2008


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Synthèse
La lutte contre le saturnisme en France est désormais un enjeu national. Mise en évidence à la fin des années 1980, cette intoxication de l’enfant à la suite d’une exposition au plomb (en particulier par l’ingestion d’écailles ou de poussières de peintures contenant de la céruse) a fait l’objet, depuis une décennie, de mesures législatives dont les dernières figurent dans la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004.
La loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a rendu obligatoire le signalement des cas de saturnisme infantile (enfants présentant une plombémie égale ou supérieure à 100 µg/l), et le décret du 6 mai 1999 a inscrit le saturnisme infantile sur la liste des maladies à déclaration obligatoire. Depuis quelques années, environ 500 cas de saturnisme sont signalés annuellement.
La prévalence actuelle du saturnisme infantile n’est pas connue. La seule enquête nationale de prévalence du saturnisme infantile, réalisée en 1995-1996, révélait une prévalence estimée à 2 % soit environ 85 000 enfants de 1 à 6 ans inclus ayant une plombémie supérieure à 100 µg/l. Les enquêtes ponctuelles réalisées ici ou là montrent une diminution importante de l’imprégnation des populations d’enfants. Les résultats de la nouvelle enquête 2008-2009 confiée à l’InVS seront importants pour ajuster la démarche de dépistage, en fonction de l’évolution des facteurs d’exposition.
Les actions de dépistage du saturnisme entreprises aux cours des dernières décennies en France sont néanmoins riches d’enseignements. L’analyse des modalités et des résultats de ces actions de dépistage, de l’évolution des recommandations françaises et internationales en la matière et de l’évolution des connaissances sur les effets du plomb constitue un état des lieux dont une synthèse est proposée ci-dessous. De grandes tendances se dégagent qui devraient permettre d’orienter les stratégies de dépistage du saturnisme infantile et de les intégrer dans un programme global de suivi des enfants et de réduction des expositions.

Il semble exister en France une forte baisse de l’imprégnation au plomb des populations depuis une dizaine d’années

Les enquêtes réalisées dans la population adulte de Paris, Lyon, Marseille entre la période 1979-1982 et l’année 1995 montraient déjà une forte diminution de l’imprégnation par le plomb. Chez les enfants, l’enquête nationale réalisée en 1995-1996 évaluait à environ 2 % la proportion d’enfants de 1 à 6 ans ayant une plombémie 3 100 µg/l soit une estimation de 85 000 enfants. On ne dispose pas de données nationales de plombémies chez l’adulte, et chez l’enfant depuis cette enquête, mais différents indicateurs cohérents entre eux semblent indiquer une poursuite de la baisse de l’imprégnation.
D’après les données enregistrées par le système national de surveillance des plombémies (SNSPE) créé en 1995 et mis en œuvre par les Centres anti-poisons et l’InVS, la fréquence des plombémies 3 100 µg/l parmi les enfants testés pour la première fois est passée de 24 % en 1995 à 5,1 % en 2004. Cependant, il faut souligner que la très grande majorité des dépistages ont été réalisés en Île-de-France (61 % des dépistages réalisés France entre 1995 et 2002). Dans cette région, les actions d’éducation sanitaire et d’amélioration de l’habitat ont été importantes dans les secteurs les plus à risque. Par ailleurs, les premiers dépistages ont concerné un ensemble d’enfants très exposés dont on ne s’était pas préoccupé auparavant, alors qu’après quelques années, les dépistages ont concerné les enfants nouvellement exposés au plomb. Il est possible d’étudier finement l’évolution dans le temps du rendement du dépistage dans les régions dans lesquelles l’activité est restée relativement soutenue au cours des années (régions parisienne et lyonnaise) : une baisse du nombre de cas de saturnisme est observée dans ces deux régions et tous les niveaux de plombémies sont concernés.
Dans les campagnes récentes de dépistage systématique menées autour de sites pollués ou encore lors de l’enquête effectuée en 2003-2004 chez les enfants (6 mois-6 ans) venant en consultation ou hospitalisés à l’hôpital d’Argenteuil dans le Val d’Oise, on a trouvé des plombémies moyennes et des prévalences plus basses que celles attendues d’après l’enquête nationale de prévalence 1995-1996. Bien que ces enquêtes ne soient pas représentatives de la population générale, les populations concernées ne semblent pas moins exposées que la population générale.
D’autres arguments en faveur d’une diminution de la prévalence peuvent être trouvés en examinant l’évolution des sources d’exposition de la population générale.
Les actions de démolition et de réhabilitation de l’habitat ancien ont eu très probablement un impact important sur la prévalence du saturnisme dans les populations habitant certaines zones urbaines où il existe de nombreux taudis et où le risque saturnisme était reconnu. On constate une réelle diminution des cas de saturnisme dans ces zones depuis 1995. Ailleurs, l’impact de l’amélioration de l’habitat sur la prévalence du saturnisme est sans doute plus modeste. Cet impact est difficile à apprécier en l’absence de données précises sur l’exposition au plomb dans l’habitat en France.
La diminution de l’usage du plomb tétraéthyle des essences s’est traduite par une diminution drastique de l’émission de plomb dans l’atmosphère, qui est passée de 4 250 tonnes par an en 1990 à moins de 250 tonnes en 2000, année de l’interdiction complète (source Citepa). Les données de mesure de la qualité de l’air dans les principales villes de France montrent la diminution consécutive des concentrations en plomb dans l’air. Certains pays ont mis en évidence l’impact très important de l’abandon de l’essence plombée sur l’imprégnation de leur population. En France, la diminution de l’usage du plomb tétraéthyle est également l’explication principale de la baisse de l’imprégnation des populations urbaines adultes entre la période 1979-1982 et l’année 1995. Depuis 1995, l’exposition au plomb par inhalation de la population générale peut être estimée par les concentrations moyennes de plomb dans l’air qui ont évolué de 0,2 µg/m3 à 0,1 µg/m3 de 1995 à 1999, puis de 0,1 à 0,03 µg/m3 entre 1999 et 2005. Selon une étude de modélisation, l’impact de la disparition du plomb tétraéthyle des essences sur la baisse des plombémies serait modeste sur la période 1995 et 2000, de l’ordre de 3 µg/l ; l’impact aurait été plus important sur la période précédente.
Après le constat de la persistance d’un saturnisme hydrique, notamment dans les Vosges, le ministère de la Santé a incité les distributeurs d’eau potable depuis les années 1980, au traitement des eaux ayant un fort potentiel de dissolution du plomb1 . L’action était d’abord ciblée sur les eaux acides et les eaux faiblement minéralisées. Elle s’est élargie à d’autres types d’eaux au début des années 19902 . La parution du décret du 20 décembre 2001 réduisant la valeur limite de concentration en plomb dans l’eau de 50 µg/l à 25 µg/l (et 10 µg/l en 2013) s’est accompagnée de nombreuses actions pour limiter l’apport hydrique, dont l’obligation pour le distributeur de corriger les caractéristiques chimiques des eaux ayant un fort potentiel de dissolution du plomb, et l’obligation de remplacer les canalisations de branchement3 avant 2013. Dans le cadre du contrôle sanitaire réalisé par les Ddass, le plomb n’est mesuré au robinet du consommateur de façon systématique que depuis 2004, ce qui ne permet pas de connaître les évolutions de l’exposition à partir de cette source d’information.
Les actions relatives aux sites et sols pollués par le plomb se sont intensifiées à partir de l’année 2000, le ministère chargé de l’environnement ayant mis en place une action pluriannuelle pour recenser les établissements fortement émetteurs de plomb et faire diminuer leurs émissions (une circulaire de 2002 en comptait 61). Une action à plus long terme a débuté en 2004 : recensement des sites dont les sols sont potentiellement pollués par le plomb du fait d’activités passées ; réalisation de diagnostics de ces sols ; mesures de dépollution et de protection. Le nombre de sites potentiellement concernés s’élève à plusieurs milliers.
L’apport de plomb par voie alimentaire constitue désormais l’exposition de fond de la population. Sauf cas particuliers, l’alimentation ne peut être à elle seule la cause de plombémies élevées, mais elle peut participer au dépassement du seuil de 100 µg/l chez des enfants exposés modérément à d’autres sources. Les études disponibles (dont les méthodologies sont cependant souvent différentes notamment en termes d’échantillonnage et de limite de quantification des concentrations en plomb dans les aliments) suggèrent des estimations en baisse (diminution d’un facteur 3) de l’apport alimentaire en plomb depuis une quinzaine d’années.

Le saturnisme infantile est presque toujours lié aux peintures au plomb de l’habitat ancien

On ne connaît les sources de forte exposition que par les cas de saturnisme qui sont diagnostiqués. Cette source d’information est évidemment biaisée puisque le diagnostic de cas est lié à l’activité de dépistage, qui est orientée principalement vers le risque habitat. Le rôle respectif exact des différentes sources d’exposition ne peut donc être connu, mais il est admis que les peintures au plomb de l’habitat ancien sont de loin la principale cause des plombémies ³ 100 µg/l et de quasiment toutes celles 3 450 µg/l.
Sur les 492 cas de saturnisme enregistrés par l’InVS en 2005, on peut noter que les facteurs de risque renseignés par les prescripteurs sont en très grande majorité des risques liés à l’habitat. Les autres facteurs de risque sont : une pollution industrielle (18 cas), un risque hydrique (16 cas) ou les loisirs des parents (11 cas). Un nombre significatif de cas concernait des enfants récemment adoptés (17 cas), avec des plombémies légèrement supérieures à 100 µg/l. Les autres facteurs de risque des cas étaient plus anecdotiques (cosmétiques traditionnels, plats à tagine, objet en plomb). Les cas de saturnisme sont diagnostiqués principalement en région Île-de-France, qui est la principale région en termes d’activité de dépistage. Ces enfants habitent en général en habitat collectif (78 %) et leur logement est très souvent suroccupé (64 %). Les familles des enfants diagnostiqués sont très souvent des familles de migrants, qui habitent les logements les plus dégradés : seulement 13,5 % des mères sont nées en France.
Le manque de données sur l’exposition au plomb dans l’habitat fait qu’il n’est pas possible d’estimer le nombre d’enfants effectivement exposés au plomb des peintures, ni le nombre d’enfants intoxiqués par cette source.
Le risque industriel est souvent cité comme une deuxième source de plombémies élevées en France. Les dépistages réalisés autour de sites industriels ont pour certains montré une proportion élevée d’enfants avec une plombémie ³ 100 µg/l (de l’ordre de 13 % autour du site de Metaleurop nord lorsqu’il était en fonctionnement, et jusqu’à plus de 30 % dans la commune sous les vents du site). La proportion de cas de saturnisme parmi les enfants habitant sur d’anciens sites industriels pollués par le plomb est plus faible. Ici également, l’insuffisance de connaissances sur la présence de plomb sur les anciens sites d’activités industrielles fait qu’il n’est pas possible d’estimer le nombre d’enfants intoxiqués par cette source. À noter que les plombémies ont très rarement dépassé 250 µg/l lors de dépistages réalisés autour de sites industriels, même lorsqu’ils étaient en activité.
Concernant le risque hydrique, on constate qu’il y a actuellement très peu de cas de saturnisme pour lesquels l’eau apparaît comme la source principale d’exposition, mais il y a eu très peu de campagnes de dépistage ciblées sur ce risque. Les quelques campagnes réalisées ont eu des résultats qui n’ont pas incité les acteurs de santé à les poursuivre. Le dépistage d’envergure le plus récent (2002-2003) réalisé en Haute-Saône dans des communes ayant plus de 40 % de branchements en plomb et des eaux estimées agressives pour les canalisations donnait une proportion de 8 cas sur 516 plombémies réalisées, soit 1,6 % (il n’y avait pas de sélection individuelle des enfants), avec un seul cas supérieur à 250 µg/l.
Certains enfants qui ne sont pas exposés à un facteur de risque prépondérant peuvent atteindre le seuil de 100 µg/l de plombémie par cumul de sources diffuses : alimentation, eau, poussières domestiques faiblement polluées par le plomb des peintures, sols urbains contaminés par le plomb tétraéthyle des essences... On ne connaît pas l’importance de ce phénomène. Les expositions seraient mieux évaluées si on connaissait les concentrations en plomb dans les sols urbains et les poussières des logements, la proportion de logements avec présence de peinture au plomb, ainsi que la relation statistique entre plomb dans les poussières et plombémie. L’enquête environnementale à domicile projetée par le Centre scientifique et technique du bâtiment, associée à l’enquête de prévalence du saturnisme infantile pilotée par l’InVS, devrait apporter des éléments de réponse à ces questions.

