Med Sci (Paris). 35(12): 1072–1082. doi: 10.1051/medsci/2019242.Les anticorps et scaffold
bispécifiques, des médicaments innovants en oncologie impliquant le ciblage des
cellules immunitaires 1Aix Marseille Univ, CNRS, Inserm, Institut Paoli-Calmettes,
CRCM, Marseille, France 2Centre d’Innovation Thérapeutique en Oncologie -
Servier, F78290Croissy-sur-Seine,
France Corresponding author. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Ces dernières années ont vu une révolution s’opérer dans les traitements des cancers avec l’avènement des immunothérapies, et plus particulièrement des anticorps inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (immune checkpoint inhibitors). Ainsi, les récents essais cliniques ont permis d’identifier plus de 30 types de cancer sensibles aux traitements anti-PD-1 (programmed cell death-1)/PD-L1 (programmed cell death-ligand 1) [1]. C’est la première fois en oncologie qu’une classe de médicaments démontre un si large spectre d’activités en monothérapie. Cependant, de nombreux effets secondaires limitent parfois l’usage de ces thérapies. De plus, une majorité de patients sont malheureusement réfractaires à ce type d’approche, particulièrement ceux dont les tumeurs sont faiblement infiltrées par les cellules effectrices du système immunitaire tels que lymphocytes T (LT) et cellules NK (natural killer) [2]. Pour pallier ce problème, plusieurs approches d’immunothérapie sont activement explorées. Deux approches parmi les plus prometteuses semblent être les thérapies cellulaires utilisant des cellules modifiées génétiquement (comme les CAR-T cells), et l’utilisation d’anticorps bispécifiques (Abs). Il y a, à ce jour, plus de 60 Abs (ou apparentés) en développement clinique, dont 80 % fonctionnent en induisant une synapse entre une cellule tumorale et une cellule immunitaire. Quelques exemples de structures bispécifiques sont présentés dans la Figure 1. Le but de ces Abs est de recruter et d’activer les cellules effectrices au sein du microenvironnement tumoral dans le but de concentrer les effets pharmacologiques sur la zone tumorale pour améliorer l’efficacité thérapeutique de cette immunothérapie, tout en réduisant des effets indésirables liés à l’activation du système immunitaire en comparaison à une immunothérapie provoquant une immunomodulation systémique.
Dans cette revue, nous allons présenter les principales approches thérapeutiques impliquant des Abs dont le mécanisme d’action principal réside dans la réactivation des cellules du système immunitaire (LT, cellules NK), et décrire les différents formats protéiques mis en œuvre (reposant soit sur une structure d’immunoglobuline (Ig), soit sur des charpentes (ou scaffolds) protéiques non apparentées aux Ig. De par la flexibilité d’ingénierie de ce type de molécules bispécifiques, leurs champs d’applications vont bien au-delà du recrutement de cellules immununitaires ; néanmoins, cette revue analysera uniquement les Abs ayant un mécanisme d’action immuno-modulateur et leurs applications en immunothérapie des cancers. De nombreux articles de revue décrivent de manière plus générale l’ingénierie et les applications des Abs dans les autres domaines, certains sont cités ci-après [3-5]. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Parmi les concepts d’immunomodulation, les thérapies ciblant les LT sont de loin les plus avancées, avec un produit approuvé et plusieurs composés en développement clinique. Les principales molécules sont résumées dans le Tableau I. Bien que les bénéfices cliniques les plus impressionnants soient pour l’instant obtenus sur des tumeurs hématologiques par nature plus accessibles, ces traitements pourraient en principe être aussi utilisés pour des tumeurs solides.
