Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 35(12): 1121–1129.
doi: 10.1051/medsci/2019209.

Déterminer la dose à injecter lors des premières études cliniques menées avec un anticorps monoclonal
Pas si simple !

Marie Viala1 and Diego Tosi1,2*

1Unité d’Essais de Phase Précoce (UEPP), Institut du Cancer de Montpellier (ICM), Montpellier, France
2Institut de Recherche en Cancérologie de Montpellier (IRCM), Inserm U1194, Montpellier, France
Corresponding author.
 

inline-graphic msc190038-img1.jpg

En oncologie médicale, l’intérêt principal des essais de première administration chez l’homme (EPAH) est la détermination de la dose maximale tolérée (DMT) lors d’une escalade de dose. Cette dernière est définie comme la dose la plus élevée à laquelle moins d’un tiers des patients traités ont présenté une toxicité intolérable au cours du premier cycle de traitement [1]. La dose recommandée (DR) pour les phases suivantes du développement clinique coïncide dans la plupart des cas avec la DMT [1], même si d’autres paramètres (notamment pharmacologiques) peuvent être pris en compte lors du choix de la dose. Cette stratégie de développement clinique est justifiée quand il s’agit de médicaments de chimiothérapie pour lesquels, en général, une augmentation de la dose administrée est directement proportionnelle à une augmentation de l’effet pharmacologique [1,2]. Il est par contre plus complexe d’évaluer les thérapies ciblées dans les EPAH, car elles présentent une toxicité aiguë moins prononcée et la proportionnalité directe entre la dose administrée, le niveau d’inhibition de la cible et l’efficacité du médicament est moins clairement démontrée [2]. Il existe encore plus d’incertitude concernant la détermination de la dose optimale des anticorps monoclonaux (AcM) dans le cadre d’une escalade de dose, en raison du fait que les effets non dus à l’interaction de l’anticorps avec la molécule ciblée (off-target effects, en anglais) sont souvent minimes pour cette classe thérapeutique ; ces molécules ont donc très fréquemment un bon profil de tolérance, même à des doses très élevées [3,4]. Cela a évidemment un impact profond sur tout le développement clinique de ces molécules.

Stratégies actuelles de développement des anticorps monoclonaux

Du fait qu’aucune donnée n’était disponible sur les caractéristiques réelles des essais cliniques réalisés par les EPAH, en particulier sur l’intégration des données précliniques, la conception de l’étude et les critères d’évaluation, nous avons récemment étudié la stratégie de développement des AcM aux différentes phases de développement de la molécule à travers une revue de la littérature [3,4]. La discussion détaillée des résultats de ce travail fournira au lecteur un tableau assez complet des difficultés actuellement rencontrées dans le développement des nouveaux anticorps utilisés à visée thérapeutique.

Développement lors des EPAH
Pour mieux comprendre la stratégie de détermination de la dose des anticorps lors des EPAH, tous les articles décrivant des EPAH publiés entre 2000 et 2013 et concernant des AcM ont été colligés [3]. Quatre-vingt-deux articles ont été sélectionnés et plusieurs paramètres ont été évalués: les critères de choix des doses testées par rapport aux études précliniques, le design de l’escalade de dose, le nombre des paliers de doses, la fréquence et la distribution des toxicités graves, ainsi que celles des toxicités limitantes (TL) lors de l’escalade de dose, la méthode de détermination de la DMT, le choix de la DR et le lien entre ces deux paramètres.

