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Med Sci (Paris). 35: 22–25.
doi: 10.1051/medsci/2019049.

Nusinersen chez l’enfant : évolution ou révolution ?
Utilisation clinique des traitements innovants, repositionnés ou hors AMM : le vécu du terrain (2)

Christian Richelme1*

1Coordonnateur pédiatrique du Centre de référence des maladies neuromusculaires Nice, Hôpitaux Pédiatriques de Nice CHU-Lenval, 06200Nice, France
Corresponding author.
 

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Les maladies neuromusculaires de l’enfant présentent bien des spécificités. Elles sont évolutives, précoces et fréquemment dégénératives, avec la survenue à terme d’une amyotrophie. Dès lors peut se poser la question de savoir quel serait l’intérêt d’un traitement à visée curative au stade où les muscles sont déjà atrophiés. Les maladies neuromusculaires pédiatriques ont également pour particularité de retentir sur la croissance, tant squelettique que pulmonaire. Elles ont enfin une origine génétique quasi exclusive. Cette étiologie est source d’une grande complexité, avec l’existence de formes cliniques très différentes pour un même gène muté. C’est le cas de l’amyotrophie spinale infantile (ASI, SMA) ou amyotrophie spinale proximale liée au gène SMN1, dont il existe quatre types.

Trois décennies de progrès

En pédiatrie, la prise en charge des pathologies neuromusculaires a beaucoup progressé depuis les années 1980’s. Un travail énorme a été réalisé entre 1990 et 2010 pour développer la prise en charge symptomatique, tant orthopédique, cardio-respiratoire, nutritionnelle et digestive, que psychologique, algologique, scolaire ou encore sociale. Des médicaments repositionnés comme la corticothérapie (dans la dystrophie musculaire de Duchenne), le salbutamol (amyotrophie spinale infantile) et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (cardiopathie de différentes maladies neuromusculaires) font également partie des traitements symptomatiques. Tous ont contribué à modifier l’évolution naturelle des pathologies neuromusculaires de l’enfant, avec des bénéfices patents. Leur bilan est nettement positif dans les situations les plus sévères. La prise en charge symptomatique a entrainé une augmentation significative de la durée de vie. Elle a surtout entrainé une meilleure qualité de vie, fruit d’une réelle pluridisciplinarité et d’une vision globale du patient permise par l’implication de nombreux praticiens et paramédicaux, une nette diminution des hospitalisations en urgence, une scolarisation adaptée et un accompagnement individualisé. Autant d’avancées dont il faut tenir compte pour juger de l’apport des médicaments innovants. Ces derniers sont pour l’essentiel représentés par la thérapie du gène, avec notamment le saut d’exon (à l’aide d’oligonucléotides antisens) et la translecture des codons stop. Le saut d’exon est une thérapie personnalisée, qui vise la production d’une quantité significative de protéine déficitaire. Il présente toutefois de fréquents effets secondaires (rénaux, cutanés…). La translecture des codons stop cible les mutations non-sens. C’est le principe d’action de l’ataluren (Translarna®), un ARN interférant indiqué dans certains cas de dystrophie musculaire de Duchenne et qui bénéficie en Europe d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dite « conditionnelle ». Dans un avis publié en juillet 2017, la Commission de la transparence de la Haute Autorité de Santé a jugé que ce médicament ne présentait pas d’avantage clinique dans cette indication (pas d’amélioration du service médical rendu, ASMR V) et lui a attribué un service médical rendu « faible ».

Les différents phénotypes de la maladie

L’ASI de type I (ou maladie de Werdnig-Hoffmann) commence avant l’âge de six mois, parfois même dès la naissance. En l’absence de traitement, l’enfant n’acquiert jamais la position assise et décède souvent avant deux ans. Certains auteurs distinguent la forme très précoce de la maladie se manifestant avant la naissance par une diminution des mouvements foetaux (type 0), la forme débutant entre la naissance et trois mois (type I) et la forme débutant après trois mois (type I bis).

