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Med Sci (Paris). 35(2): 178–180.
doi: 10.1051/medsci/2019009.

Des lasers au service de l’ophtalmologie

Christophe Baudouin1*

1Centre National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts et Institut de la Vision, IHU FOReSIGHT, 28 Rue de Charenton, 75012Paris, France
Corresponding author.
 

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Vignettes (Photos III. Niklas Elmehed. © Nobel Media).

Organe miniature, véritable concentré d’un organisme complet sur un minuscule volume, l’œil a fait l’objet en quelques décennies de progrès chirurgicaux innombrables, tant techniques que technologiques, dans tous les domaines et toutes les localisations touchées par des pathologies, anomalies, malformations, dysfonctionnements, faisant tout autant reculer les limites de l’inaccessible que révéler de nouvelles barrières et de nouveaux enjeux. Un organe si réduit ne peut qu’exiger une chirurgie parfaite, miniaturisée, utilisant des technologies pointues. La chirurgie est désormais micrométrique, les lasers travaillent à l’échelle de la nanoseconde, et même de la femtoseconde, des systèmes d’aide à la visualisation sont embarqués sur des microscopes opératoires de haute résolution, voire en trois dimensions.

Comme toutes les disciplines chirurgicales, mais certainement bien plus et plus rapidement que la plupart, l’ophtalmologie a bénéficié du foisonnement de l’inventivité humaine dans le domaine médical. C’est donc l’un de ses plus brillants développements technologiques qui vient d’être récompensé par le prix Nobel de Physique, attribué au Français Gérard Mourou, à l’Américain Arthur Ashkin et à la Canadienne Donna Strickland.

Un prix Nobel de physique français, ce n’est pas fréquent ; un prix Nobel qui peut se targuer du fait que ses découvertes ont déjà connu des applications médicales, largement diffusées et utilisées par un public de plus en plus large, c’est d’autant plus rare.

Les lasers femtoseconde ont en effet depuis plusieurs années révolutionné la médecine avec des applications en ophtalmologie, en chirurgie réfractive d’abord, où ces types de lasers sont devenus incontournables, puis en chirurgie de la cataracte, où même s’ils ont encore un peu de peine à s’imposer, ces lasers seront sans nul doute au centre de la chirurgie de demain.

Les lasers au service de la chirurgie oculaire

Les lasers sont largement utilisés en ophtalmologie depuis les années 1980 et ont connu un développement exponentiel avec la multiplicité des technologies et des possibilités thérapeutiques. Plusieurs paramètres vont déterminer l’utilisation d’un laser : la longueur d’onde - les longueurs d’onde courtes étant plus énergétiques -, la puissance, la surface de délivrance et surtout le temps d’administration. Des temps longs, de l’ordre de fractions de secondes, génèrent des effets thermiques, souhaitables pour les traitements rétiniens de photocoagulation ; des temps très courts, de l’ordre de quelques dizaines de nanosecondes ou même de femtosecondes, auront des effets mécaniques et chimiques entraînant une photoablation tissulaire lorsque l’énergie du laser est supérieure à celle des liaisons intermoléculaires, voire, avec des temps de délivrance encore plus courts, une ionisation et une sublimation de la matière, c’est-à-dire la transformation d’un tissu solide en gaz (Figure 1).

Les lasers ont été largement développés pour la chirurgie réfractive avec les lasers excimères qui réalisent une photoablation cornéenne, pour en modeler la forme, l’épaisseur et par conséquent la puissance réfractive. Ils émettent dans l’utraviolet à des fréquences très rapides et délivrent une énergie qui rompt les liaisons entre atomes et entre molécules, réalisant une ablation tissulaire. Plus récemment, les lasers femtoseconde ont complété l’arsenal chirurgical en permettant une ionisation par arrachement des électrons des atomes et vaporisation de la matière en un mélange de gaz et d’ions. Ils fonctionnent dans l’infrarouge avec des impulsions extrêmement courtes, de l’ordre de quelques centaines de femtosecondes, sur une surface d’un micromètre carré. La conséquence sur le tissu est la création de cavités micrométriques utilisables, de par leur juxtaposition, pour sectionner la cornée dans tous les plans géométriques, ou pour fragmenter le cristallin. Ces lasers se sont généralisés en chirurgie réfractive, ils peuvent aussi être utiles pour les greffes de cornée, et la mise au point d’algorithmes de délivrance de plus en plus rapides devraient en faire les bistouris de demain et les rendre incontournables dans un proche avenir pour un nombre croissant d’actes chirurgicaux.

La chirurgie réfractive : des incisions cornéennes au SMILE

Les troubles de réfraction, ou amétropies, sont les causes les plus fréquentes et les plus banales de mauvaise vision : myopie, hypermétropie, astigmatisme et presbytie, qui touchent dès l’enfance ou plus tard dans la vie l’ensemble de la population. La presbytie n’épargne personne et apparaît entre quarante et cinquante ans. On parle également désormais « d’épidémie » de myopie, en particulier chez les Asiatiques pour lesquels des études montrent, par exemple, que 90 % des enfants de Singapour sont touchés. La correction optique la plus banale se fait par lunettes ou par lentilles de contact mais, depuis longtemps, des techniques chirurgicales et des appareillages de plus en plus sophistiqués ont été développés, la technologie n’ayant fait que s’accélérer dans les 20 dernières années, depuis les incisions cornéennes radiaires des pionniers de l’ère pré-laser.

