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Med Sci (Paris). 35: 29–35.
doi: 10.1051/medsci/2019187.

La kinésithérapie libérale face à la dystrophie musculaire de Duchenne en Martinique

Simon Tournier,1 Maël Cantacuzene,2 José-Luis Barnay,3 and Elisabeth Sarrazin2*

1Service de Chirurgie Pédiatrique, CHU Pointe à Pitre, Route de Chauvel, BP 465, 97159Pointe à Pitre, France
2Centre de Référence des Maladies rares neuromusculaires, AOC, Hôpital Pierre Zobda, Quitman, niveau -1, BP 632, CHU Martinique, 97200Fort de France, France
3Service de Médecine Physique et Réadaptation, Hôpital Mangot Vulcin, CHU Martinique, 97200Fort de France, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Compétence clinique, Niveau d'instruction, Femelle, Humains, Mâle, Martinique, Myopathie de Duchenne, Kinésithérapeutes, Techniques de physiothérapie, Pratique professionnelle, normes, statistiques et données numériques, épidémiologie, thérapie, classification

 

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La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) est une maladie rare dont la prévalence est estimée entre 1-9/100 000. En Martinique, le diagnostic et le suivi des patients sont effectués au CeRCa (Centre de Référence Caribéen des maladies rares neurologiques et neuromusculaires), site constitutif du CRMR AOC (Centre de Référence des Maladies neuromusculaires Atlantique Occitanie Caraïbe), situé au CHU de Martinique.

C’est une maladie d’origine génétique, secondaire à une mutation survenant dans un gène se situant sur le chromosome X et codant une protéine appelée dystrophine. Cette protéine est présente dans de nombreuses cellules du corps humain en proportions différentes. Dans les cellules musculaires, son absence entraîne une dégénérescence, puis une perte de la fonction musculaire. Les principales complications décrites sont orthopédiques, cardiaques, respiratoires, mais aussi cognitives et nutritionnelles. La prise en charge de ces patients est donc pluridisciplinaire. Il est maintenant admis, avec un haut niveau de preuve scientifique, que la combinaison suivante: arthrodèse vertébrale, assistance ventilatoire non-invasive, traitement cardio-protecteur par des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, et traitement par des corticoïdes, permet d’augmenter l’espérance de vie des patients.

La rééducation et la réadaptation sont bénéfiques pour les patients, permettant de conserver une plus grande autonomie et une meilleure qualité de vie. Mais à l’heure de la médecine basée sur les preuves et des essais thérapeutiques prometteurs apportant aux patients un espoir de guérison, un abandon des thérapies non médicamenteuses de prévention est parfois observé.

Face à ce constat, il nous a semblé important de préciser le rôle tenu par la kinésithérapie dans la prise en charge de cette pathologie actuellement, ses objectifs, ses modalités d’application quantitative et qualitative, ainsi que ses limites.

Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une enquête des pratiques réalisées auprès de Masso-Kinésithérapeutes (MK) libéraux prenant en charge cette population de patients dans notre département, en 2017. L’objectif principal était de préciser la place de cette prise en charge. L’objectif secondaire était d’identifier les difficultés pouvant être rencontrées par ces professionnels de santé.

Matériel et méthodes
Population des Masso-Kinésithérapeutes (MK)
Huit MK ont été recrutés grâce aux informations transmises par les parents des garçons suivis au CERCA. Leurs caractéristiques sont présentées dans le Tableau I. Les critères d’inclusion étaient: exercice en milieu libéral, en Martinique, prenant en charge un patient DMD depuis au moins un mois.

Présentation des patients
La liste des patients ayant un diagnostic de DMD, vivant en Martinique à la date du 1er janvier 2017, a été obtenue à partir de la base de données de patients du CeRCa.