Malgré les efforts d’élargissement, l’activité de dépistage est restée modeste et principalement francilienne

L’activité de dépistage du saturnisme infantile est connue grâce au système national de surveillance des plombémies de l’enfant. Entre 1995 et 2002, les enfants chez lesquels une plombémie a été réalisée en Île-de-France constituaient 60,7 % de l’ensemble des enfants testés pour la première fois en France. Les enfants testés dans les régions Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais et Lorraine représentaient respectivement 12,6 %, 8,9 % et 4,8 %. Près de la moitié des plombémies (48,6 %) ont été effectuées dans les départements de Paris et Seine-Saint-Denis. Les enfants testés résidaient principalement dans 4 communes du département de Seine-Saint-Denis ou dans les arrondissements de l’est parisien. Dans une vingtaine de départements français, le système de surveillance n’a eu connaissance d’aucune plombémie réalisée au cours de cette période. Cette prédominance de la région Île-de-France dans le dépistage s’est poursuivie dans les années plus récentes : en 2004, 62 % des enfants primodépistés résidaient dans cette région.
La pratique actuelle du test de plombémie ne concerne donc en moyenne qu’un petit nombre d’enfants au plan national, avec une forte hétérogénéité géographique : la probabilité pour un enfant d’avoir au moins une plombémie avant l’âge de 7 ans était ainsi en moyenne en France de 0,6 % au cours de la période 1995-2002, le chiffre était de 1,8 % en Île-de-France, mais atteignait 48 % dans une commune de la petite couronne. On enregistre toutefois une nette augmentation de l’activité de dépistage au fil des années : sur la période 1995-2004, le nombre d’enfants primodépistés par année a triplé (de 3 288 à 9 802).
Le « rendement » du test de primodépistage (proportion des plombémies de primodépistage ³ 100 µg/l) a décru de façon constante : il est passé de 24 % en 1995 à 5,1 % en 2004. Parallèlement, le nombre de cas incidents (enfants primodépistés et enfants diagnostiqués au suivi) a diminué entre 1995 (909 cas) et 1998 (561 cas) puis est resté relativement stable aux alentours de 500 cas par an.
Les enfants bénéficiant d’une plombémie appartiennent le plus souvent à des familles d’immigration relativement récente : entre 1995 et 2002, 44 % des parents étaient d’origine subsaharienne et 23 % originaires d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, 21 % étaient originaires d’Europe (dont la France). Ces pourcentages sont très liés à la situation qui prévaut en Île-de-France et sont différents d’une région à l’autre.
Comme dit précédemment, le dépistage est surtout orienté vers le risque habitat : sur la période 1995-2002, le facteur de risque « habitat » était mentionné pour 71 % des enfants testés. Parmi eux, 64 % vivaient dans un habitat antérieur à 1948 et dégradé, 10 % dans un habitat ancien et récemment réhabilité et 26 % dans un habitat ancien sans notion de dégradation ni de réhabilitation. Les facteurs « professions à risque des parents », « loisirs à risque », « risque hydrique » et « environnement industriel » étaient mentionnés respectivement pour 2 %, 3,7 %, 5,1 %, et 3,9 % des enfants testés.
Le constat de l’hétérogénéité géographique du dépistage pose évidemment la question de savoir si le ciblage actuel est légitime et si le nombre d’enfants intoxiqués qui échappent au diagnostic est faible ou massif. Le nombre d’enfants testés en 2004 qui avaient une plombémie ³ 100 µg/l (nouveaux cas ou suivi d’enfants dépistés les années précédentes)4 et enregistrés par le système de surveillance des plombémies était de 842 tous âges confondus, dont 753 âgés de 1 à 6 ans (rapport InVS en cours de publication). Ce chiffre correspond à une prévalence apparente, telle que l’activité de dépistage permet de la mesurer. Il est faible comparé au nombre d’enfants de 1 à 6 ans estimés intoxiqués lors de l’enquête d’imprégnation de 1995-1996 (85 000). Cette différence est explicable à la fois par la baisse probable de la prévalence et par le fait qu’une minorité d’enfants sont testés. Mais on ne peut actuellement faire la part de ces deux explications.

Les recommandations françaises de dépistage ont été plus orientées vers le repérage individuel que vers une approche populationnelle

Dès les débuts du dépistage parisien, les publications sur le sujet exposaient clairement les sources d’intoxication, les caractéristiques des populations touchées ainsi que les méthodes de diagnostic et de prise en charge. L’élargissement du dépistage à la province a été accompagné d’un premier document officiel exposant les stratégies et méthodes de dépistage (guide du Comité technique plomb de 1993). Ce guide indiquait que le repérage des enfants devait être fait principalement sur des facteurs de risque, les signes cliniques étant non spécifiques ou absents. Il distinguait une démarche individuelle et une démarche environnementale « dans le cadre de laquelle, le repérage des risques se fait en fonction d’une cartographie des zones à risque ». Mais le document ne donnait pas de méthode pour la cartographie des zones à risque.
La loi de 1998 a introduit la notion de zone à risque pour l’application des Erap (État des risques d’accessibilité au plomb). Des travaux pour définir ces zones à risque ont été entrepris dans de nombreux départements. L’adoption généralisée par les préfets de zones à risque couvrant l’ensemble du département a freiné les velléités d’utiliser ces travaux pour cibler l’activité de dépistage.
Le guide de l’InVS de 2002 concernant l’étude de la pertinence d’un dépistage autour des sites industriels pollués était destiné à aider les acteurs à décider de l’opportunité d’un dépistage systématique des enfants habitant ou scolarisés à proximité. C’est la seule situation en France où en matière de saturnisme, un dépistage systématique (plombémie) de populations a été conseillé.
La circulaire de la Direction générale de la santé du 3 mai 2002 a été un élément important pour la motivation des Ddass dans la lutte contre le saturnisme. Cette circulaire proposait deux stratégies : le dépistage systématique (plombémie) d’enfants appartenant à des populations surexposées (cas des sites industriels), et le repérage individuel de signes cliniques ou de facteurs de risque de saturnisme.
Le jury de la Conférence de consensus de novembre 2003 distinguait l’approche clinique, dont les limites étaient rappelées (il y a rarement des symptômes apparents), le dépistage systématique de l’ensemble de la population par un test de plombémie, qui était écarté, et le repérage individuel de facteurs de risque (suivi par la prescription d’une plombémie en présence d’un facteur de risque) qui était préconisé. Un chapitre de recommandations conseillait de cibler le repérage de cas sur des quartiers sélectionnés, et un autre chapitre préconisait de recueillir les facteurs de risque chez tout enfant au cours de ses six premières années de vie. C’est cette dernière approche qui est privilégiée dans le guide du dépistage et de la prise en charge publié en 2006 dont une fiche a été reprise dans le guide à l’usage des professionnels de santé qui accompagne le nouveau carnet de santé.
L’inclusion de questions sur le risque d’exposition au plomb dans le nouveau carnet de santé (2006) de l’enfant est une mesure très forte d’incitation pour tous les médecins à rechercher l’existence éventuelle d’un risque d’exposition au plomb chez tout enfant de 9 mois à 6 ans. Ces recommandations vont donc dans le sens d’un repérage individuel systématique des facteurs de risque d’exposition au plomb chez tous les enfants aux âges à risque. Aucune connaissance de facteurs de risque au niveau populationnel n’est évoquée pour aider à ce repérage, sauf en ce qui concerne l’agressivité de l’eau, que le médecin doit chercher à connaître via le service de contrôle des eaux.
Ce repérage individuel systématique est indépendant de toute stratégie de ciblage de populations surexposées. Même si certains documents y font allusion, la stratégie de ciblage de populations n’a pas été approfondie, sauf autour des sites industriels.
L’examen des recommandations de dépistage du saturnisme à l’étranger permet de constater qu’elles ne sont clairement énoncées qu’aux États-Unis, sauf en ce qui concerne le dépistage autour de sites pollués qui est pratiqué dans plusieurs pays. Les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) ont évolué entre 1991 et 1997 dans les recommandations de dépistage : le dépistage systématique qui était préconisé en 1991 a fait place à des recommandations de dépistage soit systématique, soit ciblé individuellement, selon des critères à définir par les autorités locales de santé. Les CDC font des propositions de critères à utiliser en l’absence de recommandations locales. Les médecins doivent prescrire un test de plombémie de façon systématique aux enfants de 1 et 2 ans qui vivent dans des zones présentant une forte densité d’habitat ancien ou connues pour une prévalence élevée de saturnisme, ou bien lorsque l’enfant bénéficie d’un programme d’aide médicale ou d’aide alimentaire. Les autres enfants doivent bénéficier d’un repérage individuel de facteurs de risque conduisant éventuellement à un test de plombémie.

