2008


ANALYSE

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Outils de ciblage géographique du dépistage

L’apparente diminution de la prévalence du saturnisme plaide pour un ciblage des populations qui doivent bénéficier du dépistage. Le ciblage géographique est un moyen d’accéder à des populations considérées comme surexposées.

Deux approches possibles

Deux approches différentes peuvent être utilisées, une approche cartographique et une approche par la constitution de listes d’adresses ou de logements à risque. La première approche est pertinente s’il existe réellement une concentration de plombémies élevées dans la zone géographique considérée. La deuxième approche est plus adaptée à la situation d’un risque diffus.
L’approche cartographique a déjà été pratiquée par le passé. La recherche de zones à risque a en particulier connu un fort développement après la publication de la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions et ses décrets d’application, qui rendaient obligatoires les Erap dans des « zones à risque d’exposition au plomb » définies par les préfets. Les Ddass et les DDE ont cherché des méthodes pour définir ces zones à risque. Quelle qu’ait pu être la validité technique de ces démarches, elles n’ont pas eu d’aboutissement pour définir un zonage, puisque la quasi-totalité des préfets ont préféré définir l’ensemble de leur département comme zone à risque pour l’application des Erap. Ce choix des préfets est compréhensible dans la mesure où il était impossible de garantir que des cas de saturnisme infantile ne seraient pas déclarés dans des zones non définies à risque, ce qui aurait mis l’État dans une situation difficile. Cependant, en matière de santé publique, il reste justifié de désigner des populations pour lesquelles un risque est plus élevé, de façon à attribuer des moyens de prévention plus importants pour ces populations. L’absence d’aboutissement des études de zonage pour l’application des Erap ne signifie pas que la recherche de zones à risque élevé d’exposition au plomb est sans intérêt. Aux États-Unis, les Centers for Disease Control and prevention (CDC) recommandent cette démarche puisqu’ils demandent aux autorités locales de santé de faire la part entre des zones où le dépistage du saturnisme doit être réalisé de façon systématique et des zones où il doit être réalisé de façon ciblée (CDC, 1997renvoi vers).
En France, les cas de saturnisme de l’enfant sont répartis de façon extrêmement hétérogène sur le territoire national (Canoui et coll., 2005renvoi vers; InVS, 2006renvoi vers). Ceci peut être expliqué en partie par l’hétérogénéité du dépistage. Mais les cas de saturnisme sont généralement la résultante d’un habitat riche en plomb présentant de fortes dégradations et des conditions d’occupation favorables à l’exposition, la conjonction de ces facteurs n’étant pas présente de façon homogène sur le territoire. La situation de Paris en est un exemple, puisque l’élargissement en 1993 du dépistage à l’ensemble des PMI de Paris n’a pas modifié significativement la répartition spatiale des cas incidents, qui restent concentrés dans les arrondissements du nord-est de la capitale.
L’approche cartographique peut concerner le risque habitat, le risque industriel et le risque d’exposition hydrique. La maille géographique retenue peut être plus ou moins fine : ensemble de communes, commune, unité de distribution d’eau potable, zone d’impact d’activités polluantes ou potentiellement polluantes, quartier, îlot de recensement, section cadastrale…
