les spondyloarthrites, restent acceptables avec une sensibilité de 75 % et une spécificité de 80 % (Fan et coll., 2016
). La valeur prédictive négative de plus de 95 % observée dans cette étude laisse cependant à penser que FiRST est plus performant pour exclure le diagnostic que pour le confirmer. Une autre étude menée sur 172 patients atteints de PR et 122 de sclérodermie montre que la concordance entre les critères ACR 1990 et FiRST n’est pas bonne avec un coefficient kappa à 0,28 et 0,51 (Perrot et coll., 2017
). FiRST a une sensibilité de 44 et 56 % et une spécificité de 84 % et 90 % dans ces deux groupes, respectivement.
Tableau 2.VI Auto-questionnaire FiRST (Perrot et coll., 2010)
Vous souffrez de douleurs articulaires, musculaires ou tendineuses depuis au moins 3 mois. Merci de répondre à ce questionnaire, pour aider votre médecin à mieux analyser votre douleur et vos symptômes. Complétez ce questionnaire en répondant par oui ou par non à chacune des affirmations suivantes :
- mes douleurs sont localisées partout dans tout mon corps
- mes douleurs s’accompagnent d’une fatigue générale permanente
- mes douleurs sont comme des brûlures, des décharges électriques ou des crampes
- mes douleurs s’accompagnent d’autres sensations anormales, comme des fourmillements, des picotements, ou des sensations d’engourdissement, dans tout mon corps
- mes douleurs s’accompagnent d’autres problèmes de santé comme des problèmes digestifs, des problèmes urinaires, des maux de tête, ou des impatiences dans les jambes
- mes douleurs ont un retentissement important dans ma vie : en particulier, sur mon sommeil, ma capacité à me concentrer avec une impression de fonctionner au ralenti.
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L’auto-questionnaire FiRST a l’avantage d’être un outil simple et rapide. Il est bien adapté au dépistage de FM en pratique courante. Il est aussi adapté à des études épidémiologiques et de recherche clinique. Il doit cependant mieux être évalué dans des syndromes douloureux chroniques non rhumatologiques sans diagnostic préalable établi et dans les cas de FM concomitante notamment à un rhumatisme. Certaines questions comportent plusieurs items, et le patient est parfois embarrassé pour répondre de façon binaire.
Fibromyalgia Assessment Status ou FAS (2009)
Le FAS est un auto-questionnaire élaboré par Salaffi et coll. en 2009 via l’étude de 226 patients atteints de FM et 226 de PR (Salaffi et coll., 2009
). Il comporte l’évaluation d’une douleur dans 16 sites non articulaires cotés chacun de 0 à 3. Le score final de douleur de 0 à 48 est transformé en une échelle de 0 à 10 à l’aide d’un nomogramme. Deux questions évaluent la fatigue et les troubles du sommeil par des EVA qui vont de 0 à 10. Le score FAS (0 à 10) est la moyenne des 3 scores douleur, fatigue et troubles du sommeil. Le seuil optimal de 5,7 a une sensibilité et une spécificité pour différencier un SFM d’une PR de 78,8 % et 74,5 % (Salaffi et Sarzi-Puttini, 2012
). Une étude réalisée sur Internet à partir du registre italien IFINET (
Italian FIbromyalgia NETwork) montre qu’il est bien corrélé au FIQ (Iannuccelli et coll., 2011
; Salaffi et coll., 2015
).
FibroDetect®
FibroDetect
® est un auto-questionnaire publié en 2014 (Baron et coll., 2014
). Il a l’avantage d’être pluridisciplinaire (rhumatologues, spécialistes de la douleur, neurologues, psychiatres), européen (France, Allemagne, Grande-Bretagne), et validé en français. Il était composé initialement de 14 questions qui ont été réduites à 9 items. Il est considéré comme positif pour le diagnostic de FM si le score est supérieur ou égal à six. Il a été construit à partir d’une cohorte de 158 patients atteints d’un SFM selon les critères ACR 1990 et 154 patients ayant une autre pathologie douloureuse chronique sans FM. Il a été testé dans une deuxième cohorte de 276 patients douloureux chroniques qui n’avaient pas de diagnostic préétabli et qui ont été classés en 137 patients répondant aux critères ACR 1990 et 139 patients sans FM. La sensibilité est de 77 % et la spécificité est de 61 %.
Cet auto-questionnaire est un outil destiné à aider le médecin généraliste à dépister les patients susceptibles d’avoir une FM et à adresser à un spécialiste. Il est cependant plus long à remplir que FiRST, et il n’est pas accessible à la communauté médicale jusqu’à ce jour. Enfin, il nécessite une validation externe.
Critères de Somatic Symptom Disorder du DSM-V
Les symptômes constitutifs d’un SFM sont également classés dans le DSM-V (
Diagnostic and Statistical Manual 5) dans le sous-groupe des pathologies avec symptômes somatiques (
Somatic Symptom Disorder ou SSD), qui remplace l’item « trouble somatoforme » du DSM-IV (Alciati et coll., 2014
). Il est intéressant de noter que dans cette nouvelle classification, le diagnostic de SSD ne nécessite pas que les symptômes somatiques soient « médicalement non expliqués ».
Dans une étude allemande de 156 patients répondant aux critères ACR 2011 de diagnostic de FM, seuls 25 % ont aussi les critères répondant à ceux d’un SSD du DSM-V (Hauser et coll., 2015
). L’application des critères DSM-V apparaît donc subjective, et leur fiabilité et utilité cliniques sont contestées (Wolfe et coll., 2014
; Hauser et coll., 2015
).
Conclusions
Les critères de classification ACR 1990 ont longtemps été la référence pour définir les patients atteints d’un SFM. Les critères ACR 2016 doivent les supplanter. Cependant les populations décrites par les deux types de critères ne se recoupent pas parfaitement. Par exemple, le sexe-ratio femme/homme est clairement différent, puisqu’il est passé de plus de 10 avec les critères ACR 1990 (Buskila et coll., 2000
; Yunus et coll., 2000
; Hauser et coll., 2011
) à 2 ou 3 avec les critères ACR 2010 (Walitt et coll., 2016
). Ces différences laissent une incertitude pour transposer les données scientifiques établies avec les critères ACR 1990 aux populations remplissant les critères ACR 2016.
Les critères diagnostiques ACR 2016 évalués par le médecin constituent une aide pour le diagnostic de FM et pour évaluer la sévérité dans le temps, tandis que les critères ACR 2016 remplis par le patient, validés en français et à usage de classification, sont adaptés pour les études épidémiologiques et pour la recherche clinique. L’auto-questionnaire FiRST, validé en français, est utile pour le dépistage de la FM en pratique courante.
Les critères de classification et de diagnostic sont largement méconnus par les médecins (Blotman et coll., 2005
; Kumbhare et coll., 2018
). Une étude récente menée au Canada auprès des médecins généralistes et de différentes spécialités montre que les critères ACR 2010 comme les critères ACR 1990, sont mal connus, et que la moitié des médecins interrogés (n = 284) n’utilisent pas les critères ACR mais font davantage confiance à leur perspicacité clinique (Kumbhare et coll., 2018
). Il est donc nécessaire d’améliorer la formation des médecins, la diffusion des critères diagnostiques et d’étudier leur acceptabilité par les médecins généralistes et les spécialités impliquées dans la douleur chronique.
Diagnostic différentiel et fibromyalgie concomitante
L’étude des diagnostics différentiels de la FM est extrêmement complexe pour plusieurs raisons :
• Il n’y a pas d’examen objectif spécifique pour le diagnostic de FM. Les derniers critères ACR 2016 suppriment l’exclusion des patients qui sont atteints d’une pathologie pouvant expliquer les symptômes (Wolfe et coll., 2016a
). Dès lors la spécificité des critères est de 100 % car le diagnostic est établi dès que les critères sont remplis. Un patient peut être atteint d’une FM et d’une autre maladie mais pas d’une FM ou d’une autre maladie. Cependant, il n’en n’est pas ainsi en pratique courante car l’évaluation des symptômes par le médecin reste très subjective ;
• Les symptômes de la FM forment un continuum allant du normal jusqu’au pathologique selon la sévérité des symptômes (Wolfe et Michaud, 2009
; Fitzcharles et coll., 2013a
). Une étude récente menée à partir du NHIS (
National Health Interview Survey) représentatif de la population américaine montre que les trois quarts des patients qui rapportent un diagnostic de FM n’ont pas de symptômes suffisamment sévères pour remplir les critères diagnostiques (Walitt et coll., 2016
) ;
• La proportion de patients remplissant les critères de FM fluctue beaucoup au cours du temps (Walitt et coll., 2011
; Wolfe et coll., 2011c
) ;
• La FM est associée à une multitude de symptômes somatiques fonctionnels, dont une liste non exhaustive est fournie dans les critères ACR 2010 (Wolfe et coll., 2010a
). Certains symptômes sont la composante essentielle d’autres entités disparates qui ont des critères diagnostiques qui leur sont propres, et qui sont fréquemment associées à la FM : syndrome de fatigue chronique, syndrome de l’intestin irritable, dysfonctionnement temporo-mandibulaire, céphalées de tension, etc. (Goldenberg, 2009
; Arnold et coll., 2011
). Toutes ces entités font partie du syndrome de sensibilisation centrale (Neblett et coll., 2013
), récemment renommé
Chronic Overlapping Pain Conditions (COPC) (Hauser et coll., 2018
). Elles ne constituent pas en pratique courante un diagnostic différentiel de la FM. Parfois un symptôme présent au premier plan est partagé avec une pathologie qui n’appartient pas au spectre de syndrome de sensibilisation centrale, comme par exemple la sécheresse buccale ou oculaire dans le syndrome de Gougerot-Sjögren, et cela constitue un problème diagnostique difficile pour le praticien ;
• Les symptômes de FM sont fréquemment associés à de nombreuses pathologies rhumatismales (PR, spondyloarthrite, lupus, syndrome de Gougerot-Sjögren) qui nécessitent des traitements spécifiques. À l’inverse, l’association d’une FM perturbe l’évaluation de ces pathologies, ce qui peut conduire à des inflations thérapeutiques préjudiciables. Il est donc important de ne pas s’arrêter au premier diagnostic posé ;
• De nombreux facteurs environnementaux comme un traumatisme physique, une catastrophe (guerre), une exposition à des agents toxiques, une infection (hépatite C, HIV, maladie de Lyme), sont impliqués dans la survenue de symptômes d’allure fibromyalgique ou dans leur exacerbation (Arnold et coll., 2011
; Atzeni et coll., 2011
). Cela conduit à des problèmes nosologiques pour savoir s’il s’agit de pathologies autonomes ou de sous-groupes de FM.