Les acteurs locaux ont utilisé des méthodes diverses pour atteindre les enfants à risque élevé d’exposition

La démarche de recherche systématique de facteurs de risque au niveau individuel lors d’une visite médicale a déjà été pratiquée en routine par certains médecins, notamment par les services de PMI de Paris et de Seine-Saint-Denis. Dans les départements où le risque apparaissait moins présent, les acteurs ont développé des méthodes pour identifier des populations cibles auprès desquelles lancer prioritairement des actions de dépistage. Les méthodes utilisées ont été d’autant plus diversifiées qu’il n’y a pas eu de méthodologie nationale proposée.
Pour le risque présenté par les peintures des habitations, des efforts ont parfois été déployés pour une identification des quartiers à risque, fondée sur la connaissance locale des acteurs sur la qualité de l’habitat ou en utilisant des indicateurs issus du recensement général de la population (date de construction, inconfort, suroccupation…). L’accès aux enfants s’est fait ensuite de diverses façons : repérage individuel des facteurs de risque des enfants des quartiers à risque par les médecins de PMI, en cabinet ou plus rarement à l’école, visite préalable des logements avec éventuellement recherche du plomb, prescription systématique d’une plombémie aux enfants fréquentant les écoles maternelles des quartiers à risque (très rarement).
Une autre approche des enfants exposés au risque habitat a été le signalement aux médecins par l’administration sanitaire et sociale d’adresses ou de familles à risque, qui a été pratiqué assez largement. Les sources d’adresses à risque utilisées sont diverses : signalements par des personnes amenées à visiter les logements, immeubles où des cas de saturnisme ont été dépistés, immeubles déclarés insalubres, Erap et Crep (Constat de risque d’exposition au plomb) adressés au Préfet, logements occupés par des familles avec jeunes enfants ayant fait une demande d’aide au Fonds de solidarité logement… Quelques services (Ddass et SCHS) ont même développé une recherche active d’adresses à risque en organisant une évaluation systématique du risque présenté par les immeubles dans des quartiers anciens dégradés. En général, ces signalements de logements à risque ont été utilisés par les médecins au fur et à mesure qu’ils en prenaient connaissance pour proposer une plombémie aux occupants. La mise en place de véritables fichiers d’adresses à risque mis à disposition des médecins a été moins fréquente.
Les dépistages autour de sites industriels, organisés la plupart du temps par les Ddass avec des moyens spécifiques (médecins, infirmières et lieux d’accueil dédiés à l’opération), se sont développés au fur et à mesure de la découverte de sites pollués par le plomb ou à la suite des rapports d’évaluation du risque réalisés par les industriels à la demande des préfets. La décision de réalisation d’un dépistage systématique a dans certains cas été raisonnée en utilisant des outils de prédiction des plombémies attendues tels que le guide 2002 de l’InVS ou le modèle toxicocinétique IEUBK (Integrated Exposure Uptake Biokinetic Model). Dans d’autres cas, la décision prise par la Ddass a été plus influencée par l’inquiétude de la population ou par la perception des décideurs administratifs et politiques.
Les campagnes de dépistage fondées sur le risque hydrique sont rares. Elles ont ciblé des populations habitant dans des quartiers ou communes où l’eau de distribution avait un potentiel de dissolution du plomb élevé, et pour l’une de ces campagnes, une zone avec un pourcentage de branchements en plomb élevé. Le dépistage des enfants a ensuite été soit systématique, soit guidé par un questionnaire individuel, ou encore par une vérification de la présence d’un branchement en plomb pour l’habitation de l’enfant.
Quelques actions de dépistage ont été ciblées sur les enfants de travailleurs exposés au plomb (fonderies, ferraillage, poterie…). On note également l’existence de tests de plombémie réalisés à l’occasion du bilan médical d’adoption chez des enfants en provenance de certains pays (Haïti, Chine, Russie), qui correspond à des recommandations de l’Agence française de l’adoption.

Les diverses actions de dépistage menées en France paraissent légitimes malgré des résultats parfois décevants

L’analyse des actions de dépistage entreprises en France (résumées en annexe 2) et la présentation de plusieurs expériences permettent de dégager certains points forts.
Les actions de dépistage relèvent de contextes et d’initiatives différents :
• dépistages systématiques en population hors clientèle mais limités dans le temps, référés à une exposition documentée ou suspectée (risque le plus souvent autre qu’habitat) ;
• dépistages systématiques pérennes, référés à une exposition documentée (habitat ou industrielle) ;
• dépistages en clientèle : cette clientèle peut être présumée généraliste (médecins libéraux) ou « spécialisée » (PMI). La plupart du temps, il s’agit d’un repérage individuel plus ou moins systématique de facteurs de risque au sein d’un segment identifié d’une clientèle ;
• dépistages au décours d’un signalement administratif environnemental (Crep/Erap).
Au vu des éléments disponibles, chacune des expériences de dépistage ponctuel ou au long cours mises en œuvre paraît légitime. Ces expériences sont en effet fondées soit sur une nécessité d’exploration épidémiologique (cluster de cas et recherche de cas complémentaires, ou connaissance d’une exposition documentée à un risque et recherche de cas d’intoxications), soit sur une logique clinique étendue à un groupe de population concerné. Aucune action de dépistage mise en œuvre en l’absence d’argumentation précise n’a été repérée.
Par ailleurs, chacun des maîtres d’œuvre des dépistages s’est préoccupé de la prise en charge individuelle des enfants éventuellement intoxiqués. Chaque fois que nécessaire, les questions de prévention collective (réduction des sources d’expositions) semblent abordées, ce qui ne signifie pas qu’elles soient effectivement réglées.
Lorsqu’un dépistage renvoie des résultats essentiellement négatifs, et en présence d’un risque connu et documenté, plusieurs points sont à souligner. Avant d’interpréter définitivement ces résultats, il est nécessaire de vérifier précisément la question des enfants non-inclus. L’absence d’intoxication ne signe en aucun cas l’échec d’un dépistage, ni a fortiori n’en réduit la légitimité : il s’agit d’une donnée épidémiologique en soi, de nature rassurante. On devrait dans ces situations discuter la mise sur pied d’un système de veille permettant de repérer l’apparition ultérieure d’intoxications (par exemple en cas de modifications du contexte social ou environnemental).
La question des effets indésirables des démarches de dépistage est complexe ; son analyse s’appuie sur la perception des acteurs plus que sur des éléments d’analyse factuelle.
Certains effets indésirables sont liés à la réalisation du prélèvement : le prélèvement sanguin est un acte invasif et douloureux, particulièrement chez le jeune enfant. Il ne doit donc être proposé qu’à bon escient. Cet effet indésirable ne peut être supprimé, mais peut être réduit par l’emploi d’un patch analgésique d’une part, et surtout par le recrutement de personnels infirmiers expérimentés en matière de prélèvements chez le jeune enfant.
D’autres effets indésirables sont liés aux résultats du dépistage. Des résultats considérés comme positifs (plombémie ³ 100 µg/l) peuvent être anxiogènes pour la population concernée, de façon très supérieure à la réalité clinique de l’intoxication. Cet effet anxiogène est probablement perceptible :
• à l’échelle individuelle, en particulier dans les cas où la plombémie est « positive » (plombémie ³ 100 µg/l) mais où aucune réponse médicalisée n’est proposée (plombémie inférieure à 250 µg/l) ;
• à l’échelle du groupe social et de ses représentations du risque plomb.
À l’inverse, des résultats strictement négatifs (absence d’intoxication retrouvée, en présence d’un risque repéré) peuvent conduire à un risque de démobilisation. Ce risque de démobilisation concerne chacun des acteurs :
• les familles peuvent réfuter des prélèvements sanguins douloureux, contraignants, lorsqu’ils sont itératifs et non suivis d’intervention ;
• les concepteurs et acteurs du dépistage peuvent interrompre celui-ci de façon inadaptée.
Certains effets indésirables sont liés au processus de dépistage et à la gestion politique de ses conséquences. Le dépistage du saturnisme et la réponse publique aux intoxications repérées présentent-ils le risque de renforcer la ségrégation sociale et urbaine ? Cette question fondamentale doit être posée. Dans les métropoles urbaines, il n’est pas rare que les politiques de relogement des enfants intoxiqués s’accompagnent d’un double mouvement  :
• éloignement des familles concernées vers les communes de périphérie plus largement dotées de logements sociaux ;
• rénovation des centres-villes dégradés au bénéfice de classes sociales plus favorisées et au détriment de celles concernées par l’intoxication.
Dans cette hypothèse, la lutte contre le saturnisme contribue à la ségrégation. Aucun élément quantitatif ne semble disponible permettant d’éliminer cette hypothèse.
Par ailleurs, le relogement prioritaire des seuls enfants atteints par rapport à d’autres enfants exposés à l’insalubrité, dans un contexte de dépistage généralisé, peut contribuer à une forme de « sanitarisation du social », c’est-à-dire à l’effacement d’enjeux sociaux fondamentaux au bénéfice d’une lecture médicalisée des problèmes.

Des indications opérationnelles peuvent être tirées de ces expériences de dépistage

L’analyse des diverses expériences permet de tirer quelques conclusions sur la mise en œuvre d’un dépistage.
Le travail mené dans la Vienne montre qu’il est possible de construire une politique locale de dépistage raisonnée, fondée sur une connaissance quantifiée du risque théorique, à partir d’indicateurs accessibles. Le partage de l’analyse de la situation par les différents acteurs est susceptible de faciliter leur adhésion au protocole de dépistage.
L’expérience de l’Alsace montre que la connaissance fine de sources potentielles d’intoxication (en l’occurrence la pratique de poteries artisanales) et des enjeux perçus du dépistage (économiques ici) permet d’augmenter l’adhésion des familles.
Cependant, ces expériences et d’autres prouvent que des protocoles de dépistage argumentés, fondés sur des diagnostics de risque étoffés (Vienne) ou un chaînage bien construit avec des éléments de connaissance environnementale (Crep dans le Rhône) n’évitent pourtant pas une déperdition importante du nombre d’enfants dépistés par rapport au nombre attendu. Cette déperdition est susceptible a priori de concerner les enfants les plus à risque.
On observe ces « déperditions » à différents niveaux : retour des questionnaires, facteurs de risque non ou mal renseignés, plombémies prescrites mais non effectivement réalisées… Ces déperditions représentent entre 10 % et 60 % de la population ciblée initialement, avec une moyenne par étude de 35 % sur la base de 16 études.
Il est possible que les caractéristiques des individus n’ayant pas rempli (ou mal rempli) les questionnaires d’évaluation des risques et n’ayant pas effectué une plombémie pourtant prescrite, soient positivement corrélées à la probabilité d’avoir une plombémie élevée, et diffèrent sensiblement de celles de l’ensemble de la population étudiée expliquant au moins en partie les résultats (pourcentages de plombémies >100 µg/l relativement faibles). Dans ce cas, une mesure non biaisée de la prévalence dans la population d’enfants ciblés ne pourra être obtenue que si le protocole est conçu et appliqué de façon à atteindre l’ensemble de la population, et en particulier la population considérée comme la plus exposée aux facteurs de risque.
Le contexte parisien est à considérer dans ses particularités. Un dispositif de PMI développé est utilisé par une large partie de la population concernée par l’exposition au plomb, car habitant dans l’important parc de logements vétustes et/ou insalubres avant son traitement par les politiques publiques.
Actuellement, ce sont ces enjeux, comme les résultats concrets obtenus  – des enfants soignés, des familles relogées, des appartements traités et leurs risques maîtrisés – qui maintiennent la mobilisation des équipes, malgré la multiplicité des acteurs, la complexité des procédures, l’importance de la charge de travail induite. Le renfort en personnel (infirmières et techniciennes du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (LHPV), puéricultrices de PMI), les aides logistiques, comme les listes d’adresses, les registres des enfants dépistés et suivis établis par adresse, par arrondissement, par taux, fournis aux consultations et aux médecins responsables des arrondissements par le LHVP pour faciliter le suivi, les documents mis à disposition sur le site de l’InVS, sont une aide dans la complexité du travail. Le protocole de dépistage est parfaitement assimilé par les professionnels, l’usage des listes d’adresses est systématique pour susciter l’évaluation individuelle du risque et la proposition d’un primo-dépistage. Mais c’est l’excellente connaissance du terrain et des familles par les équipes qui permet d’ajuster les indications au plus près de la réalité des conditions d’exposition des enfants.
La situation d’Aubervilliers plaide également en faveur de l’efficacité de démarches alliant dimension sociale, urbaine et médicale. Cette efficacité passe en particulier par la recherche de circuits « courts » et de coordinations locales au sein d’équipes dédiées pluridisciplinaires, et par un portage politique et social fort au sein du territoire concerné. La pérennisation à long terme du dispositif de dépistage permet, par ailleurs, de repérer de nouvelles problématiques (émergence de cas chez des enfants dont la ou les premières plombémies étaient modérées), et d’évaluer l’efficacité des démarches de prévention primaire.
Lorsque le dépistage est organisé de façon pérenne autour d’une clientèle ou d’usagers d’un service, il semble opportun de se poser périodiquement deux questions :
• comment estimer la fraction de population à risque n’étant pas recrutée par la filière de soins ou de prévention impliquée dans le dépistage ? Cette fraction est-elle négligeable ou non ?
• comment atteindre les enfants à haut risque relevant de cette fraction ?