Neuf garçons ont été identifiés. Deux étaient frères et partageaient le même MK. L’âge moyen était de 12,1 ans (7-17). Pour quatre d’entre eux, il s’agissait de transmission maternelle, et pour les cinq autres, d’une mutation de novo. L’âge des premiers symptômes variait entre 1 et 6 ans, (moyenne de 3,4 ans). L’âge moyen de première consultation était de 6,5 ans, pour un de nos patients le diagnostic avait été fait en prénatal. L’âge moyen de perte de la marche était de 11,2 ans (Tableau II).

Déroulement de l’enquête
Les modalités quantitatives et qualitatives d’application de la rééducation en kinésithérapie libérale, ainsi que les difficultés de cette prise en charge ont été obtenues à l’aide d’un questionnaire. Il explorait les différentes techniques de rééducation proposées dans la prise en charge des maladies neuromusculaires selon la littérature [3, 6, 7, 10, 11]. Il était demandé de répondre à des questions fermées, à choix simples ou multiples, en fonction des pratiques réalisées au cours du mois précédent. Une question ouverte « autre(s) technique(s) de rééducation » permettait aux MK de s’exprimer librement. L’enquête s’est étendue sur une période de 3 mois, de janvier à mars 2017. Une déclaration à la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a été effectuée. Les questionnaires ont été distribués par un enquêteur lors d’un entretien avec chacun des MK dans leur cabinet. Le rôle de l’enquêteur était de présenter verbalement les objectifs de cette enquête en début d’entretien. Par la suite, il était demandé à l’enquêteur de simplement aider à la compréhension des questions, en cas de nécessité, puis de s’assurer de l’exhaustivité des réponses. La définition proposée par Bushby et al. en 2010 a été utilisée pour distinguer l’appartenance des garçons, au groupe marchant ou non marchant [8]. Le groupe auquel appartenait chaque patient a été laissé à l’appréciation du MK après lecture de cette définition en début de questionnaire.
Résultats
Modalités quantitatives d’application de la kinésithérapie
Le nombre de séances par semaine variait de 2 à 3, avec une moyenne de 2,5 séances par semaine. Une tendance existait en faveur d’une augmentation du rythme des séances à la perte de la marche, puisque pour la majorité des marchants le nombre de séances par semaine était de deux, et de trois pour les non marchants. La majorité des prises en charge durait de 30 à 45 minutes, avec une tendance à l’augmentation du temps de rééducation avec la perte de la marche, puisque deux marchants bénéficiant de séance de 20 à 30 minutes, et un non marchant de séance de plus de 45 minutes. Toutes les prises en charge étaient réalisées en cabinet libéral et en dehors du temps scolaire. Aucune prise en charge n’était réalisée à l’école, à domicile ou en balnéothérapie.
Modalités qualitatives d’application de la kinésithérapie
Aspect orthopédique Un suivi des amplitudes articulaires était effectué par sept MK et de la force musculaire par tous. Un MK utilisait le score MMT (Manual Muscular Testing). Les capacités de déplacement étaient évaluées régulièrement par sept MK. Un MK utilisait l’échelle CMAS (Childhood Muscular Assessment Score). Les capacités de préhension étaient évaluées par six. La MFM (Motor Function Measure), une échelle de mesure quantitative des capacités motrices, était utilisée par deux. La douleur était évaluée régulièrement par une échelle adaptée à l’âge dans huit cas (Tableau III).

Des mobilisations passives et des étirements musculaires étaient réalisés par tous, ciblant les membres inférieurs pour tous les patients marchants et les quatre membres pour tous les non marchants. Des auto-exercices d’étirements à réaliser à domicile étaient enseignés à trois marchants. La verticalisation était proposée par trois MK. Les MK avaient un discours visant à améliorer l’observance de l’appareillage de posture et la réalisation de la verticalisation à domicile dans six cas.

Tous les patients sauf un, non marchant (le plus âgé), réalisaient un travail musculaire actif en endurance, par des jeux de balle le plus souvent. Un travail musculaire actif en force était proposé dans cinq cas, par utilisation de la résistance manuelle, de Pouliethérapie ou d’Elastoband. Les modes de contraction musculaire utilisés étaient: isométrique toujours, concentrique pour quatre et excentrique pour trois (Tableau IV). Il existait une tendance au travail musculaire actif des quatre membres chez les marchants et seulement des membres supérieurs chez les non marchants. Les MK avaient un discours visant à encourager la pratique d’une activité sportive régulière dans trois cas.