Les discordances diagnostiques entre praticiens
Les discordances diagnostiques entre médecins généralistes et rhumatologues sont diversement appréciées. Dans l’étude de Fitzcharles et Boulos, le diagnostic de FM est considéré comme incorrect par les auteurs dans les 2/3 des cas en raison surtout d’un sur-diagnostic (Fitzcharles et Boulos, 2003
). Une autre étude retrouve à l’inverse une bonne concordance (kappa 0,70) entre le diagnostic posé par le médecin traitant et celui du rhumatologue (Shleyfer et coll., 2009
).
Un sur-diagnostic de fibromyalgie...
Fitzcharles et Esdaile en 1997 rapportent que sur 321 patients adressés pour FM, 11 avaient une spondyloarthrite dont 5 étaient atteints d’une FM concomitante (Fitzcharles et Esdaile, 1997
). En 2003, la même équipe rapporte que sur 63 patients adressés pour FM à leur centre, 37 (59 %) ont finalement reçu un autre diagnostic : spondyloarthrite (6), pseudopolyarthrite rhizomélique (4), PR (5), tendinite (4), hypermobilité (4), arthrose (7), syndrome anti-phospholipide (1), syndrome de fatigue chronique (1), dépression (1), myopathie (1), radiculalgie (1), douleur chondro-costale (1), et syndrome du défilé thoracique (1) (Fitzcharles et Boulos, 2003
). De même, Shleyfer et coll. rapportent que sur 196 patients adressés pour FM, 44 (soit 22 %) ont reçu un autre diagnostic : arthralgies (27), arthrose (10), tendinite (13), pseudopolyarthrite rhizomélique (PPR, 1), syndrome de Sjögren (1), arthrite (1), autre diagnostic non précisé (4) (Shleyfer et coll., 2009
). Une autre étude a comparé 26 patients consultant pour une FM dans un service de médecine générale de la douleur à 26 patients appariés qui consultaient pour une douleur d’une autre origine (Gittins et coll., 2018
). Seuls 11,5 % des patients diagnostiqués comme atteints d’une FM remplissaient les critères ACR 1990 (et 0 % des contrôles), et 38,5 % (46,1 % des contrôles) les critères ACR 2010 (Gittins et coll., 2018
). Dans l’étude réalisée à partir du NHIS, les 3/4 des personnes qui rapportaient un diagnostic de FM n’ont pas un niveau de sévérité suffisant pour remplir les critères diagnostiques (Walitt et coll., 2016
). Les auteurs de cette étude suggèrent que, chez ces patients, le diagnostic de FM résulterait d’une construction sociale, qui concernerait essentiellement des femmes caucasiennes mariées.
... Mais aussi un sous-diagnostic de fibromyalgie
Dans l’étude menée par Di Franco et coll. sur un groupe de 427 patients atteints de FM (critères ACR 1990) et en excluant une FM concomitante, 57 patients (13 %) avaient été adressés à leur centre pour un autre diagnostic : 16 pour spondyloarthrite (spondylarthrite ankylosante, rhumatisme psoriasique, maladie de Behçet), 13 pour PR et arthrite inclassée, 15 pour connectivite (lupus érythémateux systémique, syndrome de Sjögren et connectivite indifférenciée), et 13 pour d’autres diagnostics variés (arthrose, lombalgie, hépatite C, arthralgie) (Di Franco et coll., 2011
). Dans l’étude de Shleyfer et coll., sur les 159 patients atteints de FM, 20 (13 %) avaient été adressés pour un autre diagnostic : arthralgie (10), PR (1), PPR (1), arthrose (1), arthrite (1), syndrome de Raynaud (1), « anomalie de laboratoire » non précisée (1), et autres (4) (Shleyfer et coll., 2009
). Dans une étude nationale américaine menée sur la cystite interstitielle, parmi les 313 individus contrôles recrutés, 30 répondaient aux critères ACR 1990 de FM. Parmi ces 30 personnes, 23 (soit 77 % d’entre elles) ne déclaraient pas avoir reçu de diagnostic de FM (Warren et Clauw, 2012
). Enfin, dans une étude menée sur le NHIS, seuls 27 % des patients qui répondaient aux critères de FM rapportent avoir reçu ce diagnostic (Walitt et coll., 2016
).
En conclusion, les divergences entre médecins pour le diagnostic de FM sont peut-être plus apparentes que réelles. Les diagnostics alternatifs proposés ne sont pas toujours convaincants (arthralgie, tendinite, arthrose, lombalgie, hyperlaxité...), une FM n’exclut pas une autre pathologie concomitante et inversement, les symptômes de FM peuvent fluctuer dans le temps et les critères peuvent manquer à certaines consultations, le diagnostic de SFM peut aussi avoir été fait par le médecin sans avoir été indiqué au patient.
Diagnostics différentiels de fibromyalgie
Pathologies endocriniennes et métaboliques
Les dysfonctionnements thyroïdiens, surtout l’hypothyroïdie, peuvent être responsables de douleurs diffuses, fatigue, dépression avec un examen clinique normal et réaliser un tableau évocateur d’une FM. C’est pourquoi un dosage de la TSH est recommandé dans le bilan d’une FM (Fitzcharles et coll., 2013a
; Hauser et coll., 2018
).
L’hyperparathyroïdie peut être à l’origine de fatigue, arthralgie, myalgies, troubles du sommeil, symptômes dépressifs, anxiété, trouble de la mémoire, des symptômes qui sont fréquents dans la FM (Costa et coll., 2016
). Plus de 5 % des patients atteints de FM auraient une hyperparathyroïdie mais la fréquence n’est pas différente de celle des patients ayant des douleurs diffuses ou localisées (Ferrari et Russell, 2015
; Costa et coll., 2016
). Dans une étude de 2 184 patients opérés d’une hyperparathyroïdie, 4 % avaient une FM. Après l’intervention, 90 % ont vu une amélioration des symptômes attribués à la FM (troubles cognitifs 80 %, fatigue 70 %, douleurs 55 %, symptômes dépressifs 39 %, céphalée 36 %), 84 % ont diminué et 21 % ont arrêté les traitements qu’ils prenaient pour la FM, ce qui suggère que le diagnostic de FM était erroné (Adkisson et coll., 2014
).
Parmi les pathologies métaboliques, l’ostéomalacie et le diabète phosphoré sont à l’origine de douleurs diffuses et de fatigue, et peuvent être confondus avec un SFM (Laroche, 2001
).
Pathologies musculaires
Les pathologies musculaires de type myosite et myopathies constituent rarement un diagnostic différentiel car dans ces maladies, le déficit fonctionnel et non la douleur est au premier plan (Goldenberg, 2009
).
Pathologies du système nerveux périphérique
Les douleurs de type neuropathiques sont estimées fréquentes dans le SFM : 50 à 75 % des patients évalués à l’aide du questionnaire painDETECT (Amris et coll., 2010
; Rehm et coll., 2010
). L’examen neurologique est normal, ce qui n’exclut pas une neuropathie des petites fibres, un syndrome associé à différentes pathologies notamment le diabète, le syndrome de Gougerot-Sjögren ou l’hépatite C. Dans certaines études, près de 50 % des patients atteints d’un SFM auraient une neuropathie des petites fibres, ce qui mène leurs auteurs à préconiser de la rechercher systématiquement chez les patients atteints de FM par une biopsie cutanée (Oaklander et coll., 2013
; Levine et Saperstein, 2015
; Grayston et coll., 2019
). Cependant, les liens entre SFM et neuropathies des petites fibres demandent à être précisés (voir également chapitre « Neurobiologie de la douleur chronique dans la fibromyalgie et biomarqueurs »).
Pathologies du système nerveux central
Un syndrome parkinsonien et surtout une sclérose en plaques à l’origine de douleurs diffuses et de fatigue importante peuvent être un diagnostic différentiel de FM (Goldenberg, 2009
; Fitzcharles et coll., 2018
). Dans les rares cas où un doute diagnostique existe, un avis neurologique s’avère nécessaire.
Hyperlaxité articulaire
L’hyperlaxité ou hypermobilité articulaire, qui désigne une souplesse excessive des articulations, est une manifestation non pathologique qui concerne 2 à 57 % de la population en fonction de l’âge, du sexe et de l’origine ethnique (Syx et coll., 2017
). Un faible pourcentage des individus (environ 3 %) a des douleurs articulaires chroniques et un syndrome d’hypermobilité articulaire bénigne défini par les critères de Brighton (Hauser et coll., 2017
). L’hyperlaxité est aussi une composante de maladies génétiques rares comme le syndrome de Marfan ou les syndromes d’Ehlers-Danlos qui comprennent de nombreux sous-types (Malfait et coll., 2017
). Le sous-type 3 ou hypermobile (hEDS), défini par les critères de Villefranche et qui représente 80 à 90 % des syndromes d’Ehlers-Danlos, n’est pas caractérisé sur le plan génétique (Baeza-Velasco et coll., 2018
). Ce sous-type est source de confusion ; il est très proche du syndrome d’hypermobilité articulaire bénigne et beaucoup d’auteurs considèrent qu’il s’agit de la même entité (Syx et coll., 2017
). De nouveaux critères plus restrictifs de hEDS ont été proposés en 2017 (Malfait et coll., 2017
). Les patients ne remplissant pas ces critères sont classés comme atteints de trouble du spectre de l’hypermobilité (
Hypermobility Spectrum Disorder ou HSD) (Syx et coll., 2017
).
