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Med Sci (Paris). 35(2): 118–122.
doi: 10.1051/medsci/2019020.

La sous-unité catalytique de l’anaphase-promoting complex APC11 est impliquée dans la progression tumorale des cancers colorectaux présentant une instabilité chromosomique

Caroline Moyret-Lalle,1,2,3,4,5* Youenn Drouet,6,7 and Alain Puisieux1,2,3,4,5

1Inserm U1052, CNRS UMR 5286, Cancer research center of Lyon, Lyon, F-69008, France
2Centre Léon Bérard, 28, rue Laënnec, Lyon, F-69008, France
3Université Lyon1, ISPB, Lyon, F-69008, France
4Université de Lyon, Lyon, F-69622, France
5LabEx DEVweCAN, Université de Lyon, F-69000Lyon, France
6Centre Léon Bérard, Département de santé publique, 28, rue Laënnec, Lyon, F-69008, France
7CNRS UMR 5558, Laboratoire de biométrie et biologie évolutive, Lyon, F-69373, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Séquence d'acides aminés, Sous-unité APC11 du complexe promoteur de l'anaphase, Domaine catalytique, Instabilité des chromosomes, Tumeurs colorectales, Évolution de la maladie, Humains, Ubiquitin-protein ligases, composition chimique, physiologie, génétique, anatomopathologie

Cancers colorectaux et instabilités génétiques

Les cancers colorectaux (CRC) sont parmi les cancers les plus fréquents dans le monde et sont au deuxième rang de la mortalité par cancer en France. Pour optimiser la prise en charge des patients atteints de CRC, plusieurs classifications moléculaires ont été établies depuis une dizaine d’années. Parmi les marqueurs moléculaires retenus, on retrouve notamment l’instabilité génétique. Il existe deux types d’instabilité génétique, l’instabilité génomique comprenant l’instabilité microsatellitaire (MSI) et l’hypermutabilité, présente dans 15 % des CRC, et l’instabilité chromosomique (CIN) retrouvée dans 85 % des CRC. En 2015, un consortium international a proposé une classification des CRC en 4 groupes distincts nommés CMS (consensus molecular subtypes) [1]. Dans le groupe CMS1 (représentant 14 % des CRC), l’instabilité MSI est prédominante, ainsi que le phénotype d’hyperméthylation des ilôts CpG des promoteurs (CIMP+, CpG Island methylator phenotype) et d’infiltration immunitaire. Les groupes CMS2 (37 % des CRC) et CMS4 (23 % des CRC) sont enrichis en tumeurs présentant une forte instabilité CIN et le groupe CMS3 (13 % des CRC) présente des tumeurs à la fois MSI+ et MSI-, CIMP-, qui sont relativement stables au niveau chromosomique [1]. Récemment, une nouvelle étude a permis de confirmer le premier sous-type CMS1 et de montrer une plus grande hétérogénéité des sous-types CMS2 et CMS4 présentant un génotype CIN ; en effet, certaines tumeurs présentent un génotype stable avec une hyperméthylation de l’ADN et des mutations dans les gènes K-ras (Kirsten rat sarcoma viral oncogene homolog), SOX9 (Sex-determining region-related HMG-box gene 9) et PCBP1 (beta-subunit acetyl/propionyl-CoA carboxylase) [2]. Au cours de la progression tumorale, dans une tumeur colorectale de type CIMP+, une mutation du gène B-RAF (B-Raf proto-oncogene, serine/threonine kinase) sera préférentiellement associée à un infiltrat immunitaire, alors qu’une mutation du gène suppresseur de tumeur APC (adenomatous polyposis coli) sera associée à une mutation du gène suppresseur de tumeur TP53 (tumor protein 53) dans une tumeur présentant de l’instabilité CIN (Figure 1). Le doublement du génome (dû à une endo-reduplication ou à un défaut de division), survenant très précocement au cours de la transformation tumorale, peut être l’événement initiateur de l’apparition de l’instabilité CIN dans un grand nombre de cancers et en particulier dans les CRC [3]. Une mutation dans le gène PIK3CA (phosphatidylinositol-3-kinase alpha de classe I), mutation fréquente dans les tumeurs CRC CIN+, confère une tolérance à la tétraploïdisation et ceci même dans des cellules dont l’axe suppresseur de tumeur p53-p21 (inhibiteur de kinases cycline-dépendantes) est fonctionnel. L’instabilité CIN peut également être générée et/ou amplifiée par des altérations d’acteurs clés de la mitose [4].

