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Med Sci (Paris). 35(2): 115–118.
doi: 10.1051/medsci/2019019.

Le cholestérol cellulaire, un régulateur important de la douleur inflammatoire

Patrick Delmas,1* Françoise Padilla,1 and Corinne Poilbout2

1SomatoSens, Laboratoire de Neurosciences Cognitives, UMR 7291 CNRS, Aix-Marseille-Université, CS80011, boulevard Pierre Dramard, 13344Marseille, France
2Centre de Psychiatrie et Neurosciences, 102-108, rue de la Santé, 75014ParisFrance
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Cholestérol, Humains, Inflammation, Canal sodique voltage-dépendant NAV1.9, Nocicepteurs, Douleur, Perception de la douleur, déficit, pharmacologie, physiologie, complications, métabolisme, effets des médicaments et substances chimiques, étiologie

 

Le cholestérol est probablement la molécule dont le nom est le plus familier du grand public. Il a été découvert au XVIIIe siècle par François Poulletier de La Salle dans des calculs biliaires (d’où son nom, chole- [bile] et stereos [solide]), mais c’est surtout pour son implication comme facteur de risque dans les maladies cardio-vasculaires qu’il est connu. L’on sait moins que c’est un précurseur de nombreuses molécules de l’organisme et un composant majeur des membranes cellulaires animales.

Dans l’étude que nous avons publiée [1], nous montrons que le cholestérol membranaire joue un rôle important dans la régulation du message nociceptif et de la douleur inflammatoire, et qu’il pourrait bien trouver une réhabilitation, comme antalgique topique.

Bon ou mauvais cholestérol ? Portrait-robot

Le cholestérol est un lipide de la famille des stérols ; c’est une molécule amphiphile, avec une partie hydrophile (ou tête polaire) et une partie hydrophobe (ou apolaire). Il est présent dans la totalité des tissus des vertébrés, en particulier dans le foie, le cerveau et la moelle épinière. Il est en grande partie d’origine endogène, environ 70 %, avec une synthèse essentiellement hépatique ; la part exogène étant issue de l’alimentation. C’est le foie qui est chargé de son élimination, d’où une nécessaire double circulation dans le corps, par voie sanguine. De par sa nature globalement hydrophobe, le cholestérol est insoluble dans le sang ; il est donc associé à des lipoprotéines pour son transport. Ces lipoprotéines sont classées selon leur densité : les LDL (low-density lipoprotein) emportent le cholestérol du foie vers les tissus périphériques et peuvent, en cas d’excès, former des plaques athérosclérotiques ; les HDL (high-density lipoprotein) permettent le transport centripète du cholestérol vers le foie pour son élimination [2]. C’est par simplification que l’on parle donc de bon ou mauvais cholestérol, pour les taux sanguins de HDL vs LDL.

Le cholestérol dans les membranes cellulaires

Le cholestérol est impliqué dans la synthèse de nombreuses molécules stéroïdiennes [3] : les sels biliaires qui sont des dérivés polaires du cholestérol ; les hormones stéroïdiennes sexuelles, comme la progestérone, la testostérone et les œstrogènes ; les glucocorticoïdes (cortisone, cortisol) ; et les minéralo-corticoïdes (aldostérone). Toutes ces molécules ont pour précurseur le cholestérol. Il en va de même de la vitamine D. Le cholestérol est donc un élément fondamental pour de nombreuses fonctions de régulation hormonale et du métabolisme.

La majorité du cholestérol est cependant cellulaire : il se trouve dans les membranes plasmiques où il représente 30 à 45 % des lipides. Grâce à ses propriétés amphiphiles, le cholestérol s’insère dans la bicouche lipidique des membranes plasmiques où il s’associe aux sphingolipides et aux protéines transmembranaires de manière complexe et non homogène, pour former des micro-domaines que l’on appelle les radeaux lipidiques [4]. Ces radeaux lipidiques ont une composition en lipides différente de celle de la bicouche environnante puisqu’ils contiennent 3 à 5 fois plus de cholestérol. En conséquence, ils ont une structure plus ordonnée et compacte que celle de la bicouche environnante. Ils agissent comme des plateformes qui ségrégent et régulent de nombreux composants membranaires de la signalisation cellulaire, comme les canaux ioniques et les récepteurs.