Les patients avec syndrome d’hypermobilité articulaire ont des douleurs généralisées qui diffusent largement au-delà des articulations, un abaissement du seuil de la douleur, une fatigue importante, de multiples symptômes gastro-intestinaux, génito-urinaires, dysautonomiques, et souffrent d’anxiété et de dépression (Smith et coll., 2014
; Scheper et coll., 2017
; Syx et coll., 2017
; Baeza-Velasco et coll., 2018
). Le syndrome implique des mécanismes de sensibilisation centrale, il a de nombreuses similitudes et recouvre en partie le SFM (Hershenfeld et coll., 2016
; Hauser et coll., 2017
; Scheper et coll., 2017
).
Douleurs d’origine médicamenteuse
Certains médicaments peuvent provoquer des douleurs diffuses notamment les statines, les anti-aromatases (qui rappellent alors le syndrome climatérique ; Blumel et coll., 2012
), les biphosphonates, et même les opiacés (Fitzcharles et coll., 2013b
; Hauser et coll., 2017
). Les statines
2
Les statines constituent une famille thérapeutique utilisée pour baisser la cholestérolémie, qui ont comme effets secondaires potentiels des douleurs musculaires.
sont souvent incriminées à tort surtout quand les CPK sont normales. Les douleurs attribuées aux statines doivent disparaître dans les 2 mois après l’arrêt du traitement ce qui est un moyen de les différencier des douleurs du SFM (Hauser et coll., 2017
).
Simulation (malingering)
Selon certains experts, certains patients pourraient simuler les symptômes de la FM ou les exagérer dans le but d’obtenir des avantages potentiels de type pension d’invalidité. Une étude a comparé 106 patients atteints de FM et suspectés de simulation car ils exprimaient des symptômes inhabituels par leur intensité et leur variété, et demandaient une invalidité permanente à la première visite, à 105 patients contrôles atteints de FM (Belenguer-Prieto et coll., 2013
). Les patients suspects de simulation étaient plus âgés, avaient un niveau scolaire plus faible, étaient plus souvent séparés de leur conjoint, et avaient des troubles psychiatriques, définis par le DMS-IV, plus fréquents. Ils avaient davantage de points douloureux et de faux points douloureux, un score de douleurs diffuses et de sévérité des symptômes plus élevé, un score de handicap plus élevé et un seuil d’allodynie plus bas que les patients du groupe contrôle. Des outils sont recherchés et évalués pour aider à identifier une simulation de FM. Ainsi, une autre étude espagnole montre que le profil psychologique évalué par le questionnaire SCL-90-R (
Symptom Checklist-Revised) d’étudiants en psychologie à qui on demande de simuler une FM dans le but d’obtenir une mise en invalidité est différent des patients atteints d’une FM (Torres et coll., 2010
).
Rhumatismes inflammatoires et maladies auto-immunes
Dans une étude menée sur 536 patients atteints d’une FM (critères ACR 1990) qui participent à un programme thérapeutique interdisciplinaire à la Mayo Clinic, 36 (6,7 %) ont un rhumatisme inflammatoire confirmé : arthrite indifférenciée (11), PR (9), connectivite indifférenciée (5), syndrome de Gougerot-Sjögren (3), lupus (2), PPR (2), spondyloarthrite (3), et syndrome des antiphospholipides (1) (Jiao et coll., 2016
). Vingt-trois patients déclarent avoir un rhumatisme qui n’a pas été confirmé par un rhumatologue. Les patients atteints d’un rhumatisme en plus d’une FM ont un score fonctionnel (SF-36) plus altéré dans les composants capacités physiques et douleurs mais pas dans le composant santé mentale. Leurs scores sont moins bien améliorés par le programme thérapeutique que ceux atteints d’une FM seule.
Polyarthrite rhumatoïde (PR)
La PR n’est pas vraiment un diagnostic différentiel de FM. Les symptômes de la PR sont distaux et prédominent aux mains et aux pieds alors que les douleurs de la FM sont diffuses. Une raideur matinale des mains ou une impression de gonflement des doigts est parfois signalée dans la FM, mais le dérouillage matinal est bref (quelques minutes) et l’examen ne montre pas de gonflement articulaire objectif.
Des symptômes d’allure fibromyalgique sont observés chez 5 à 33 % des patients atteints de PR (tableau 2.VII
) (Ranzolin et coll., 2009
; Wolfe et coll., 2011c
; Lee et coll., 2013
; Zammurrad et coll., 2013
; Haliloglu et coll., 2014
; Lage-Hansen et coll., 2016
; Levy et coll., 2016
; Fan et coll., 2017
; Perrot et coll., 2017
; Salaffi et coll., 2017
; Gist et coll., 2018
). Ainsi, la prévalence moyenne de FM chez des patients atteints de PR est estimée à 21 % (4,9-52,4 %) dans une méta-analyse récente (Duffield et coll., 2018
). En fait, la proportion de patients remplissant les critères de FM fluctue beaucoup au cours du temps. Par exemple, 20 % des patients atteints de PR remplissent les critères diagnostiques de FM ponctuellement mais seulement 7,4 % à la dernière observation. Soixante-quinze pour cent des patients classés atteints de FM reversent vers un statut non atteint dans l’année selon une étude menée avec les critères ACR 2011 (Wolfe et coll., 2011c
). L’incidence du SFM chez les patients atteints de PR a été estimée égale à 5,3 % des patients par année dans une étude (Wolfe et coll., 2011c
). L’étude d’envergure menée sur le NHIS montre que 15 % des patients classés FM déclarent avoir une PR contre 2,3 % pour la population générale (Walitt et coll., 2015
). Dans une autre étude de population menée à partir d’une base de données d’une caisse d’assurance maladie des Mormons, parmi 2 595 patients déclarés atteints d’un SFM, 5 % ont une PR avec un risque relatif de 4,5 chez la femme et 6,1 chez l’homme (Weir et coll., 2006
). Le diagnostic de FM peut précéder celui de PR mais son incidence semble maximale dans l’année qui suit le diagnostic de PR (Lee et coll., 2013
; Doss et coll., 2017
). Une prédominance féminine est habituellement notée comme dans la FM primitive, mais Wolfe et coll. rapportent une fréquence comparable chez l’homme et la femme avec les critères ACR 2011 (Wolfe et coll., 2011c
). Les patients atteints de PR qui ont une FM concomitante ont un score d’activité de PR DAS28
3
Le DAS28 est un score utilisé en pratique clinique courante pour mesurer l’activité de la polyarthrite rhumatoïde.
(
Disease Activity Score) plus élevé, en raison d’un grand nombre d’articulations douloureuses et d’une EVA d’activité élevée alors qu’ils ont peu d’articulations gonflées et pas d’inflammation (Joharatnam et coll., 2015
). Cela peut conduire à des inflations thérapeutiques injustifiées, notamment par biothérapie lorsque les symptômes de PR sont confondus avec ceux de FM (Lage-Hansen et coll., 2016
). Les patients atteints de PR qui sont atteints d’une FM concomitante ont un seuil de la douleur abaissé, atteignent rarement les critères de rémission, ont un handicap plus marqué et une moins bonne qualité de vie (Wolfe et Michaud, 2004
; Ranzolin et coll., 2009
; Duran et coll., 2015
; Joharatnam et coll., 2015
; Kim et coll., 2017
; Salaffi et coll., 2017
; Gist et coll., 2018
).
Tableau 2.VII Fréquence de fibromyalgie dans la polyarthrite rhumatoïde (PR)
Référence
|
Nombre de patients inclus
|
ACR 1990
|
ACR 2011
|
Avis médecin
|
Ranzolin et coll., 2009
|
270
|
13,4 %
| | |
Wolfe et coll., 2011c
|
9 739
| |
19,8 %
| |
Zammurrad et coll., 2013
|
138
|
22,4 %
| | |
Haliloglu et coll., 2014
|
197
|
6,6 %
| | |
Lage-Hansen et coll., 2015
|
227
| |
15,4 %
| |
Levy et coll., 2016
|
92
|
15,2 %
| | |
Salaffi et coll., 2017
|
117
| |
17,1 %
| |
Fan et coll., 2017
|
325
|
4,9 %
| |
7,7 %
|
Perrot et coll., 2017
|
172
|
22,1 %
|
19,1 %
| |
Gist et coll., 2018
|
117
|
33,3 %
| |
41,9 %
|
Une étude par IRM cérébrale fonctionnelle de patients atteints de PR remplissant les critères de FM a montré des modifications similaires à celles de patients atteints de FM primitive, ce qui suggèrerait un même mécanisme de sensibilisation centrale d’après les auteurs, même si les signaux observés ne sont pas spécifiques (Basu et coll., 2018
) (voir également chapitre « Neuro-imagerie et neuro-modulation non invasive dans le syndrome fibromyalgique »). D’autres mécanismes, comme le concept de syndrome douloureux articulaire post-inflammatoire, sont proposés (Dougados et Perrot, 2017
). Il est bien établi que les arthralgies peuvent précéder les signes inflammatoires et persister bien après la disparition des arthrites (Altawil et coll., 2016). Des études récentes menées chez la souris suggèrent que les anticorps anti-protéine cyclique citrullinée qui sont très spécifiques de PR, pourraient jouer un rôle dans la nociception via le relargage d’interleukine (IL)-8 par les ostéoclastes (Wigerblad et coll., 2016
). Ces travaux apportent un éclairage différent pour expliquer des arthralgies en l’absence d’inflammation, et ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles.
Le dépistage d’une FM concomitante revêt donc une grande importance dans la prise en charge de la PR. Lorsque le DAS 28 est élevé, une différence importante entre le nombre d’articulations douloureuses et le nombre d’articulations gonflées (≥ 7) doit attirer l’attention. Elle peut être due à des destructions articulaires ou à un SFM concomitant, deux situations ou l’intensification du traitement médicamenteux spécifique de la PR n’est pas appropriée (Pollard et coll., 2010
; McWilliams et Walsh, 2017
).