Concernant le rachis, un assouplissement du rachis thoraco-lombaire par des mobilisations passives, étirements et postures des plans musculaires (y compris sous pelviens) était réalisé par sept MK. Des étirements des muscles cervicaux étaient pratiqués pour un patient non marchant. Un travail proprioceptif était proposé dans huit cas et un renforcement isométrique des spinaux dans deux cas (Tableau V).

Aspect respiratoire Un suivi de la fonction respiratoire était réalisé par trois MK par la recherche d’encombrement à l’interrogatoire et à l’auscultation, ou bien par une mesure de l’ampliation thoracique.

Dans un objectif d’assouplissement de la cage thoracique, sept prises en charge comprenaient des mobilisations passives et des étirements. Aucun MK n’utilisait d’aide instrumentale (de type ballon ou relaxateur de pression) pour réaliser une hyperinsufflation mécanique. Ils suivaient l’utilisation du relaxateur de pression à domicile dans trois cas. Des exercices d’entretien des muscles inspiratoires et expiratoires étaient proposés par trois MK. Aucune prise en charge n’avait nécessité de technique de désencombrement par aide manuelle expiratoire et/ou aide instrumentale type Cought Assist. La technique inspiratoire de type respiration glossopharyngée (Air starking) n’était pas enseignée.

Aspect digestif Aucun ne réalisait de massages abdominaux pour lutter contre la constipation. Des conseils hygièno-diététiques étaient apportés pour un patient non marchant.
Autres évaluations et techniques de rééducation De la massothérapie à visée antalgique était utilisée dans trois cas. La physiothérapie n’était pas utilisée. L’état psychique a été évalué dans un cas. Trois MK ont souhaité préciser d’autres techniques utilisées. Ils travaillaient la régulation du tonus musculaire et les ajustements posturaux à chaque niveau d’évolution motrice (NEM). L’un d’entre eux, associait une stimulation des afférences visuelles (par Stimulation optocinétique) ou sensitive des membres inférieurs (par Vibrasens), et un travail du contrôle cognitif (par Réalité virtuelle).
Difficultés de prise en charge
Concernant les sources de difficultés rencontrées lors des prises en charge, la douleur a été signalée sept fois, survenant aux étirements musculaires, aux postures et à la verticalisation. Le manque de motivation de la part du patient a été rapporté six fois, des difficultés d’accessibilité au soin de rééducation une fois, le manque de formation huit fois et le manque de communication entre professionnels médicaux et paramédicaux huit fois.

Deux MK ont évoqué l’importance de la durée des séances et un MK les difficultés liées à l’atteinte cognitive (comportement, difficulté de compréhension) (Figure 1).

Discussion
Place de la kinésithérapie libérale dans la prise en charge de la DMD
Aucune des approches développées à ce jour ne peut garantir un effet curatif dans la DMD [12]. L’indication de la kinésithérapie est largement rappelée dans les recommandations sur le suivi des patients atteints de DMD. Peu d’études en explorent le taux d’utilisation et les bénéfices de cette thérapie. La preuve scientifique des effets bénéfiques sur laquelle se basent les recommandations est souvent d’un niveau faible, variable et non spécifique [3, 6].