Rôle du complexe E3-ubiquitine ligase de l’anaphase promoting complex dans l’instabilité chromosomique

Chaque phase du cycle cellulaire est contrôlée par un couple formé d’une kinase appelée cdk (cyclin-dependent kinase) et d’une protéine activatrice appelée cycline. L’oscillation des protéines cyclines, synthétisées puis dégradées au cours du cycle cellulaire, permet ainsi le passage d’une phase à l’autre par l’activation puis l’inhibition de la kinase cdk. Deux complexes E3-ubiquitine ligase jouent un rôle essentiel dans la protéolyse des cyclines. Le complexe SCF (Skp1/Cdc53/F box protein) orchestre la dégradation des cyclines des phases G1 et S alors que le complexe APC/C (anaphase-promoting complex/cyclosome) va ubiquitinyler les cyclines mitotiques dont la cycline B1 provoquant ainsi la sortie du cycle cellulaire par inactivation du couple cdk1-cycline B1 [5] ().

(→) Voir la Nouvelle de P. Colombe et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2009, page 673

Le complexe multi-enzymatique APC/C est l’acteur clé de la transition métaphase-anaphase en induisant la protéolyse des protéines sécurine qui ont pour effet d’activer les séparases, des cystéine protéases responsables du clivage des cohésines, un signal initiateur de la séparation des chromatides sœurs en anaphase. Les cohésines sont des complexes protéiques qui assurent l’appariement des chromatides sœurs condensées sur la plaque métaphasique. Le déroulement de la pro-métaphase et de la métaphase peut être interrompu lorsqu’une chromatide sœur est non attachée au fuseau mitotique ou en présence d’un défaut de tension des microtubules sur les kinétochores. Le point de contrôle du fuseau mitotique va alors être activé (nommé SAC, spindle assembly checkpoint) et le complexe MCC (mitotic checkpoint complex) composé, entre autres, des sous-unités Bub1 (budding uninhibited by benzimidazole 1), BubR1 (budding uninhibited by benzimidazole-related 1), Bub3 et Mad2 (mitotic arrest deficient 2), va empêcher l’activation de l’APC/C par séquestration de sa sous-unité activatrice Cdc20 (cell-division cycle). Lorsqu’un des composants du MCC est déficient, la mitose se poursuit anormalement même en présence d’agents thérapeutiques dépolymérisateurs des microtubules et peut entraîner l’apparition d’une instabilité CIN dans les cellules tumorales, qui conduira à une résistance au traitement [6] ().

(→) Voir la Synthèse de A. Castro et al., m/s n° 3, mars 2003, page 309

APC/C possède d’autres substrats protéiques, notamment la protéine à boîte F Skp2 (S-phase kinase-associated protein 2), élément important de l’autre complexe E3-ubiquitine ligase du cycle cellulaire, SCF (Skp, cullin, F-box containing complex).

APC/C est un très large complexe enzymatique dans lequel ont été identifiés trois domaines : le domaine cœur portant l’activité catalytique, constitué de trois sous-unités, APC2, 10 et 11, qui présente un domaine RING-H21, capable de fixer les unités d’ubiquitine aux substrats ; un deuxième domaine formant la plateforme sur laquelle les cibles protéiques viennent se positionner, constitué lui-même de trois sous-unités, APC1, 4, et 5 ; et, enfin, un bras riche en répétitions de tétratricopeptides2 (TPR) composé des quatre sous-unités APC3, 6, 7 et 8. Il a été montré in vitro qu’un hétérodimère composé des sous-unités APC2 et APC11 était suffisant pour catalyser l’ubiquitinylation de la cycline B1 et de la sécurine. Les deux sous-unités activatrices interagissent à tour de rôle avec le complexe ; Cdc20 active APC/C en mitose et Cdh1 en phase G1. L’activité du complexe et le recrutement des substrats sont dépendants de la sous-unité activatrice liée au complexe.

Des dérégulations d’acteurs clés de la mitose ont été associées à de l’instabilité CIN dans des cancers colorectaux. Une expression anormale de cycline B1 ou de sécurine est considérée comme un risque majeur de polyploïdie. La surexpression de la sous-unité activatrice Cdc20 est également associée à de l’instabilité CIN dans de nombreux cancers dont les CRC [7]. Une mutation germinale dans le gène BUBR1 prédispose au cancer et génère de l’instabilité CIN [4]. Notre laboratoire a été le premier à identifier des mutations dans des gènes codant différentes sous-unités du complexe APC/C dans des lignées tumorales de différentes origines et notamment dans des lignées colorectales [8]. Récemment, une étude a montré que la très grande majorité des mutations faux-sens retrouvées dans des gènes codant des sous-unités APC/C affectent des sous-unités structurales, quand seulement 3 sur 132 (2 %) affectent le gène APC11 [9].