Les spondyloarthrites
Contrairement à la PR, les spondyloarthrites, en particulier les spondyloarthrites axiales non radiographiques (nr-axSpA) chez la femme, constituent un véritable diagnostic différentiel de la FM. Douleurs diffuses à prédominance axiale, fatigue, troubles du sommeil, sont communs aux deux affections (Wendling et Prati, 2016
). De plus, des enthésites (inflammation des insertions des tendons, des ligaments et des capsules sur l’os), caractéristiques des spondyloarthrites, peuvent être confondues avec les points douloureux de la FM, et différencier les formes enthésitiques de rhumatismes psoriasiques de la FM peut être extrêmement difficile même en s’aidant de l’échographie des enthèses (Marchesoni et coll., 2012a
; Marchesoni et coll., 2012b
; Roussou et Ciurtin, 2012
; Marchesoni et coll., 2018
).
Des observations de spondyloarthrite confondue avec une FM ont été rapportées (Fitzcharles et Esdaile, 1997
). La recherche systématique de spondyloarthrite axiale à l’aide des critères ASAS pour
Assessement in Ankylosing Spondylitis (Rudwaleit et coll., 2009
) dans des cohortes de patients atteints de FM donne des résultats discordants : 2 % dans une étude utilisant les critères ACR 1990 et 2010 (Baraliakos et coll., 2017
) et 10 % dans une autre utilisant les critères ACR 1990 (Ablin et coll., 2017
). Le risque est surtout celui d’un sur-diagnostic de spondyloarthrite chez des patients atteints de FM, induisant ainsi un risque de surutilisation de biothérapies. Les critères ASAS de classification des spondyloarthrites axiales sont critiqués (Deodhar, 2016
). Le bras clinique de ces critères permet un diagnostic de spondyloarthrite en l’absence de tout signe objectif si le sujet est HLA-B27. Dans le bras imagerie, les critères ASAS de sacro-iliite en IRM ne sont pas spécifiques, notés par exemple chez 21 % des lombalgies chroniques (Arnbak et coll., 2016
). L’
United States Food and Drug Administration (FDA) a ainsi initialement refusé d’approuver l’utilisation des anti-TNF chez les patients atteints d’une spondyloarthrite axiale non radiographique, contrairement à l’
European Medicine Agency (EMA) (Baraliakos et coll., 2017
).
La difficulté diagnostique est d’autant plus grande que, comme dans la PR, un SFM concomitant semble fréquent chez les patients atteints de spondyloarthrite. Dans la spondylarthrite ankylosante, la fréquence d’une FM concomitante est diversement appréciée avec une fréquence de 4 à 30 % (tableau 2.VIII
) (Almodovar et coll., 2010
; Azevedo et coll., 2010
; Haliloglu et coll., 2014
; Salaffi et coll., 2014
; Baraliakos et coll., 2017
; Fan et coll., 2017
; Macfarlane et coll., 2017b
). La prévalence moyenne pondérée est de 13 % dans une méta-analyse récente (Duffield et coll., 2018
). Les plus grandes divergences concernent la fréquence comparée de FM dans les spondyloarthrites radiographiques et non radiographiques. Certaines études montrent un SFM plus fréquent dans les spondyloarthrites non radiographiques (Fan et coll., 2017
) alors que d’autres ne trouvent pas de différence (Bello et coll., 2016
) ou paradoxalement une fréquence moindre dans le bras clinique des spondyloarthrites non radiographiques (Baraliakos et coll., 2017
; Macfarlane et coll., 2017b
). Les auteurs tirent argument de ces résultats pour conforter ou au contraire contester les critères ASAS. Dans le rhumatisme psoriasique, la fréquence d’une FM concomittante est estimée entre 8 et 22 %, 18 % en moyenne dans une méta-analyse récente (tableau 2.IX
) (Husted et coll., 2013
; Graceffa et coll., 2015
; Brikman et coll., 2016
; Fan et coll., 2017
; Duffield et coll., 2018
). La plupart des études (Almodovar et coll., 2010
; Haliloglu et coll., 2014
; Salaffi et coll., 2014
; Fan et coll., 2017
) mais pas toutes (Azevedo et coll., 2010
) signalent une plus grande fréquence de FM chez les femmes que chez les hommes atteints de rhumatismes psoriasiques.
Tableau 2.VIII Fréquence de fibromyalgie dans les spondyloarthrites axiales
Référence
|
Nombre de patients
|
Type SpA
|
ACR 1990
|
ACR 2010
|
ACR 2011
|
Avis médecin
|
Almodovar et coll., 2010
|
462
|
SA
|
4,1 %
| | | |
Azevedo et coll., 2010
|
71
|
SA
| |
15 %
| | |
Salaffi et coll., 2014
|
211
|
SA
| | |
12,7 %
| |
|
191
|
RP axial
| | |
17,2 %
| |
Haliloglu et coll., 2014
|
119
|
SA
|
12,6 %
| | | |
Wallis et coll., 2013
|
639
|
SA
| | | |
6,1 %
|
|
73
|
nr-axSpA
| | | |
13,7 %
|
Wach et coll., 2016
|
81
|
axSpA
|
14,8 %
| | | |
|
22
|
p-SpA
|
27,3 %
| | | |
Fan et coll., 2017
|
298
|
SpA
|
11,1 %
| | |
17,5 %
|
|
137
|
SA
|
6,4 %
| | |
7,2 %
|
|
64
|
nr- axSpA
|
23,9 %
| | |
37,3 %
|
Macfarlane et coll., 2017a
|
1 504
|
ax-SpA
| | |
20,7 %
| |
|
1 041
|
SA
| | |
19,7 %
| |
|
398
|
nr-axSpA IRM
| | |
25,2 %
| |
|
65
|
nr-axSpA Clin
| | |
9,5 %
| |
Baraliakos et coll., 2017
|
200
|
ax-SpA
|
14 %
|
24 %
| | |
|
100
|
SA
|
19 %
|
29 %
| | |
|
69
|
nr-axSpA IRM
|
7 %
|
23 %
| | |
|
31
|
nr-axSpA Clin
|
10 %
|
10 %
| | |
Molto et coll., 2018
|
441
|
ax-SpA
|
13,2 %
| | | |
|
46
|
nr-axSpA Clin
|
10,9 %
| | | |
SA : spondylarthrite ankylosante ; RP : rhumatisme psoriasique ; nr-axSpA : spondyloarthrite axiale non radiographique ; p-SpA : spondyloarthrite périphérique ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; Clin : bras clinique.
Tableau 2.IX Fréquence de la fibromyalgie dans le rhumatisme psoriasique en fonction des critères de classification ou de diagnostic utilisés
Référence
|
Nombre de patients
|
ACR 1990
|
ACR 2010
|
Avis médecin
|
Husted et coll., 2013
|
631
| | |
22 %
|
Graceffa et coll., 2015
|
74
|
16 %
| | |
Brikman et coll., 2016
|
73
|
8,2 %
|
16,4 %
| |
Fan et coll., 2017
|
59
|
9,6 %
| |
13,5 %
|
Les patients qui sont atteints d’une spondyloarthrite et d’un SFM ont un score d’activité, notamment BASDAI (
Bath Ankylosing Spondylitis Disease Activity Index), et de handicap, notamment BASFI (
Bath Ankylosing Spondylitis Functional Index), plus haut, une qualité de vie plus altérée et davantage d’arrêts de travail que les patients sans FM. Ils reçoivent plus souvent une biothérapie dont l’efficacité semble moindre (Wendling et Prati, 2016
; Mease, 2017
). Cependant, dans une étude prospective menée sur 508 patients atteints de spondyloarthrite axiale, les patients qui sont atteints d’une FM définie par le questionnaire FiRST ou les critères ACR 1990 ont des scores d’activité plus hauts mais la réponse aux anti-TNF n’est pas significativement différente des patients non atteints de FM (Molto et coll., 2018
). L’expression des spondyloarthrites diverge en fonction du genre : les femmes ont des scores d’activité et de handicap plus hauts alors que les signes radiographiques et d’IRM sont moindres (Tournadre et coll., 2013
). Cette différence pourrait s’expliquer par l’existence d’une forme particulière de spondyloarthrite féminine de type
fibromyalgia-like ou par l’association d’une FM à la spondyloarthrite.
Les liens complexes entre FM et spondyloarthrite sont sources de difficultés pour le diagnostic et l’évaluation de l’activité en pratique courante, et des outils pour le diagnostic et l’évaluation plus performants sont nécessaires.
Syndrome de Gougerot-Sjögren
La triade sécheresse – fatigue – douleur est caractéristique du syndrome de Gougerot-Sjögren primitif, une maladie auto-immune systémique rare qui se caractérise par une atteinte des glandes lacrymales et salivaires à l’origine d’un syndrome sec par manque de larmes et de salive, parfois associée à des manifestations systémiques (Mariette et Criswell, 2018
). Cette triade est aussi très fréquente dans le SFM, plus du tiers des patients se plaignant d’une sécheresse (Wolfe et coll., 1990
). Cependant dans une étude menée sur 285 patients atteints d’un SFM, sur les 40 patients qui rapportent une sécheresse oculaire, une kérato-conjonctivite sèche n’est confirmée que chez 15, dont 7 consomment des antidépresseurs (un traitement connu pour un tel effet secondaire) et 4 ont une blépharite chronique (Gunaydin et coll., 1999
). Les syndromes secs sans signe dysimmunitaire et sans étiologie sont souvent désignés sous le terme de SAPS (pour syndrome asthénie – polyalgie – sécheresse) ou DEMS (pour
Dry Eyes and Mouth Syndrome) et considérés par certains comme des équivalents de SFM (Price et Venables, 2002
; Mariette et coll., 2003
; Champey et coll., 2006
). Si les patients présentant ces syndromes n’ont pas d’autoanticorps anti SS-A ni les anomalies caractéristiques du syndrome de Gougerot-Sjögren à la biopsie des glandes salivaires, ils ont longtemps été confondus avec le syndrome de Gougerot-Sjögren. Si les critères diagnostiques du syndrome de Gougerot-Sjögren permettent maintenant de les différencier, ils constituent un diagnostic différentiel fréquent pour le SFM (Shiboski et coll., 2017
).