L’ASI de type II a un début plus tardif, après l’âge de six mois mais avant 18 mois. L’enfant a été capable de se tenir assis seul mais, en l’absence de traitement, n’acquiert pas la marche.

L’ASI de type III (ou maladie de Kugelberg-Welander) commence à se manifester après 18 mois (marche acquise), en général avant six ans.

L’ASI de type IV débute à l’âge adulte par des difficultés à la marche.

Une arrivée très récente

Le nusinersen (Spinraza®) est un nucléotide antisens qui augmente le pourcentage d’inclusion de l’exon 7 dans les transcrits d’ARN messager, non pas du gène SMN1 qui est absent ou muté dans l’ASI, mais du gène SMN2. Il permet ainsi de produire une protéine SMN (pour survival motor neuron ou protéine de survie des motoneurones) de longueur normale. En pratique, ce traitement est administré par voie intrathécale avec des injections à J0, J15, J30, J60 puis tous les quatre mois. Contrairement à ce que nous aurions pu penser initialement, le Spinraza® est très bien supporté. Il présente quelques effets secondaires, liés à la ponction lombaire. Les effets indésirables hématologiques, respiratoires et rénaux sont tout à fait exceptionnels. Ils ont été surtout été décrits avec d’autres oligonucléotides antisens. Tout récemment, il a été décrit cinq cas d’hydrocéphalie, dont le mécanisme reste à élucider [1]. Le médicament est disponible en France depuis septembre 2016 dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). En janvier 2018, la Commission de la transparence de la Haute Autorité de Santé a attribué au nusinersen un service médical rendu (SMR) « important » dans l’amyotrophie spinale de type I et II, ainsi que dans le type III, mais « insuffisant » dans le type IV. Elle a également attribué une amélioration du service médical rendu (ASMR) « modérée » dans le type I et II, mais absent dans le type III [2]. Ces conclusions soulèvent des questions sur les indications du traitement, tant chez l’enfant que chez l’adulte.

Protocole Nusinersen des Hôpitaux Pédiatriques de Nice CHU-Lenval

• Pose de pommade EMLA® préalablement au bilan sanguin.

• À l’arrivée en hôpital de jour, prélèvement sanguin et pose de pommade EMLA® au niveau rachidien.

• Administration de paracétamol (15 mg/kg) 15 à 30 minutes avant l’injection intrathécale.

• Ponction lombaire sous mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (Meopa), et sous scanner en cas de scoliose sévère.

• Retrait si possible de 4 à 5 ml de liquide céphalorachidien.

• Injection lente du nusinersen par voie intrathécale.

• Repos au lit post-injection pendant 2 heures.

L’expérience niçois

Dans notre Centre de référence, 10 enfants ont bénéficié d’un traitement par Spinraza® à partir de 2017. Ils sont âgés d’un à huit ans. La majorité d’entre eux est relativement fragile, notamment sur le plan respiratoire. Neuf de ces enfants ont reçu à ce jour six injections intrathécales de nusinersen, soit les quatre injections de la dose de charge et deux supplémentaires, séparées de quatre mois. Nous avons donc un recul d’environ une année pour la plupart de ces enfants.

Le protocole d’administration du nusinersen que nous utilisons permet de surmonter la majorité des difficultés. Les enfants reviennent à l’hôpital de jour pour chaque nouvelle injection sans aucun problème. L’une de nos craintes était qu’ils refusent de le faire. Elle ne s’est pas avérée fondée. Les obstacles auxquels nous avons été confrontés concernent pour l’essentiel l’administration du médicament en cas de déformations rachidiennes. C’est le cas des deux enfants les plus âgés de notre cohorte. Ces difficultés sont surmontables, même si elles compliquent un peu le traitement. En revanche, nous n’avons encore jamais injecté le Spinraza® à des enfants ayant eu des ostéosynthèses rachidiennes. Nos injections intrathécales ont été très bien tolérées, entrainant seulement quelques douleurs locales transitoires. Nous n’avons enregistré ni syndrome post-ponction lombaire, ni retentissement biologique, hématologique ou rénal. Plusieurs épisodes de surinfection respiratoire sont survenus, d’intensité légère à modérée et d’évolution favorable sous traitement antibiotique systématique. Ils semblent davantage liés au contexte infectieux hivernal qu’au traitement par Spinraza®.