Le dépistage a été conduit jusqu’à maintenant par les acteurs institutionnels

Les acteurs du dépistage sont nombreux, de nature diverse (institutionnels, cliniciens) et occupent des places variables dans le processus permettant, in fine, la rencontre d’un sujet exposé et d’un prescripteur potentiel.
Dans une pathologie où la demande du patient ou de sa famille est rare et, quand elle existe, souvent motivée par une demande sociale, où les solutions sont marginalement du ressort du dispositif sanitaire et soignant, et massivement dans le champ de la maîtrise des déterminants, les acteurs du dépistage sont nécessairement animés d’une volonté proactive. Le niveau et la pérennité de cette volonté sont largement dépendants des organisations de la chaîne de programme, du niveau de prévalence du risque, et des résultats des actions éventuellement engagées, notamment sur la maîtrise des facteurs de risque et des arbitrages sur les affectations des ressources humaines disponibles.
Les acteurs institutionnels relèvent de l’État et des collectivités territoriales.
Les Drass peuvent être à l’origine d’un programme spécifique ; elles peuvent susciter l’inscription du problème dans le cadre des actions prioritaires du Plan régional de santé publique et coordonner, dans les régions où se pratiquent des actions de dépistage ou des programmes organisés, le recueil et l’analyse des données (Cire, Système de surveillance du saturnisme infantile…) ; elles peuvent organiser les concertations d’acteurs loco--régionaux du dépistage. Leur rôle est déterminant dans le choix ou non de prioriser les programmes régionaux de santé publique (PRSP) autour des inégalités sociales de santé, y compris dans le champ de la santé environnementale.
Les Ddass sont responsables de la suite donnée aux signalements et aux déclarations obligatoires : coordination entre acteurs sanitaires et ceux des DDE (Directions départementales de l’équipement), et les opérateurs sanitaires et sociaux ; elles peuvent diffuser des informations au public et aider à l’orientation. Elles peuvent également susciter des programmes de dépistage et de prévention, en lien avec les DDE. Quelques Ddass l’ont fait, de façon souvent (mais pas toujours) ciblée sur un quartier ou une tranche d’âge pour estimer, dans une première approche l’existence du problème sur le département. Le plus souvent, ce « coup de sonde » est resté sans suite après un bilan négatif.
Les DDE (ou assimilées) ne sont jamais à l’initiative du dépistage sanitaire mais, par leur capacité à mettre en œuvre un programme de traitement environnemental, leur rôle est déterminant dans la crédibilité et donc la pérennité des actions de dépistage.
Les services de PMI sont parmi les acteurs les mieux informés. Ils sont mobilisés de façon systématique et pérenne dans quelques départements comportant des zones à haut niveau de risque. Dans ce cas, ils peuvent être à l’initiative de programmes (Île-de-France, Lyon, Marseille) et sont les principaux « dépisteurs » d’autant que des mesures efficaces sur les déterminants sont engagées ; ils participent aux « programmes-tests » de dépistages en appui ou en co-initiateurs. Leur participation est alors déterminante du fait de l’accès à la population enfantine dont ils disposent.
Les 207 services communaux d’hygiène et de santé (SCHS) sont impliqués de façon extrêmement hétérogène dans le dépistage : parmi ceux dont on peut considérer qu’ils sont confrontés au risque, certains (peu nombreux) participent au dépistage lui-même (mobilisation d’infirmières...), d’autres concentrent leur action sur l’identification et/ou la réduction des risques et le lien avec le traitement de l’insalubrité. Ces variations sont probablement à expliquer par des contextes locaux variables (moyens accordés, positionnement institutionnel, impulsion ou non par les Ddass...), mais également par le mode de financement de ces actions, complexe pour les SCHS. Cependant, lorsque les communes dotées de SCHS sont engagées dans la lutte contre l’habitat insalubre, elles sont en général mobilisées de façon importante dans le soutien au dépistage.
Les services hospitaliers pédiatriques participent le plus souvent à des dépistages à point de départ clinique et donc tardif, révélant des intoxications modérées à sévères, anciennes, méconnues ou négligées. Ils participent aux dépistages occasionnels dans les zones à forte prévalence, en complément ou en rattrapage des enfants visés par les programmes (contrôles, fratries) ou en acteur principal pour les enfants hors des programmes (enfants non suivis en PMI ou d’âge >6 ans) ; ils participent à certains programmes organisés et proposent parfois de participer aux « programmes-tests » par sondage dans des populations d’enfants usagers (urgence, consultations externes). Ils participent à l’enquête de prévalence nationale en cours.
Grâce aux efforts répétés d’information, les médecins libéraux se mobilisent de plus en plus. En effet, la part des médecins libéraux dans l’activité de primodépistage qui était de 5 % en 2000 et 2001 est passée à 14 % en 2002, 20 % en 2003 et 2004 et 25 % en 2005. Hors Île-de-France, les médecins libéraux représentent dans les années récentes une plus grande part de l’activité de dépistage que les médecins de PMI ou les médecins hospitaliers. Cependant, sauf dans les secteurs où un programme de dépistage important se développe, les médecins libéraux connaissent encore mal les nouveaux circuits des procédures de déclaration obligatoire du saturnisme. L’absence de demande des parents ne facilite pas la mobilisation des médecins libéraux. La sollicitation systématique de leur attention par les items des certificats de santé pourrait améliorer leur implication.
Les associations sont le relais d’information pour les familles, et un appui important pour la demande ou l’acceptation du dépistage et de ses conséquences. Ce sont également des interlocuteurs critiques des acteurs institutionnels, ce qui a pu dans certains cas susciter la mobilisation des acteurs institutionnels sur les questions de maîtrise des risques et de protection des populations.

Des outils de ciblage géographique existent et doivent être développés

Le ciblage géographique est un moyen d’accéder à des populations considérées comme surexposées. Deux approches différentes peuvent être utilisées, une approche cartographique et une approche par la constitution de listes d’adresses ou de logements à risque. La première approche est pertinente s’il existe réellement une proportion importante d’enfants présentant des plombémies élevées dans la zone géographique considérée. La deuxième approche est plus adaptée à la situation d’un risque diffus.
On pourrait envisager une approche cartographique pour trois types de sources d’exposition au plomb : les peintures au plomb de l’habitat ancien, les sites et sols pollués, et les canalisations d’eau en plomb distribuant des eaux à fort potentiel de dissolution. Pour le dépistage du saturnisme infantile, l’enjeu principal reste le ciblage du risque d’exposition aux peintures au plomb, dont on a vu plus haut qu’elles sont de loin la principale cause de plombémies élevées.
La principale source de données utilisée pour cartographier le risque lié aux peintures au plomb dans l’habitat a été le recensement général de la population de l’Insee. D’autres sources de données existent, notamment la base de données Filocom du ministère du Logement, servant au ciblage de l’habitat indigne. Cette base pourrait être utilisée à condition qu’elle soit facilement accessible aux acteurs de santé et que le lien entre les informations recueillies dans cette base et les données en matière de saturnisme soit définitivement validé. Le principe repose sur une représentation du risque de présence de peintures au plomb à partir des dates de construction des immeubles et sur une représentation du risque d’exposition par des données telles que la catégorie cadastrale des immeubles et le niveau de revenu des ménages, ou d’autres indicateurs de précarité.
Différentes bases de données mises en place par le ministère en charge de l’environnement peuvent être utilisées pour cartographier le risque d’exposition lié à industrie : Basol, qui regroupe les sites pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics ; Gidic, qui regroupe les sites en fonctionnement suivis par l’inspection des installations classées ; Basias, qui est un inventaire des anciens sites industriels et activités de service réalisé à partir d’archives et qui est en voie d’achèvement sur l’ensemble de la France. L’utilisation de ces bases pour cartographier le risque d’exposition se heurte à l’absence de données standardisées sur la pollution des milieux voire à une méconnaissance totale des polluants émis pour la plupart des sites. Des développements méthodologiques restent à faire pour utiliser ces données.
Pour le risque lié à l’eau, il est possible d’accéder via les Ddass au potentiel de dissolution du plomb de chaque unité de distribution, et via les distributeurs d’eau au taux de branchements publics en plomb. La fréquence des canalisations intérieures en plomb est fonction de l’âge des immeubles, avec des différences locales possibles qu’il est difficile de connaître finement.
La cartographie peut être un outil efficace pour sensibiliser des médecins au dépistage à condition qu’elle permette d’isoler des zones où le risque est nettement plus élevé. Pour être efficace et faire des économies d’échelle, il apparaît nécessaire de réaliser un travail méthodologique au niveau national permettant la définition d’indicateurs validés utilisables de façon homogène sur le territoire à partir de sources de données facilement disponibles. L’enquête de prévalence du saturnisme mise en œuvre par l’InVS en 2008 devrait apporter des éléments dans ce domaine, puisque l’un de ses objectifs est la validation d’indicateurs géographiques du risque. Deux échelons administratifs paraissent pertinents pour la réalisation de cartes : l’échelon départemental, et l’échelon communal pour les grandes communes. L’échelle de la carte doit être suffisamment fine pour que celle-ci puisse mettre en évidence la répartition hétérogène des logements à risque : Iris5 , section cadastrale, îlot de recensement…
L’utilisation de fichiers d’adresses à risque est adaptée à la situation d’un risque diffus. Elle a déjà été pratiquée par quelques services et pourrait être élargie et systématisée. Elle pose néanmoins des questions méthodologiques (non homogénéité des données, appréciation du risque par adresse, mise à jour…) et juridiques. La mise en place prévue des « observatoires nominatifs des logements indignes et indécents et des locaux impropres à l’habitation » en application de la loi du 13 juillet 2006 apparaît comme une opportunité. La mise en place de ces observatoires est une nouvelle attribution confiée au comité responsable du plan départemental pour le logement des personnes défavorisées. Leur finalité est le « traitement des logements indignes ». Ils pourraient permettre l’établissement et la diffusion de listes d’adresses à risque d’exposition au plomb, à condition que cette fonction soit officiellement reconnue par les textes d’application en cours de rédaction et que l’accès au répertoire ainsi créé soit facile pour les prescripteurs.
La définition de priorités en matière de prévention du saturnisme n’est pas très éloignée de la définition de priorités pour la lutte contre l’habitat indigne. Des liens sont à établir entre ces objectifs pour que les outils mis en place pour la lutte contre l’habitat indigne soient utilisés, avec les adaptations nécessaires, pour la prévention du saturnisme et notamment le dépistage. C’est le cas pour la base de données Filocom et c’est également le cas pour les observatoires nominatifs de l’habitat indigne. Des développements méthodologiques sont à faire au niveau national par les ministères chargés de la santé et du logement pour faciliter la mise en place de ces outils, tout en laissant à l’échelon départemental la liberté de compléter localement le dispositif.