En France, l’utilisation régulière de la kinésithérapie dans les pathologies neuromusculaires est assez courante et indépendante du stade d’évolution, comme le montre l’enquête réalisée dans le Nord-Pas-de-Calais en 1999 auprès de 200 patients atteints de pathologies neuromusculaires, où 80 % en bénéficiaient. L’indication de la kinésithérapie est très variable selon les pays comme l’a montré l’étude réalisée cinq ans après la publication par Bushby et al. des recommandations de diagnostic et de suivi [13]. Dans notre étude, tous les patients suivis au CERCA bénéficiaient d’une prise en charge en rééducation, indépendamment du stade d’évolution. On peut supposer que la prise en charge totale du coût de ces soins par la sécurité sociale en France influence ce résultat, mais aussi son accessibilité géographique. Une enquête australienne de 2016, évaluant l’utilisation des thérapies non médicamenteuses au sein d’une population de DMD, précisait que l’accès aux soins de kinésithérapie dépendait fortement de la localisation géographique du domicile [14].

Modalités d’applications quantitatives Concernant la durée et le nombre de séances par semaine, nos résultats correspondent aux recommandations établies dans les maladies neuro musculaires en 2001, puisque toutes les prises en charge avaient un rythme de deux à trois séances par semaine. La durée des séances était beaucoup plus variable dans notre enquête mais globalement adaptée aux recommandations, puisque peu de prises en charge respiratoires étaient nécessaires [6]. Les modalités quantitatives doivent être adaptées à l’âge, au caractère évolutif des troubles orthopédiques, aux autres prises en charge rééducatives ou aux activités de loisir [18]. Boulay et al. ont précisé que la kinésithérapie ne devait pas être mise en place trop tôt, sous peine de saturation de l’enfant et des parents, alors que son importance croît lors de l’avancée en âge [2]. En effet, nous avons remarqué une tendance à l’augmentation de la durée et du rythme des séances avec la perte de la marche.
Modalités d’applications qualitatives
• Place du MK dans l’évaluation du patient Dans la majorité des prises en charge, les MK réalisaient une évaluation de l’appareil locomoteur, en termes de déficience, amplitudes articulaires et force musculaire, mais aussi en termes de capacités, de déplacement et de préhension. Cette évaluation des capacités fonctionnelles est importante, car dans la DMD, il n’y a pas toujours de corrélation franche entre l’évaluation du déficit moteur et les conséquences fonctionnelles [15]. Deux MK utilisaient la MFM. Cette échelle a particulièrement bien été étudiée dans la DMD. Son utilisation est validée pour le suivi des patients et permet notamment de prévoir la perte de la déambulation [5]. Cependant, son temps de passation moyen est de 36 minutes et une formation est souhaitable pour son utilisation, voire impérative dans un contexte de recherche clinique, ce qui peut limiter son utilisation en kinésithérapie libérale [4].
• Place du MK dans la lutte contre les rétractions musculo-tendineuses et l’enraidissement articulaire Dans notre enquête, les prises en charge étaient pour la majorité composées de mobilisation passive, étirements musculaires et postures des membres et du rachis, cela indépendamment du statut ambulatoire. Lutter contre la perte des amplitudes articulaires est la priorité de la prise en charge en kinésithérapie, car responsable d’importantes limitations fonctionnelles [13, 6]. Cependant, de nombreux auteurs s’accordent pour dire que la réalisation des étirements musculaires est préconisée au rythme particulièrement soutenu de quatre à six fois par semaine [2, 3]. Afin de répondre à cette intensité, Boulay et al. ont suggéré d’impliquer les patients et leurs parents en auto-rééducation [2]. Ils proposent que le kinésithérapeute enseigne des exercices d’étirements à réaliser à domicile, supervise et rectifie régulièrement les programmes selon l’évolution de la maladie. L’objectif étant d’optimiser l’efficacité de la prévention des rétractions. En France, comme le montrent les résultats de notre enquête, cette pratique est encore