L’approche du dépistage du saturnisme par constitution de fichiers d’adresses à risque n’a été pratiquée que rarement de façon pérenne. L’afflux des Erap dans les préfectures a questionné les Ddass sur la possibilité de les utiliser pour cibler le dépistage, mais de nombreuses sources d’adresses à risque ont été utilisées, à commencer par la liste des immeubles où des cas de saturnisme avaient été diagnostiqués.
Dans les deux approches, l’indicateur de risque d’exposition utilisé peut être plus ou moins sensible et plus ou moins spécifique. La sensibilité mesure la capacité de l’indicateur à identifier les vrais positifs, c’est-à-dire les zones, ou les listes d’adresses, où la prévalence est élevée. La spécificité mesure la capacité de l’indicateur à identifier les vrais négatifs, c’est-à-dire les zones, ou les adresses, où la prévalence est faible. Ces deux qualités sont difficiles à réunir, un équilibre est à trouver :
• la présence ou l’absence d’habitat ancien dans une zone géographique est un indicateur très sensible, puisque les cas de saturnisme sont dans leur écrasante majorité liés aux peintures anciennes. C’est en revanche un indicateur très peu spécifique : un dépistage mené sur une zone définie par cette seule information risque de donner des résultats décevants ;
• une liste d’adresses constituée à partir des Erap positifs parvenus au Préfet correspond à des immeubles ayant des peintures au plomb dans un état imparfait, mais pas forcément très dégradé ; c’est donc une information peu spécifique du risque de saturnisme. On peut supposer que sa sensibilité est bonne par rapport à l’ensemble des logements ayant fait l’objet de ce type de diagnostic, mais elle est faible par rapport au parc de logements anciens, puisque seuls les logements anciens mis en vente étaient visés par l’obligation de diagnostic.
Les outils de ciblage géographique doivent être adaptés à l’usage qu’on leur destine. Les objectifs peuvent être les suivants :
• sensibiliser les médecins dont la clientèle présente un risque plus élevé, de façon à ce qu’ils soient particulièrement vigilants dans la mise en œuvre des recommandations nationales de repérage individuel telles que décrites dans le guide DGS 2006. Une cartographie du risque est dans ce cas un outil de communication en direction des médecins ;
• donner un outil aux médecins pour les aider dans leur décision individuelle de prescription de plombémies. S’il s’agit d’une cartographie, le médecin pourra l’utiliser soit pour poser plus systématiquement le questionnaire individuel d’évaluation de l’exposition pour les enfants habitant dans une zone à risque, soit pour prendre plus facilement la décision de prescrire une plombémie lorsque le questionnaire individuel le laisse indécis ; les cartes devront être suffisamment lisibles pour que le médecin puisse situer l’habitation de l’enfant dans une zone. Ces cartes pourront être envoyées aux médecins concernés sous forme papier et/ou mis à disposition sur un site Internet. S’il s’agit d’adresses à risque, le médecin pourra les utiliser dans sa décision de repérage du risque et dans sa décision de prescription. Il devra être informé des modalités de constitution de la liste, de façon à en apprécier la spécificité. La mise à disposition de telles listes aux médecins pose des difficultés qui seront abordées plus loin ;
• servir de support pour un dépistage organisé par l’administration avec des moyens ad hoc, ce dépistage pouvant être systématique sur les zones ou adresses à risque ou individuel après passation d’un questionnaire d’évaluation de l’exposition.
Les populations qu’on souhaite cibler pour améliorer leur accès au dépistage sont aussi celles qui doivent bénéficier d’actions de prévention primaire, le dépistage n’étant qu’une mesure de prévention complémentaire. Les outils de ciblage pour la prévention primaire et pour le dépistage peuvent donc être en partie communs.