Mutualiser les données observationnelles

Les équipes de pédiatrie qui administrent en France du nusinersen sont en train de constituer une base de données nationale. C’est une absolue nécessité. Le suivi de chaque enfant traité s’y appuie sur une grille d’évaluation qui porte sur la tolérance du traitement, le dépistage des évènements indésirables, l’état général, le stade de développement moteur (acquisition ou perte) et la fonction motrice (échelle Hine, Chop intend et MFM). Elle comprend également une évaluation de la fonction respiratoire, ce qui peut poser quelques difficultés chez les enfants les plus jeunes. Les critères d’appréciation sont la survenue d’infections respiratoires, l’examen clinique et spirométrique, les enregistrements capnographiques nocturnes et l’utilisation d’un support ventilatoire. La grille comporte enfin des données sur le statut orthopédique (déformations notamment rachidiennes, rétractions), l’état nutritionnel, l’oralité et le fonctionnement digestif, la prise en charge physique et orthopédique symptomatique.

L’échelle Mesure de Fonction Motrice (MFM), en bref

• 20 ou 32 items selon l’âge (avant ou après à 7 ans).

• 3 dimensions :

  • D1 : station debout et transferts (8 ou 13 items),
  • D2 : motricité axiale et proximale (8 ou 12 items),
  • D3 : motricité distale (4 à 7 items).

• Passage des épreuves de la position couchée (tapis) à la position assise (chaise ou fauteuil) puis à la position debout.

• Cotations de chaque item de 0 à 3.

• Scores MFM en % : D1, D2, D3 et score total.

Source : Berard C, Payan C, Hodgkinson I et al. A motor function measure scale for neuromuscular diseases. Construction and validation study Neuromuscul Disord. 2005 Jul;15(7):463-70.

Pour six enfants de notre cohorte, atteints d’une SMA de type II, l’analyse des données de suivi ne montre pas de corrélation évidente entre l’instauration du traitement par Spinraza® et le score MFM de motricité axiale et proximale (D2) et cela même si, globalement, le ressenti de leurs parents est positif. Sur le champ du score D2 de la MFM, certains enfants ont progressé sous traitement, d’autres non. à ce jour, les évolutions demeurent extrêmement variables d’un enfant à l’autre. En ce qui concerne la motricité distale (score D3), il semble exister une amélioration significative, corroborée par les parents. Pour deux patients, il existe une véritable corrélation entre les injections de nusinersen et l’amélioration du score D3. Pour un autre enfant, le score D3 a au contraire chuté sur une période de six mois, mais il augmente aujourd’hui. Chez ces patients très jeunes se pose la question de la fiabilité d’une évaluation répétée. Selon leur humeur du jour, les examens sont plus ou moins faciles à réaliser. Notre cohorte comporte deux sœurs jumelles, par ailleurs affiliées à la caisse d’Assurance Maladie monégasque. Cet organisme ne respecte malheureusement pas les règles de prise en charge qui s’appliquent aux médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation (ATU). De ce fait, les deux sœurs sont actuellement à la charge financière de notre hôpital. Sur le plan fonctionnel, l’évaluation MFM montre une amélioration de leurs scores MFM D3, davantage que de leurs scores D2, depuis le début du traitement par nusinersen. Elles sont à peu près stabilisées aujourd’hui sur le plan moteur. Pour une autre enfant, trop jeune pour bénéficier de la MFM, les résultats de l’échelle Chop Intend sont meilleurs depuis la mise sous traitement. Ses parents estiment également que l’évolution est très positive.