peu développée dans les pathologies neuromusculaires et peu appliquée à la population pédiatrique, mais elle le serait beaucoup plus en Amérique du Nord [2]. Avec la dégradation des aspects orthopédiques, fonctionnels et respiratoires, la prise en charge en kinésithérapie libérale des patients DMD est de plus en plus lourde et coûteuse en temps, comme précisé par deux des MK interrogés (Figure 1). Il semble donc primordial d’investir les aidants principaux dans la prise en charge. Bien que les études sur la verticalisation dans la DMD manquent de niveau de preuve scientifique, elles laissent suggérer une efficacité pour le traitement des rétractions musculo-tendineuses des membres inférieurs à condition qu’elle soit mise en place précocement et au quotidien, dans un contexte occupationnel [2, 3, 6]. Dans notre étude, celle-ci était peu utilisée comme moyen de posture par les MK, mais plutôt préconisée à domicile.
• Place du MK dans la lutte contre la perte de force musculaire et le déconditionnement à l’effort. Une majorité des prises en charge utilisait un travail musculaire actif par des exercices en endurance et en force. La littérature à ce sujet est riche de travaux mais de niveaux de preuves très variables [6]. Son utilisation a longtemps été contre-indiquée dans les dystrophinopathies. Elle est maintenant très discutée. Dans ce contexte, en 2011 Bankolé et al. ont contre-indiqué ce mode de contractions dans les dystrophies musculaires, ainsi que les exercices statiques de forte intensité et/ou prolongés. Ils préconisaient d’adapter selon le niveau de force résiduelle, des entraînements mixtes aérobie et en force, orientés avec des exercices dynamiques concentriques, d’intensité modérée à faible, en séances courtes (20 à 40 minutes) mais fréquentes, espacées d’une journée de récupération [7]. Les exercices en endurance étaient particulièrement employés dans notre enquête, par réalisation d’exercices ludiques motivants pour l’enfant mais peu quantifiables. En 2015, Alemdarog˘lu et al. ont montré une amélioration significative des capacités fonctionnelles après un programme d’entrainement à l’effort en endurance sur cycloergométre, quantifié et progressif [16]. Trois des MK proposaient des contractions musculaires excentriques. Ce mode de contraction musculaire est connu pour son avantage métabolique (moindre consommation pour une intensité identique) et pour améliorer la résistance du myosquelette dans la prévention des lésions musculaires. Cependant, il est largement controversé dans les dystrophinopathies. Pourtant, des études récentes réalisées chez des modèles murins de dystrophinopathie (souris mdx) ont montré un bénéfice sur le gain de force. Chez l’humain, une étude réalisée chez des myopathes, dont neuf DMD, a évalué le retentissement clinique (douleur, force) à court terme de ce type d’exercice et concluait à une réponse similaire à celle d’un groupe sain [17]. À ce jour, aucun essai contrôlé randomisé n’a été réalisé pour évaluer les effets à long terme sur le muscle dystrophique. Dans notre enquête, certains MK encourageaient la pratique d’une activité physique. Celle-ci doit être intégrée à la vie quotidienne, le MK pouvant amorcer puis adapter l’activité [7]. Les bénéfices attendus, aussi bien physiologiques que psychologiques, sont maintenant largement reconnus, quelles que soient les capacités motrices. Un certain nombre d’activités sportives pouvant être pratiquées, à condition d’être suivies régulièrement et de respecter les capacités cardiaques et respiratoires, ainsi que l’apparition de la fatigue et de douleurs.
• Place du MK dans la lutte contre les causes de l’insuffisance respiratoire L’âge moyen de notre population est globalement jeune, ce qui peut expliquer l’absence d’utilisation de technique de désencombrement. Notre étude a donc apporté peu d’éléments sur le rôle des MK dans cette prise en charge. Il est pourtant majeur à un stade avancé [911]. En revanche, afin de lutter contre un syndrome restrictif, un assouplissement de la cage thoracique (mobilisations passives et étirements) était régulièrement réalisé. L’hyper-insufflation était globalement plutôt réalisée à domicile par relaxateur de pression et certains MK effectuaient un suivi de son utilisation. Le MK intervient dans la gestion des réglages, mais aussi dans la formation et l’accompagnement des aidants à l’utilisation des différents matériaux [11]. Les exercices d’entretien des muscles respiratoires étaient peu utilisés dans notre enquête. Pourtant, il a été montré que l’entrainement musculaire inspiratoire à basse intensité chez les garçons DMD avait un effet bénéfique, dose-dépendant sur l’endurance des muscles respiratoires [18].