Outils pour une approche cartographique

On peut envisager un ciblage géographique pour trois types de sources d’exposition au plomb : les peintures au plomb de l’habitat ancien, les canalisations d’eau en plomb distribuant des eaux à fort potentiel de dissolution, les sites et sols pollués. L’enjeu principal reste le ciblage du risque d’exposition aux peintures au plomb, dont on sait qu’elles sont de loin la principale cause de plombémies élevées.

Risque des peintures au plomb

Il existe différentes sources de données qui peuvent être utilisées pour cartographier le risque lié aux peintures au plomb dans l’habitat.

Recensement général de la population de l’Insee

Les données du recensement général de la population (RGP) ont été utilisées par le passé dans différents départements pour cibler géographiquement des populations à risque, soit pour la réalisation de dépistages, soit pour la mise en place des zones à risque pour l’application de l’obligation de diagnostic des logements lors de leur vente (Erap).
Les items utilisés ont été principalement les dates de construction des logements (avant 1948 ou avant 1915), le confort (s’appuyant sur l’existence de WC intérieur, baignoire ou douche et chauffage central), la suroccupation, la part de jeunes enfants dans la population, les niveaux de revenu.
Des cartes de risque ont ainsi été bâties dès le milieu des années 1990 dans différents départements pour servir de base à des actions de dépistage : dans l’agglomération lyonnaise (Marquis, 1995renvoi vers), à Paris (Falcoff et coll., 1995renvoi vers), dans les Yvelines (Schützenberger Bojarski et coll., 1995renvoi vers), dans les Hauts-de-Seine (Conseil Général des Hauts-de-Seine, Ddass 92, DDE 92, 1999renvoi vers).
Après la publication de la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions et ses décrets d’application, qui rendaient obligatoires les Erap dans des zones à risque définies par les préfets, des travaux ont été menés dans de nombreux départements par les Ddass et les DDE pour définir ces zones à risque. Les données du RGP ont ainsi été utilisées dans ce cadre. Si ces travaux ont rarement abouti à un zonage des départements, ils ont parfois été utilisés dans une réflexion de ciblage du dépistage (dépistage Belfort 2003-2004 par exemple).
Le constat d’une probable hétérogénéité forte de l’exposition au plomb dans l’habitat a amené le Comité scientifique de l’enquête nationale de prévalence du saturnisme 2008, à souhaiter un sur-échantillonnage des enfants habitant dans les zones à risque élevé, afin d’avoir une meilleure estimation de la prévalence. Pour étudier les modalités d’un sur-échantillonnage, l’InVS a notamment utilisé le RGP 1999 à l’Iris1 . Les variables utilisées sont le nombre et la proportion de logements antérieurs à 1949, et l’indice de pauvreté des ménages (travail en cours). L’indice utilisé est l’indice de Townsend, qui est établi à partir de quatre indicateurs : proportion d’actifs de 15-64 ans au chômage, proportion de ménages sans voiture, proportion de ménages non propriétaires, proportion de ménages comprenant plus d’une personne par pièce d’habitation.
Le dernier RGP date de 1999, ces données deviennent peu à peu obsolètes. L’Insee a mis en place depuis 2004 un nouveau système de recensement par rotation. Le recensement repose désormais sur une collecte annuelle d’informations, concernant successivement tous les territoires communaux au cours d’une période de cinq ans. Les communes de moins de 10 000 habitants réalisent une enquête de recensement portant sur toute la population, à raison d’un cinquième des communes chaque année. Les communes de 10 000 habitants ou plus, réalisent tous les ans une enquête par sondage auprès d’un échantillon de leur population représentant 8 % de leur population. Ainsi chaque année, l’enquête annuelle constitue un échantillon de 14 % des personnes vivant en France. Ce n’est donc qu’à partir de 2008 que l’ensemble des habitants des communes de moins de 10 000 habitants et que 40 % de la population des communes de 10 000 habitants ou plus auront été pris en compte dans le nouveau recensement et permettront de diffuser les résultats complets du recensement et non plus seulement d’une enquête annuelle. Le questionnaire intitulé « feuille de logement » comporte 15 questions relatives aux caractéristiques et au confort du logement ainsi qu’à la composition du ménage. Le questionnaire intitulé « bulletin individuel » comprend 25 questions s’articulant autour de l’âge, du lieu de naissance, de la nationalité, du niveau d’études, du lieu de résidence 5 ans plus tôt et de l’activité professionnelle. Il concerne toutes les personnes vivant habituellement dans le logement.