Parmi les articles examinés, seuls 33 % rapportaient un rationnel pour la dose de départ fondé sur des études précliniques. Le rationnel reposait sur des données de toxicologie (dans environ la moitié des cas), sur des considérations de pharmacocinétique ou pharmacodynamique, ou encore sur la détermination de l’effet biologique minimal prévu. Dans les autres articles, ces données n’étaient pas spécifiées et donc aucune justification du choix de la dose de départ n’était disponible. Les méthodes d’escalade de dose utilisée étaient traditionnelles et prudentes, car, dans la plupart des essais, le design 3 + 3, ou des méthodes dérivées, étaient utilisés. Le design 3 + 3 prévoit que trois patients sont inclus dans chaque palier de dose, suivis de trois autres dans le cas où une DMT est rencontrée, et que l’escalade est possible seulement si aucun patient sur trois ou un sur six n’a expérimenté une TL ; ce type de design est traditionnellement utilisé pour des molécules très toxiques. Un résultat intéressant de cette analyse a concerné les doses évaluées et la disposition des paliers de dose. Le nombre médian de paliers de dose était de 5, avec des extrêmes de 2 et 13, et le ratio médian entre la dose la plus haute planifiée et la dose de départ était de 27, avec des extrêmes de 2 et 3 333. Ces données témoignent de l’incertitude très élevée au regard de la toxicité et de la dose potentiellement active de ce type de médicaments et contrastent avec ce qui a été trouvé dans les essais qui évaluent des traitements ciblés par de petites molécules chimiques. Une récente revue de la littérature a montré que, dans ce dernier cas, ces traitements ciblés sont souvent bien plus toxiques que ceux par des anticorps ; par ailleurs, notre étude a montré que l’escalade de dose était conduite selon des design d’augmentation accélérée de la dose dans 44 % des cas, et le rapport médian entre la dose la plus haute planifiée et la dose de départ était de seulement 12 [2].

Les données de toxicité des EPAH sur les anticorps confirment que ces médicaments sont très peu toxiques: aucune TL est rencontrée dans 57 % des essais, et deux ou plus ne sont observées que dans 31 % des essais. Par ailleurs, la dose maximale administrée (DMA) correspond dans tous les essais à la dose planifiée la plus haute (l’escalade de dose a donc été conduite entièrement), et une DMT n’a été déterminée que dans 16 % des cas. La conséquence de ce très bon profil de toxicité était qu’une recommandation concernant la dose ou les doses à évaluer dans les essais suivants était faite dans seulement 41 % des essais. En comparaison, la révision concernant les EPAH pour les traitements ciblés par petites molécule chimiques a montré qu’une DMT était définie dans 81 % des cas [2]. Un élément très intéressant dans le cas des anticorps est le fait que, dans 73 % des essais, la DR a été déterminée en l’absence ou indépendamment de la DMT ; plus particulièrement, la DR correspondait à la DMA (donc aussi au plus haut niveau de dose planifié) seulement dans deux essais sur 28, mais le plus souvent, elle était sélectionnée à partir de données de pharmacocinétique ou de pharmacodynamie. Ainsi, on remarque que la DR n’est pas choisie sur un critère principal de toxicité, car le plus souvent elle est différente de la DMA ou de la DMT. Les paramètres de pharmacocinétique le plus souvent utilisés dans le choix sont la comparaison entre les concentrations sériques obtenues en cours d’essai et les concentrations qui étaient connues pour être efficaces dans des modèles cellulaires in vitro. Cette façon de procéder présuppose que l’on puisse se fier à la concentration sérique pour estimer la concentration de l’anticorps dans la tumeur, comme pour les petites molécules chimiques. Comme nous le verrons, cette corrélation reste très douteuse en raison des difficultés rencontrées par des molécules volumineuses comme les anticorps lors de la diffusion à l’extérieur des vaisseaux. D’autres paramètres de pharmacodynamie utilisés dans la sélection de la DR sont des indicateurs indirects d’efficacité du traitement (variation de la concentration d’un marqueur tumoral ou de la sécrétion d’une cytokine), des évaluations du taux d’occupation des récepteurs ciblés par la molécule testée ou une détermination de la dose associée avec une saturation de la clairance de l’anticorps (qui devrait être le signe de la saturation des sites récepteurs pour la molécule). À ce propos, il faut noter que, si l’occupation de la cible paraît efficacement estimée quand l’évaluation directe des cellules tumorales est possible (notamment dans des tumeurs hématologiques), la difficulté de pénétration des anticorps dans les tumeurs solides rend incertaine l’estimation de l’occupation des récepteurs des cellules tumorales sur la base de la cinétique sérique du médicament.

Développement lors des essais suivant les EPAH
Nous avons ensuite évalué le développement clinique des anticorps dont l’EPAH avait été inclus dans la révision suscitée, avec pour but de comprendre comment le choix de la dose testée avait été effectué en l’absence de repères clinique ou pharmacologiques fiables [4]. Pour cette deuxième analyse, 144 essais successifs à la première administration chez l’homme (ESPAH) ont été sélectionnés, étudiant 42 AcM. Parmi ces études, 27 % étaient de phase I, 72 % de phase II ou III.