• Place du MK dans l’amélioration de l’équilibre Les patients DMD chutent fréquemment à un moment de leur évolution se situant bien avant la perte définitive de la marche [19]. Aucune des techniques de rééducations employées par les MK de notre étude n’a fait ses preuves dans la littérature. Toutefois, un travail proprioceptif du rachis était largement proposé. Cet aspect de la rééducation semble important à continuer de travailler une fois la perte de la marche afin d’améliorer l’équilibre assis.
Limites de l’étude
Tous les MK contactés ont accepté de participer à l’enquête. Le nombre de questionnaires analysés était donc maximal mais faible au vu de notre petite population, ce qui limite la validité externe de cette étude. Toutefois, il est important de préciser que la DMD est une maladie rare, dont la prévalence en Martinique est estimée à 9 cas pour 100 000 habitants (valeur attendue-fourchette haute) [21]. Plusieurs limites sont identifiées dans cette enquête de pratiques. La principale est liée au mode de recueil des données, puisque basé sur un questionnaire avec un écart possible entre la déclaration des MK et la réalité des pratiques. Un biais d’acquiescement a pu fausser les résultats vers un excès de réponses positives. De plus, la présence de l’enquêteur lors du questionnaire, dont l’objectif était d’améliorer la participation et apporter, si besoin, des explications a pu majorer ce biais. L’important taux de participation permet une description exhaustive et détaillée de cette prise en charge. Il était demandé aux MK de remplir le questionnaire en fonction de leur pratique au cours du mois précédent. La distinction du statut ambulatoire a été laissée à l’appréciation des MK. L’utilisation de la définition proposée par Bushby et al., dans cet objectif, semblait être adaptée puisqu’aucun des MK n’a exprimé de difficulté pour distinguer l’appartenance stricte à un groupe. Trois MK ont souhaité préciser l’utilisation d’autres techniques dans l’objectif d’améliorer l’équilibre. Nous pensons que ce résultat permet de conclure à une bonne construction de notre questionnaire pour des études ultérieures à condition d’inclure ces éléments.
Projets et perspectives
Dans notre étude, la plainte douloureuse lors des séances en kinésithérapie était particulièrement fréquente, signalée comme source de difficulté de prise en charge pour les MK. La douleur peut avoir un fort impact sur la qualité de vie du patient et de son entourage. Elle est probablement de causes multiples, mais « douleur et rééducation » semble être intimement liées, et passent souvent au second plan après les objectifs de rééducation [6]. Douvillez et al. en 2005, dans une étude évaluant la douleur chez 22 patients atteints de DMD, ont montré que presque tous présentaient des douleurs en rééducation et lors des mobilisations [20]. Il est préconisé d’évaluer régulièrement la douleur, avec une échelle adaptée à l’âge et un interrogatoire détaillé, ce qui était régulièrement réalisé dans notre enquête. Pour les soulager, les recommandations sont les suivantes: modification des protocoles de rééducation générateurs de douleur (fractionnement, adaptation), utilisation de certaines techniques de rééducation et recours aux antalgiques de palier 1 à 2 avant toute séance potentiellement douloureuse [6]. Pour les patients du CERCA, il était conseillé, lors des consultations de suivi, de donner du Paracétamol 30 à 45 minutes avant les séances. L’usage de la massothérapie, physiothérapie et balnéothérapie chaude, bien qu’étant indiqué à but antalgique, était finalement peu pratiqué dans notre étude.

