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Med Sci (Paris). 35: 28–31.
doi: 10.1051/medsci/2019022.

Syndromes myasthéniques congénitaux: Le repositionnement ne simplifie pas de facto l’accès
Utilisation clinique des traitements innovants, repositionnés ou hors AMM : le vécu du terrain (4)

Bruno Eymard1*

1Coordonnateur du Centre de référence des maladies neuromusculaires adulte Nord-Est-Île-de-France, Responsable de l’Unité Fonctionnelle de Pathologie Neuromusculaire Groupe hospitalier universitaire Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013Paris, France
Corresponding author.
 

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Longtemps mal connus, les syndromes myasthéniques congénitaux (SMC) sont des affections génétiques consécutives à un dysfonctionnement de la transmission neuromusculaire. Plus de 30 gènes ont déjà été identifiés. Pour environ un patient sur trois, le gène reste inconnu.

Les SMC se manifestent habituellement dans la période néonatale, mais le début peut être plus tardif (enfance, adolescence, exceptionnellement âge adulte). La formule clinique combine une fatigabilité et un déficit musculaire des membres, des muscles axiaux et pharyngo-laryngés, une atteinte oculomotrice. Les patients les plus sévèrement atteints sont au fauteuil roulant, ventilés avec de gros troubles de déglutition. D’autres ont une forme plus bénigne. La présence fréquente d’une atrophie musculaire, d’une scoliose, la prééminence de la faiblesse masquant la variabilité, l’aggravation progressive, les tracés myogènes à l’EMG et les anomalies à la biopsie musculaire expliquent que le diagnostic initial soit souvent celui d’une myopathie, en particulier d’une myopathie congénitale. L’étude systématique de la transmission neuromusculaire permet de redresser le diagnostic.

Ces pathologies ont longtemps été considérées comme ne relevant que d’une prise en charge symptomatique, classique dans les myopathies.

À chaque SMC, son traitement privilégié

Pourtant, des traitements médicamenteux ont depuis peu totalement modifié la vie de nombreux patients. Ils sont innovants, non pas en raison des molécules, utilisées depuis longtemps, mais de la façon de les employer dans une toute autre indication, pour une maladie rare : il s’agit de médicaments « repositionnés ». Ils étaient utilisés jusque récemment dans d’autres indications : asthme, troubles du rythme cardiaque, dépression.

Selon le SMC et le gène en cause, le ou les médicaments indiqués sont différents (Figure 1). Les anticholinestérasiques sont indiqués pour le plus fréquent des SMC dû aux mutations affectant la sous-unité epsilon du récepteur de l’acétylcholine (RACh) et induisant une perte en RACh ou la rapsyne, mais ils sont formellement contre-indiqués car inefficaces voire dangereux pour ceux liés aux gènes DOK7, COLQ, AGRN, des sous unités du récepteur de l’acétylcholine induisant un syndrome du canal lent. Les bêta 2-mimétiques (salbutamol, éphédrine) sont les traitements de référence pour les SMC DOK7, COLQ, la fluoxétine et les quinidiniques pour le syndrome du canal lent. La 3,4 diaminopyridine (3,4-DAP) est indiquée préférentiellement dans certains SMC présynaptiques, mais elle peut être utile en association aux autres traitements dans les SMC postsynaptiques.

Le mode d’action de ces traitements est clair pour les anticholinestérasiques (réduction de la dégradation de l’ACh), la 3,4-DAP (augmentation du nombre de quanta d’ACh libérés par le nerf), la fluoxétine et les quinidiniques qui induisent un raccourcissement et donc une normalisation du temps d’ouverture du RACh dans le syndrome du canal lent. Pour les bêta 2-mimétiques, le mécanisme d’action, longtemps resté inconnu, commence à s’éclaircir : stabilisation du complexe Agrine-DOK7-RACh-Rapsyne dans la région postsynaptique.

