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Med Sci (Paris). 35: 15–17.
doi: 10.1051/medsci/2019237.

Quand tous les chemins mènent à l’Afrique…

J. Andoni Urtizberea,1* Hadil Alrohaif,2 Sayed A. Gouda,2 and Laila Bastaki2

1Centre de compétence neuromusculaire, 64700Hendaye, France
2Kuwait Medical Genetic Centre, Kuwait
Corresponding author.
 

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Observation

Abderahman et Abdelazziz ont respectivement 13 et 12 ans quand ils sont vus dans le Centre de Génétique Médicale du Koweit pour conseil génétique. Ces deux frères sont nés d’une union non-consanguine. Aucun cas similaire n’a été rapporté dans la famille élargie. La maman, d’origine qatarie avait fait une fausse couche précédemment. Le papa est d’origine saoudienne. Le début de la maladie remonte à la naissance avec une hypotonie marquée ne nécessitant cependant ni mesures de réanimation ni ventilation assistée au décours. Une luxation bilatérale incomplète de hanche est diagnostiquée chez l’aîné. Les pédiatres ont noté d’emblée des malformations des doigts et des orteils sous forme de rétractions modérées (de l’index notamment, clinodactylie du Ve doigt, hallux valgus bilatéral) mais aussi une dysmorphie faciale avec un faciès myopathique et une béance buccale. Devant la persistance de cette hypotonie et d’un retard d’acquisition de la marche, l’hypothèse d’une maladie neuromusculaire primitive, et plus particulièrement une forme congénitale de myotonie de Steinert, va être évoquée par le neuropédiatre local. L’aîné va être envoyé à plusieurs reprises à l’étranger, à Londres et à Washington (à chaque fois dans des centres de référence neuromusculaires) pour une série d’examens complémentaires comprenant entre autres une biopsie musculaire, un EMG et une étude génétique. L’EMG s’avère peu contributif et ne met pas en évidence de myotonie électrique. La biopsie musculaire ne l’est guère plus car ne montrant qu’une atteinte myopathique non spécifique, avec prédominance des fibres de type 1 sans cores ni bâtonnets visibles. Est également noté un certain degré de prolifération mitochondriale mais sans anomalie de la chaîne respiratoire avérée. Le taux de créatine-phospho-kinase est mesuré à plusieurs reprises et se situe très légèrement au-dessus des valeurs normales. Le diagnostic de myopathie congénitale va alors être retenu. L’étude du gène RYR1 avec les moyens de l’époque ne permet pas de mettre en évidence une mutation causale.

Par la suite, et du fait des anomalies des extrémités des membres, une série d’interventions chirurgicales correctrices auront lieu chez l’aîné des deux frères, essentiellement sous la forme de transpositions tendineuses et d’arthrodèses. Celles-ci se déroulent en Angleterre et en Allemagne, sous anesthésie générale et sans qu’aucun incident ne soit rapporté.

Quand ils consultent au centre de génétique, les parents sont demandeurs à la fois d’un diagnostic plus précis pour l’avenir de leurs deux enfants mais aussi d’informations sur le risque de récurrence de cette affection. A ce moment précis, Abdelrahman a 13 ans et se présente comme un jeune homme de relativement petite taille (mais dans la norme) avec un surpoids important, une faiblesse musculaire généralisée mais modérée en intensité, une incapacité à courir, un Gowers positif et des déformations au niveau des pieds et des mains (Figures 1 et 2). Son visage est très allongé et dysmorphique (Figure 3). Le palais est franchement ogival confinant à une fente palatine incomplète (Figure 4). On note un léger ptosis bilatéral et une faiblesse des muscles faciaux mais l’oculomotricité est conservée. Abdelrahman est intelligent même s’il a souffert d’un absentéisme scolaire lié à ses nombreuses opérations. Son frère cadet Abdelazziz âgé de 12 ans est plus sévèrement atteint. Les traits dysmorphiques, le ptosis et les anomalies des doigts et des orteils (rétractions, clinodactylie du Ve) sont nettement plus marqués. On note enfin chez lui une amyotrophie généralisée, une cyphoscoliose évolutive et un décollement franc des omoplates. En revanche, la force musculaire reste relativement conservée. La capacité vitale était légèrement diminuée et aucune dysfonction cardiaque n’était décelable.

A noter enfin que les parents ont toujours été cliniquement indemnes, ceci venant renforcer l’hypothèse d’une maladie génétique autosomique récessive (bien qu’une transmission liée à l’X ne puisse être formellement être exclue à ce stade).

Devant notre ignorance et surtout face au manque d’orientation clinique vers un génotype précis, il a été décidé de réaliser une étude en NGS (séquençage à haut débit) avec une vision très large des options possibles. Une étude de l’exome entier réalisée par le laboratoire allemand Centogène va rapidement mettre en évidence plusieurs anomalies de séquence. Parmi elles, une mutation homozygote du gène STAC3, la p.W284S (située dans l’exon 10) va particulièrement retenir notre attention du fait de la concordance possible avec le phénotype de ces deux enfants, ce d’autant qu’elle co-ségrège dans la famille.