Base de données Filocom

Le fichier Filocom (Fichier des logements par communes) est un fichier construit par la Direction générale des impôts (DGI) pour les besoins du ministère du Logement. Il est constitué à partir du fichier de la taxe d’habitation auquel sont rapprochés : le fichier foncier, le fichier des propriétaires et le fichier de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Ces données sont anonymisées. La mise à jour est faite tous les 2 ans. Une exploitation de ce fichier a été faite pour la définition d’un « parc privé potentiellement indigne » (PPPI), permettant aux services de l’État d’aider les communes à repérer des quartiers susceptibles de bénéficier d’actions d’amélioration de l’habitat. Pour la détermination du PPPI, les immeubles sélectionnés sont les immeubles privés classés dans les catégories cadastrales les plus mauvaises : 6, 7 et 8 (1 correspondant aux immeubles de grand standing et 8 à des taudis), et occupés par des personnes à faibles revenus (le niveau de revenu est défini comme un pourcentage du plafond de ressources des bénéficiaires de la législation sur les HLM et des aides de l’État en secteur locatif)2 . Les données du fichier Filocom permettent par ailleurs de caractériser les logements sur la taille des ménages, la superficie, la suroccupation, la date de construction… Les données de la base Filocom sont à la maille de la section cadastrale, qui est une fraction du territoire communal déterminée de façon à faciliter l’établissement et la consultation des documents cadastraux.
Le croisement entre la date de construction et le PPPI pourrait être un moyen de cartographier le parc présentant un risque plus élevé de saturnisme. Le Service communal d’hygiène d’Aubervilliers a ainsi constaté une bonne corrélation entre le taux de logements classé en PPPI dans chaque section cadastrale et la densité du dépistage, elle-même très liée au risque d’exposition présenté par les immeubles3 .
Toutefois, la base de données Filocom n’est pas facilement accessible aux acteurs de santé. L’utilisation des données Filocom est en effet encadrée par une convention qui lie le ministère du Logement et le ministère des Finances. Selon cette convention, les finalités des traitements réalisés à partir de cette base sont « l’aide à la définition des politiques locales de l’habitat, l’aide à la programmation du logement social, l’aide à l’observation et à la mise en œuvre des politiques locales de l’habitat et l’évaluation des politiques publiques ». Les données de cette base permettent ainsi à l’Agence nationale de l’habitat (Anah) de mettre à disposition des DDE et des délégations départementales de l’Anah des Cd-Roms décrivant l’habitat privé et son occupation et définissant le parc privé potentiellement indigne. Il serait souhaitable que l’utilisation de la base Filocom pour la priorisation des actions de prévention en santé soit explicitement prévue.

Autres sources de données géographiques

D’autres données permettant de caractériser des populations vivant en situation de précarité peuvent être obtenues auprès des Caisses d’assurance maladie, des Caisses d’allocations familiales, des Conseils généraux, des Assedic, ou d’organismes collectant des indicateurs de précarité telles que la Drees, les Observatoires régionaux de la santé, les Observatoires de la précarité et de l’exclusion sociale… Un indicateur de risque croisant le taux de logements antérieurs à 1949 par commune (issu du RGP 1999) et le taux de population couverte par l’allocation RMI (obtenu auprès de la Mission d’information sur la pauvreté et l’exclusion sociale en Île-de-France (Mipes) a par exemple été établi par l’InVS pour la zone Paris-Petite-couronne ; cet indicateur est corrélé au taux d’incidence du saturnisme sur cette zone (-Bretin et Lecoffre, 2006renvoi vers).

Aggrégation de données individuelles

Des sources de données individuelles telles que les adresses de survenue de cas de saturnisme, les adresses des immeubles déclarés insalubres… peuvent être agrégées pour aider à définir des zones à risque. La pertinence de cette démarche est fonction de la qualité de ces données et de leur densité. Ces données ont un risque de présenter des biais par rapport à la prévalence. Elles peuvent être cependant utilisées en complément des sources statistiques citées plus haut.

Risque hydrique

Le risque d’exposition des enfants par l’eau dans une zone géographique est lié à différents facteurs : potentiel de dissolution du plomb de l’eau distribuée, fréquence des branchements en plomb, fréquence des canalisations intérieures en plomb, taux d’enfants dans la population, taux de consommation d’eau du robinet, information de la population (qui peut limiter l’exposition par le rinçage des canalisations).
Il est possible d’accéder à des données permettant de quantifier le risque lié à l’eau, notamment :
• le potentiel de dissolution du plomb de chaque unité de distribution est connu par les Ddass qui sont chargées du contrôle sanitaire. Un bilan national a été établi par la DGS en 2006 à partir d’une enquête réalisée auprès des Ddass (circulaire DGS/SD7A/2002-592 du 6 décembre 2002). Cette enquête classe les unités de distribution en 4 catégories de potentiel de dissolution à partir du pH de l’eau : faible, moyen, élevé et très élevé. Selon un bilan réalisé par la Direction générale de la santé (DGS, 2006renvoi vers), la catégorie « très élevé » correspondait en 2003 à l’alimentation de 31,5 % des unités de distribution et de 13,4 % de la population ;
• la fréquence des branchements en plomb est une donnée normalement tenue à jour par les distributeurs qui sont tenus de fournir chaque année « le nombre et le pourcentage de branchements publics en plomb supprimés ou modifiés au cours de l’année écoulée » (décret n° 95-635 du 6 mai 1995 relatif aux rapports annuels sur le prix et la qualité des services publics et de l’eau potable et de l’assainissement). Elle n’est cependant pas collectée en routine par l’administration ;
• la fréquence des canalisations intérieures en plomb est fonction de l’âge de l’habitat, avec des différences locales possibles liées à des pratiques diverses et aux actions de réhabilitation. On considère habituellement que le plomb a été utilisé jusqu’au milieu des années 1950 pour les canalisations intérieures.
Les dépistages réalisés sur des zones a priori à risque hydrique ont été peu nombreux. Les plus récents ont donné des résultats décevants. Les cas de saturnisme pour lesquels l’exposition hydrique semble être la cause unique ou principale sont actuellement extrêmement rares. Une cartographie du risque hydrique semble donc n’avoir d’intérêt qu’en complément d’autres risques, habitat ou industriel, à moins que le niveau d’exposition soit réellement très élevé, ce qui, aujourd’hui, ne doit concerner que des unités de distribution de taille très limitée qui n’ont pas mis en place de traitement de l’eau malgré les incitations au traitement des eaux acides ou faiblement minéralisées faites par le ministère de la Santé depuis plus de 20 ans.