Il est actuellement acquis que la douleur issue de lésions inflammatoires est régulée par l’action pro- ou anti-nociceptive de médiateurs lipidiques. Pour autant, il y a peu d’informations quant au rôle du cholestérol dans la régulation de la nociception et de la douleur pathologique. Nous avons examiné si le cholestérol pouvait avoir un rôle particulier dans la genèse neurochimique de la douleur inflammatoire. Cette recherche est en effet indispensable pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques contre les douleurs chroniques.

Le cholestérol ségrége le canal Nav1.9 dans les radeaux lipidiques des nocicepteurs

Le canal Nav1.9 (isoforme 9 des canaux ioniques sélectifs aux ions sodium) est un acteur majeur des douleurs inflammatoires [5-7] et neuropathiques [8, 9] ().

(→) Voir la Nouvelle de S. Lolignier, m/s n° 2, février 2016, page 162

Il est exprimé préférentiellement dans les neurones nociceptifs (également appelés nocicepteurs) qui ont pour fonction d’alerter l’individu en cas d’exposition à des agressions potentiellement nocives (températures extrêmes, piqûre, écrasement, venins, irritants, ischémie, etc.). Des mutations congénitales du gène codant le canal Nav1.9 ont ainsi été identifiées chez des patients qui présentent des crises de douleur aiguës et une perception altérée de la douleur [1012]. Nous avons montré que le cholestérol jouait le rôle d’une « colle » qui ségrége le canal Nav1.9 au sein des radeaux lipidiques de la membrane plasmique [1]. Fondé sur la résistance à la solubilisation par le détergent Triton X-100 (un détergent non ionique) et sur la co-localisation avec des marqueurs protéiques des radeaux lipidiques (comme la flotiline et la cavéoline), nous avons montré que les canaux Nav1.9 se concentrent dans les membranes résistantes aux détergents, indiquant une forte association avec les radeaux lipidiques. Nous avons également identifié, par une approche de spectroscopie par résonance plasmonique de surface, plusieurs domaines peptidiques sur la protéine Nav1.9 qui ont la capacité de lier les molécules de cholestérol, suggérant une interaction physique directe du cholestérol avec le canal Nav1.9. Il semble donc exister une relation entre présence de cholestérol et localisation préférentielle des canaux Nav1.9 dans les radeaux lipidiques.

L’inflammation réduit le cholestérol membranaire et active le canal Nav1.9

Nous avons mesuré les modifications locales du contenu en cholestérol dans la peau enflammée, suite à l’injection d’un agent pro-inflammatoire (la carraghénine) ou d’un mélange de médiateurs pro-inflammatoires. Les biopsies cutanées prélevées sur cette peau montrent, dans les deux cas, une réduction du taux de cholestérol d’environ 20 % par rapport à des biopsies de peau saine [1]. Nous avons également observé que le contenu cellulaire en cholestérol des neurones sensoriels exposés à des médiateurs de l’inflammation était également réduit d’environ 16 %. Nous avons ensuite évalué l’effet de ces médiateurs inflammatoires sur le partitionnement préférentiel des canaux Nav1.9 dans les radeaux lipidiques. En analysant des extraits préparés à partir de neurones sensoriels exposés aux médiateurs inflammatoires, nous avons observé une redistribution des canaux Nav1.9 à l’extérieur des radeaux dans la membrane « fluide ». Ces résultats indiquent donc que les canaux Nav1.9 diffusent des radeaux lipidiques vers la bicouche fluide environnante lors de d’une inflammation. Les expériences électrophysiologiques menées en parallèle montrent que cette diffusion s’accompagne d’une activation des canaux Nav1.9 et d’une augmentation importante de l’excitabilité des nocicepteurs, promotrice de douleurs. Ces données suggèrent ainsi un lien de causalité entre diminution du taux de cholestérol membranaire pendant l’inflammation et redistribution des canaux Nav1.9 à l’extérieur des radeaux lipidiques. Nous proposons que ce « ré-adressage » des canaux Nav1.9 concoure à leur activation. Cet environnement pauvre en cholestérol pourrait en effet être plus permissif aux changements de conformation des canaux Nav1.9, expliquant la facilitation de leur activation à des valeurs de potentiel de membrane plus négatives. A contrario, le cholestérol, en concentration suffisante, confine les canaux Nav1.9 dans les radeaux lipidiques, réduisant leur activité et par là même, la genèse des messages nociceptifs.

