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Med Sci (Paris). 35(2): 153–156.
doi: 10.1051/medsci/2019006.

Organismes-modèles et réglementation de la recherche animale

Hélène Hardin-Pouzet1* and Serban Morosan2

1Sorbonne Université, UM 119, Inserm UMRS 1130, CNRS UMR 8246, Neuroscience Paris Seine, Institut de Biologie Paris Seine, 75005Paris, France
2Sorbonne Université, UMS 28, Inserm, Faculté de Médecine, 75013Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Expérimentation animale, Alternatives à l'expérimentation animale, Animaux, Recherche biomédicale, Humains, Modèles animaux, législation et jurisprudence, méthodes, tendances

 

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Vignette (Photo © Inserm/Leclerc, Philippe).

L’usage des animaux dans la recherche biomédicale, qu’elle soit humaine ou vétérinaire, fait l’objet de débats au sein de la société et alimente de nombreuses réflexions dans le monde de la recherche. Pour la France, les réflexions se font au niveau de différentes instances de réglementation (le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, la Commission nationale de l’expérimentation animale [CNEA]), des sociétés savantes ou de groupes de réflexion de professionnels (comme les Académies des Sciences, de Médecine ou Vétérinaire, l’AFSTAL [Association française des sciences et techniques de l’animal de laboratoire], ou le GIRCOR [Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche]).

Les débats ne sont bien sûr pas restreints à la sphère nationale. Ils concernent l’ensemble des pays acteurs de la recherche biomédicale. Au niveau européen, la LERU (League of European research universities) ainsi que la FEAM (Fédération européenne des académies de médecine) sont des animateurs importants de la réflexion ; aux États-Unis, l’Académie des Sciences Américaine a organisé récemment une réunion sur la « médecine de précision » et l’apport des modèles animaux [1]. Les débats convergent tous vers les mêmes conclusions : « la recherche biomédicale est une nécessité sociétale ; à défaut de pouvoir expérimenter sur l’homme, l’expérimentation animale est indispensable » [2] et celle-ci, pour être légitime, doit respecter la fameuse règle des 3R (Raffiner, Remplacer, Réduire) énoncée dès 1959 par Russell et Burch [3].

L’utilisation des modèles animaux est encadrée par la loi française1, découlant de la directive européenne 2010/63 sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, qui précise dans le considérant numéro 10 : « S’il est souhaitable de remplacer l’utilisation d’animaux vivants dans les procédures par d’autres méthodes qui n’impliquent pas leur utilisation, l’utilisation d’animaux vivants demeure nécessaire pour protéger la santé humaine et animale ainsi que l’environnement ». Ces méthodes dites alternatives ont cependant leurs limites et ne peuvent être un remplacement complet des modèles animaux.

Les techniques d’études in vitro impliquent l’utilisation de cellules prélevées chez l’animal et nécessitent souvent son euthanasie. La standardisation et la reproductibilité de ces techniques in vitro sont complexes, notamment du fait des processus liés à l’immortalisation des cellules pour produire des lignées cellulaires ou du fait de la composition des milieux permettant leur culture, milieux qui ne peuvent être systématiquement synthétiques. Cela rend la démarche de validation d’un test par des instances officielles assez longue, de l’ordre de 10 ans en moyenne (et par exemple, 20 ans pour les tests d’apyrogénicité2 utilisés dorénavant en cosmétologie).

Les méthodes in silico présentent aussi leurs limites. Elles relèvent de l’interprétation de bases de données ou du criblage de molécules à potentiel thérapeutique. Elles apportent un gain de temps et de moyen importants. Néanmoins, la complexité des interactions moléculaires qui existent entre une substance testée et son environnement dans l’organisme entier reste encore difficile à modéliser. Il est donc indispensable de combiner différentes approches expérimentales afin de générer des connaissances qui soient valides en recherche fondamentale et appliquée, ce qui nécessite l’utilisation de modèles intégrés.