L’approche économique dans l’évaluation des stratégies de dépistage est encore peu utilisée

Un critère important dans l’évaluation des stratégies de dépistage concerne les relations entre le coût du dépistage et ses résultats ou entre ce coût et les bénéfices qui en découlent au niveau de l’individu et/ou de la population.
Le concept de coût/efficacité ramène le coût d’une campagne de dépistage à un indicateur de résultats, qui peut être un nombre d’enfants ayant bénéficié d’un dosage de la plombémie ou un nombre de plombémies >100 µg/l. Il s’agit donc de déterminer la méthode la moins coûteuse pour obtenir une efficacité donnée. Les principaux facteurs agissant sur le coût/efficacité sont la prévalence dans la zone étudiée, le coût unitaire des moyens de dépistage et la structure de l’arbre de décision adopté conduisant à la mesure de la plombémie. Les résultats sont très variables selon les études mais tous les travaux récents présentent le dépistage systématique comme la méthode la moins coût/efficace et préconisent un dépistage ciblé.
Le concept de coût/avantage (ou coût/bénéfice) s’attache à la différence entre les bénéfices d’une campagne ou d’une politique de dépistage et les coûts associés. L’évaluation des bénéfices est soumise à plusieurs choix méthodologiques non indépendants.
Le premier porte sur le choix des effets à considérer, qui dépend de leur niveau de certitude, de leur attribution non équivoque à la plombémie, de l’existence ou non d’un seuil d’absence d’effets. La littérature épidémiologique suggère ainsi que les bénéfices à comptabiliser couvrent :
• les coûts marchands : hospitalisations évitées pour chélation, troubles d’apprentissage, pertes de revenus induites par une baisse de QI, soins intensifs et décès éventuels d’enfants prématurés, traitements des maladies de nature cardiovasculaire, pour hypertension, et décès pour hypertension chez les adultes ;
• des coûts non marchands sont parfois évoqués : aspects psychologiques, douleur, désagrément, gêne, angoisse, effets d’une diminution de QI autres que ceux liés à des pertes de revenus, retards de développement se traduisant par une mauvaise balance posturale, difficultés à maintenir l’équilibre, problèmes d’audition, agressivité.
Le second choix méthodologique porte sur l’objectif qui sous-tend le calcul de ces bénéfices sanitaires :
• si l’on valorise les bénéfices potentiels d’une suppression des effets associés à une exposition au plomb, l’application de fonctions dose/réponse fournit des variations d’indicateurs sanitaires que l’on transforme en bénéfices monétaires ;
• si l’on valorise les bénéfices d’une campagne de dépistage, la question de la réversibilité des effets se pose. En effet, une fois les plombémies >100 µg/l dépistées, sait-on évaluer les bénéfices sanitaires à attendre de la seule diminution de la plombémie chez l’enfant (et éventuellement de la non exposition de la fratrie) ? Les effets neurologiques et cognitifs sont-ils réversibles ?
Ainsi, la prévention primaire, qui évite toute exposition et donc toute contamination, doit comptabiliser l’ensemble des bénéfices sanitaires. En revanche, une campagne de dépistage doit seulement prendre en compte les effets réversibles et les effets irréversibles évités par la non aggravation de la plombémie.
Le troisième point méthodologique concerne les actions susceptibles d’être entreprises suite à une campagne de dépistage :
• si ces actions entreprises suite à une campagne de dépistage contribuent à une diminution moyenne de l’exposition de la population qui résulterait par exemple d’une réduction des apports de plomb d’origine alimentaire ou hydrique (les réductions des apports atmosphériques n’étant plus d’actualité), il convient de raisonner sur des variations exprimées en variation moyenne ;
• si ces actions agissent en revanche sur des poches de saturnisme (correspondant à des zones d’habitats particulièrement dégradés, ou liées à des sources industrielles ou de type professionnel), il conviendrait plutôt de raisonner sur une réduction des plombémies individuelles les plus élevées puisque la variation moyenne ne représentera qu’imparfaitement les bénéfices sanitaires, en particulier dans le cas de relations dose/effet non linéaires.

L’existence d’effets du plomb aux faibles doses engage à renforcer la prévention

Les effets toxiques du plomb pour des plombémies élevées sont connus depuis longtemps. Des publications récentes tendent à démontrer des effets toxiques pour des plombémies inférieures à 100 µg/l. Les différents auteurs mettent en évidence notamment une altération des indices globaux de développement (Quotient Intellectuel, QI ou index de développement mental et psychomoteur du test de Bailey), des anomalies des résultats de tests plus spécifiques (scores de lecture, de mathématique, reconnaissance des couleurs…), des anomalies de l’organisation du langage, des troubles de la coordination et de l’équilibre, et ce chez des enfants dont la plombémie n’a jamais dépassé 100 µg/l, voire dans certains cas 75 µg/l. D’autres décrivent un retentissement modéré sur la croissance, la maturation sexuelle, les caries dentaires, la tension artérielle, ou la biosynthèse de l’hème… Même si de nombreux facteurs de confusion liés à l’environnement socio-familial, qui joue à la fois sur l’exposition au plomb de l’enfant et sur son développement, ne sont pas faciles à prendre en compte, on peut admettre qu’une exposition modérée au plomb avec des plombémies inférieures à 100 µg/l, a très probablement un effet toxique sans seuil, notamment sur le développement cognitif et psychomoteur du jeune enfant.
La multiplication des études montrant un effet du plomb pour des enfants à des doses faibles amène à renforcer l’objectif d’une diminution de l’exposition, même modérée, de l’ensemble de la population, à commencer par les groupes les plus sensibles constitués par les femmes enceintes et les jeunes enfants. Si on raisonne en perte de points de QI de la population française, les gains à attendre de cet objectif sont importants. En effet, une distribution de type lognormale des expositions (les expositions faibles et modérées sont les plus fréquentes) et une relation sans seuil apparent font que ce sont les expositions faibles et modérées (les plus fréquentes) qui contribuent le plus à l’impact total au niveau de la population.
La confirmation des effets sans seuil du plomb conduit donc à renforcer la prévention universelle. Le résultat de la plombémie n’est pas nécessaire pour faire une évaluation de l’exposition des enfants vivant dans un habitat potentiellement dégradé ou sur des sites pollués et pour abaisser les risques liés à leur environnement. C’est d’ailleurs une forme d’action déjà mise en œuvre depuis la loi de 1998 de lutte contre les exclusions qui permet au Préfet de déclencher un diagnostic des peintures si un risque d’accessibilité au plomb concernant un mineur est porté à sa connaissance. Des actions administratives de prévention peuvent ainsi être déclenchées en l’absence de plombémie et même si une plombémie réalisée s’avère inférieure à 100 µg/l.
L’action médicale individuelle comme l’intervention environnementale ciblée sur les seuls enfants dont la plombémie est supérieure à 100 µg/l sont des modes d’intervention insuffisants. Ils ne proposent en effet qu’une suppression de l’accès au plomb chez l’enfant concerné, et éventuellement une suppression de l’accès au plomb pour les autres enfants de la fratrie. Lorsque le dépistage est tardif, l’enfant a déjà constitué son « stock » de plomb, et cela aura des conséquences à long terme. Une action intervenant sur le logement par des travaux palliatifs avant l’intoxication plutôt que médicalement sur l’enfant après son intoxication est plus bénéfique, à condition que ces travaux soient pratiqués selon des modalités précises, garantissant l’absence de surexposition temporaire liée à ceux-ci. Elle est également la seule à garantir l’intégralité des bénéfices sanitaires escomptés.

Malgré une baisse générale de l’imprégnation, la persistance d’expositions élevées légitime un dépistage et une prévention ciblés

La diminution constatée des apports atmosphériques et la décrue estimée des apports hydriques et alimentaires ont considérablement réduit les sources de fonds responsables des niveaux de plombémie observés dans le passé. En décalant la distribution générale des plombémies vers des valeurs plus faibles, cette baisse des apports peut avoir eu un impact non négligeable sur la prévalence des plombémies supérieures à 100 µg/l. Ceci reste néanmoins à démontrer. On peut penser qu’une proportion significative des enfants qui dépassaient le seuil de 100 µg/l était constituée d’enfants qui cumulaient différentes sources d’exposition. Les enfants dont la plombémie reste supérieure à 100 µg/l sont plus souvent qu’autrefois des enfants exposés à des sources particulières, principalement liées à l’habitat ancien et dans une moindre mesure (c’est-à-dire avec une fréquence plus faible qu’autrefois) à des sites et sols pollués. Les sources considérées jusqu’ici comme inhabituelles telles que les cosmétiques traditionnels, les céramiques artisanales ou les objets en plomb peuvent par ailleurs avoir un impact proportionnellement plus significatif qu’auparavant.
Dans des zones où le dépistage est pratiqué de façon pérenne, les actions importantes de résorption de l’habitat insalubre et d’information des populations expliquent certainement une grande partie de la baisse de la proportion des enfants avec une plombémie initiale supérieure à 100 µg/l au fil des années. On constate en effet dans ces zones une forte diminution de la proportion de plombémies très élevées (>450 µg/l), qui ne peut pas être expliquée par la diminution de l’exposition de fond.
L’identification d’enfants très exposés est ainsi devenue progressivement plus difficile sur l’ensemble du territoire. Il apparaît donc indispensable de disposer d’outils de ciblage pour atteindre ces enfants. Ces outils permettraient la mise en œuvre d’actions spécifiques de dépistage, en particulier par les médecins de PMI et le renforcement de l’information des médecins dont la clientèle est plus à risque (pour inciter à une vigilance accrue dans la recherche des risques d’exposition).
Cette stratégie de dépistage ciblé compléterait ainsi le dispositif de sensibilisation de l’ensemble des médecins mis en place avec le nouveau carnet de santé de l’enfant.