Les BiTE (bispecific T cell engagers) sont des Abs ciblant simultanément un antigène associé à la tumeur et le complexe récepteur des LT (ou TCR) via la chaîne CD3e, redirigeant ainsi la cytotoxicité des lymphocytes T vers les cellules malignes, indépendamment de la spécificité de ces cellules. Une grande partie de la population de LT est donc activée polyclonalement. Il faut souligner que l’activation des lymphocytes T semble indépendante de la costimulation via CD28 ou via l’IL(interleukine)-2. Ceci pourrait s’expliquer par l’établissement d’une synapse immunologique étroite entre le lymphocyte T et la cellule tumorale via l’Abs, agrégeant ainsi les complexes TCR/CD3 tout en excluant la phosphatase CD45 plus volumineuse, qui joue un rôle immunomodulateur négatif [6]. Une autre hypothèse suggère que les cellules effectrices principalement responsables de l’effet cytotoxique seraient des lymphocytes T mémoires, nécessitant moins de co-stimulation pour être complètement activés [7]. L’activation des LT peut être obtenue à de très faibles doses d’anticorps ou contre des antigènes tumoraux à faible niveau d’expression, de l’ordre de quelques centaines à quelques milliers de molécules par cellule. Le concept de reciblage des LT est exploré depuis de nombreuses années et des effets cliniques favorables ont été mis en évidence. Cependant, peu de thérapies de reciblage des LT ont été commercialisées ou ont atteint un stade de développement clinique avancé, probablement en raison d’une toxicité importante, de problèmes de fabrication, d’une immunogénicité et de faibles taux de réponse dans les tumeurs solides. Nous ne parlerons pas ici du catumaxomab, premier Abs anti-CD3 approuvé en 2009 et ciblant l’antigène tumoral EpCAM (epithelial cell adhesion molecule), mais retiré du marché en 2017. Le blinatumomab Le blinatumomab (Blincyto®) est le seul anticorps bispécifique
actuellement approuvé. Il est constitué d’un fragment variable simple chaîne Fv
(scFv) d’un anticorps murin anti-CD19 fusionné à un scFv murin anti-CD3
via un court peptide de liaison (GGGGS). En 2004, un essai
en escalade de dose de phase I par administration en perfusion continue a
débuté, conduisant à des réponses cliniques significatives à une dose de 15
μg/m2/jour. Dix ans plus tard, le blinatumomab était approuvé par
la food and drug administration (FDA) américaine pour le
traitement de la leucémie aiguë lymphoblastique, en rechute et réfractaire
[8]. L’approbation
accélérée et conditionnelle par la FDA en 2014 a depuis été convertie en une
approbation définitive en juillet 2017, incluant également les patients
pédiatriques et Philadelphia-positifs (présentant une fusion de gènes BCR-ABL1).
Un inconvénient majeur de cet Abs reste sa courte demi-vie, dûe à l’absence de
région constante Fc ; ce format nécessite une administration intraveineuse
continue par perfusion grâce à un système portatif sur plusieurs semaines.
Cependant, la courte demi-vie peut avoir certains avantages. Les effets
secondaires graves sont ainsi gérés par arrêt de la perfusion et sont
généralement réversibles en quelques heures. La possibilité d’administrer le
blinatumomab par voie sous-cutanée est actuellement testée dans un essai de
phase Ib (NCT02961881). Le blinatumomab est évalué dans un essai clinique pour
le traitement des lymphomes non-hodgkiniens (NHL). Parmi les patients traités à
la dose cible de 60 µg/m2/jour lors d’un essai de phase I (n = 35),
le taux de réponse global était de 69 % pour tous les sous-types de NHL, associé
à des taux de réponses complètes de l’ordre de 40 %. Une étude de phase II a
cependant mis en évidence des problèmes de neurotoxicité et de type syndrome de
libération de cytokines, limitant la quantité injectable [9].Les autres Abs anti-CD3 en essai clinique précoce Suite au succès de ce premier anticorps bispécifique ciblant la molécule CD3, de
nombreuses alternatives ont vu le jour, tant en terme d’antigène ciblé que de
format proposé.CD20 Au moins trois molécules bispécifiques en essai clinique ciblent CD20, un
antigène retrouvé sur les lymphocytes B et notamment ciblé par l’anticorps
rituximab. Le XmAb13676 possède une région Fc modifiée améliorant sa liaison
aux cellules NK et aux macrophages ainsi que sa demi-vie sérique. Cette
molécule utilise une région Fc de type « nœud dans la cavité »
(knob-into-hole, KIH)1, fusionné à un fragment Fab anti-CD20 et à un scFv anti-CD3.