La technique la plus développée est celle dite de LASIK (laser-assisted in situ keratomileusis). Elle permet une ablation tissulaire à l’intérieur même du stroma cornéen après la réalisation d’un capot constitué par les couches superficielles et antérieures de la cornée. La section intrastromale a longtemps été réalisée de manière mécanique, à l’aide d’une lame oscillante guidée. Elle est désormais effectuée grâce à un laser femtoseconde capable de transformer la matière en formant des microcavités gazeuses dont la juxtaposition permet de sectionner de manière rapide, en à peine quelques dizaines de secondes, et avec une précision micrométrique, de larges surfaces ou volumes de tissu.

La chirurgie réfractive par LASIK, en particulier par l’association laser excimère/laser femtoseconde, est devenue tellement fiable, précise et reproductible, avec des taux infimes de complications, qu’elle a pu être appliquée à d’autres amétropies : hypermétropie, astigmatisme et presbytie. Pour corriger cette dernière anomalie, il faut créer de la profondeur de champ en faisant bomber la partie centrale de la cornée, ce que des algorithmes de plus en plus précis et sophistiqués sont capables de faire (Figure 2).

Le LASIK expose cependant à quelques effets secondaires liés à la section étendue des nerfs cornéens. De nouveaux lasers femtoseconde sont désormais capables de réaliser des ablations tissulaires intrastromales qui permettent d’extraire le tissu cible par une petite incision arciforme : c’est la technique joliment baptisée SMILE, pour small incision lenticle extraction. D’autres lasers s’associent à la chirurgie de la cataracte pour réaliser des incisions stromales de relaxation qui diminuent le rayon de courbure de la cornée là où elle est trop cambrée, donc là où elle génère un astigmatisme et une déformation de l’image. Des améliorations sont encore attendues grâce à des lasers de plus en plus rapides et précis qui permettront prochainement de transformer et de réduire la matière au sein même de la cornée pour en remodeler la forme sans ouverture traumatisante ou par des incisions de plus en plus petites.

La cataracte : de l’extraction manuelle au laser femtoseconde

Les premières interventions de cataracte remontent à plus de 4 000 ans et consistaient en un abaissement du cristallin devenu blanc et opaque, à l’aide d’instruments pointus qu’on introduisait sans anesthésie dans le globe oculaire. La première extraction du cristallin a été réalisée par le chirurgien français Jacques Daviel en 1750. Après la Seconde Guerre mondiale, cette intervention connut de très nombreux progrès, jusqu’à la phakoémulsification, une technique d’extraction souvent considérée à tort comme une chirurgie au laser, qui consiste à pulvériser le cristallin opacifié par vibration ultrasonique et reste la référence actuelle.

La chirurgie de la cataracte a bénéficié en moins de trente ans d’un extraordinaire foisonnement d’innovations technologiques. La réduction de la taille d’incision autour de 2 mm, voire moins, s’est accompagnée d’une série de révolutions en implantologie de biomatériaux souples et aux propriétés réfractives de plus en plus fiables. En parallèle, le développement des techniques de microablation tissulaire par laser femtoseconde révolutionnait le domaine de la chirurgie réfractive cornéenne. Il ne restait qu’un pas, rapidement franchi, pour faire de ces nouvelles générations de laser une aide supplémentaire adaptée à la chirurgie de la cataracte. Technologie éprouvée, désormais très performante, technologie d’avenir certainement, même si elle peine encore à trouver son présent.

La chirurgie de la cataracte assistée au laser femtoseconde est en effet une innovation majeure. Le laser femtoseconde ne se substitue pas aux ultrasons et ne remplace pas l’extraction par aspiration du cristallin, il en facilite le geste et le rend encore plus précis et reproductible. Lors d’une phase de prétraitement, il permet de préparer l’œil à la chirurgie proprement dite en réalisant les incisions cornéennes, la capsulotomie antérieure et la fragmentation cristallinienne de manière automatisée, sous contrôle d’une imagerie embarquée en temps réel. Ainsi, ces étapes sont-elles effectuées de façon sécurisée, précise et fiable, et la pré-fragmentation cristallinienne réduit la quantité d’ultrasons nécessaires en aval. Il existe actuellement plusieurs technologies de laser femtoseconde disponibles sur le marché. Les différences sont assez modestes et concernent essentiellement la technique d’imagerie ou l’ergonomie, mais leurs caractéristiques technologiques et leurs performances sont très comparables. Certains inconvénients de cette technologie sont encore un frein à son développement : un temps opératoire plus long, une chirurgie plus délicate, ainsi qu’un surcoût élevé. Les bénéfices apportés par cette évolution technologique en feront certainement un outil d’avenir incontournable, nécessitant cependant de concevoir différemment la chirurgie de la cataracte, tant en termes logistiques qu’économiques.

Ainsi, le très prestigieux prix Nobel de Physique vient récompenser les auteurs de découvertes majeures déjà passées dans la pratique courante médicale. Ce n’est pas par hasard que Gérard Mourou a cité dans ses interviews l’ophtalmologie comme une des toutes premières applications de ses travaux, mentionnant à juste titre que de nombreux patients dans le monde peuvent d’ores et déjà en bénéficier. Le monde de l’ophtalmologie et de la vision lui doit admiration et reconnaissance.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.