Pour les études de phase I, la plupart incluait une escalade de dose. Les valeurs extrêmes des rapports entre la DMA de l’EPAH et la plus haute dose planifiée dans l’ESPAH étaient très larges (0,1-6). Cependant, dans 47 % des cas, la dose la plus haute planifiée équivalente à la DMA au cours de l’EPAH (correspondant dans 65 % des ESPAH à la plus haute dose planifiée) était égale ou inférieure à la DMA de l’EPAH. Ces données montrent qu’une certaine incertitude existe sur les conclusions à tirer des résultats des EPAH en termes de dose optimale, et que l’intervalle de doses évalué dans les EPAH paraît assez satisfaisant, car des doses plus élevées que la DMA n’étaient pas systématiquement incluses dans l’escalade de dose ESPAH. De la même façon que dans les EPAH, le profil de tolérance dans ces essais de phase I était bon, permettant ainsi une escalade de dose jusqu’à la dose maximale planifiée. Finalement, la DR déterminée lors de l’EPAH ne concordait avec celle indiquée par les résultats des ESPAH de phase I que pour une minorité des AcM testés: le ratio médian entre la DR de l’ESPAH et la DR de l’EPAH était alors de 2,2 (intervalle: 1-6), et le ratio entre la DR de l’EPAH et la DMA de l’ESPAH était de 0,65 (intervalle: 0,3-1), soit des ratios très larges. Dans ces études, il est très fréquent de ne pas retrouver une justification du choix de la DR quand celle-ci est différente de la DR de l’EPAH ou de la dose maximale administrée pendant l’EPAH, ce qui ne permet pas de juger du bien-fondé des décisions prises. Quand ces choix étaient justifiés, ils s’appuyaient souvent sur des considérations concernant la comparaison entre les concentrations sériques de la molécule testée et les concentrations efficaces dans les études précliniques.

Les ESPAH de phase II et III analysées étaient au nombre de 103, évaluant 37 AcM dont l’EPAH était connu. La sélection de la dose était hétérogène en fonction des essais, et un rationnel a été retrouvé dans seulement 57 essais sur 103 (pour 26 anticorps). On peut noter que ce rationnel, lorsqu’il était déclaré, reposait sur la DR de l’EPAH pour 19 essais, sur des données de pharmacocinétique pour 7 essais, sur des données d’efficacité pour 7 essais, sur la DMA de l’EPAH dans 4 essais, sur des données de pharmacodynamie dans 2 essais, sur la DMT de l’EPAH dans 1 essai, et sur d’autres considérations dans 17 autres essais. Il faut par ailleurs souligner que la DR de l’EPAH était disponible pour 12 des 37 AcM étudiés, et qu’elle était testée pour seulement 11 d’entre eux. Dans ces mêmes essais, la DMA de l’EPAH a été testée dans 17 essais pour les 8 AcM avec des DR établies pendant l’EPAH, et une dose supérieure à la DMA a été testée seulement dans 2 essais. Enfin, le ratio entre la dose testée lors des ESPAH et la DR de l’ESPAH correspondante s’étendait de 0,1 à 5, avec, dans 84 % des cas, un ratio avec la DR de l’ESPAH non compris dans un intervalle de ± 33 %. Encore une fois, on voit ici que les résultats de tolérance obtenus lors de l’EPAH ne sont que rarement pris en compte dans le développement clinique ultérieur, et que le rationnel du choix de la dose repose souvent sur des considérations faites a posteriori et pouvant être discutables quand l’essai examiné n’a pas été conçu en les utilisant comme paramètres d’évaluation principaux.