Cette molécule est actuellement testée depuis 2017 contre le NHL
(NCT02924402). Le mosunétuzumab (BTCT4465A, RG7828) est un anticorps entier
très similaire à une IgG1 humaine, dont la structure repose aussi sur
l’approche KIH. Il est actuellement testé en tant qu’agent unique ou associé
à l’atézolizumab chez des patients atteints de NHL ou de leucémie lymphoïde
chronique (LLC) (NCT02500407), ou pour le traitement du lymphome B diffus à
grandes cellules (NCT03677154). CD20-TCB (RO7082859) est un anticorps
actuellement testé en essai clinique de phase I contre le lymphome à grandes
cellules B diffus (NCT03467373), le lymphome folliculaire (NCT03467373) et
le NHL (NCT03075696). Son format très particulier (2:1 CD20-TCB) est
constitué de deux Fab anti-CD20 et d’un Fab anti-CD3e, l’un des Fab
anti-CD20 étant directement fusionné au Fab anti-CD3e via
un peptide de liaison flexible [10]. CD123 CD123 est la chaîne alpha du récepteur de l’interleukine-3 humaine (IL-3Rα).
Il favorise la prolifération et la différenciation des cellules
hématopoïétiques. CD123 est fortement exprimé sur les blastes et les
cellules souches leucémiques (LSC) de leucémie myéloïde aiguë (LMA) et est
associé à un mauvais pronostic chez les patients qui en sont atteints. C’est
donc une cible attrayante pour recruter des lymphocytes T contre les blastes
et les LSC [11].
Xmab14045 est un anticorps qui utilise le même format que XmAb13676. Cet
anticorps a généré de très bons résultats précliniques [12] et est testé depuis 2016 en
essai clinique pour le traitement de la LMA et d’autres hémopathies malignes
exprimant CD123 (NCT02730312). Le flotetuzumab) est fondé sur un format sans région Fc, nommé DART (dual-affinity re-targeting). Ce format correspond au format diabody2 stabilisé par un pont disulfure. Des résultats précliniques prometteurs [13] ont conduit à des essais cliniques chez des patients atteints de LMA en rechute ou réfractaires, en cours depuis 2014 (NCT02152956, NCT03739606). JNJ-63709178 est un Abs humanisé de type IgG4 dont la région Fc est silencieuse, fondée sur la technologie duobody. Suite à des résultats précliniques là aussi très encourageants [14], cet anticorps est testé en clinique contre les LMA en rechute ou réfractaires, depuis 2016 (NCT02715011). BCMA BCMA (B-cell maturation antigen) est un récepteur très
spécifique des plasmocytes. Il joue un rôle central dans la régulation de la
maturation et de la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes. BCMA
est exprimé sur les plasmocytes de patients atteints de myélome multiple
(MM) ainsi que sur les cellules dendritiques plasmacytoïdes, favorisant la
croissance, la survie et la résistance des cellules MM. N’étant pas exprimé
sur les lymphocytes B naïfs et la plupart des cellules mémoires, sur les
cellules hématopoïétiques ou toute autre cellule tissulaire normale, il
constitue donc une cible idéale pour les thérapies de reciblage des LT
[15]. BI 836909 est un anticorps bispécifique de type BiTE. Suite à des résultats précliniques très favorables [16], ce BiTE est actuellement testé dans des essais cliniques de phase I contre le MM (NCT02514239). JNJ-64007957 est un autre Abs au format duobody en phase clinique I depuis 2017 contre les MM récidivant ou réfractaire (NCT03145181). D’autres antigènes sont ciblés par des Abs. On pourra notamment retenir l’ACE (antigène carcino-embryonnaire) ciblé par CEA-TCB (RO6958688), utilisant le format 2:1 TCB décrit plus haut, qui a récemment conduit à des résultats cliniques dans le cancer colorectal métastatique résistant à la chimiothérapie, incluant des cancers colorectaux métastatiques à microsatellites stables (NCT02650713, NCT02324257). Également prometteur, l’Abs au format DART (MGD009) ciblant B7H3, un récepteur de la famille des molécules B7 impliqué dans la régulation immunitaire, et surexprimé dans un large éventail de cellules cancéreuses, y compris les cellules souches cancéreuses, ainsi que sur les cellules endothliales du système vasculaire de la tumeur. Ce DART était testé depuis 2015 dans un essai clinique de phase I (NCT02628535). Cependant, cette étude a été arrêtée en décembre 2018 suite à une toxicité hépatique observée chez certains patients. Vγ9Vδ2 T-cell engagers: vers une nouvelle génération de BiTE
? Les LTgδ constituent une sous-population représentant 1 à 10 % des leucocytes.