Risque industriel

Si certains sites sont connus comme émettant du plomb ou pollués par le plomb et font ou ont fait l’objet d’actions de réduction du risque d’exposition, d’autres sites seront probablement identifiés dans le futur. Différentes bases de données mises en place par le ministère de l’Environnement peuvent être utilisées pour cartographier le risque d’exposition :
• Basol (Base de données sur les sites et sols pollués ou potentiellement pollués), qui regroupe les sites pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics ;
• Gidic (Gestion informatique des données sur les installations classées), qui regroupe les sites en fonctionnement suivis par l’inspection des installations classées ;
• Basias (Base inventaire d’anciens sites industriels et activités de service), qui est un inventaire réalisé à partir d’archives et qui est en voie d’achèvement sur l’ensemble de la France. Le pilotage de cet inventaire est réalisé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). À la demande du ministère de l’Environnement, ont été extraites de cette base en 2005 les activités ayant pu émettre du plomb dans l’atmosphère ; cette extraction comprenait 5 292 sites sélectionnés sur un total de 122 272 sur 59 départements. Les activités sélectionnées étaient les cimenteries, les installations d’agglomération de minerai, les aciéries électriques, la fusion de métaux non ferreux, la fonderie de métaux non ferreux, la fabrication de piles et accumulateurs, la fabrication du verre, les installations de combustion et les raffineries.
En 2006, le ministère de l’Environnement recensait 387 « installations en fonctionnement ou ayant récemment cessé leur activité, pour lesquelles une contamination des sols par le plomb est possible du fait de leurs activités présentes ou passées ».
L’utilisation de ces bases de données pour cartographier le risque d’exposition se heurte à l’absence de données standardisées sur la pollution des milieux et à l’absence de données tout court pour la plupart des sites (Dousson, 2002renvoi vers; Schmitt, 2005renvoi vers). Des développements méthodologiques restent à faire.
Dans les situations où on dispose de données sur la pollution des milieux, des méthodes existent pour évaluer la pertinence d’un dépistage systématique des populations (InVS, 2002renvoi vers; Glorennec et coll., 2006renvoi vers). Toutefois, les situations de populations importantes soumises à des émissions fortes de plomb par une installation en fonctionnement sont en voie de disparition du fait de la pression réglementaire. L’exposition au plomb de populations sur des sites pollués est maintenant surtout due à la pollution historique des sols, qui peut être élevée, mais qui entraîne une exposition plus faible que l’exposition directe à des retombées atmosphériques. Les situations justifiant un dépistage systématique autour d’un site pollué, avec une organisation ad hoc, deviennent donc plus rares. En revanche, l’existence d’une exposition potentielle par le plomb de populations habitant sur un site pollué ou potentiellement pollué est une information qu’il peut être utile d’apporter aux médecins traitants pour qu’ils en tiennent compte, parmi l’ensemble des facteurs de risque, dans une décision individuelle de dépistage.