Le dépistage d’enfants atteints de saturnisme s’intègre dans un programme global de suivi et de réduction des expositions

Le dépistage ne peut avoir comme seul objectif de repérer les enfants avec des plombémies supérieures à 100 µg/l, mais doit constituer le mode d’entrée individuelle dans un programme global de suivi des enfants et de réduction des expositions. Ce programme doit garantir l’absence de survenue d’une augmentation de la plombémie des enfants au cours du temps.
Les acteurs sont ainsi amenés à concevoir le dépistage non pas comme la recherche dichotomique d’une intoxication supérieure ou inférieure à un seuil, mais comme la mise en place d’un suivi à moyen terme d’une « situation chronique » (on ne peut ici parler de « pathologie chronique »). La prescription d’une plombémie dans le cadre d’une suspicion d’exposition récente au plomb devrait impliquer dans tous les cas une appréciation environnementale. Il s’agit a minima d’une estimation par le prescripteur des conditions de logement et de la possibilité d’une exposition au plomb : cette estimation peut déboucher sur un signalement au Préfet d’un « risque d’exposition » tel que l’entend la loi, aux fins de mise en place d’un diagnostic. La prescription d’une plombémie devrait également s’accompagner d’une démarche de renforcement des compétences familiales (éducation pour la santé).
En cas de dosage avec un résultat significativement supérieur à la moyenne des plombémies de la population (et non plus supérieur à un seuil administrativement défini), on entre dans une logique de suivi biologique (et non plus de dépistage ou de recherche d’intoxication) : ce suivi biologique devient partie prenante de l’accompagnement médicosocial de la famille (réduction systématique des expositions, mesures hygiéno-diététiques, mesures sociales...).
Le suivi peut se limiter à un seul dosage de contrôle à plusieurs mois de distance si l’évaluation environnementale le justifie, ou être plus intensif dans les cas d’exposition mal maîtrisée ou de récurrence du problème dans l’entourage familial ou du bâtiment. Il déclenche les mesures médicales ambulatoires ou hospitalières si nécessaire.
À terme, on devrait assister à une évolution importante des concepts : la notion de dépistage chez l’enfant, intrinsèquement liée à celle de diagnostic environnemental, devrait s’effacer au bénéfice de l’intégration du suivi biologique (une ou plusieurs plombémies) dans l’ensemble des mesures d’accompagnement des familles.
Pour les enfants présentant des plombémies basses (inférieures à 100 µg/l), l’appréciation du risque devrait se faire dans une approche de suivi global de l’enfant et de son environnement. La présence de plomb accessible au-delà des seuils réglementairement définis déclenche les mesures d’accompagnement des familles. Il est certain dans ce cas, qu’il faudra trouver les moyens d’améliorer la spécificité du diagnostic d’exposition, afin de n’inclure dans le suivi médicosocial que les enfants réellement exposés à un risque, et non tous ceux ayant une simple présence de plomb dans leur habitat ou leur environnement.
Le « rendement » du dépistage ne devrait plus s’apprécier sur le critère de la proportion d’enfants primodépistés dont la plombémie est supérieure à 100 µg/l, mais devrait s’appuyer sur deux critères distincts :
• la proportion d’enfants ayant effectué une plombémie par rapport à ceux présumés exposés à un risque : cet indicateur est difficile à mesurer en l’absence de dénominateur stable ;
• la proportion d’enfants ayant eu un suivi biologique et environnemental et pour lesquels les mesures de réduction des expositions ont été effectivement prises.
Apprécier la situation épidémiologique d’une communauté (quartier, ville, région, proximité industrielle...) serait dans cette hypothèse découplé du rendement du dépistage, et se ferait non plus sur la base de la proportion d’enfants ayant une plombémie >100 µg/l, mais sur celle des plombémies moyennes ou médianes.
Il apparaît indispensable de former les équipes (et les médias) à la connaissance du risque réel lié au saturnisme et de développer la promotion de la santé et sa dimension participative. Le rôle des professionnels est alors de repérer les pratiques protectrices qui existent et de les valoriser. Cette évolution de l’éducation à la santé vers la promotion de la santé est particulièrement importante dans les zones où subsistent à la fois une exposition au plomb et une absence apparente d’imprégnation des enfants ou d’intoxications repérées.
Ce dispositif doit être accompagné d’une plus grande exigence vis-à-vis des droits des familles en matière de logement digne.

Recommandations
Une tendance à la baisse de l’imprégnation par le plomb de la population générale est constatée à travers diverses enquêtes ponctuelles. Ce résultat peut être attribué à la réduction de l’apport de plomb via l’alimentation et à un certain nombre de mesures parmi lesquelles l’élimination du plomb dans les carburants et le traitement des eaux de distribution publique. Les actions de dépistage ont également montré au cours des dix dernières années une forte diminution du taux d’enfants ayant des plombémies élevées parmi ceux qui ont été testés. Cependant, la question de savoir si les populations concernées ont bien été repérées reste posée. La difficulté d’atteindre ces populations a conduit les pouvoirs publics à inscrire en 2006 le repérage généralisé des facteurs de risque dans le carnet de santé. Comme il est certain qu’il existe encore des situations d’exposition importante, il est légitime de poursuivre de manière active les opérations de repérage et dépistage, avec des outils adaptés. Ces actions devraient progressivement se réduire au fur et à mesure que sera réglé le problème des plus fortes expositions au plomb. Il importe surtout de tenter d’agir pour éviter les surexpositions, dès lors qu’elles sont identifiables, avant que l’enfant ne s’intoxique. Simultanément, il convient de renforcer les actions de prévention primaire, en réduisant l’exposition au plomb de la population générale, dans la mesure où les preuves sur l’absence de seuil d’effet s’accumulent.

Préalable : coupler stratégie de dépistage et réduction des expositions

1 La mise en place d’une démarche globale qui couple la stratégie de dépistage et celle de réduction des risques répond à des impératifs éthiques, sanitaires, de faisabilité et d’efficacité opérationnelle. Les actions de dépistage et de réduction des risques bien conçues peuvent se potentialiser et les moyens être mis en commun. Un effort d’organisation peut permettre d’éviter les doublons de personnel et d’optimiser l’intervention auprès des familles.

Disposer d’outils opérationnels de réduction des risques lors du lancement d’une campagne locale de dépistage

Le groupe de travail tient à réaffirmer qu’une stratégie de dépistage du saturnisme ne peut être envisagée sans promouvoir en parallèle une politique renforcée de réduction des expositions. Depuis les dépistages initiaux réalisés dans les années 1990, la situation a considérablement évolué. En effet, à cette période, l’absence d’outils et de moyens permettant une intervention généralisée sur la source d’exposition rendait le dépistage « isolé » éthiquement légitime, pour réduire le risque d’aggravation de l’intoxication chez les enfants exposés principalement à un habitat dégradé. Depuis, la mise en place de mesures législatives et réglementaires a modifié la situation : en présence d’une exposition, et a fortiori d’une intoxication, la puissance publique dispose d’outils d’intervention sur le bâti, donc sur l’origine du risque. Aujourd’hui, il ne serait pas éthique d’engager un dépistage du saturnisme infantile qui ne s’accompagnerait pas de la mise en œuvre de l’ensemble des mesures de réduction des expositions. Les deux types d’actions (dépistage et réduction des risques) doivent donc être mis en place simultanément2 .
Les mêmes principes de simultanéité devraient être appliqués au dépistage en lien avec une source industrielle : le dépistage de plombémie chez les enfants ne doit pas retarder des mesures de réduction des émissions ou des concentrations dans l’environnement sans attendre le résultat de ce dépistage.
Sur le plan opérationnel, deux points importants sont à souligner. D’une part, les équipes en charge du dépistage sont d’autant plus motivées à le mettre en œuvre de façon performante et exhaustive que les recherches d’intoxications s’accompagnent de mesures effectives de réduction des risques à la source. Faute de ces mesures, les professionnels perdent le sens de leur intervention et sont en difficulté pour apporter des réponses aux familles. Ces conditions favorisent le désintérêt des acteurs pour des stratégies qu’ils avaient eux-mêmes initiées. Mettre en place une réduction des risques est donc la condition sine qua non d’une performance pérenne du dépistage. D’autre part, l’extension des prises en charge ambulatoires rend indispensable la suppression de l’exposition à domicile pour le risque « habitat ».
Sur le plan scientifique, de nombreuses données nord-américaines confirment que la politique de réduction des expositions influe sur la prévalence de l’intoxication. À stratégie de dépistage comparable, la probabilité de dépister ultérieurement des intoxications dans les bâtiments où un « cas index » a été repéré varie d’un facteur 4 en fonction de la politique d’intervention sur l’habitat. Les données à l’échelle des villes vont dans le même sens, même si certaines études évoquent des gains plus modestes.

Accompagner les actions de réduction des expositions par une stratégie de dépistage

De façon symétrique, une politique d’intervention sur l’habitat (réduction des expositions) doit être accompagnée d’une stratégie de dépistage. Cet accompagnement est d’abord nécessaire pour des raisons éthiques : si l’on met en place une réduction des risques, c’est que l’on considère que ces risques existent ; à ce titre, un dépistage doit être proposé aux familles.
D’autres arguments, plus opérationnels, vont dans le même sens. Les dispositions réglementaires en matière d’habitat se généralisant, de nombreux propriétaires ou syndics engagent des travaux sans attendre les prescriptions préfectorales. Ce phénomène, pour positif qu’il soit, ne va pas sans générer des effets secondaires indésirables : dans certains cas, les mesures de protection des enfants durant les travaux sont insuffisantes, voire absentes. Il n’est pas rare que des enfants se voient proposer leur première plombémie à l’occasion de travaux non protégés, et d’une suspicion de surexposition. Des situations identiques ont été documentées aux États-Unis, où des cas de primo-intoxication et d’aggravation de plombémies sont survenus à l’occasion de travaux réalisés à domicile, y compris par des professionnels insuffisamment formés. Un article récent incite également à prendre en compte la question des démolitions en habitat ancien. De façon plus générale, les CDC (Centers for Diseases Control and Prevention) considèrent des travaux de rénovation ayant eu lieu depuis moins de 6 mois comme un motif à proposer un dépistage.

Affiner les outils de repérage des populations ayant un risque élevé d’exposition

L’apparente diminution de la prévalence du saturnisme chez l’enfant et l’hétérogénéité de l’exposition plaident pour que soient développées les méthodes de ciblage des populations qui doivent bénéficier d’une vigilance particulière, tant en matière de dépistage que de réduction des risques d’exposition. Le groupe de travail insiste particulièrement sur l’importance des trois premières mesures proposées ci-dessous.

Mieux connaître les zones géographiques à plus forte exposition au plomb dans l’habitat

Le risque principal lié aux peintures anciennes de l’habitat est réparti de façon hétérogène sur le territoire, parce qu’il dépend de la date de construction des immeubles, de l’état des immeubles et des modes d’occupation. Le repérage de zones géographiques à plus forte probabilité d’exposition au plomb dans une optique de dépistage se rapproche du repérage de l’habitat potentiellement indigne mené sous l’égide du pôle interministériel de lutte contre l’habitat indigne. Les bases de données disponibles décrivant les logements et leur occupation pourraient être utilisées pour les deux objectifs (notamment la base de données Filocom). Sous réserve d’une validation des indicateurs par l’enquête nationale de prévalence du saturnisme lancée par l’InVS en 2008, des outils devraient être mis à disposition des services de santé publique au niveau départemental leur permettant d’identifier les zones où le risque d’exposition au plomb est le plus élevé. Le maillage cartographique devra être suffisamment fin pour limiter les phénomènes de lissage (niveau section cadastrale ou quartier).