Commentaire

STAC3 était en effet connu depuis peu comme le gène responsable de la NAM (Native American Myopathy), en d’autres termes la myopathie congénitale décrite dans la communauté Lumbee installée depuis plusieurs générations en Caroline du Nord aux USA. La concordance avec STAC3 était d’autant plus troublante qu’il s’agissait exactement de la même mutation décrite à la fois chez les Lumbee et chez ces deux patients du Koweit. Après avoir analysé la littérature, nous sommes convenus que le phénotype était tout à fait compatible à une exception près: l’absence d’épisodes d’hyperthermie maligne comme décrit dans l’observation princeps. La dysmorphie et les anomalies des extrémités collaient parfaitement. Quant à la filiation possible avec les Lumbees, il nous a fallu phosphorer quelque temps avant d’avoir une explication plausible.

Les Lumbees se réclament amérindiens depuis des décennies mais se heurtent au pouvoir fédéral de Washington qui ne leur reconnaît aucun droit en la matière. De nombreux experts plaident en effet pour une origine très métissée de cette communauté avec de multiples apports ethniques, amérindien sans doute un peu, mais surtout africain et hispanique.

Les deux patients du Koweit n’avaient en première analyse aucun lien direct avec les Lumbees américains. En revanche, leur aspect clinique laissait à penser qu’ils avaient peut-être une ascendance africaine. Ascendance que les parents ont d’abord niée avant que nous puissions rencontrer la grand-mère maternelle qui elle, à l’évidence, avait des ancêtres venus du continent africain voisin. Cette filiation avec l’Afrique est devenue d’autant plus probable qu’au même moment plusieurs équipes dans le monde ont commencé à rapporter la même mutation du gène STAC3 chez des patients africains ou d’origine africaine. Plus récemment encore, nos collègues de l’Ile de La Réunion ont rapporté le cas d’un patient originaire des Comores et présentant peu ou prou le même phénotype.

La mutation p.W284S de STAC3 est donc bien d’origine africaine même si l’on ignore encore à partir de quelle zone du continent elle a pu diffuser. Concernant la famille koweitienne, l’explication est relativement simple. De tous temps, les échanges entre la péninsule arabique et les populations africaines ont été intenses. Beaucoup d’esclaves venus du Soudan et d’ailleurs étaient au service des familles bédouines fortunées. Certains de ces bédouins faisaient de ces esclaves des épouses légitimes avec tous les droits afférents à ce statut, tout ceci contribuant à la diversité ethnique observée de nos jours dans cette partie du monde.

Des études d’haplotypage sont en cours pour essayer d’établir la datation de cette mutation et sa diffusion dans le monde.

Cette fratrie du Koweit bénéficie désormais d’un diagnostic de certitude. Les patients et leurs parents ont été largement informés du risque majeur encouru lors de toute anesthésie et de la nécessité de mesures préventives en la matière. Une surveillance neuro-orthopédique et cardio-respiratoire est mise en place afin de prévenir d’éventuelles complications.

On peut en conclure que la NAM n’est plus vraiment la NAM. En d’autres termes, il ne faudrait plus faire référence aux fameux ‘natives’ américains mais plutôt à une mutation africaine ayant traversé les océans pour arriver en Caroline du Nord et sans doute ailleurs… Resterait à étudier plus précisément la prévalence de la maladie en Afrique, un défi pour qui connaît le manque d’outils diagnostiques dans cette partie du monde.

D’un point de vue pratique, les mutations du gène STAC3 restent peu répandues. Quelques rares observations font état de mutations distinctes de la mutation africaine. Fort heureusement, le gène STAC3 fait partie des gènes étudiés par les panels ciblés en NGS, tant pour les myopathies congénitales que l’hyperthermie maligne, mais aussi dans les analyses plus larges de type exome entier. La physiopathologie de la maladie enfin est relativement aisée à comprendre, la myopathie à central core liée au RYR1 étant le modèle le plus proche, STAC3 intervenant aussi dans le couplage excitation-contraction de la fibre musculaire.

NB: cette observation a fait l’objet d’une communication partielle dans l’article suivant:

Zaharieva IT, Sarkozy A, Munot P, Manzur A, O’Grady G, Rendu J, Malfatti E, Amthor H, Servais L, Urtizberea JA, Neto OA, Zanoteli E, Donkervoort S, Taylor J, Dixon J, Poke G, Foley AR, Holmes C, Williams G, Holder M, Yum S, Medne L, Quijano-Roy S, Romero NB, Fauré J, Feng L, Bastaki L, Davis MR, Phadke R, Sewry CA, Bönnemann CG, Jungbluth H, Bachmann C, Treves S, Muntoni F. STAC3 variants cause a congenital myopathy with distinctive dysmorphic features and malignant hyperthermia susceptibility. Hum Mutat. 2018 Dec;39(12):1980-1994. doi: 10.1002/humu.23635. Epub 2018 Oct 11.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.