La déplétion en cholestérol membranaire par des agents exogènes génère de la douleur

Il est possible de contrôler la teneur en cholestérol dans les membranes en utilisant des composés qui chélatent ou oxydent le cholestérol. Les molécules de méthyl-β-cyclodextrine (MβCD) sont des « molécules-cage » qui permettent d’encapsuler le cholestérol et de l’extraire des membranes ; la cholestérol oxydase est, elle, une lipo-oxygénase qui transforme le cholestérol en cholesténone. Afin de tester si la déplétion locale de cholestérol, indépendamment d’une inflammation, promeut l’activation du canal Nav1.9, et donc la douleur, nous avons injecté dans la patte postérieure de souris de la MβCD ou de la cholestérol oxydase active. Ces deux manipulations ont produit les mêmes effets chez les animaux traités : une hypersensibilité à la douleur [1]. Le comportement douloureux qui est observé est spécifiquement dû à la déplétion en cholestérol membranaire. En effet, l’administration d’α-cyclodextrine, une molécule qui extrait la phosphatidylcholine et la sphingomyéline mais non le cholestérol, ou de MβCD préalablement saturée en cholestérol ne modifie en rien les seuils de sensibilité des animaux. De plus, l’hyperalgie mécanique et thermique des animaux, suite à la déplétion en cholestérol, est fortement réduite chez les souris n’exprimant pas le canal (les souris Nav1.9-/-). Ces résultats comportementaux sont confirmés par les données obtenues in vitro par électrophysiologie, qui indiquent que l’application aiguë de MβCD ou de cholestérol oxydase facilite l’ouverture des canaux Nav1.9 et augmente sensiblement l’excitabilité des nocicepteurs. Ces données indiquent donc que l’appauvrissement en cholestérol membranaire déclenche une hypersensibilité à la douleur via l’activation des canaux Nav1.9 (Figure 1).

La complémentation en cholestérol réduit la douleur inflammatoire

L’enrichissement en cholestérol des membranes cellulaires peut être réalisé par l’incubation des tissus avec des complexes cholestérol/MβCD (à un ratio molaire de 1/7). L’apport de cholestérol peut prévenir l’effet des médiateurs inflammatoires sur les nocicepteurs in vitro. En effet, l’incubation de MβCD saturée en cholestérol prévient l’activation des canaux Nav1.9 et l’hyperexcitabilité neuronale [1]. Nous avons développé un gel transdermique à base de polymère d’hydroxyéthyl cellulose et de cholestérol soluble afin de tester son efficacité thérapeutique dans des modèles de douleurs inflammatoires. Ce gel topique est capable de restaurer les niveaux normaux de cholestérol dans la peau enflammée et ne présente pas de toxicité sur l’épiderme humain reconstitué. L’application du gel sur la patte enflammée de souris réduit fortement les sensations douloureuses dans les modèles de douleur inflammatoire persistante (suite à l’injection de carraghénine) et chronique (induite par l’adjuvant complet de Freund) chez l’animal [1] (Figure 1). Il agit comme un analgésique sur la composante neuronale et ne modifie pas la perception du toucher (pas d’effet anesthésiant) et la réaction inflammatoire.

En conclusion, cette étude apporte un éclairage nouveau sur l’homéostasie du cholestérol dans la douleur inflammatoire. Si l’excès de cholestérol est néfaste pour la santé, la réduction de la teneur en cholestérol des membranes peut être génératrice de sensibilisation des nocicepteurs et de douleurs.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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