Choisir le « bon » organisme-modèle

D’après la définition générale donnée par le Larousse, un modèle est une représentation schématique d’un processus ou d’une démarche raisonnée. Le modèle expérimental, qu’il soit in vivo, in vitro ou in silico, a pour but de tester la validité d’une hypothèse, en reproduisant un processus et en en faisant varier les paramètres, l’un après l’autre, au cours de l’expérience. Cette notion de « modèle » a été évoquée dès 1543 par Nicolas Copernic et son modèle héliocentrique de l’Univers3. En recherche biomédicale, la notion d’organisme-modèle utilisé dans une procédure expérimentale s’est développée progressivement, depuis Gregor Mendel et Claude Bernard, jusque dans les années 1970.

Qu’est ce qu’un organisme-modèle ?
Un organisme-modèle est une espèce animale choisie afin de définir des données servant de référence, ou pour décrypter un processus physiologique ou physiopathologique, qu’il soit spontané ou induit, celui-ci devant présenter un ou plusieurs aspects en commun avec un phénomène équivalent observé chez l’homme ou chez d’autres espèces animales. L’organisme-modèle permet également d’aborder le fonctionnement de certains organes, comme le système nerveux, ou de certaines fonctions, comme les réactions comportementales, très complexes. Il permet enfin de tester en phase pré-clinique l’efficacité de molécules avant leur application à l’homme [1-4]. Le choix judicieux de l’espèce sur laquelle mener les investigations est donc la première étape de l’analyse d’un processus biologique ou de la validation d’une phase pré-clinique. Ce choix est crucial, comme l’a montré de manière désastreuse l’exemple de la thalidomide, exempte d’effet en phase pré-clinique sur différents modèles animaux, mais responsable de conséquences importantes chez l’homme. Déterminer le bon organisme-modèle à investiguer pour une application n’est donc pas évident et plusieurs points nécessitent de l’attention.

Il est tout d’abord nécessaire d’évaluer les similarités et les différences entre l’espèce sur laquelle l’expérimentation sera conduite et l’espèce pour laquelle les résultats obtenus seront transposés (en général, il s’agit de l’homme). On parlera de modèle isomorphique lorsque les symptômes obtenus sont identiques à ceux de la maladie humaine étudiée, de modèle homologue lorsque les mécanismes mis en jeu dans l’espèce modèle et celle dans laquelle ils seront transposés sont similaires, et de modèle prédictif lorsque la réponse au traitement est comparable entre les deux espèces [5].

D’autres caractéristiques sont importantes pour le choix de l’organisme-modèle approprié. Son cycle de vie et son cycle de reproduction nécessitent d’être de durées compatibles avec le temps de l’expérimentation. L’espèce doit également présenter des facilités d’élevage : elle doit être capable de vivre et de se reproduire dans un environnement standardisé, assurant ainsi la reproductibilité des procédures expérimentales. La taille des individus est, évidemment, un critère important : elle doit être compatible avec l’espace disponible pour des installations d’élevage adaptées. Il est enfin nécessaire de disposer des outils expérimentaux permettant les investigations : en termes biotechnologiques, par exemple des anticorps, des sondes nucléiques, la possibilité de dosage d’activités enzymatiques, et en termes génétiques, par exemple l’existence de mutants spontanés ou induits, de fonds génétiques variés, d’outils d’édition du génome pour l’espèce concernée.

L’importance du fonds génétique, et le caractère multigénique d’un trait phénotypique, sont des éléments à ne pas perdre de vue lors du choix de l’organisme-modèle : la mutation d’un gène n’entraîne en effet pas les mêmes conséquences selon le fonds génétique sur lequel elle s’exprime. Il est également important de ne pas se focaliser sur les traits phénotypiques attendus : la mutation de gènes orthologues n’aboutit pas toujours aux mêmes phénotypes selon les espèces.

De nombreux organismes peuvent être modèles, des invertébrés (pour des analyses mécanistiques, en particulier) aux vertébrés inférieurs et supérieurs qui permettent une étude plus intégrée. Chacun présente ainsi des avantages et des inconvénients qui lui sont propres.