Un bilan préliminaire contrasté

À ce stade, très précoce, l’impression globale des parents est celle d’une amélioration de la fatigabilité et du tonus, avec de surcroit quelques acquisitions motrices. Leurs enfants ne font pas forcément plus, mais ils font mieux, avec beaucoup moins de fatigue et davantage d’habileté. L’analyse du critère objectif que constituent les échelles d’évaluation motrice montre une absence d’évolution sur la dimension D1 de la MFM, une évolution variable selon les enfants des dimensions D2 et D3, même si nous avons le sentiment que le score D3 évolue tout de même de manière plus positive, et une évolution positive de l’enfant la plus jeune de notre cohorte pour l’échelle Chop Intend. Sur le plan respiratoire, nous avons constaté la disparition des difficultés de déglutition chez les enfants qui en avaient avant le début du traitement. Nous avons également objectivé une absence de dégradation respiratoire clinique, un élément très positif au regard de l’histoire naturelle de l’amyotrophie spinale infantile, et une légère amélioration des paramètres spirométriques (capacité vitale, volume expiratoire maximal par seconde). Ces données sont importantes pour une maladie dont l’évolution spontanée est tout à fait particulière. Dans les formes précoces, la fonction respiratoire évolue en effet de façon dramatique et très rapide durant les 10 premières années, puis se stabilise à un niveau très bas pendant de très nombreuses années. Pour la majorité des enfants, l’évolution naturelle de la maladie se caractérise ainsi par un déficit respiratoire très important, mais qui reste malgré tout stable, pendant dix ans voire davantage. Ce constat pose la question des bénéfices à attendre d’un traitement par nusinersen chez l’adulte. Sur le plan pratique, nous pouvons conclure de notre petite expérience que l’administration est en règle générale facile et bien tolérée chez le jeune enfant, sous réserve d’un protocole d’administration strict. Le recours à l’imagerie peut être nécessaire pour réaliser les injections, en cas de déformations ou d’arthrodèse rachidiennes. La tolérance du produit est excellente, tant sur le plan clinique que biologique. Le peu d’évènements indésirables qui surviennent sont clairement liés au mode d’administration du Spinraza®. En termes de résultats, notre recul est insuffisant notamment sur le plan respiratoire et notre bilan contrasté sur le plan moteur. L’efficacité semble meilleure à un stade précoce, lorsque l’enfant n’est pas encore trop atteint et ses muscles encore fonctionnels. Cette impression clinique parait logique puisque la protéine SMN n’assure la survie des motoneurones qu’à la condition, bien sûr, qu’ils soient encore vivants.

Garder une vision globale

Au regard de ces premiers résultats, le nusinersen est-il de nature à faire évoluer ou à révolutionner la prise en charge des enfants atteints d’amyotrophie spinale infantile ? Ce traitement entraine, au mieux, l’arrêt ou le ralentissement de l’évolution. En revanche, il n’induit pas une franche amélioration chez tous les patients. C’est probablement lié à la complexité physiopathologique de la maladie. Les patients représentent un ensemble inhomogène sur le plan génétique (nombre de copies du gène SMN2 notamment) et leur évolution est naturellement variable, ce qui rend difficile le recrutement de cohortes homogènes de patients. En raison de ses résultats mitigés, l’utilisation du Spinraza® dans des formes extrêmement précoces, voire dans la forme anténatale, n’est pas sans poser des questions d’ordre éthique. À ce stade, nous avons le sentiment que ce traitement transforme des enfants qui, malheureusement, avaient un espoir de vie très courte, en enfants qui auront une espérance de vie plus longue mais avec un handicap qui ne sera pas négligeable. C’est très important vis-à-vis des parents, qui sont nombreux à attendre de ce type de traitements « curatifs » la fin de tous les problèmes de leur enfant. Il faut également leur rappeler que la prise en charge symptomatique a permis énormément de progrès ces 30 dernières années et qu’elle continuera à le faire. Elle ne doit en aucun cas être oubliée à l’arrivée des médicaments innovants, mais au contraire leur être associée, pour l’instant.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé. Spinraza (nusinersen) : information sur le risque d’hydrocéphalie communicante non reliée à une méningite ou à une hémorragie - Lettre aux professionnels de santé, 31 juillet 2018 (sur www.ansm.sante.fr)..
2.
Commission de la transparence de la Haute autorité de Santé. Avis du 31 janvier 2018 - Spinraza (sur www.has-sante.fr)..