Choix de la dose des anticorps monoclonaux lors des essais d’enregistrement
Pour compléter le tableau des stratégies de développement des AcM en clinique, nous avons évalué les doses testées dans les essais d’enregistrement des anticorps approuvés par la food and drug administration (FDA) américaine, et la relation entre ces doses et les résultats des EPAH de chaque molécule [4]. Il faut rappeler que, lors des essais d’enregistrement, la dose utilisée est fixe, et correspond à celle éventuellement retenue par les autorités pour la mise sur le marché du médicament si le résultat de l’essai est positif. Dans ce contexte spécifique, il a été démontré par une récente revue de la littérature incluant à la fois des médicaments de chimiothérapie et des thérapies ciblées, que la dose validée en phase d’enregistrement était comprise, pour 75 % des molécules, dans un intervalle de ± 20 % par rapport à la dose de l’EPAH [5]. Dans notre analyse des essais sur les anticorps, nous avons analysé 60 essais de phases d’enregistrement évaluant 27 anticorps et les EPAH correspondants. Dans la majorité des cas, l’indication était une pathologie oncologique ou auto-immune. La DMT de l’EPAH était disponible pour un seul anticorps, et la DR était retrouvée pour 7 anticorps. Cette DR a été testée en phase d’enregistrement pour seulement 5 anticorps et la DMA, pour 4 d’entre eux. Le ratio médian entre la dose en phase d’enregistrement et la DMA de l’EPAH était de 0,78 (0,1-2,5), témoignant d’une grande différence entre les doses de l’EPAH et les doses de la phase d’enregistrement. En considérant les 9 anticorps dont la DR n’était pas connue, pour six d’entre eux, au moins une dose parmi celles utilisées en phase d’enregistrement était inférieure au 75 % de la DMA. Enfin, les effets toxiques graves (de grade 3/4 selon le CTCAE [common terminology criteria for adverse events]1) les plus fréquemment décrits à la fois en phase d’enregistrement et en phase I ont été étudiés. Pour 25 % des anticorps, au moins deux sur les trois effets de grade 3/4 les plus fréquents dans l’essai d’enregistrement, ont été retrouvés dans l’EPAH. Cependant dans 57 % des cas, aucun des effets de grade 3/4 de la phase d’enregistrement n’a été décrit lors de l’EPAH. Ces données montrent que la toxicité des anticorps est généralement peu fréquente et retardée, et donc que le design des EPAH, tel qu’il est conçu à l’heure actuelle, n’est souvent pas adapté.
Aspects problématiques dans le choix de la dose
Masse antigénique et clairance des anticorps
Un aspect de la pharmacologie des anticorps très important en raison de ses implications dans le choix de la dose, est la relation inverse qui existe entre la masse antigénique et la clairance de l’anticorps [6-10]. Cette relation joue un rôle clé dans le contexte du ciblage par anticorps de molécules de surface exprimées par les cellules tumorales, mais aussi de molécules solubles [7]. Il a été démontré dans le cas de plusieurs anticorps, que, à cause de cette relation inverse, les patients avec une masse antigénique plus importante peuvent avoir des concentrations sériques d’anticorps réduites par rapport aux patients avec une masse antigénique modeste [7,11,12]. Une masse antigénique importante peut donc être associée à une exposition à des concentrations efficaces du médicament qui ne soit pas optimale, ce qui peut entraîner une réduction de la probabilité de réponse du malade au traitement [12]. À l’inverse, si on s’attend à une masse antigénique extrêmement faible, comme dans le cas des patients affectés par un cancer et suivant un traitement à visée adjuvante (c’est-à-dire en l’absence de maladie cliniquement détectable et donc de volume minimal par rapport à un patient métastatique), il pourrait être possible d’administrer une dose inférieure d’anticorps, ou d’en espacer les administrations, avec des bénéfices économiques non négligeable.
La pénétration des anticorps dans les tissus
