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Med Sci (Paris). 35: 32–34.
doi: 10.1051/medsci/2019023.

Expériences et réflexions chez l’enfant
De l’AMM à l’utilisation d’un traitement innovant : quel parcours ! (1)

Claude Cancès1*

1Coordonnateur pédiatrique du Centre de référence des maladies neuromusculaires de Toulouse, Hôpital Pierre-Paul Riquet, place du Docteur Baylac, 31059Toulouse Cedex 9, France
Corresponding author.
 

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Tout clinicien que nous sommes, et quel que soit le type de médicament innovant, nous avons le droit si ce n’est le devoir de réfléchir à la pertinence même d’un nouveau traitement. Cela signifie à l’évidence bien connaître au préalable la pathologie neuromusculaire, son histoire naturelle et les éventuels traitements existants. Il faut également avoir une connaissance la plus optimale possible des essais thérapeutiques antérieurs finalisés, en cours ou à venir, et dans l’idéal partager ces informations le plus tôt possible, avant que ne se concrétise la possibilité de prescrire la nouvelle molécule. Il convient aussi d’évaluer, esprit critique en éveil, la pertinence de la ou des indications proposées, des objectifs du traitement innovant et des modalités d’évaluation choisies pour juger de son efficacité en vie réelle. Avant de commencer à prescrire, il convient également de discuter du ou des critères à privilégier pour valider la poursuite ou au contraire l’arrêt du traitement, et du moment opportun pour prendre ce type de décision. Nous pouvons enfin dès ce premier stade réfléchir à une potentielle évolution future des indications, ou en tout cas avoir conscience qu’elles pourront évoluer au fur et à mesure de l’enrichissement de nos connaissances sur la nouvelle thérapie.

Réfléchir en amont

La mise à disposition d’un traitement innovant connait différents temps possibles. L’avant autorisation de mise sur le marché (AMM) est l’étape des essais cliniques et de leurs résultats. Elle nous concerne tous. Il est important pour ceux parmi nous qui le peuvent et qui le souhaitent de participer à ces essais thérapeutiques. Autour de l’AMM, le traitement est prescrit au travers des divers types d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU). L’obtention de l’AMM et la phase de post-AMM se traduisent par la mise en place des traitements ou la poursuite de ceux initiés sous ATU. A toutes ces phases se pose la question de l’accessibilité du traitement innovant.

Pour l’optimiser, une réflexion préparatoire partagée par tous les Centres de référence est essentielle. Nous la menons en neuropédiatrie avant la mise en place des traitements innovants. Nous continuons à la mener après, au travers de discussions lors de réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP). A l’échelle locale cette fois, chaque centre doit également s’interroger sur la faisabilité de la mise en œuvre du traitement. Avons-nous le plateau technique, les compétences médicales et paramédicales et les infrastructures nécessaires ? Si la réponse est non, notre rôle est d’adresser le patient à un centre plus expert ou doté d’un plateau technique adapté. Si la réponse est oui, un travail préparatoire avec toutes les équipes du centre, et notamment avec nos collègues pharmaciens, est indispensable.

Informer et s’organiser

Quand s’annonce l’heure de la prescription, il est important de délivrer une information la plus objective possible au patient et à ses accompagnants. Elle portera sur les bénéfices espérés et sur les risques connus. Elle portera également sur les inconnus à ce stade, c’est-à-dire les bénéfices réels du traitement innovant, potentiellement variables selon les malades, et sur ses effets secondaires à court terme (en général déjà révélés par les essais thérapeutiques) mais surtout à moyen et à long terme. C’est une donnée dont les patients doivent être informés, comme ils doivent l’être des critères qui pourront permettre de décider de la poursuite ou de l’arrêt du traitement. L’information concerne également les modalités concrètes de mise en place du traitement. Il ne s’agit pas de rester vague mais au contraire de détailler avec précision le mode de prise en charge (hospitalisation ou non), les modalités d’administration (intraveineuse, sous-cutanée ou orale), la surveillance requise et le calendrier de soins.

Se mettre en capacité de délivrer le traitement nécessite une bonne coordination entre les professionnels, tant pour la mise à disposition des équipes médicales, paramédicales et de pharmacie, que pour la disponibilité d’une unité de lieu. Dans l’idéal, ce lieu dispose d’une capacité d’accueil des patients constante, mais qui doit pouvoir aussi être modulable puisque le traitement de certains patients peut être décalé en raison d’une pathologie intercurrente transitoire. En pratique, cette unité de lieu est extrêmement variable d’un hôpital à l’autre. Certains services ne peuvent pas ou difficilement augmenter leur capacité d’accueil. Il faut savoir proposer un schéma le plus bienveillant possible, c’est-à-dire adapté au malade et non à la structure hospitalière. Cela signifie notamment s’efforcer de réaliser dans la mesure du possible tous les actes nécessaires en une journée ou une journée et demie, ce qui peut impliquer de changer nos propres habitudes. Il faut aussi rappeler au patient qu’il convient de poursuivre le suivi et la prise en charge multidisciplinaire, réajustés en intégrant les besoins liés au traitement innovant et aux autres évaluations requises. C’est fondamental.