Le cadre réglementaire et les organismes-modèles
Quelle que soit l’espèce concernée, l’utilisation des modèles animaux à des fins scientifiques est soumise à un cadre réglementaire strict. La problématique de la recherche animale ne date pas d’aujourd’hui : déjà Claude Bernard posait la question de cette réglementation en 1865. Plusieurs lois ont ainsi été successivement promulguées, résultats de débats au sein de la société et s’affinant progressivement pour aboutir à son expression actuelle : la transcription, en 2013, en droit français, de la directive européenne 2010/63/UE4.

La directive européenne 2010/63/UE comporte un préambule constitué de 56 considérants. Elle a pour ambition d’être « une étape importante vers la réalisation de l’objectif final que constitue le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives dès que ce sera possible sur le plan scientifique ». Elle vise également à assurer un niveau élevé de protection des animaux utilisés dans ces procédures. Sa traduction en droit français, par le décret 2013-118 et ses arrêtés d’application, porte sur l’agrément, l’aménagement, le fonctionnement des établissements et leurs contrôles, sur la formation et les compétences du personnel, sur l’évaluation éthique et l’autorisation des projets, sur la délivrance et l’utilisation des médicaments et, enfin, sur la fourniture des animaux. Ces arrêtés sont complétés par des guides de bonnes pratiques (Tableau I).

La directive européenne et la réglementation française ont comme objectifs de diffuser et promouvoir la règle des 3R et de faire progresser les principes éthiques, la protection des animaux et le bien-être animal.

Cette réglementation protège les animaux vertébrés, y compris les formes larvaires autonomes ou fœtales évoluées (dernier tiers de la gestation), et les Céphalopodes. Elle concerne donc les mammifères, mais aussi les poissons et les oiseaux. Elle ne concerne pas en revanche les insectes ou les nématodes. L’utilisation de primates non-humains est, quant à elle, restreinte, et celle des grands singes est interdite.

Les établissements utilisateurs, éleveurs, fournisseurs et les compétences des personnels

Les animaux, entrant dans le cadre de la règlementation, doivent provenir d’élevages ou de fournisseurs agréés et enregistrés : ces établissements, éleveurs, fournisseurs ou utilisateurs, sont agréés pour 6 ans par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, après vérification de la conformité de leurs installations. Des inspections, documentaires et physiques, sont réalisées régulièrement afin de vérifier l’application de la loi.

La directive et la réglementation française définissent également la notion de « compétence » des personnels qui inclut différents aspects pour les concepteurs, les applicateurs et les soigneurs : une formation initiale réservée aux concepteurs ; une formation spécifique pour les concepteurs, applicateurs ou soigneurs, qui pourra s’accompagner d’une formation à la chirurgie, et dont le programme doit être approuvé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation après avis de la CNEA ; enfin une formation continue de 3 jours par période glissante de 6 ans. Ces compétences sont indispensables pour l’application de procédures aux animaux, la conception de procédures et de projets, les soins et l’euthanasie des animaux.

Pour les animaux définis dans la loi, la loi française explicite la licéité de l’expérimentation : elle doit être nécessaire et irremplaçable. Elle doit relever de la recherche en santé humaine ou animale, de la protection de l’environnement, de l’enseignement supérieur ou professionnel, ou d’enquêtes médico-légales. Elle doit être conduite en assurant la santé et le bien-être des animaux avant, pendant et après l’expérimentation, et en limitant leur souffrance par l’utilisation d’analgésie ou d’anesthésie et la définition de points limites précoces. Les principes (les 3 R) de remplacement (par une méthode ne nécessitant pas d’animaux), de réduction (par la diminution du nombre d’animaux au strict minimum) et de raffinement (par le choix des méthodes les plus douces) doivent être mis en œuvre.