Un SFM est présent chez 11 à 31 % des patients ayant un syndrome de Gougerot-Sjögren primitif (Giles et Isenberg, 2000
; Ostuni et coll., 2002
; Priori et coll., 2010
; Iannuccelli et coll., 2012
; Haliloglu et coll., 2014
; Choi et coll., 2016
). Ainsi, 15 % des patients du registre espagnol SJÖGRENSER
4
Registre national de patients avec un syndrome de Gougerot-Sjögren primitif de la société espagnole de rhumatologie.
comprenant 437 patients, sont atteints d’une FM concomitante (Torrente-Segarra et coll., 2017
). Le SFM est associé à un score ESSPRI (
EULAR Sjögren’s Syndrome Patient Related Index) élevé (évaluation par une EVA de douleur, fatigue et sécheresse) (Choi et coll., 2016
; Torrente-Segarra et coll., 2017
). Les patients qui ont des douleurs diffuses ont moins de manifestations systémiques dans certaines études (Ostuni et coll., 2002
; ter Borg et Kelder, 2014
) mais, à l’inverse, le score ESSDAI (
EULAR Sjögren’s Syndrome Disease Activity Index) est plus élevé dans le groupe FM concomitante dans une autre étude (Torrente-Segarra et coll., 2017
).
L’association douleur diffuse – fatigue – sécheresse est donc fréquente et le syndrome de Gougerot-Sjögren en est une étiologie rare qui peut être identifiée par ses critères de diagnostic.
Maladie cœliaque
La maladie cœliaque est une maladie chronique auto-immune de l’intestin déclenchée par la consommation de gluten chez des individus qui ont une prédisposition génétique. La fréquence d’un SFM concomitant a été estimée égale à 9 % dans une étude de 134 patients, et à 11 % dans une autre menée chez 114 patients et qui précise que les symptômes de FM n’ont pas été améliorés par le régime sans gluten (Zipser et coll., 2003
; Tovoli et coll., 2013
). Rodrigo et coll. rapportent 6,7 % de maladies cœliaques chez 104 patients qui répondaient à la fois aux critères de FM (ACR 1990) et à ceux de syndrome de l’intestin irritable, et les symptômes ont été améliorés par le régime sans gluten (Rodrigo et coll., 2013
). Nisihara et coll. ne retrouvent aucun cas de maladie cœliaque chez 94 patients atteints de FM (critères ACR 2010), et Tovoli et coll. en rapportent un chez 90 autres patients (critères ACR 1990), ce qui est une fréquence comparable à celle de la population générale (1 %) (Tovoli et coll., 2013
; Nisihara et coll., 2016
). Ces deux équipes concluent que le dépistage systématique de la maladie cœliaque n’est pas justifié dans le SFM.
L’hypersensibilité au gluten est une nouvelle entité non auto-immune qui décrit des patients ayant des symptômes qui évoquent une maladie cœliaque mais sans avoir d’anticorps anti-transglutaminase ni d’atrophie villositaire. Les patients ont des symptômes évoquant un syndrome de l’intestin irritable, des symptômes digestifs hauts (gastralgies, nausées, aérophagie, pyrosis) et de nombreuses manifestations fonctionnelles extra digestives, notamment : douleurs d’allure fibromyalgique (8 à 31 %), fatigue (23 à 64 %), céphalées (22 à 54 %), dépression (15 à 22 %), anxiété (39 %), troubles cognitifs (34 à 42 %) (Aziz et coll., 2015
). Les troubles digestifs sont fréquents dans la FM (Slim et coll., 2015
) et celui-ci partage de nombreux signes fonctionnels avec l’hypersensibilité au gluten (García-Leiva et coll., 2015
) dont certains sont améliorés par le régime sans gluten (Isasi et coll., 2014
). Dans une étude menée chez des patients atteints d’une FM associée à un syndrome de l’intestin irritable, l’amélioration est surtout notée chez ceux qui ont un infiltrat lymphocytaire intraépithélial sans atrophie villositaire, une manifestation non spécifique qui n’exclut pas une forme débutante de maladie cœliaque (Rodrigo et coll., 2014
; Aziz et coll., 2015
). Une autre étude n’a pas montré de supériorité du régime sans gluten sur un régime hypocalorique (24 semaines) dans l’amélioration des symptômes évoquant une hypersensibilité au gluten chez des patients atteints de FM (Slim et coll., 2017
).
Lupus érythémateux systémique et autres maladies auto-immunes
Le lupus érythémateux systémique (LES) est le prototype des maladies auto-immunes systémiques. Il peut toucher tous les appareils et il s’accompagne de multiples auto-anticorps dont les plus caractéristiques sont dirigés contre les constituants du noyau des cellules. Un SFM a été diagnostiqué chez 32 % des 50 patients atteints de LES étudiés par Iannuccelli et coll., ce qui est une fréquence plus élevée que celle rapportée dans le syndrome de Gougerot-Sjögren (18 % ; Iannuccelli et coll., 2012
). Dans ce travail, la présence d’une FM n’est pas corrélée à l’activité du LES. La fréquence de FM est de 12,6 % chez 67 patients atteints d’un LES dans une autre étude (Haliloglu et coll., 2014
). Sur 439 patients atteints d’un LES dans la base de données américaine NDB, 36,7 % répondent aux critères ACR 2011 de FM (Wolfe et coll., 2011a
). La prévalence est de 6,2 % dans un registre espagnol de 3 591 patients atteints de LES (Torrente-Segarra et coll., 2016
). Dans cette dernière étude, la FM est associée à l’ancienneté du LES et à la présence de symptômes dépressifs, et ces patients ont davantage de photosensibilité, d’aphtes buccaux et un syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire. Dans la base de données de l’assurance maladie des Mormons, 1,7 % des patients déclarés atteints de FM sont également atteints d’un LES avec un risque relatif de 5,8 chez les femmes et 2,1 chez les hommes (Weir et coll., 2006
). Dans l’étude menée sur le NHIS, 1,4 % des patients classés FM déclarent avoir un LES (Walitt et coll., 2015
).
Dans une étude menée sur 122 patients atteints de sclérodermie, 30 % remplissent les critères ACR 1990 et 24 % les critères ACR 2010 révisés, une fréquence un peu plus haute que celle rapportée chez 172 patients atteints de PR (22 et 19 %, respectivement) (Perrot et coll., 2017
). Cependant, la corrélation entre les critères n’est pas bonne, moins de la moitié des patients remplissant les critères ACR 1990 et les critères ACR 2010 révisés. Les patients qui ont une FM concomitante ont un index de masse corporel plus haut, des scores de douleur et de handicap plus importants et ont plus souvent un syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire.
Dans une étude menée sur 30 patients atteints d’un syndrome primaire des antiphospholipides, 16,7 % répondent aux critères ACR 1990 de FM (Costa et coll., 2011
). Les patients ont une qualité de vie altérée, mais les signes du syndrome des antiphospholipides n’ont pas de particularité.
Une FM est aussi plus fréquente dans la sclérose en plaques : 17 % des 133 patients investigués remplissent les critères ACR 1990 dans une étude (Pompa et coll., 2015
). Une autre étude de population menée au Canada montre une prévalence de FM 2 fois supérieure et une incidence augmentée de 44 % dans une population de patients atteints de sclérose en plaques par rapport à la population générale (Marrie et coll., 2012
).
Chez 79 patients atteints de thyroïdite de Hashimoto, 62 % remplissent les critères modifiés ACR 2010 (Haliloglu et coll., 2017
). Plusieurs études rapportent une augmentation de la fréquence des anticorps antithyroïdiens dans la FM. Ainsi, 41 % des 120 patients atteints de FM testés
versus 15 % des contrôles ont au moins un anticorps anti-thyroïdien (Bazzichi et coll., 2007
). D’autres études rapportent également des anticorps anti-thyroïdiens plus fréquents dans les groupes SFM (34 %) ou PR (30 %) que chez les contrôles (19 %) (Pamuk et Cakir, 2007
), et une fréquence des anticorps anti-thyroperoxidase égale à 19 % chez 149 patients atteints de FM testés contre 7 % chez 68 contrôles (Suk et coll., 2012
).
Une fréquence élevée de SFM a aussi été rapportée dans la maladie de Behçet, les vascularites, et la fièvre familiale méditerranéenne (Haliloglu et coll., 2014
).
Conclusion
Une FM concomitante semble particulièrement fréquente dans les rhumatismes inflammatoires et maladies auto-immunes, menant certains auteurs à faire un rapprochement entre maladies auto-immunes et FM (Giacomelli et coll., 2013
; Andreoli et Tincani, 2017
). Quelques équipes ont recherché un SFM concomitant à différentes pathologies notamment auto-immunes et non auto-immunes. Une étude a comparé la fréquence d’un SFM concomitant chez 326 patients qui consultaient dans un service de rhumatologie pour des pathologies diverses (Levy et coll., 2016
). La fréquence est comparable dans la PR, le lupus, des maladies systémiques diverses et l’arthrose (25 à 29 %). La fréquence était plus faible dans les spondyloarthrites (7,8 %) et la PPR (6,2 %). Une autre étude a recherché les critères de FM (ACR 1990) chez 835 patients consultant consécutivement dans un service de rhumatologie. La fréquence rapportée est de 13 % dans le lupus, les spondyloarthrites et le syndrome de Gougerot-Sjögren, de 10 % dans l’arthrose. Elle est moins fréquente dans la PR (6,6 %), la PPR (6,9 %) et la goutte (1,4 %) (Haliloglu et coll., 2014
). Dans l’étude menée par Fan et coll. sur 691 patients consultant en rhumatologie, un SFM (critères ACR 1990) était plus fréquent dans les spondyloarthrites (11,1 %) et les connectivites (11,3 %) que dans la PR (4,9 %) (Fan et coll., 2016
). Une dernière étude réalisée à partir d’une base de données des vétérans américains montre que les patients codés « FM » reçoivent plus souvent un diagnostic de connectivite que les patients ayant des douleurs d’autres origines (Arout et coll., 2018
). Les FM concomitantes semblent donc davantage liées à la présence de douleurs musculosquelettiques qu’à une pathologie auto-immune. Il est important de noter que la plupart des études citées ci-dessus ont été menées par des centres de rhumatologie, induisant certainement un biais de recrutement.