Des interrogations persistent quant à l’effet de traitements pourtant bien conduits

La réponse au traitement est très aléatoire dans le syndrome du canal lent. Nous avons suivi quatre membres d’une même famille, présentant un syndrome du canal lent (le père et trois frères et sÅ“urs). La fluoxétine, un psychotrope inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, s’est montré inefficace alors qu’elle améliore certains patients avec syndrome du canal lent. L’hydroxyquinidine (un anti-arythmique) n’a pas eu d’effet bénéfique chez deux membres de la famille (le père et le fils), mais a entrainé une amélioration (réduction de la fatigabilité) chez les deux autres (les deux filles). Ces différences de résultats demeurent inexpliquées.

Pour les bêta2-mimétiques, la réponse au salbutamol et à l’éphédrine peut diverger, d’un patient l’autre ou pour un même patient à différents moments de sa maladie. Ainsi, une de nos patientes, atteinte de SMC lié au gène COLQ, a été améliorée de 90 % par l’éphédrine. Elle passe au salbutamol lors d’un projet de grossesse, qui contre-indique l’éphédrine. Le bénéfice est nettement moindre (40 %), d’où un retour à l’éphédrine (bénéfice de 50 %), et enfin au salbutamol avec un bénéfice de 80 % et donc une beaucoup plus grande efficacité que lors de la première tentative, à dose identique.

Enfin, une fois le médicament efficace identifié, il peut s’avérer non disponible ou rare sur le marché français. C’est le cas de l’éphédrine ou encore du salbutamol.

Deux cas cliniques sont présentés reflétant notre expérience des bêta 2- mimétiques. Le premier illustre la complexité thérapeutique des syndromes myasthéniques congénitaux. C’est celui d’un homme de 42 ans, atteint d’un SMC « indéterminé ». Il a reçu un traitement par anticholinestérasique pendant six jours. Ce médicament, qui possède en théorie une durée d’action limitée à quelques heures, a pourtant entrainé une exacerbation sévère et de plus de 6 mois des symptômes. Le diagnostic de SMC lié au gène DOK7 a été posé par la suite. La mauvaise tolérance des anticholinestérasiques est habituelle avec les SMC DOK7. Le patient a dès lors été traité par salbutamol qui a entrainé une amélioration importante de la fonction musculaire avec un périmètre de marche passé de 2 - 3 pas à 100 mètres. Cet exemple démontre la grande prudence qu’il convient d’adopter au moment de traiter un patient lorsque le gène en cause n’est pas identifié. Dans cette situation, il est toutefois possible de réaliser un test thérapeutique avec un anticholinestérasique à condition de n’avoir aucun argument électromyographique (dédoublement du potentiel moteur après stimulation unique) en faveur d’un syndrome du canal lent, ou d’un SMC lié au gène COLQ.

Le second cas permet d’illustrer la très grande efficacité d’une prescription adaptée. C’est celui d’une femme enceinte atteinte d’un SMC lié au gène COLQ traitée par 3,4 diaminopyridine. Ce traitement a dû être interrompu en fin de grossesse à cause de troubles gastro-intestinaux ayant entrainé une perte de poids importante (- 10 kg). Une crise respiratoire sévère en post-partum a nécessité la réalisation d’une trachéotomie. La mise en route d’un traitement par éphédrine a entrainé, en quelques jours seulement, une amélioration telle que l’assistance ventilatoire a pu être arrêtée.

Autre cas clinique emblématique des difficultés du traitement médicamenteux des SMC, un patient atteint d’une forme sévère de syndrome du canal lent, avec début précoce dans l’enfance, a été traité par quinidine à la dose de 165 mg x 2, baissée à cause de diarrhées à 165 mg avec un effet très positif (écriture, montée des escaliers, se relever de la station assise…). Ce médicament n’a plus été disponible. Pour le remplacer, un essai avec de l’hydroxyquinidine a été tenté, sans succès et qui plus est avec une mauvaise tolérance digestive. Il s’agit pourtant de deux molécules quasi identiques.