Mettre en place des fichiers partagés d’adresses présentant des risques

Toutefois, la définition de zones à risque n’est pas adaptée aux situations où le risque est très diffus : pour des raisons particulières, un immeuble ancien peut être très dégradé dans un quartier où l’habitat est par ailleurs de bonne qualité. L’ensemble des familles habitant dans de tels immeubles constitue une population à risque d’exposition qui peut être repérée par des outils de sélection et de capitalisation d’adresses à risque. De tels outils ont été créés dans certains départements et devraient être systématisés. Un rapprochement est là aussi souhaitable avec les dispositifs de lutte contre l’habitat indigne, notamment les observatoires nominatifs des logements indignes et indécents en cours de création dans le cadre des plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées. Ces observatoires sont destinés à capitaliser des adresses pour lesquelles des actions d’amélioration sont indispensables et à suivre la réalisation effective de ces actions. Ils pourraient être un outil pour le repérage des populations devant bénéficier d’actions de dépistage. Les conditions juridiques permettant cette utilisation ainsi que les méthodes de sélection des adresses à risque d’exposition au plomb devront être étudiées.

Étendre le repérage des anciens sites d’activité industrielle pollués par le plomb

Les risques liés aux sites et sols pollués concernent des populations de taille beaucoup plus faible que les populations exposées aux peintures dégradées. Les sites industriels émettant du plomb ont considérablement diminué en nombre et en quantités de plomb émises. Les sols pollués par des activités passées présentent un risque individuel d’exposition plus faible, mais ces sites sont nombreux et ils ne sont qu’en partie connus. Il apparaît nécessaire de poursuivre l’action de repérage entreprise par le ministère de l’Environnement à partir de l’année 2000 et de mettre à disposition des acteurs de santé des cartes des sites pollués par le plomb.

Cartographier les unités de distribution d’eau présentant un risque d’exposition au plomb

Le risque lié à la dissolution des canalisations en plomb par l’eau de distribution publique a été combattu depuis une trentaine d’années par le traitement des eaux agressives, élargi ensuite au traitement d’autres types d’eau présentant un fort potentiel de dissolution du plomb. La suppression des canalisations de branchement en plomb est activement mise en œuvre. En revanche, les canalisations intérieures des habitations ne sont remplacées que beaucoup plus lentement. Il subsiste donc des risques d’exposition, conduisant rarement à des expositions élevées, mais qui participent à l’imprégnation des populations par le plomb. Il serait utile de cartographier les unités de distribution dont l’eau présente encore un potentiel de dissolution du plomb et un taux de canalisations en plomb élevés.

Développer des études pour mieux connaître les situations d’expositions en lien avec des habitudes culturelles

Certaines populations utilisent par habitude culturelle des produits contenant du plomb, susceptibles de conduire à des expositions élevées : produits cosmétiques traditionnels, céramiques artisanales, remèdes traditionnels. Il est nécessaire de mieux connaître les utilisations de ces produits dangereux, les populations qui y sont exposées et leur répartition géographique. Des études associant des sociologues, des toxicologues et des épidémiologistes devraient être conduites dans ce but.

Sensibiliser et informer les professionnels de santé

Depuis 2006, les médecins (notamment libéraux) sont sollicités pour participer au dépistage du saturnisme infantile, en particulier à travers la mise en place du nouveau carnet de santé. Il convient d’aider les praticiens à se saisir des outils disponibles. Cette aide doit être adaptée selon que le médecin exerce ou non dans une zone à plus fort risque, information qui doit lui être communiquée.

Aider les médecins au repérage systématique des enfants exposés

Le repérage systématique des facteurs de risque d’exposition au plomb est désormais inscrit dans le carnet de santé depuis 2006. Le guide à l’usage des professionnels de santé conseille une recherche des facteurs de risque à partir du 9e mois, lors des bilans de santé. La fiche n°3 « Quand et comment évaluer l’exposition au plomb d’un enfant » présente les différents facteurs de risque (annexe 3). En présence de facteurs de risque d’exposition, le médecin doit prescrire une plombémie.
Afin d’aider les médecins dans ce travail de repérage des enfants potentiellement exposés, des données facilement accessibles sur les zones ou adresses à risque devraient être mises à leur disposition par l’administration de la santé.
Si le médecin dispose d’une cartographie de zones à risque ou d’un fichier d’adresses à risque, il pourra les utiliser soit pour approfondir l’évaluation de l’exposition individuelle pour les enfants habitant dans cette zone ou à cette adresse à risque, soit pour prendre plus facilement la décision de prescrire une plombémie lorsque le questionnaire individuel le laisse indécis.
Le groupe de travail recommande donc que soit étudiée la possibilité de mettre à disposition des médecins, avec toutes les garanties nécessaires, les informations existantes et à développer concernant les zones et les adresses à risque, afin d’optimiser la stratégie de repérage systématique des facteurs de risque de saturnisme. Les cartes devront être suffisamment lisibles pour que le médecin puisse situer l’habitation de l’enfant dans une zone. Ces documents pourront être envoyés aux médecins sous forme papier et/ou mis à disposition sur un site Internet. Ils devront être mis à jour régulièrement.
Il faudrait également renforcer la connaissance de tous les médecins sur les facteurs de risque autres que ceux liés à l’habitat, les sites pollués ou l’eau : enfants de travailleurs exposés au plomb, populations utilisant des produits contenant du plomb, enfants venant de pays où il existe une forte exposition… Le groupe de travail recommande de sensibiliser les médecins à la nécessité d’être attentifs aux enfants appartenant à ces populations.

Sensibiliser régulièrement les médecins exerçant dans une zone à risque

Les médecins exerçant dans des secteurs qui auront été définis comme zones à forte probabilité d’exposition doivent être particulièrement vigilants dans l’exercice du repérage individuel des facteurs de risque. Le groupe de travail recommande que l’administration de la santé informe régulièrement ces médecins, s’assure qu’ils sont en mesure d’utiliser les outils mis à leur disposition, évalue leur implication dans le dépistage, et prenne les mesures locales éventuellement nécessaires pour améliorer cette implication.

Mettre en place des actions de dépistage systématique lorsque cela est justifié

Dans les situations où une population clairement définie est soumise à un risque élevé d’exposition, il peut être justifié que soit organisé à l’initiative de l’administration un dépistage systématique de cette population (plombémie sans sélection individuelle). Ceci a été réalisé jusqu’ici principalement autour de sites industriels émetteurs de plomb. Une organisation spécifique permet d’assurer que chaque enfant a bénéficié d’une prescription de plombémie. La décision de lancer un tel dépistage doit être pesée à l’aide d’outils comme il en existe pour le dépistage autour des sites industriels3 .
Le groupe de travail recommande que soient définis des critères de décision pour le lancement de dépistages systématiques, comme les CDC en ont défini aux États-Unis. Ces critères peuvent être basés sur des données statistiques concernant l’habitat, ou sur la prévalence lorsqu’elle est connue, ou sur des indices de précarité, ou sur des calculs de plombémie attendus dans la population visée.
Le groupe de travail souligne que, dans ce type de circonstances d’exposition bien identifiée, l’autorité publique doit porter une attention particulière à l’exhaustivité du dépistage biologique. Cette attention particulière passe par des dispositifs adaptés aux populations confrontées à des difficultés sociales ou d’insertion. Elle doit aussi assurer l’effectivité des mesures de réduction du risque environnemental, qui ne doivent pas être différées en l’attente des résultats du dépistage.

Utiliser au mieux les constats de risque d’exposition au plomb (Crep)

Les évolutions législatives ont renforcé les obligations d’évaluation des risques liés au plomb dans l’habitat ancien : d’abord en l’élargissant en 2004 à toute vente de logements anciens, puis à partir d’août 2008 à toute nouvelle location et aux parties communes des immeubles. Du point de vue du dépistage et de son développement, les Crep, transmis obligatoirement au Préfet lorsque des risques ont été mis en évidence, présentent l’avantage d’être une source homogène d’informations sur l’ensemble du territoire. Dans un souci d’efficacité et d’évaluation, il est toutefois nécessaire que l’action des services soit encadrée en définissant précisément le périmètre minimum d’intervention de l’État en la matière.
Les Crep apparaissent comme une source pertinente pour nourrir des fichiers d’adresses à risque, via éventuellement les futurs observatoires de l’habitat indigne. Les enfants habitant à ces adresses pourront ainsi bénéficier d’une vigilance accrue des médecins.
Le lancement d’une action de dépistage individuelle ou semi-collective au coup par coup sur la base d’un Crep est possible réglementairement au travers de la mise en œuvre des mesures d’urgence prévues par le Code de santé publique (mesures palliatives). Lorsque les mesures d’urgence n’ont pas vocation à être activées, l’invitation au dépistage demeure un acte d’information ciblée qui participe au processus d’éducation pour la santé de la population.
Parmi les situations nécessitant la réalisation et la transmission du Crep à l’autorité administrative, deux sont propices à conduire des investigations complémentaires susceptibles de déboucher efficacement sur un processus de dépistage :
• la vente d’un bien immobilier avec poursuite d’un bail locatif  (dite « vente occupée » : dépistage des enfants occupants) ;
• la mise en évidence de plomb dans des parties communes d’un immeuble.
À ces deux situations peut s’adjoindre, lorsque c’est possible, le dépistage des enfants des familles quittant le logement.
Les services gestionnaires des Crep disposent d’un pouvoir d’appréciation permettant de graduer la réponse à donner à chaque situation. Le groupe de travail recommande de promouvoir la démarche d’articulation entre Crep et dépistage et d’en évaluer les résultats.

Sensibiliser et informer les familles

La communication en direction des familles sur les risques d’exposition au plomb est un élément important pour la prévention du risque d’exposition des enfants et pour le dépistage du saturnisme infantile.

Sensibiliser la population générale sur les risques associés à l’habitat ancien

Le risque d’exposition et d’intoxication par le plomb des peintures subsiste toujours pour les enfants en population générale. Si la dégradation des peintures de l’habitat ancien en est la principale source, le risque n’est pas limité à l’habitat insalubre ou indigne tel qu’on l’entend habituellement. Il ne faut pas négliger les situations, probablement fréquentes, d’exposition au plomb lors de travaux, qu’ils soient effectués par des entreprises ou par les occupants. Il ne faut ne pas non plus négliger l’exposition à bas bruit dans un habitat simplement vétuste dans lequel la maintenance des surfaces peintes est négligée.
Les travaux les plus récents issus de la littérature internationale tendent à montrer que les effets du plomb sur la santé s’observent même pour des plombémies peu élevées. Une vigilance s’impose donc à tous pour limiter l’accès au plomb des peintures anciennes, sachant que la suppression totale et immédiate du plomb des immeubles n’est pas un objectif réaliste et qu’il présenterait même des risques très élevés d’exposition à travers la réalisation de travaux très exposants non encadrés.
Le groupe de travail recommande une campagne nationale d’information à travers différents médias pour sensibiliser les personnes vivant en habitat ancien au risque présenté par les peintures et les informer des moyens nécessaires pour éviter l’exposition (moyens pratiques de vérifier la présence de plomb, précautions à prendre lors de travaux…). Dans ce cadre, il sera expliqué la possibilité de vérifier l’impact éventuel de l’exposition par le dosage de la plombémie.