À l’épreuve du réel

Ces considérations théoriques sont issues de notre expérience du nusinersen, un médicament indiqué pour les patients symptomatiques atteints d’amyotrophie spinale (SMA) 5q et qui n’ont jamais atteint un stade de marche autonome. Le schéma thérapeutique débute par quatre doses de charge, sur près de deux mois, puis des doses d’entretien tous les quatre mois. Chaque injection a lieu dans le cadre de ce que nous appelons la « journée nusinersen ». à son arrivée, le patient a très vite un bilan biologique, préalable au lancement du conditionnement du produit. Il bénéficie d’évaluations cliniques et fonctionnelles, mais aussi du bilan nécessaire à son suivi pluridisciplinaire, avant de recevoir l’injection requise puis d’être surveillé durant quelques heures. À chaque nouvelle journée « nusinersen », nous réalisons une surveillance clinique et biologique de la tolérance, des effets indésirables et des bénéfices du traitement. Nous recueillons aussi des données à visée de recherche clinique ultérieure (recueil national), avec composition d’une Biobanque pour des projets de recherche plus fondamentale.

Une problématique inhérente au traitement par nusinersen, mais également à d’autres thérapies innovantes est la décision de le poursuivre ou non, après une période minimale nécessaire pour juger de son efficacité. Nous avons longuement discuté de la durée de traitement nécessaire pour prendre cette décision, avant de conclure que nous pourrions probablement évaluer si le traitement est efficace ou non entre 12 et 24 mois après son initiation. Pour ma part, j’évalue la plupart des patients sur le plan clinique et fonctionnel à M18. C’est l’étape la plus compliquée, notamment à aborder avec les familles, même si chacun la comprend parfaitement lorsqu’une information adéquate a été donnée avant de débuter le traitement.

Le cas de ce garçon suivi par notre centre illustre la difficulté de cette décision. Agé de neuf ans, il est évalué par deux tests fonctionnels, HFMSE et Mesure de Fonction Motrice (MFM), depuis plusieurs années (Figures 1 et 2). Nous sommes à 14 mois du début du traitement par nusinersen et sur les trois dimensions de la MFM (D1, D2 et D3), l’impression globale est qu’il ne progresse pas, voire qu’il régresse (Figure 2). C’est aussi le ressenti de la famille. Nous ferons une nouvelle évaluation dans quatre mois. Si la situation n’a pas évolué, nous pourrions envisager d’arrêter le traitement.

Disposer d’une structure adaptée

Notre unité a traité par nusinersen un nombre croissant d’enfants atteints de SMA, au fur et à mesure des étapes successives de sa mise sur le marché. La possibilité d’une ATU nominative a été ouverte en octobre 2016. Nous en avons dès lors fait bénéficier trois patients atteints d’une SMA de type I bis, venus s’ajouter au patient (type I) traité dans le cadre de l’essai clinique de phase 3 ENDEAR (NCT02193074). L’ATU nominative a fait place à une ATU de cohorte le 12 mai 2017, puis à une AMM en juin 2017. Entre fin avril et fin juin 2017, cinq patients supplémentaires atteints d’une SMA de type II ont commencé un traitement par nusinersen dans notre unité. Depuis août 2017, trois nouveaux patients, atteints de SMA de type II, les ont rejoints. Toutes ces prises en charge ont été possibles parce que notre unité est à géométrie variable, mutualisée avec d’autres spécialités. Nous avons pu ainsi cibler les équipes paramédicales nécessaires, puis choisir les jours les plus opportuns, quitte à décaler si nécessaire le traitement de certains patients. Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières sur le plan technique (préparation du produit notamment) ni en termes de possibilité d’accueil.

Notre expérience de la mise en œuvre du nusinersen nous conduit à deux réflexions plus générales sur l’arrivée des traitements innovants. La première, pragmatique, porte sur la nécessité de disposer de structures d’accueil adaptées aux pathologies chroniques et/ou aux biothérapies de type hôpital de jour ou hospitalisation à domicile, mutualisées, avec des jours dédiés par pathologie. De tels dispositifs permettent de bénéficier d’un partage de compétences (médicales, paramédicales…) et de capacités d’accueil modulables. Ils supposent en revanche une coordination paramédicale et un secrétariat renforcé.

La recherche ne s’arrête pas

La seconde réflexion porte non pas sur la forme qu’adopte la mise à disposition des innovations thérapeutiques, mais sur le fond. Elle consiste à garder en tête que ce n’est pas parce qu’un traitement innovant est proposé qu’il doit être prescrit. Ce n’est pas non plus parce qu’il est prescrit qu’il faut arrêter tout travail de recherche. Les études doivent se poursuivre en post-AMM (phase IV). Nous avons là un rôle très important à jouer, dans la collecte de données sur l’efficacité en population et les effets secondaires, l’ajustement ou le réajustement progressif des indications, et la poursuite d’acquisition de connaissances biocliniques (biomarqueurs, outils d’évaluation…) en lien renforcé avec nos unités de recherche clinique.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.