Pathologies infectieuses et fibromyalgie
Infections virales
Fatigue (53 %), arthralgie (23 %), et myalgie (15 %) sont fréquentes dans les hépatites C et peuvent évoquer un SFM (Poynard et coll., 2002
). L’existence d’une association entre hépatite C et FM est débattue (Lormeau et coll., 2006
). Un SFM a été rapporté dans 1,9 à 57 % des cas d’hépatite C (Palazzi et coll., 2016
). Une étude rapporte qu’il est plus fréquent chez les patients ayant une cirrhose due à une hépatite C (35 % avec critères ACR 2011) ou à une stéatose non alcoolique (30 %) que dans les cirrhoses alcooliques (12 %) (Rogal et coll., 2015
). L’augmentation de la prévalence de l’hépatite C dans le SFM n’a pas été confirmée dans d’autres études (Narváez et coll., 2005
; Palazzi et coll., 2016
). Ces liens controversés n’empêchent pas de considérer l’hépatite C comme un diagnostic différentiel du SFM.
Des études anciennes avaient montré une fréquence élevée de SFM chez les patients infectés par le VIH (Cassisi et coll., 2011
). Une étude récente montre que, malgré l’amélioration spectaculaire du traitement de cette infection virale, la prévalence de SFM reste importante chez les patients infectés (22/156, soit 14 %), et qu’il n’y a pas de corrélation avec la charge virale (Dotan et coll., 2016
).
Des études isolées ont également montré une augmentation de la prévalence de FM dans les infections à HTLV1, au virus de l’hépatite B et au parvovirus B19 (Cassisi et coll., 2011
).
Maladie de Lyme
Dix à vingt pour cent des patients traités pour une maladie de Lyme ont une persistance de symptômes fonctionnels non spécifiques tels que douleurs diffuses, fatigue, trouble du sommeil et troubles cognitifs. Ce syndrome appelé maladie post-Lyme ou maladie de Lyme chronique ne répond pas à une antibiothérapie même prolongée et son authenticité est contestée (Berende et coll., 2016
; Melia et Auwaerter, 2016
). Des études anciennes suggèrent une association entre maladie de Lyme et FM (Cassisi et coll., 2011
). Cependant, une étude récente montre que seulement 1 des 100 patients ayant une maladie de Lyme précoce documentée par culture présente une FM 11 à 20 ans après le diagnostic et le traitement de cette maladie, soit une fréquence comparable à celle de la population générale (Wormser et coll., 2015
).
Autres pathologies
Ostéoporose
Deux méta-analyses montrent que la densité minérale osseuse est plus basse au niveau du rachis mais pas au col du fémur chez des patients atteints d’un SFM comparés à une population contrôle (Lee et Song, 2017
; Upala et coll., 2017
). L’étude la plus importante a comparé 205 patients ayant un SFM à 205 contrôles appariés. La densité minérale osseuse de même que le taux de vitamine D n’est pas différent entre les groupes, et le taux de fracture vertébrale est plus élevé chez les témoins (Mateos et coll., 2014
). Les facteurs de risque d’ostéoporose (faible activité physique, ovariectomie, faible nombre de grossesses, plus grande consommation de corticoïdes et d’inhibiteurs de recapture de la sérotonine) mais aussi les facteurs de protection (traitement hormonal, consommation de calcium et de biphosphonate) sont plus fréquents dans le groupe fibromyalgique. Ce nombre important de facteurs divergents rend la population très hétérogène, et peut expliquer les résultats divergents des études menées.
Obésité
L’obésité augmente le risque de FM (Mork et coll., 2010
; Wright et coll., 2010
). La prévalence du SFM chez les obèses a été estimée égale à 28 % (critères ACR 2010) (Arreghini et coll., 2014
), 34 % (critères ACR 1990) et 45 % (critères ACR 2010) (Dias et coll., 2017
). Trente-deux à cinquante pour cent des patients ayant un SFM sont obèses, et 21 à 35 % en surpoids (Ursini et coll., 2011
; de Araujo et coll., 2015
). Les patients obèses ont une symptomatologie fibromyalgique plus sévère (Aparicio et coll., 2013
; Arreghini et coll., 2014
; Kocyigit et Okyay, 2018
). L’association obésité – SFM est donc bien établie mais les mécanismes en cause dans cette relation sont mal connus. D’après une étude coréenne, la sévérité de la FM serait davantage liée aux statuts socio-économiques qu’à l’obésité (Kang et coll., 2016
) (voir également chapitre « Épidémiologie du syndrome fibromyalgique »).
Arthrose
Sur 855 patients qui ont une arthrose dans la base de données américaine NBD des maladies rhumatismales, 16,8 % remplissent les critères ACR 2011 de FM (Wolfe et coll., 2011a
). Pour Haliloglu et coll., cette fréquence est de 10,1 % sur 238 patients étudiés (Haliloglu et coll., 2014
). Dans une cohorte prospective de 464 patients qui ont eu une prothèse de hanche ou de genou pour arthrose, 6,2 % répondent aux critères ACR 2011 de FM. Le score de sévérité de la FM est prédictif d’un mauvais résultat fonctionnel de la prothèse à 6 mois, même chez les patients qui ont un score insuffisant pour que le diagnostic de SFM soit posé (Brummett et coll., 2015
).
Insuffisance cardiaque
Chez 57 patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique étudiés, 22,8 % répondent aux critères ACR 2011 de FM (Gist et coll., 2017
). Ils ont une qualité de vie (SF-36) plus altérée alors que le degré d’insuffisance cardiaque est le même que les patients sans FM.
Conclusion
Si la littérature est abondante sur le SFM concomitant aux maladies rhumatismales, elle l’est beaucoup moins dans les maladies non rhumatismales. Fitzcharles et coll. incitent ainsi les autres disciplines médicales à examiner la prévalence et l’impact du SFM dans les pathologies associées à de la douleur et de la fatigue (Fitzcharles et coll., 2018
).
Conclusions
Les principaux diagnostics différentiels du SFM sont : hypothyroïdie, hyperparathyroïdie, ostéomalacie, diabète phosphoré, prise de certains médicaments (statine, anti-aromatases), syndrome de Gougerot-Sjögren et spondyloarthrite axiale non radiographique, sclérose en plaque, syndrome parkinsonien et polyneuropathies. Lorsqu’on suspecte un SFM, il faut donc faire un examen clinique complet. En dehors des points douloureux à la pression, la présence d’autres signes cliniques doit faire rechercher une autre pathologie (Fitzcharles et coll., 2013a
; Fitzcharles et coll., 2013b
). En cas de doute, un avis spécialisé (rhumatologue, neurologue, médecine interne selon les cas) peut être nécessaire (Fitzcharles et coll., 2013a
; Fitzcharles et coll., 2013b
). Si aucun examen biologique n’est utile pour le diagnostic de SFM, il est cependant justifié de vérifier la normalité de l’hémogramme, VS, CRP, ionogramme, créatinine, transaminases, CPK, TSH, calcémie et phosphorémie pour écarter les diagnostics différentiels. D’autres examens (anticorps antinucléaires, sérologie rhumatoïde...) ne seront réalisés que si la symptomatologie évoque un diagnostic particulier (Arnold et coll., 2011
; Fitzcharles et coll., 2013a
; Fitzcharles et coll., 2013b
).
De nombreuses maladies chroniques, notamment rhumatismales (PR et spondyloarthropathie) et auto-immunes, sont fréquemment associées à un SFM. Le diagnostic de SFM n’exclut pas la possibilité d’une autre maladie. Lorsque l’évolution sous traitement d’un rhumatisme n’est pas celle attendue, il faut rechercher un SFM qui peut perturber l’évaluation de l’activité du rhumatisme et modifier la prise en charge. La distinction entre FM primitive et FM secondaire ou concomitante a été supprimée par les critères ACR 1990 car leur sémiologie est identique, et cette proposition a été finalement confirmée par les critères ACR 2016. Cependant, une étude menée au sein de la Mayo Clinic montre que les patients atteints de SFM qui ont un rhumatisme associé ont des scores fonctionnels plus altérés et répondent moins bien au programme thérapeutique (Jiao et coll., 2016
). Une FM concomitante pose des problèmes spécifiques comme indiqué précédemment, et elle implique peut-être des processus physiopathologiques particuliers (Dougados et Perrot, 2017
). Hauser et coll. proposent d’individualiser un sous-groupe de FM concomitantes à côté d’un sous-groupe de FM associée à des troubles de santé mentale (dépression et anxiété surtout) et de FM associée aux COPC (
Chronic Overlapping Pain Conditions) (Hauser et coll., 2018
).
Sous-groupes de fibromyalgie
La FM définie par les critères diagnostiques résulte de la construction d’un assemblage de symptômes dominés par les douleurs diffuses, la fatigue et les troubles du sommeil et aussi de multiples plaintes fonctionnelles. Dans la population générale, les symptômes constitutifs de la FM forment ainsi un continuum, et il n’est donc pas étonnant de constater une hétérogénéité clinique au sein des patients (Hauser et coll., 2018
). Des efforts sont faits pour tenter d’individualiser des sous-groupes homogènes de patients pour améliorer la qualité des travaux de recherche et surtout pour avoir des approches thérapeutiques plus adaptées.