Comme nous l’avons vu, souvent, le critère utilisé a posteriori dans les EPAH pour effectuer la sélection de la DR repose sur la comparaison, fondée sur l’analyse de la pharmacocinétique, entre les concentrations plasmatiques de l’anticorps obtenues chez les patients et celles considérées comme étant efficaces dans les modèles précliniques [3]. Cette approche peut être discutable, notamment dans le cas des cancers solides, car elle équivaut à considérer la concentration plasmatique d’un anticorps comme le reflet de la concentration intratumorale, sans tenir compte de l’incertitude qui existe sur la pénétration des anticorps dans le tissu tumoral. En fait, des évidences expérimentales montrent que la pénétration des anticorps dans le tissu tumoral est limitée par plusieurs facteurs [13]. Une pression de fluide interstitiel élevée est une caractéristique bien connue du tissu tumoral et constitue une limite au transport des anticorps dans la tumeur, car le gradient de pression entre le tissu tumoral et le système vasculaire est minimal, et le transport par convection est en réalité altéré [14]. Pour cette raison, les anticorps pénètrent dans les tissus tumoraux principalement par diffusion, un processus qui peut être également ralenti par la masse moléculaire élevée des anticorps (la diffusion des macromolécules est inversement proportionnelle à leur masse), par la présence d’une clairance endocytaire locale, et par l’abondance d’antigène [14]. Ces deux derniers facteurs sont partiellement liés par le mode du recyclage de la cible: quand la cible est abondante et le recyclage rapide, la pénétration peut de facto être bloquée au niveau des régions périvasculaires [14]. De plus, le tissu tumoral est considéré ici comme un compartiment avec des constantes d’entrée et de sortie, ignorant l’hétérogénéité spatiale des tumeurs, notamment en ce qui concerne la distribution des structures vasculaires [15,16]. Dans un modèle murin de lymphome non hodgkinien CD20+, une étude portant sur le rituximab a montré que, dans des masses volumineuses de tumeurs, du fait de la distribution périphérique des structures vasculaire à l’intérieur de la masse tumorale, les anticorps se concentrent dans les espaces périvasculaires et entrent ensuite dans le sang au fur et à mesure que leur concentration sérique se réduit [9]. Ce phénomène explique le fait que la concentration d’anticorps par gramme de tissu est moindre dans les lésions les plus volumineuses, ce qui par ailleurs est associé à une réduction de l’efficacité antitumorale de la molécule.
Le cas particulier des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire
Des difficultés particulières dans la méthodologie de sélection de la dose ont été mises en évidence lors du développement des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire en oncologie. À titre d’exemple, dans les EPAH évaluant le nivolumab et le pembrolizumab, il n’a pas été montré de façon claire de relation entre la dose (ou les paramètres pharmacocinétiques) et la réponse, malgré une efficacité antitumorale significative de ces deux médicaments [15,16]. Dans le cas du nivolumab, la dose utilisée dans le développement clinique a été choisie sur le fait que la probabilité de progression était plus importante pour des doses très faibles [17]. Pour le pembrolizumab, la dose utilisée dans les essais suivant l’EPAH a été en revanche sélectionnée principalement sur la base d’un test pharmacodynamique qui évaluait indirectement le taux d’occupation de sa cible, la molécule PD-1 (programmed cell death-1), au niveau de la surface des cellules du sang périphérique [16,18]. Il faut noter également que la clairance du nivolumab se réduit au cours du traitement, et cela de façon plus importante chez les patients dont la maladie répond au traitement [19]. Cette observation pourrait suggérer un intérêt du suivi thérapeutique de la concentration du médicament, avec pour but une adaptation de la dose sur le long terme [20,21].
Perspectives