Outils pour une approche par listes d’adresses à risque

Le dépistage d’enfants par signalement d’adresses ou de familles à risque a été pratiqué assez largement. Les sources d’adresses à risque qui ont été utilisées sont diverses : signalements par des personnes amenées à visiter les logements (techniciens sanitaires, travailleurs sociaux et médicosociaux, associations…), immeubles où des cas de saturnisme ont été dépistés, immeubles déclarés insalubres, Erap et Crep adressés au Préfet, logements occupés par des familles avec jeunes enfants ayant fait une demande d’aide au Fonds de solidarité logement…
Les informations peuvent être collectées directement par les services de PMI, ou bien par les Ddass, les SCHS ou un coordonnateur de la lutte contre le saturnisme qui les utilisent pour informer les familles – directement ou via des associations ou des opérateurs – et les médecins de PMI.
L’information semble être généralement utilisée au fur et à mesure de son arrivée (gestion « au fil de l’eau ») pour proposer un dépistage aux enfants concernés. La mise en place de véritables fichiers d’adresses à risque a été moins fréquente.
Cette approche a été utilisée de diverses façons. Dans les Hauts-de-Seine, un fichier des Erap et des Crep est établi et mis à jour par le Service santé-e-nvironnement de la Ddass et mis à disposition des médecins de PMI et des services communaux d’hygiène. À Aubervilliers, une liste d’immeubles ayant fait l’objet d’un diagnostic environnemental positif par le SCHS, comprenant l’analyse du plomb acido-soluble d’écailles de peintures des parties communes, est tenue à jour et mise à disposition de la PMI. À Paris, une liste d’adresses identifiées comme présentant des risques d’exposition au plomb est mise à disposition des équipes de PMI, de santé scolaire et des travailleurs sociaux ; cette liste comprend les adresses ayant fait l’objet d’une déclaration obligatoire d’intoxication saturnine et les adresses incluses dans les programmes de lutte contre l’insalubrité ou faisant l’objet d’un arrêté d’insalubrité ; cette liste permet de systématiser la recherche des risques d’exposition des enfants habitant ces adresses et de mieux poser les indications de dosages de plombémie.
La gestion « au fil de l’eau » de la connaissance d’une adresse à risque pour en informer les occupants et éventuellement des médecins dans un but de dépistage n’a pas la même logique que la capitalisation d’adresses à risque pour la mettre à disposition des médecins. Dans le premier cas, on s’intéresse à la situation actuelle d’occupation de l’immeuble pour proposer éventuellement un dépistage aux occupants. Dans le deuxième cas, il est utile d’enregistrer l’existence d’un danger lié à un immeuble, même s’il est vide d’occupant lorsque l’information est connue. L’exemple des Erap et des Crep réalisés dans des logements illustre ce propos : ces diagnostics étant réalisés lors d’une vente concernent des logements le plus souvent vides d’occupants, ce qui limite l’intérêt de les utiliser au fil de l’eau pour proposer le dépistage ; en revanche, on peut considérer que l’existence d’un danger relevé dans le logement est un indice d’une part de la présence de peintures au plomb dans tout l’immeuble, et d’autre part d’une probabilité que d’autres logements soient dégradés, justifiant l’inscription de l’immeuble sur une liste d’adresses à risque.
L’utilisation d’une liste d’adresses à risque est évidemment différente selon la spécificité de la liste par rapport au risque de saturnisme. Du fait des délais souvent trop longs pour réhabiliter ou démolir un immeuble collectif insalubre, certains immeubles collectifs restent durablement pourvoyeurs de cas de saturnisme. Les services de santé pratiquent alors dans ces immeubles des dépistages systématiques parfois pendant plusieurs années. Pour des immeubles pour lesquels l’information se limite à la connaissance de la présence de plomb sans notion de dégradation grave (cas de la plupart des Erap), le médecin utilise l’information en complément des réponses au questionnaire individuel.
Une liste d’adresses présentant un risque élevé paraît plus intéressante dans la perspective d’un dépistage, mais elle est aussi plus coûteuse à obtenir (visite de l’immeuble, mesure du plomb, évaluation des conditions d’occupation…).
L’établissement d’un fichier des Erap s’est heurté dans les premières années à la très mauvaise qualité des diagnostics réalisés par les contrôleurs techniques. Par ailleurs, certains notaires envoyaient systématiquement les Erap au Préfet, par sécurité, même en l’absence de plomb. En cas de présence de plomb, les situations étaient de gravité très diverse. L’enregistrement des Erap sans sélection des dossiers aboutissait ainsi à une liste peu spécifique du risque d’exposition au plomb. La sélection des dossiers avant enregistrement représentait un important travail pour les services, qui ne pouvaient y consacrer que des moyens pris sur d’autres activités.
Le remplacement des Erap par les Crep a été en partie justifié par cette situation. La principale différence technique entre les deux dispositifs est le fait qu’il est demandé à l’opérateur de prendre en compte les facteurs de dégradation du bâti pour l’envoi d’une copie du Crep au Préfet (tableau 16.I).