Définition de sous-groupes par variables
Les facteurs d’hétérogénéité dans la FM sont multiples : démographiques (âge, et notamment l’entité discutée de FM juvénile, genre), présence de facteurs déclenchants (FM post-traumatique par exemple), existence d’une maladie associée (FM concomitante), symptôme au premier plan (notamment anxiété et dépression), association de symptômes, sévérité des symptômes, présence d’une neuropathie des petites fibres, et critères diagnostiques utilisés (Rutledge et coll., 2009
; Silverman et coll., 2010
; Lodahl et coll., 2018
). Dans une étude espagnole, les 459 patients qui remplissent à la fois les critères ACR 1990 et ACR 2011 ont des symptômes plus sévères et une qualité de vie plus altérée que 96 patients qui ne remplissent que les critères ACR 2011 et surtout que les 73 patients qui ne remplissent que les critères ACR 1990 (Segura-Jiménez et coll., 2016b
). À la suite des travaux de Turk et coll. qui avaient proposé d’individualiser 3 sous-groupes de patients sur des caractéristiques biopsychosociales et comportementales, de nombreuses études avec analyse en clusters ont été conduites et ont confirmé une hétérogénéité au sein du SFM (Turk et coll., 1996
; Borchers et Gershwin, 2015
). Ces études ont testé la combinaison de nombreuses variables, le plus souvent recueillies par de multiples auto-questionnaires qui prennent en compte facteurs psychologiques, psycho-sociaux, traits de personnalité, symptômes, comorbidités, caractéristiques de la douleur, points douloureux à la pression, scores de sévérité, de handicap ou de qualité de vie, marqueurs humoraux, inflammatoires et immunitaires, afin de déterminer si des sous-groupes émergent (de Souza et coll., 2009
; Verra et coll., 2009
; Wilson et coll., 2009
; Rehm et coll., 2010
; Calandre et coll., 2011
; Loevinger et coll., 2012
; Docampo et coll., 2013
; Torres et coll., 2013a
; Trinanes et coll., 2014
; Vincent et coll., 2014
; Follick et coll., 2016
; Lukkahatai et coll., 2016
; Salaffi et coll., 2016
; Estévez-López et coll., 2017
; Yim et coll., 2017
; Bartley et coll., 2018
; Hoskin et coll., 2018
). Ces études sont développées en infra ou dans d’autres chapitres.
Des classifications en sous-groupes ont ainsi été proposées. Par exemple, Müller et coll. proposent d’individualiser 4 sous-groupes de FM : un sous-groupe avec extrême sensibilité à la douleur et non associé à des troubles psychiatriques, deux sous-groupes avec dépression et un quatrième sous-groupe de FM résultant d’un processus de somatisation (Müller et coll., 2007
).
Plus récemment, Hauser et coll., de façon pragmatique, proposent 5 sous-groupes (Hauser et coll., 2018
) :
• FM comme un état unique où la douleur et les autres symptômes sont considérés également ;
• FM associée à des troubles de la santé mentale (surtout anxiété et dépression) qui nécessitent une prise en charge spécifique ;
• FM associée à des COPC (cf. infra) ;
• FM associée à une maladie somatique (cf. FM concomitante) ;
• combinaison d’au moins deux sous-groupes.
Comparaison clinique entre hommes et femmes atteints
d’un syndrome fibromyalgique
Peu d’études comparant les hommes et femmes atteints de FM sont disponibles.
En 2000, Yunus et coll. ont étudié 536 patients ayant un SFM (critères ACR 1990), dont 67 (12,5 %) hommes (Yunus et coll., 2000
). Ces derniers ont moins de symptômes, points douloureux, douleurs diffuses, fatigue, sommeil non récupérateur et de symptômes de l’intestin irritable.
La même année, une équipe israélienne a étudié 630 patients atteints de SFM dont 40 hommes (6,3 %) qu’ils ont comparés à 40 femmes appariées sur l’âge et le niveau d’éducation (Buskila et coll., 2000
). Contrairement à la précédente, les hommes dans cette étude ont plus de fatigue, de raideur matinale, de dépression, et de syndrome de l’intestin irritable. Le nombre de points douloureux est identique mais le seuil de la douleur est plus bas chez les femmes. Enfin, les hommes ont une moins bonne capacité fonctionnelle et qualité de vie (QOL-16 et SF-36).
En 2011, une étude allemande a comparé 138 hommes et 885 femmes atteints d’un SFM (Hauser et coll., 2011
). Les patients ont été recrutés au sein d’une association (n = 410, 7,8 % d’hommes), par un département de médecine psychosomatique (n = 403, 13,2 % d’hommes) ou sont issus d’un recrutement rhumatologique (n = 138, 8,9 % d’hommes). Il n’y a pas de différence en fonction du genre pour l’âge, le statut marital, le nombre de sites douloureux, les symptômes somatiques et dépressifs. Dans cette étude, les seules différences identifiées concernent l’ancienneté des douleurs diffuses (homme : 10,6 / femme : 13,6 ans, p = 0,009), l’ancienneté du diagnostic (hommes : 3,7 / femmes : 4,7 ans, p = 0,05) et le nombre de points douloureux (hommes : 14,2 / femmes : 15,7 ans, p = 0,04).
En 2012, une étude espagnole a comparé 24 hommes et 24 femmes appariées atteints de SFM (critères ACR 1990). Les femmes ont des douleurs plus intenses, plus de points douloureux, plus de syndromes dépressifs et un seuil de douleur plus bas. Les hommes ont des douleurs plus anciennes et un handicap physique mesuré par le FIQ plus important (Castro-Sánchez et coll., 2012
).
En 2013, une autre étude espagnole a comparé 21 femmes et 17 hommes atteints de FM et 14 femmes et 18 hommes contrôles (Sánchez et coll., 2013
). Chez les patients atteints de FM, le seuil de la douleur, les scores d’activité physique, les paramètres psychologiques et la qualité du sommeil sont comparables chez les hommes et les femmes. Le seuil de la douleur est plus bas chez les femmes comparées aux hommes dans le groupe contrôle.
En 2016, une étude espagnole a comparé 21 hommes et 367 femmes (5,4 % d’hommes) ayant un SFM (critères ACR 1990) à 53 hommes et 232 femmes contrôles (Segura-Jiménez et coll., 2016a
). Dans le groupe FM, le nombre de points douloureux et le seuil de la douleur ne sont pas différents entre hommes et femmes, alors que le nombre de points douloureux est plus élevé et le seuil plus bas chez les femmes dans le groupe contrôle. Une batterie de tests pour explorer la fatigue, le sommeil, la santé mentale, les performances cognitives et la qualité de vie n’ont pas montré de différences évidentes entre hommes et femmes dans le groupe FM. La différence des douleurs entre patients atteints de FM et les contrôles est plus importante chez les hommes que chez les femmes.
Enfin, une étude américaine réalisée à partir d’une importante base de données de la
Veterans Health Administration (VHA), comprenant en grande majorité des hommes, montre que la proportion de femmes est 3 fois plus importante dans la FM que dans les douleurs chroniques d’une autre origine (Arout et coll., 2018
). Les femmes ont plus souvent des troubles anxieux et de la personnalité, des céphalées, et elles ont plus souvent une connectivite associée. Les hommes ont plus souvent une dépendance à l’alcool et des maladies cardiovasculaires.
Les résultats de ces études sont donc discordants. Certains auteurs l’attribuent à des différences ethnoculturelles (Buskila et coll., 2000
; Hauser et coll., 2011
). Toutes ces études ont utilisé les critères ACR de classification 1990, et il serait nécessaire d’en refaire avec les critères diagnostiques ACR 2016, qui donnent un ratio femme/homme de l’ordre de 2 à 3, et donc différent de celui des critères ACR 1990 qui est supérieur à 10 (Wolfe et coll., 1990
; Wolfe et coll., 2016a
).
Le cas des fibromyalgies post-traumatiques
Quelques études ont évalué le SFM attribué à un traumatisme. Waylonis et Perkins ont étudié 56 patients qui avaient un SFM considéré post-traumatique (accident de voiture : 61 %, accident du travail : 12,5 %, post-chirurgie : 7 %) (Waylonis et Perkins, 1994
). La sémiologie ne diffère pas notablement. Après un suivi moyen de 10 ans, 85 % des patients ont toujours des symptômes de FM qui persistent malgré la résolution du traumatisme initial (Waylonis et Perkins, 1994
). Riberto et coll. ont comparé 48 patients atteints d’un SFM post-traumatique (13 après un accident, une chute ou une agression et 35 attribués à des contraintes physiques liées au travail) et 87 non traumatiques (Riberto et coll., 2006
). Les caractéristiques démographiques et cliniques des deux groupes ne diffèrent pas notablement sauf pour la proportion de patients en activité, plus faible dans le groupe post-traumatique (15 %
vs 25 %) (Riberto et coll., 2006
).
Vincent et coll. rapportent que 328 sur 813 patientes vues consécutivement pour un programme de traitement de FM avaient des antécédents d’hystérectomie 12 ans en moyenne (1-42 ans) auparavant. Ces patientes avaient des scores de sévérité (FIQ, SF-36) plus élevés (Vincent et coll., 2011
). Les auteurs recommandent de rechercher un SFM avant de poser l’indication d’une hystérectomie pour des douleurs pelviennes chroniques et de bien évaluer la possibilité que le SFM soit lui-même la cause des douleurs. Robinson et coll. rapportent que 14 % des 326 patients pris en charge pour des douleurs persistantes après un accident de voiture et un « coup du lapin » remplissent les critères ACR 1990 de FM, mais seulement 8 % si on exclut les douleurs cervicales et des épaules (Robinson et coll., 2011
). À la fin du programme de prise en charge, environ 6 mois après l’accident, 63 % ne remplissent plus ces critères mais 25 % qui ne les avaient pas initialement les ont développés. Dans ce contexte, il faut donc être attentif au risque de surdiagnostic de SFM car les symptômes suggérant ce diagnostic sont souvent transitoires (Robinson et coll., 2011
).
En conclusion, un SFM « post-traumatique » ne diffère donc pas notablement d’un SFM non post-traumatique.
Fibromyalgie associée aux Chronic Overlapping Pain Conditions (COPC)
5
Que l’on peut traduire par conditions douloureuses chroniques intriquées.