Comment améliorer le processus de sélection de la dose (et de la fréquence d’administration) pour les AcM lors des essais de phase précoce ? Différentes possibilités s’offrent aux investigateurs, dont l’intégration, à côté de la tolérance, des résultats d’analyses pharmacocinétiques et pharmacodynamiques comme paramètres principaux d’évaluation dans le design des essais cliniques.

Évaluer l’impact de la masse antigénique
Une évaluation précise des variations de clairance et de concentration sérique des anticorps testés dans des essais de phase précoce apparaît être d’une grande importance et peut permettre d’optimiser le choix de la dose dès l’EPAH. Prendre en compte l’effet de la masse tumorale sur la clairance présuppose de mener des essais cliniques impliquant un effectif de patients plus important dès le début du développement des molécules afin de déterminer la dose permettant une saturation des mécanismes de clairance chez la plupart des patients, indépendamment de la masse antigénique. Lors d’un essai évaluant l’obinutuzumab, un anticorps anti-CD20, dans le traitement des lymphomes non-hodgkiniens à cellules B exprimant CD20, il a été démontré que les patients présentant une masse tumorale élevée avaient une exposition réduite au médicament, par rapport aux patients ayant une masse tumorale plus faible. Cette réduction d’exposition était associée à une diminution de l’efficacité du traitement [12], ce qui a nécessité d’augmenter considérablement la dose administrée pour saturer les sites antigéniques chez ces patients afin d’obtenir un profil pharmacocinétique similaire chez tous les patients.
Évaluer la pharmacocinétique de population
Une alternative pourrait être d’intégrer le suivi étendu des concentrations du principe actif (l’anticorps) dans les essais cliniques de phase précoce, de façon à déterminer les critères pour l’adaptation des doses en fonction du profil pharmacocinétique individuel des patients [20,21]. Le suivi thérapeutique pourrait aussi être utile pour éliminer d’autres sources connues de variabilité de la concentration des anticorps, comme le sexe, l’indice de performance, le poids corporel, l’état nutritionnel ou l’activité inflammatoire [22]. Il faut noter à ce propos que certaines de ces conditions peuvent varier au cours du traitement: la clairance de l’anticorps utilisé peut donc être réduite progressivement, chez un patient donné, lorsqu’une réponse clinique s’instaure, en raison de l’amélioration de son index de performance, de son état nutritionnel et/ou de l’activité inflammatoire [20]. Une dose plus importante peut ainsi être requise au début du traitement et, inversement, une réduction de la dose pourrait être envisagée lorsqu’une réponse clinique très satisfaisante est obtenue.
Modéliser la relation entre pharmacocinétique et effet pharmacologique
Il est possible de modéliser la relation entre le profil pharmacocinétique d’un anticorps et sa pharmacodynamie. Dans un essai clinique évaluant le bévacizumab, un anticorps dirigé contre le VEGF (vascular endothelial growth factor), chez des patients affectés par le syndrome de Rendu-Osler-Weber2, il a été possible de modéliser la relation entre la concentration sérique du médicament et les modifications de deux paramètres cliniques d’efficacité du traitement: l’index cardiaque et la durée des épisodes d’épistaxis [23]. Une approche par compartiments de transit et des modèles d’inhibition directe ont été utilisés pour simuler l’impact de différents schémas temporels d’administration sur les paramètres pharmacodynamiques, y compris des schémas de traitement discontinu et de maintenance. Cela a permis d’optimiser les résultats de l’essai clinique mené dans cette population rare, sans tester de multiples régimes d’administration et en limitant le nombre de patients inclus. Bien évidemment, un ou plusieurs paramètres pharmacodynamiques cliniquement pertinents doivent être disponibles pour pouvoir procéder à cette modélisation. Dans certains contextes, comme dans le traitement des tumeurs solides, ceux-ci sont difficiles à déterminer, sauf dans le cas d’une importante efficacité antitumorale de l’anticorps évalué.
Conclusions