Prévoir une information pour les populations les plus à risque

Les populations présentant des risques élevés doivent bénéficier d’informations ciblées par les administrations sanitaires locales. Ces informations, destinées à prévenir l’exposition au plomb, doivent également expliquer l’intérêt du dépistage. L’information de la population doit être faite parallèlement à celle des médecins.
Il existe en France des zones de résidence qui sont plus à risque que d’autres (zones d’habitat vétuste, sites industriels pollués…). Il est légitime que les populations résidant dans ces zones puissent être informées de ces risques, être destinataires de conseils et sensibilisées à un dépistage s’il est justifié. De même, les familles résidant dans un immeuble qui a été signalé comme présentant un risque plomb doivent bénéficier d’une information de la part de l’administration sanitaire locale (Ddass) afin qu’elles puissent avoir la possibilité de consulter un médecin et de bénéficier d’une prescription de plombémie (avec dispense d’avance de frais, le cas échéant, lorsque les personnes ne bénéficient pas d’une couverture maladie).
Les personnes exerçant certaines professions (potiers, céramistes, ferrailleurs…) sont susceptibles d’être en contact avec le plomb de manière quotidienne. Une information devrait leur être apportée, relayée par différentes structures (chambre des métiers, associations professionnelles, médecine du travail…). Des études sur la perception du risque dans ces populations devraient permettre de mieux adapter les messages de prévention.
Les populations exposées au plomb en raison des habitudes culturelles doivent bénéficier d’informations spécifiques. Pour atteindre ces populations et les persuader de modifier des usages souvent ancrés dans des traditions, il faut définir des méthodes et des outils, si possible avec leur représentant, pour en garantir l’efficacité.
Le goupe de travail recommande de diffuser une information adaptée au risque encouru par ces différentes populations dans un langage accessible à tous.

Contrôler le respect des obligations légales d’information lors des Crep

Toute situation de risque immédiat pour un mineur, a fortiori de moins de 6 ans, identifiée au travers d’un Crep doit conduire à une invitation au dépistage adressée aux parents. Deux points importants sont à souligner.
Lorsque le constat de risque d’exposition au plomb met en évidence la présence de revêtements dégradés contenant du plomb, le propriétaire doit en informer les occupants et les personnes amenées à faire des travaux dans l’immeuble (article L1334-9 du Code de la santé publique). L’information est faite par communication du Crep auquel est annexée une note d’information dont la rédaction a été standardisée par arrêté (arrêté du 25 avril 2006). Cette note informe sur les risques, donne des conseils de prévention, et explique brièvement l’intérêt du dosage de la plombémie.
Le groupe de travail recommande que soit contrôlé le respect de cette obligation d’information. Il souligne la nécessité que cette information soit comprise par les personnes qui en sont destinataires et que son impact soit évalué.
Par ailleurs, le groupe de travail attire l’attention sur les discussions actuellement en cours autour des futures Agences régionales de santé (ARS). La lutte contre le saturnisme implique une intrication extrêmement forte entre les pouvoirs réglementaires et de police de l’État d’une part, et la pratique du dépistage et de l’information préventive d’autre part. Cela suppose une réelle mise en cohérence de la prévention, du dépistage, et de l’exercice des pouvoirs administratifs au sein des futures ARS.

Respecter des bonnes pratiques

L’efficacité du repérage/dépistage ne peut se concevoir sans une mise en application de bonnes pratiques tant au niveau de l’intervention auprès des familles que de l’organisation administrative des actions.

Respecter des bonnes pratiques pour faciliter l’adhésion des familles

Les motivations des familles à respecter le protocole lors d’une campagne de dépistage nécessitent d’une part qu’elles appréhendent correctement le saturnisme et d’autre part qu’elles soient assurées d’une action en cas d’intoxication décelée.
Concernant le premier point, on peut comprendre qu’une intoxication n’ayant, sauf cas exceptionnel, ni manifestations cliniques, ni effets sanitaires visibles, peine à mobiliser les familles les plus défavorisées, en particulier lorsqu’elles sont confrontées à des difficultés plus immédiates et plus urgentes. Concernant le second point, il convient de pouvoir proposer dans des délais raisonnables une réponse adaptée au niveau de plombémie décelé.
Dans tous les cas et a fortiori lorsqu’une intoxication est mise en évidence, des conseils d’hygiène et de diététique doivent accompagner les démarches pour soustraire les enfants à la source d’intoxication. Ces conseils doivent s’adapter au public concerné et tenir compte de ses contraintes.
Le groupe de travail recommande de privilégier le travail du personnel au domicile des familles (pour connaître la dynamique familiale), de simplifier les chaînes consultation/prescriptions/prélèvement, et de veiller à la qualité du geste de prélèvement (usage de patchs analgésiques…).

Respecter des bonnes pratiques pour faciliter la mobilisation pérenne des équipes

Les équipes en charge du dépistage sont d’autant plus motivées à mettre en œuvre ce dernier de façon performante et exhaustive que les recherches d’intoxications s’accompagnent de mesures effectives de réduction des risques à la source. Faute de ces mesures, les professionnels perdent le sens de leur intervention et sont incapables d’apporter des réponses aux familles.
C’est pourquoi le groupe de travail préconise de :
• favoriser le partenariat interinstitutionnel (SCHS, PMI, services de pédiatrie, services et agences de l’État chargés localement de la santé et des actions en matière de logement, DDE, Ddass, associations…) ;
• promouvoir le travail d’équipes pluridisciplinaires (techniciens du bâtiment, infirmières, travailleurs sociaux…) ;
• favoriser le retour d’informations épidémiologiques et celui sur les actions de réduction des expositions.
Par ailleurs, le groupe de travail insiste également sur la nécessité de mettre en place des dispositifs stables, permettant la mise à disposition de personnels qualifiés et ayant un statut clair et pérenne.

Respecter des bonnes pratiques pour potentialiser l’action administrative

Que le dépistage soit organisé dans un cadre transversal (enquête ponctuelle), dans un cadre longitudinal (accompagnement de procédures de repérage de bâtiments, dépistage au long cours), ou dans le cadre d’extension « en tache d’huile » (dépistages progressifs autour d’un cas index), le groupe de travail rappelle que :
• la proposition aux familles doit se faire dans le cadre d’un entretien en tête à tête ; cet entretien se fait avec d’autant plus de bénéfice qu’il est réalisé à domicile, ou que la personne qui mène l’entretien a une connaissance concrète de la réalité du logement et du contexte social ;
• la convocation systématique est un mode d’information qui peut être utile mais elle doit être accompagnée d’outils d’explications adaptés, et d’une gestion très souple. Lorsque le risque saturnin est lié à des facteurs socioéconomiques, c’est-à-dire dans la majorité des cas, un système complémentaire de rencontre avec la famille à domicile doit être organisé ;
• le système consistant à adresser un simple courrier invitant à se présenter auprès d’un médecin est souvent peu efficace ; il est interprété comme un moyen administratif de se conformer aux textes réglementaires, mais ne permet pas d’atteindre les objectifs réellement visés par le législateur. Ce système devrait être abandonné, sauf lorsqu’il sert de base à une démarche systématique, organisée et évaluée, d’acteurs locaux ;
• le délai entre le repérage du risque et la proposition du dépistage doit être le plus court possible ; la prise en compte de ce facteur est indispensable pour que le dépistage du saturnisme infantile soit un facteur de réduction des inégalités sociales de santé et non d’aggravation de ces inégalités.

Respecter des bonnes pratiques pour améliorer la fiabilité des études

Les études passées indiquent des pertes parfois très importantes, à différentes étapes du dépistage : non retour des questionnaires, renseignements des facteurs de risque absents ou inadéquats, plombémies prescrites mais non effectivement réalisées… Il est envisageable que ces pertes influencent le résultat d’un repérage/dépistage si les attitudes et comportements qui en sont à l’origine sont positivement corrélés à une probabilité plus forte de plombémie élevée. Dans ce cas, le nombre de cas dépistés ne représenterait pas correctement la prévalence réelle de l’intoxication dans la population initialement visée et la plombémie moyenne serait sous-estimée. Outre un objectif de minimisation des pertes (en recherchant l’adhésion des familles par exemple), une collecte des caractéristiques de l’ensemble de la population visée et son traitement statistique devraient permettre d’évaluer l’importance de ce phénomène.

Développer une démarche globale de santé

Le saturnisme infantile, et plus généralement la surexposition au plomb, ne peut être dissocié des autres problèmes de santé rencontrés par les populations concernées, le plus souvent des populations en situation de précarité. De même, les solutions apportées par les pouvoirs publics pour traiter la question du saturnisme infantile bénéficient à d’autres champs, sanitaires ou non. Ces actions s’inscrivent dans une dimension d’éducation pour la santé des familles.

Se préparer à une évolution des concepts en matière de dépistage du saturnisme

Au vu des connaissances sur les effets des faibles imprégnations, le groupe de travail recommande de ne plus apprécier la situation épidémiologique d’une communauté sur la seule proportion d’enfants ayant une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/l. D’autres critères pourraient être la plombémie moyenne de la population et la proportion d’enfants ayant une plombémie significativement supérieure à la moyenne nationale ou régionale, témoignant ainsi d’une exposition particulière.
À terme, la notion de dépistage (avec une conclusion dichotomique liée à un seuil administratif plus ou moins élevé) devrait s’effacer devant la notion de suivi biologique et environnemental de l’enfant.
Pour l’évaluation de l’action publique, le groupe de travail propose de prendre en compte des paramètres, tels que la proportion d’enfants ayant bénéficié d’une recherche de facteurs de risque d’exposition, la proportion d’enfants ayant effectué une plombémie par rapport à ceux présumés exposés, et la proportion d’enfants ayant eu un suivi biologique et environnemental et pour lesquels les mesures de réduction des expositions ont été effectivement prises.
La mise en œuvre de ces changements de repères impose à la fois le développement d’outils quantitatifs (permettant en particulier de mieux estimer le nombre d’enfants exposés sur une zone), et l’appropriation généralisée par les équipes de méthodes en promotion de la santé (meilleure implication des familles et de leur rapport à l’habitat en particulier).

Placer le dépistage du saturnisme infantile en cohérence avec la lutte contre l’habitat indigne

Le groupe de travail a souligné à plusieurs reprises que le dépistage n’avait de sens qu’associé à une réduction des risques environnementaux. Il pointe également le fait que cette réduction des risques doit être entendue de façon globale, et que la lutte contre le saturnisme doit être incluse dans la stratégie de lutte contre l’insalubrité. À défaut, la crédibilité de l’action publique est rapidement entamée. Bien conduite, cette articulation permet d’obtenir des gains dans d’autres champs sanitaires (allergologie, santé mentale...) et non sanitaires (accès à l’éducation...). C’est pourquoi le groupe de travail considère que la question du dépistage et de sa pérennité ne peut être dissociée d’enjeux plus vastes touchant notamment à la politique du logement dans notre pays.

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