Tableau 16.I Annexe 4 de l’arrêté du 25 avril 2006 relatif au constat de risque d’exposition au plomb

Les facteurs de dégradation du bâti à prendre en compte par l’auteur du constat de risque d’exposition au plomb sont les suivants :
1. Au moins un local parmi les locaux objets du constat présente au moins 50 % d’unités de diagnostic de classe 3*
2. L’ensemble des locaux objets du constat présente au moins 20 % d’unités de diagnostic de classe 3*
3. Les locaux objets du constat présentent au moins un plancher ou plafond menaçant de s’effondrer ou en tout ou partie effondré
4. Les locaux objets du constat présentent des traces importantes de coulures ou de ruissellement ou d’écoulement d’eau sur plusieurs unités de diagnostic d’une même pièce
5. Les locaux objets du constat présentent plusieurs unités de diagnostic d’une même pièce recouverts de moisissures ou de nombreuses taches d’humidité

* Les unités de diagnostic de classe 3 sont celles qui présentent des peintures au plomb dégradées

Le texte dispose que l’envoi au Préfet est réalisé si au moins un des facteurs de dégradation est identifié. Les préfets reçoivent donc normalement des diagnostics d’immeubles dans lesquels existe une proportion notable de surfaces recouvertes par des peintures au plomb dégradées. Les fichiers d’adresses présentant des Crep adressés au Préfet devraient être ainsi plus spécifiques du risque d’exposition au plomb que les fichiers d’Erap (les points 3 et 4 de l’annexe sont indépendants de la présence de plomb, mais ces situations devraient être peu fréquentes). À noter cependant que lorsque le logement mis en vente se trouve dans un immeuble collectif, l’état du logement n’est pas forcément représentatif de l’état de l’immeuble.
L’obligation des Crep sera étendue en 2008 aux parties communes des immeubles anciens et aux nouvelles locations. C’est donc une source de données importante qu’il serait dommage de ne pas capitaliser. La connaissance de l’existence d’un Crep avec facteurs de dégradation est une information qui peut être utile dans le cadre du dépistage du saturnisme. Plutôt que faire une diffusion directe de cette liste vers les médecins, il est envisageable de la recouper avec d’autres sources d’information pour obtenir une liste plus spécifique du risque. La stratégie à suivre est dépendante de la situation de prévalence locale estimée.
La diffusion d’adresses étiquetées « à risque d’exposition au plomb » peut poser des questions de droit : un propriétaire peut ne pas apprécier cet étiquetage, et attaquer l’administration s’il estime ce classement non justifié. Ce peut être le cas lorsqu’un immeuble collectif est classé à risque à cause d’un logement en mauvais état ou si l’auteur du fichier tarde à le mettre à jour à la suite de travaux réalisés par le propriétaire et ayant supprimé le risque. La diffusion d’adresses à risque a d’ailleurs été limitée jusqu’ici à des réseaux de médecins de l’administration de l’État ou de l’administration territoriale. Il apparaît délicat de les diffuser sur Internet.
Les listes d’adresses à risque d’exposition au plomb recoupent en grande partie les listes qui vont être établies par les « observatoires nominatifs des logements indignes et indécents et des locaux impropres à l’habitation » que la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement a introduite dans la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement. La mise en place d’un observatoire est une nouvelle attribution confiée au comité responsable du plan départemental pour le logement des personnes défavorisées. L’observatoire est placé sous l’autorité conjointe du Préfet et du Président du Conseil général qui en assurent la gestion. Selon la loi du 13 juillet 2006, la finalité des observatoires est le « traitement des logements indignes ».
Un décret d’application spécifique, qui nécessitera l’autorisation de la Cnil, était en cours d’étude lors de la rédaction du présent document, pour définir notamment les catégories d’informations qui entreront dans ces observatoires. Il était envisagé notamment d’inclure :
• les logements, ou locaux utilisés aux fins d’hébergement, que leur caractère insalubre ou dangereux permet de qualifier d’indignes ;
• les locaux impropres à l’habitation ;
• les arrêtés d’insalubrité ;