Le développement clinique à visée thérapeutique des AcM constitue un enjeu stratégique en médecine, mais présente des difficultés liées aux caractéristiques pharmacologiques et cliniques de ces molécules. En particulier, les modalités actuellement utilisées pour la sélection de la dose des anticorps ne paraissent pas toujours adaptées, du fait qu’elles ont été développées pour des classes de médicaments très différentes. La détermination de la DR lors des premières étapes d’évaluation clinique est ainsi incertaine, et elle a, le plus souvent, peu d’influence sur la dose choisie pour les phases ultérieures. Les doses utilisées lors des essais plus tardifs sont également choisies sur des bases discutables ou non disponibles pour une évaluation critique. De nouveaux designs d’essais cliniques intégrant des données de pharmacocinétique et de pharmacodynamie pourraient constituer des stratégies rationnelles pour optimiser la sélection de la dose des nouveaux anticorps.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Critères de terminologie communs pour les événements hostiles.
2 Aussi appelé télangiectasie hémorragique héréditaire (THH), le THH est une dérégulation de l’angiogenèse conduisant à des dilatations artério-veineuses.
References
1.
Le Tourneau C, Lee JJ, Siu LL. Dose escalation methods in phase I cancer clinical trials . J Natl Cancer Inst. 2009; ; 101: :708.–720.
2.
Le Tourneau C, Stathis A, Vidal L, et al. Choice of starting dose for molecularly targeted agents evaluated in first-in-human phase I cancer clinical trials . J Clin Oncol. 2010; ; 28: :1401.–1407.
3.
Tosi D, Laghzali Y, Vinches M, et al. Clinical development strategies and outcomes in first-in-human trials of monoclonal antibodies . J Clin Oncol. 2015; ; 33: :2158.–2165.
4.
Viala M, Vinches M, Alexandre M, et al. Strategies for clinical development of monoclonal antibodies beyond first-in-human trials: tested doses and rationale for dose selection . Br J Cancer. 2018; ; 118: :679.–697.
5.
Jardim DL, Hess KR, LoRusso P, et al. Predictive value of phase I trials for safety in later trials and final approved dose: analysis of 61 approved cancer drugs . Clin Cancer Res. 2014; ; 20: :281.–288.
6.
Mager DE. Target-mediated drug disposition and dynamics . Biochem Pharmacol. 2006; ; 72: :1.–10.
7.
Tabrizi MA, Tseng C-ML, Roskos LK. Elimination mechanisms of therapeutic monoclonal antibodies . Drug Discov Today. 2006; ; 11: :81.–88.
8.
Golay J, Semenzato G, Rambaldi A, et al. Lessons for the clinic from rituximab pharmacokinetics and pharmacodynamics . mAbs. 2013;; 5: :826.–37.
9.
Dayde D, Ternant D, Ohresser M, et al. Tumor burden influences exposure and response to rituximab: pharmacokinetic-pharmacodynamic modeling using a syngeneic bioluminescent murine model expressing human CD20 . Blood. 2009; ; 113: :3765.–3772.
10.
Dostalek M, Gardner I, Gurbaxani BM, et al. Pharmacokinetics, pharmacodynamics and physiologically-based pharmacokinetic modelling of monoclonal antibodies . Clin Pharmacokinet. 2013; ; 52: :83.–124.
11.
Azzopardi N, Lecomte T, Ternant D, et al. Cetuximab pharmacokinetics influences progression-free survival of metastatic colorectal cancer patients . Clin Cancer Res. 2011; ; 17: :6329.–6337.
12.
Cartron G, Hourcade-Potelleret F, Morschhauser F, et al. Rationale for optimal obinutuzumab/GA101 dosing regimen in B-cell non-Hodgkin lymphoma . Haematologica. 2016; ; 101: :226.–234.
13.
Thurber G, Schmidt M, Wittrup K. Factors determining antibody distribution in tumors . Trends PharmacolSci. 2008; ; 29: :57.–61.
14.
Thurber GM, Schmidt MM, Wittrup KD. Antibody tumor penetration: transport opposed by systemic and antigen-mediated clearance . Adv Drug Deliv Rev. 2008; ; 60: :1421.–1434.
15.
Topalian SL, Sznol M, McDermott DF, et al. Survival, durable tumor remission, and long-term safety in patients with advanced melanoma receiving nivolumab . J Clin Oncol. 2014; ; 32: :1020.–1030.
16.
Patnaik A, Kang SP, Rasco D, et al. Phase I study of pembrolizumab (MK-3475; anti-PD-1 monoclonal antibody) in patients with advanced solid tumors . Clin Cancer Res. 2015; ; 21: :4286.–4293.
17.
Agrawal S, Feng Y, Roy A, et al. Nivolumab dose selection: challenges, opportunities, and lessons learned for cancer immunotherapy . J Immunother Cancer. 2016; ; 4: :72..
18.
Lindauer A, Valiathan C, Mehta K, et al. Translational pharmacokinetic/pharmacodynamic modeling of tumor growth inhibition supports dose-range selection of the anti-PD-1 antibody pembrolizumab: Translational pharmacokinetic/pharmacodynamic modeling . CPT Pharmacometrics Syst Pharmacol. 2017;; 6 h :11.–20.
19.
Liu C, Yu J, Li H, et al. Association of time-varying clearance of nivolumab with disease dynamics and its implications on exposure response analysis . Clin Pharmacol Ther. 2017; ; 101: :657.–666.
20.
Oude Munnink T, Henstra M, Segerink L, et al. Therapeutic drug monitoring of monoclonal antibodies in inflammatory and malignant disease: translating TNF-α experience to oncology . Clin Pharmacol Ther. 2016;; 99: :419.–31.
21.
Ratain MJ, Goldstein DA. Time is money: optimizing the scheduling of nivolumab . J Clin Oncol. 2018; ; 36: :3074.–3076.
22.
Tibbitts J, Canter D, Graff R, et al. Key factors influencing ADME properties of therapeutic proteins: a need for ADME characterization in drug discovery and development . mAbs. 2016;; 8: :229.–45.
23.
Azzopardi N, Dupuis-Girod S, Ternant D, et al. Dose-response relationship of bevacizumab in hereditary hemorrhagic telangiectasia . mAbs. 2015;; 7: :630.–7.