Chaque projet de recherche susceptible de « causer à l’animal une douleur, une souffrance, une angoisse ou des dommages durables équivalents ou supérieurs à ceux causés par l’introduction d’une aiguille effectuée conformément aux bonnes pratiques vétérinaires » doit faire l’objet a priori d’une évaluation éthique et d’une autorisation de projet délivrée par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation après avis d’un comité d’éthique agréé.

Plusieurs commissions assurent le suivi et la réflexion sur la réglementation : la Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA), qui donne des avis et propose, notamment pour l’approbation des formations spécifiques par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ainsi que pour la formation continue ; et le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (CNREEA), qui établit un bilan annuel national de l’activité des Comités d’éthique, et formule des recommandations. Il existe également des réseaux de partage d’information comme le GIRCOR ou l’EFOR (le groupe d’Études fonctionnelles chez les organismes-modèles). Se développent également des centres de ressources qui permettent de faciliter les échanges, de préserver les modèles qui peuvent ainsi être étudiés sous de nouveaux angles et de conserver les lignées d’intérêt. On peut citer comme exemple, pour les souris, le réseau Phenomin (infrastructure nationale en biologie et santé) qui facilite l’utilisation de ces modèles en recherche, et qui regroupe trois centres de ressources : le Centre d’immunophénomique, l’Institut clinique de la souris et le Laboratoire de typage et d’archivage d’animaux modèles.

Conclusion

La recherche fondamentale et appliquée nécessite de recourir à des animaux de laboratoire lorsqu’elle veut intégrer, au niveau de l’organisme, des résultats obtenus in silico ou in vitro. La connaissance des mécanismes physiopathologiques à l’origine des thérapeutiques médicales et chirurgicales ou les études de toxicologie et des produits de santé nécessitent la mise en œuvre de ces modèles intégrés. La recherche animale reste ainsi indispensable à la production de connaissances. Elle se fait dans un cadre strict ayant comme préoccupation première le bien-être de l’animal et la règle des 3R.

La diversité des organismes-modèles disponibles présente des avantages multiples et complémentaires. Des modèles simples permettent de définir des mécanismes moléculaires impliqués dans certaines pathologies et d’envisager des voies de thérapie. Les modèles plus intégrés permettent, eux, de comprendre les interactions complexes menant à la pathologie.

Pour certains questionnements, les modèles animaux trouvent leurs limites et ne permettent pas d’explorer tous les champs disciplinaires. On peut citer, par exemple, les difficultés d’appréhender les mécanismes présidant à la décision, au jugement, ou plus largement à l’expression de l’intelligence. Le développement des techniques non invasives chez l’homme, comme l’imagerie anatomique et l’imagerie fonctionnelle, constituent alors des outils d’exploration précieux pour ces questions.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Décret 2013-118 et ses 5 arrêtés de publication datés du 1er février 2013.
2 Tests définissant l’absence de molécules pyrogéniques, notamment d’endotoxines comme le lipopolysaccharide bactérien.
3 Un modèle plaçant le Soleil au centre de l’Univers et non plus la Terre, contestant ainsi au Moyen Âge le modèle géocentrique de Ptolémée.
4 Articles R214-87 à R214-137 du code rural, mis à jour par le décret 2013-118 et 5 arrêtés de publication datés du 1er février 2013.
References
1.
Hammers Forstag E, Anestidou L. Advancing disease modeling in animal-based research in support of precision medicine: Proceedings of a Workshop . Washington (DC): : National Academies Press; ; 2018.
2.
Académie Vétérinaire de France. Rapport de la commission relation homme-animaux sur la recherche scientifique et l’expérimentation animale : état de la question. 2012 ; Paris: Académie vétérinaire de France; , mai; 2012 .
3.
Russell WMS, Burch RL. The principles of humane experimental technique. 1959 ; Londres: Methuen; 238 p.
4.
Ankeny RA, Leonelli S. What’s so special about model organisms? . Studies in History and Philosophy of Science Part A. 2011; ; 42 : :313.–323.
5.
Nouvel P, Djian-Zaouche J, Duloquin I. Qu’est-ce qu’un organisme modèle ? . Biofutur. 2010; ; 29 : :24.–28.