• les locaux ayant fait l’objet d’une mise en demeure ou d’une injonction en application des articles L. 1331-22, L. 1331-23 et L. 1331-24 du Code de la santé publique ;
• les notifications d’exécution des travaux de réduction du risque plomb, en application des articles L. 1334-1 et L. 1334-2 du Code de la santé publique ;
• les Crep avec facteurs de dégradation du bâti ;
• les arrêtés de péril imminent ou non imminent ;
• les prescriptions, à caractère imminent ou non imminent, de remise en état des équipements communs dans les immeubles collectifs à usage partiel ou total d’habitation, en application des articles L. 129-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation ;
• les mesures de sécurité contre l’incendie ou les risques de panique, en application des articles L. 123-3 et suivants du Code de la construction et de l’habitation ;
• les injonctions prises sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, en application du règlement sanitaire départemental ;
• les logements qualifiés de non-décents à la suite des contrôles effectués par les organismes payeurs des aides personnelles au logement ainsi que les gestionnaires du fonds solidarité logement ;
• les ordonnances ou jugements ayant constaté la non-décence d’un logement.
Bien que ces observatoires aient pour vocation de suivre de façon organisée la remise en état ou la démolition des locaux visés, ils apparaissent comme une opportunité pour cibler des adresses où un dépistage du saturnisme serait une mesure parallèlement nécessaire pour la protection des occupants. Les modalités techniques et juridiques de cette utilisation devront être étudiées.
En conclusion, on constate que beaucoup d’initiatives ont été prises pour déterminer des zones à risque de saturnisme, en général à partir du RGP 1990 ou 1999. Les méthodes utilisées sont variables, et elles ont demandé souvent un important travail de développement méthodologique aux équipes locales qui les ont établies. Bien que certaines cartographies aient débouché sur des actions de dépistage, il n’y a pas eu de validation des indicateurs de risque avec une mesure réelle de la prévalence. La cartographie peut être un outil efficace pour sensibiliser des médecins au dépistage à condition qu’elle permette d’isoler des zones où le risque est nettement plus élevé. Pour être efficace et faire des économies d’échelle, il apparaît nécessaire de réaliser un travail méthodologique au niveau national permettant la définition d’indicateurs validés utilisables de façon homogène sur le territoire à partir de sources de données facilement disponibles. L’enquête de prévalence du saturnisme mise en œuvre par l’InVS en 2008 devrait apporter des éléments pour cela, puisqu’un de ses objectifs est la validation d’indicateurs géographiques du risque. Deux échelons administratifs paraissent pertinents pour la réalisation de cartes : l’échelon départemental, et l’échelon communal pour les grandes communes.
La mise en place de fichiers d’adresses à risque paraît adaptée à la situation d’un risque diffus. Elle pose néanmoins des questions méthodologiques et juridiques.
La définition de priorités en matière de prévention du saturnisme n’est pas très éloignée de la définition de priorités pour la lutte contre l’habitat indigne. Des liens sont à établir entre ces objectifs pour que les outils mis en place pour la lutte contre l’habitat indigne soient utilisés, avec les adaptations nécessaires, pour la prévention du saturnisme et notamment le dépistage. La base de données Filocom utilisée pour la définition du parc privé potentiellement indigne pourrait ainsi être utilisée pour la définition du risque d’exposition au plomb dans l’habitat. Les observatoires nominatifs des logements indignes prévus par la loi du 13 juillet 2006 pour suivre le traitement des logements indignes ou indécents pourraient avoir une fonction d’aide au dépistage en permettant la réalisation et la diffusion de listes d’adresses à risque d’exposition au plomb.
Des développements méthodologiques sont à faire au niveau national par les ministères chargés de la santé et du logement pour faciliter la mise en place de ces outils, tout en laissant une liberté d’action au niveau local. Une autre condition est que l’administration départementale dispose de moyens suffisants.

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