Dans une situation géographique comme la nôtre où les conditions climatiques sont propices, il serait intéressant de faciliter l’accès à des séances en mer, comme pour d’autres pathologies sur notre territoire.

Les résultats de l’enquête mettent en évidence un manque de formation spécifique sur la prise en charge de cette maladie rare, celle-ci pouvant être source de difficultés pour les MK. Cependant, la moitié des MK avait déjà eu l’occasion de prendre en charge au moins un autre patient DMD. Le temps de suivi moyen était de 27 mois. Ceci nuance leur manque de formation, étant donné leur expérience professionnelle des modalités de prise en charge et une connaissance de leur patient. La mise en place d’enseignement post-universitaire (EPU), dont le sujet porterait sur cette pathologie, pourrait répondre à cette demande et serait en adéquation avec les missions d’un centre de référence. La réunion régulière de l’ensemble de ces professionnels libéraux permettrait aussi d’identifier ce réseau informel. Les difficultés d’adhésion au long terme à la rééducation sont connues [6]. C’est une véritable difficulté de prise en charge, car l’importance de la rééducation croît avec l’âge [2]. Plus de la moitié des MK rapportait un manque de motivation lors de notre enquête. Le rapport à la rééducation est lié au psychisme du patient. Ainsi, il est recommandé de favoriser l’expression du malade quel que soit son âge [6]. Pour les patients du CERCA et leurs entourages, il est régulièrement rappelé la possibilité de rencontrer le psychologue du centre. L’apprentissage des auto-étirements par le kinésithérapeute semble être un bon élément pédagogique pour l’adhésion de l’enfant à sa prise en charge [2]. Nous pensons que la mise en place d’un cahier d’auto-rééducation ou d’hétéro-rééducation par les parents, comme cela est fait dans d’autres pathologies neurologiques, pourrait être intéressante. L’importance de la communication entre professionnels médicaux et paramédicaux a largement été rappelée dans les recommandations internationales de 2010 [8]. La mise en place de synthèse annuelle par le centre de référence pourrait être une solution pour répondre au manque de communication exprimé par presque tous les MK. Ce type de démarche est en adéquation avec les conclusions de l’évaluation du plan national maladie rares n° 2 de mai 2016, où le besoin de coordination entre les professionnels médicaux et les professionnels paramédicaux était identifié.

Du fait de la petite taille et du jeune âge de notre échantillon, notre enquête a été peu informative sur certains aspects de la prise en charge, notamment respiratoire. Il serait intéressant d’adresser notre questionnaire à une plus large population de MK libéraux, par exemple dans d’autres départements. Cela nous permettrait d’affiner nos conclusions sur l’importance du rôle tenu par ces thérapeutes et de comparer à l’échelle nationale les variations des pratiques.

Conclusion

Malgré les thérapeutiques médicamenteuses et les promesses de la thérapie génique, la kinésithérapie libérale garde une place importante dans la prise en charge des patients DMD, quel que soit leur statut ambulatoire, pour améliorer la qualité de vie fonctionnelle. Cette enquête des pratiques nous a permis d’énumérer les bénéfices d’une prise en charge en kinésithérapie à savoir une bonne connaissance du statut clinique du patient, la lutte contre les rétractions musculo-tendineuses, l’enraidissement articulaire, la perte de force musculaire, le déconditionnement à l’effort, et les causes de l’insuffisance respiratoire. Elle vise également à l’amélioration de l’équilibre et au soulagement des douleurs. Le rôle du MK reste essentiel dans le suivi et le soin du patient, préventif et thérapeutique, au quotidien et au long cours, proche et adapté aux déficiences, mais le bénéfice apporté par la prise en charge kinésithérapique dépend des connaissances du professionnel, de l’accessibilité à certains soins, de la motivation des patients et de la communication entre professionnels de santé. Cette étude a permis de réaliser un état des lieux des pratiques en kinésithérapie en Martinique, mais surtout des difficultés de prise en charge. Dans une démarche d’amélioration de la qualité des soins, il a été proposé une réflexion autour des solutions qui pourraient être apportées aux difficultés exprimées par les MK interrogés. Lors du 2e congrès caribéen sur les maladies rares (JCMO) en novembre 2018, une journée entièrement dédiée aux paramédicaux sur la prise en charge orthopédique et respiratoire dans les pathologies neuromusculaires a été organisée permettant d’échanger sur cette thématique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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