Une analyse intégrative révèle APC11, la sous-unité catalytique du complexe APC/C, comme un marqueur prédictif probable de l’évolution des cancers colorectaux en lien avec l’instabilité chromosomique

L’exploration des banques de données publiques trancriptomiques et génomiques de lignées cellulaires tumorales (CCLE, cancer cell line encyclopedia) et de tumeurs primaires (TCGA, the cancer genome atlas) a permis de mettre en évidence une très forte expression en ARN messagers (ARNm) de la sous-unité catalytique APC11 corrélée à une instabilité chromosomique. Cette surexpression est également associée à la maladie résiduelle. L’analyse des niveaux d’ARNm des deux autres sous-unités du domaine catalytique, APC10 et APC2, n’a pas permis de mettre en évidence une corrélation statistiquement significative de leur expression avec l’instabilité CIN. Ainsi, parmi les trois sous-unités catalytiques d’APC/C, seule une dérégulation d’APC11 est associée à une instabilité chromosomique et cette association est indépendante du statut mutationnel du gène TP53 [10].

Dans une approche génomique intégrative, notre équipe a également analysé par immuno-histochimie, sur une cohorte de patients atteints de CRC, l’expression de la protéine APC11 ainsi que celle de 7 marqueurs protéiques connus pour être impliqués dans des tumeurs CRC (E-cadhérine, Ki67 [marqueur de prolifération], MLH1 [MutL homolog 1], MSH2 [MutS protein homolog 2], DCC [deleted in colorectal cancer)], P53 et BCL2 [B-cell lymphoma 2]) [10]. Par des modèles de régression logistique et de Cox multivarié3, , 4, et une analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM), nous avons pu montrer qu’une surexpression de la protéine APC11 était probablement un nouveau facteur de mauvais pronostic, indépendant des autres marqueurs protéiques étudiés. L’expression de la protéine APC11 ne semble pas non plus associée à un sous-type particulier de la classification CMS [10].

Dérégulation d’APC11 dans les CRC et perspectives thérapeutiques

L’instabilité CIN a été associée depuis longtemps à la résistance au traitement. Ceci peut s’expliquer par le fait que l’instabilité CIN permet le maintien dans la population tumorale de différents caryotypes conférant, après traitement, un avantage sélectif. Par ailleurs, l’efficacité de traitements antimitotiques, tels que le paclitaxel5,, est augmentée dans des tumeurs présentant un taux élevé d’instabilité CIN. Ces deux observations sont contradictoires seulement en apparence. En effet, au cours de la progression tumorale, un équilibre doit être atteint pour limiter l’accumulation d’instabilité CIN qui, si elle est trop importante peut entraîner la mort de la cellule. Des altérations limitant la propagation de l’instabilité CIN doivent être sélectionnées, au cours de la progression tumorale, afin d’optimiser la survie des cellules tumorales [3]. Il est possible d’émettre l’hypothèse que dans un contexte d’activation prolongée du point de contrôle du fuseau mitotique, par exemple lorsque la protéine BubR1 est surexprimée, par compensation, une surexpression d’APC11 permettrait d’assurer le déroulement normal de la mitose au cours de la progression tumorale (Figure 2). Par conséquent, un inhibiteur d’APC/C en combinaison avec un antimitotique pourrait réduire le taux de survie des cellules aneuploïdes et représenter ainsi une stratégie thérapeutique pour des CRC présentant une instabilité de type CIN.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Un motif présent dans plusieurs centaines de protéines humaines et impliqué dans les réactions d’ubiquitinylation
2 Une répétition tétratricopeptide (TPR), ou domaine tétratricopeptide, est un motif structural présent dans une grande variété de protéines. Il consiste en une séquence de 34 acides aminés organisée en tandem d’hélices α répétés qui forme un échafaudage structurant les interactions protéine-protéine et donc l’assemblage de complexes protéiques. Ces répétitions forment un domaine solénoïde appelé domaine TPR.
3 Modèle de régression à risque proportionnel.
4 Le modèle de Cox permet la prise en compte simultanée de plusieurs variables pour expliquer la survenue d’un événement en tout ou rien.
5 Drogue ciblant les microtubules et empêchant leur dépolymérisation.
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