Des procédures pesantes sur les pratiques des prescripteurs, et sur la vie des patients

L’éphédrine a été disponible au terme d’une négociation complexe avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), il y a une dizaine d’années. Pour le salbutamol, la décision du laboratoire GlaxoSmithKline (GSK) en 2013 d’en arrêter brutalement la commercialisation a beaucoup compliqué la charge du neurologue ou du neuropédiatre en charge de patients atteints de SMC. Pour obtenir de l’éphédrine comme du salbutamol, une Autorisation temporaire d’utilisation nominative (ATUn) est indispensable. De plus, pour le salbutamol, un Protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil d’informations (PUT) doit être rédigé. La procédure est lourde car une hospitalisation de jour est à organiser pour tester la tolérance du médicament, vérifier l’indication et les contre-indications, réaliser un bilan cardiologique (voir Tableaux II et III). Les dossiers ATU et PUT sont à renouveler après trois mois, puis tous les six mois. À chaque fois, les bilans cardiologique et biologique doivent être récupérés, photocopiés et envoyés à la pharmacie hospitalière dont dépend le patient. Assurant le suivi de plusieurs dizaines de patients traités sous ATU, je consacre chaque semaine 2 heures à la gestion administrative des dossiers

Ces contraintes pèsent tout aussi fortement sur les patients, qui encourent de surcroît des risques parfois vitaux en cas de rupture inopinée de leur traitement. En cause, une rigidité excessive des autorités de contrôle qui mettent en avant le principe de sécurité. Une patiente en a fait l’expérience. Atteinte de SMC lié au gène COLQ, elle avait été considérablement améliorée par l’éphédrine. Son rendez-vous de suivi avec un cardiologue, exigé pour la délivrance de l’éphédrine, a été retardé par le praticien. L’ANSM n’a de ce fait pas renouvelé l’ATUn, ce qui a entraîné l’arrêt brutal de la fourniture du médicament à la patiente, sans en avertir son prescripteur. L’état de la patiente s’est nettement aggravé sur le plan moteur (perte de la marche), respiratoire (mise sous ventilation nasale) et de la déglutition. Une longue négociation, avec plusieurs réunions, a été nécessaire pour convaincre l’ANSM de mettre en place une réserve hospitalière d’éphédrine ou de salbutamol pour deux à trois semaines afin d’éviter une rupture de traitement.

Le changement de forme galénique, imposé par le laboratoire GSK pour le salbutamol, peut également poser problème. Un patient, atteint d’un SMC par mutation du gène codant l’agrine, a été traité par salbutamol sous forme de comprimés (2 mg), avec une amélioration majeure de la marche. Une rupture de stock a contraint au passage à la forme sirop, à dose équivalente. Ce changement s’est traduit par une perte d’efficacité thérapeutique. Le patient s’est aggravé, avant de récupérer lorsque des comprimés ont été de nouveau disponibles.

L’épopée du salbutamol

• Décembre 2013 : suppression de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de la spécialité Salbumol®/Ventolin® 2 mg comprimés à la suite d’une réévaluation européenne concluant à un rapport bénéfice/risque défavorable des bêta-2 agonistes de courte durée d’action dans les indications obstétricales.

• Décembre 2013 : octroi des premières autorisations temporaires d’utilisation nominatives par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

• 13 octobre 2016 : approbation par l’ANSM du Protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil d’informations (PUT) du laboratoire pour les formes comprimé et sirop.

• Du 21 avril 2017 au 20 octobre 2017 : seule la forme sirop est distribuée, suite à une rupture de stock des comprimés.

• Février 2018 : la distribution de la forme comprimé reprend.

Source : ANSM. ATUn salbutamol 21 octobre 2017 au 20 avril 2018. Résumé du rapport de synthèse n° 3 (sur www.ansm.sante.fr)

Des marges de progrès évidentes

Toutes ces expériences cliniques sont autant de leçons apprises de la prise en charge au jour le jour des maladies rares. Dans les syndromes myasthéniques congénitaux, les cliniciens ont souvent à prescrire des médicaments non pas orphelins, mais qui sont devenus orphelins alors qu’ils étaient largement disponibles par le passé. Même si leurs mécanismes d’action ne sont pas toujours très bien compris sur le plan physiopathologique, il s’agit de thérapeutiques majeures qui ont modifié du tout au tout le pronostic des patients atteints de SMC.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.