La FM est associée à une multitude de symptômes somatiques fonctionnels dont une liste non exhaustive est fournie dans les critères ACR 2010 (Wolfe et coll., 2010a
). Certains symptômes sont la composante essentielle d’entités qui ont leurs propres critères diagnostiques : syndrome de fatigue chronique, syndrome de l’intestin irritable, dysfonctionnement temporo-mandibulaire, céphalées de tension... (Goldenberg, 2009
). Ces entités font partie du syndrome de sensibilisation centrale (Neblett et coll., 2013
), et ont récemment été renommées
Chronic Overlapping Pain Conditions (COPC) par le
US Congress and National Institutes of Health (Hauser et col 2018
; Fitzcharles et coll., 2018
). Les COPC incluent vulvodynie, dysfonctionnement temporo-mandibulaire, syndrome de fatigue chronique, syndrome de l’intestin irritable, cystite interstitielle, FM, endométriose, céphalées de tension, migraine chronique et lombalgies chroniques. Certaines entités, comme les lombalgies chroniques et les dysfonctionnements temporo-mandibulaires, sont probablement hétérogènes et comportent différents sous-groupes aux mécanismes physiopathologiques distincts (Pfau et coll., 2009
; Blumenstiel et coll., 2011
; Alonso-Blanco et coll., 2012
; Gui et coll., 2013
; Gerhardt et coll., 2016
). L’inclusion de l’endométriose dans les COPC est plus controversée, et une étude brésilienne n’a pas montré d’augmentation de fréquence de la FM dans cette pathologie (Nunes et coll., 2014
). En dehors du syndrome de fatigue chronique, la douleur, qualifiée de nociplastique ou dysfonctionnelle, est au premier plan dans les COPC. Elle est diffuse dans la FM et régionale dans les autres syndromes. Ces entités ont une forte tendance à s’associer entre elles et avec le SFM. Par exemple, les critères de FM sont retrouvés chez 23 à 36 % des patients ayant des céphalées de tension, 13 à 51 % un dysfonctionnement temporo-mandibulaire et 20 à 65 % un syndrome de l’intestin irritable tandis que 30 à 70 % des patients ayant une FM ont aussi un syndrome de l’intestin irritable (Slim et coll., 2015
; Hauser et coll., 2018
). Dans une étude qui a utilisé les critères ACR 2010, 67 % des patients ayant une migraine chronique et 26 % des patients ayant des céphalées de tension ont une FM (Cho et coll., 2017
). De plus, céphalées et douleurs abdominales font partie des critères ACR 2016 de diagnostic de FM (Wolfe et coll., 2016a
). Sur 312 patients ayant une cystite interstitielle, 22 % avaient une FM (critères ACR 1990), 20 % un syndrome de fatigue chronique, 27 % un syndrome de l’intestin irritable et 33 % des migraines (Warren et Clauw, 2012
). Dans la population contrôle de cette étude, 130 des 313 personnes évaluées avaient au moins un syndrome parmi syndrome de fatigue chronique, SFM, syndrome de l’intestin irritable, accès de panique et migraine. Chez ces 130 patients, 50 (38,5 %) avaient au moins 2 syndromes et 19 (15 %) en avait 3 ou plus. Cependant, une autre étude ne montre pas d’augmentation significative de la FM, définie par le questionnaire LFESSQ, chez des patientes ayant une cystite interstitielle (Fan et coll., 2014
). Dans une autre étude, 38 % des patients avaient plus d’un syndrome (Neblett et coll., 2013
).
L’association des syndromes a un impact négatif sur la FM. Une étude a montré que les patients qui étaient atteints de SFM associé à des douleurs viscérales (syndrome de l’intestin irritable : 29, dysménorrhée : 31, endométriose : 25, diverticulose : 24) avaient des douleurs de FM plus intenses, un seuil de douleur abaissé et consommaient davantage de médicaments que les 33 patients atteints de FM sans douleur viscérale (Costantini et coll., 2017
). De plus, l’intensité des douleurs et l’hyperalgésie étaient améliorées par le traitement spécifique des troubles viscéraux. Hauser et coll. proposent donc d’individualiser un sous-groupe de SFM associé aux COPC, surtout en raison d’éventuelles implications thérapeutiques (Hauser et coll., 2018
).
Conclusion
L’analyse du SFM pour en identifier des sous-groupes de manière reproductible est un champ en plein développement. Il est ainsi probable que le SFM éclate pour laisser place à des syndromes fibromyalgiques qui pourraient in fine bénéficier de prises en charge distinctes.
Devenir à long terme des patients atteints d’un syndrome fibromyalgique
Les études sur le pronostic à long terme du SFM sont de réalisation difficile et sont peu nombreuses dans la littérature.
Études de la mortalité
La mortalité a été étudiée chez 8 186 patients atteints de SFM recrutés entre 1974 et 2009 aux États-Unis. Ils proviennent du recrutement des auteurs et des patients qui ont accepté ou refusé de participer à la banque de données américaine NDB des maladies rhumatismales (Wolfe et coll., 2011b
). À l’analyse, 539 patients avec FM sont décédés ce qui équivaut à un SMR (
standardized mortality ratio) de 0,90 (IC 95 % [0,61-1,26]) soit une absence de surmortalité par rapport à la population générale. Cependant chez les patients atteints de SFM, il y a plus de décès par suicide (OR : 3,31) et par accident (OR : 1,45) que dans la population américaine. Une étude plus ancienne de 39 patients suivis pendant 10 ans avait montré que 4 patients étaient décédés, 2 par suicide, 1 par accident de la voie publique et 1 d’une pathologie coronarienne (Kennedy et Felson, 1996
).
Une étude finlandaise a étudié le devenir d’une cohorte de jumeaux qui étaient classés en 1990 en 3 groupes selon qu’ils n’avaient pas (n = 4 952), avaient un peu (n = 2 653), ou beaucoup (n = 843) de symptômes de FM. Après 19 ans, elle a montré un taux de mortalité significativement plus élevé (rapport de hasard de 1,4) dans le groupe de patients qui avaient beaucoup de symptômes de FM, mais la différence n’était plus significative après ajustement pour l’usage de tabac, la consommation d’alcool, la dépression et l’index de masse corporelle (Markkula et coll., 2011
).
Les facteurs de risque cardiovasculaire sont pour certains auteurs fréquents dans le SFM (Wolfe et coll., 2010b
) et il faut en tenir compte. Une étude de population menée à Taiwan (47 279 patients avec une FM contre 189 112 contrôles appariés pour l’âge et le sexe) montre que le risque d’accident vasculaire cérébral est augmenté dans le SFM (hors comorbidité) avec un rapport de hasard ajusté de 1,44 (IC 95 % 1,35-1,53, P < 0,001) (Tseng et coll., 2016
). Les raisons de ce risque plus élevé ne sont aujourd’hui pas comprises et cette observation d’importance reste à être confirmée.
Pronostic fonctionnel à long terme
En 1996, Kennedy et Felson ont rapporté le devenir à 10 ans de 39 patients atteints de FM (Kennedy et Felson, 1996
). Tous conservent des symptômes de FM mais les deux tiers considèrent que leurs symptômes se sont améliorés et plus de la moitié disent aller bien ou très bien.
Walitt et coll. ont étudié le devenir à long terme de 1 555 patients atteints de SFM (critères ACR 2011) inclus dans la banque NDB et suivis par des rhumatologues (Walitt et coll., 2011
). Le suivi atteint 11 ans, et il est en moyenne de 4 ans. Globalement, le score de sévérité FS s’améliore légèrement, surtout dans la première année. Initialement, il était en moyenne à 22,7 ± 4,8 et il s’est amélioré de 1,8 en 5 ans. Les scores de douleur, de fatigue, les symptômes fonctionnels, la dépression et la fonction globale (HAQ) entre la première et la dernière visite sont peu différents. Il y a cependant beaucoup de variations à l’échelon individuel. Quarante-quatre pour cent des patients ne remplissent plus les critères de FM à au moins une visite durant le suivi, mais la moitié de ces patients les remplissent à nouveau à la visite suivante. Dix pour cent des patients ont une amélioration franche (plus de 50 % d’amélioration du FS), 15 % ont une amélioration modérée et 36 % ont une aggravation du score de sévérité FS. L’effet de la prise en charge proposée n’a pas été exploré dans ce travail.
Des auteurs finlandais ont étudié le devenir de 42 patients atteints de SFM diagnostiqués en 1986 d’après les critères de Yunus (Isomeri et coll., 2018
). Vingt-six ans après, ils ont pu recontacter 28 de ces patients. Onze pour cent étaient guéris, 26 % ont eu des périodes prolongées (supérieures à un an) sans symptômes. Les patients rapportent une aggravation de la fatigue et des troubles du sommeil mais pas de la douleur. Cependant la fonction évaluée par le HAQ ne s’est pas détériorée alors qu’ils ont 26 ans de plus, peut-être parce qu’ils avaient une activité physique régulière (Isomeri et coll., 2018
).
Conclusion
La FM ne semble pas augmenter la mortalité. Il faut cependant être attentif aux facteurs de risque (tabac, alcool, dépression, obésité) qui sont plus fréquents dans le SFM. Des périodes de rémission prolongées sont possibles. Le plus souvent les symptômes persistent mais sans entrainer obligatoirement une détérioration des capacités fonctionnelles. L’analyse de la littérature montre que des études complémentaires sur le devenir à long terme sont clairement nécessaires.
Conclusion générale
Des critères de classification sont indispensables pour identifier et définir le SFM, afin de développer la recherche et d’harmoniser les pratiques. Si les critères de classification ACR 1990 ont longtemps été la référence, les critères ACR 2016, qui sont aussi des critères de diagnostic, doivent maintenant les supplanter. Cependant leur faible utilisation par les médecins en pratique courante, peut-être en partie due à leur complexité, justifie la quête de nouveaux critères diagnostiques. La FM comporte de multiples symptômes somatiques fonctionnels et elle est fortement associée aux autres composantes du syndrome de sensibilisation central ou COPC (Chronic Overlapping Pain Conditions) telles que le syndrome de fatigue chronique ou de l’intestin irritable, les céphalées de tension, etc. Un syndrome d’allure fibromyalgique est aussi particulièrement fréquent dans les rhumatismes inflammatoires, les maladies auto-immunes et probablement d’autres pathologies douloureuses chroniques. Ces associations compliquent le diagnostic et perturbent l’évaluation de l’activité des pathologies et donc les indications thérapeutiques. L’hétérogénéité du SFM est évidente et l’identification de sous-groupes est nécessaire. Il est aussi indispensable que des travaux de bonne qualité précisent le pronostic à long terme de la FM.
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