Leur activation via leur TCR est indépendante du complexe
majeur d’histocompatibilité (CMH) et conduit à la libération de cytokines et à
une cytotoxicité. Les lymphocytes T Vg9Vδ2 constituent la principale population
de cellules Tgδ et leur infiltration tumorale a été associée à un facteur de bon
pronostic dans divers types de tumeurs [17]. Leur ciblage thérapeutique paraît donc pertinent. En
2017, de Bruin et al. ont généré un anticorps bispécifique de
format original fondé sur l’utilisation d’anticorps à domaine unique dérivés
d’anticorps de lama (aussi appelé nanobodies) anti-EGFR
(epidermal growth factor receptor) et anti-chaîne δ2 du
TCR, fusionnés en tandem. Cette molécule a conduit à des résultats précliniques
intéressants incluant une forte activation des cellules T Vγ9Vδ2 et la lyse
subséquente des cellules tumorales in vitro et in
vivo dans un modèle de xénogreffe, de façon indépendante à la
présence des mutations tumorales KRAS et BRAF [18]. De façon similaire, Oberg et
al. ont pu démontrer l’efficacité du reciblage des LTgδ grâce un
Abs anti-HER2 × γ9 dans un modèle de transfert adoptif de lymphocytes Tγδ chez
des souris immunodéprimées (souris (severe combined immunodeficiency)
SCID-Beige) ayant reçu une xénogreffe de tumeur pancréatique [18]. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Une alternative à l’utilisation du potentiel cytotoxique des lymphocytes T pour l’éradication de la tumeur consiste à rediriger et activer la fonction cytotoxique des cellules NK vers les cellules malignes. Ces cellules ont aussi un potentiel thérapeutique important. En effet, en plus de pouvoir reconnaître de façon précoce les transformations des cellules tumorales, celles-ci sont capables de sécréter un ensemble de cytokines et de chimiokines dont le rôle est d’activer et de recruter les autres acteurs du système immunitaire, plus particulièrement les cellules dendritiques capables d’effectuer une présentation croisée (« cross-presentation ») via les complexes CMH de classe I, des antigène tumoraux libérés par la lyse des cellules tumorales [19]. Plusieurs récepteurs capables d’activer la fonction cytotoxique des cellules NK ont été décrits, notamment CD16, NKp30, NKp46, NKG2D (natural killer group 2, member D) et DNAM-1 (DNAX accessory molecule-1). CD16a (le récepteur de la région Fc de type III, ou RFcgIIIa), dont l’engagment par des IgG complexées à leur antigène cible conduit à l’activation des cellules NK sans besoin d’un second signal, et qui est également exprimé sur les macrophages et les lymphocytes Tγδ, est, à ce jour, la cible privilégiée des Abs ciblant les cellules NK, appelés BiKE pour bispecific killer cell engagers. Les « NK engagers » ciblant CD16a Le format le plus utilisé pour générer des BiKE est le TandAb
(pour tandem diabody), un format fondé sur le principe des
diabodies, c’est-à-dire des fusions VH-VL utilisant des
peptides de liaison suffisamment courts pour imposer une dimérisation en
trans. Les chaînes des TandAb comportent 4
domaines, conduisant après dimérisation à des molécules bispécifiques
tétravalentes de plus de 100 kDa. La molécule la plus étudiée est le
TandAb AFM13 [20]. Cette molécule cible CD30, un membre de la
superfamille des récepteurs du facteur de nécrose tumorale (TNFRSF), typiquement
exprimé dans certaines hémopathies malignes, dont, notamment, le lymphome
anaplasique à grandes cellules et le lymphome de Hodgkin. Une particularité de
la molécule AFM13 est de pouvoir lier CD16a, exprimé notamment par les cellules
NK et les macrophages, sans pour autant interagir avec le CD16b exprimé par les
neutrophiles. Elle est ainsi capable de stimuler l’ADCC des cellules NK contre
des cellules tumorales exprimant CD30. Lors d’une étude de phase I portant sur
le lymphome de Hodgkin réfractaire, AFM13 a entraîné une activation
significative des cellules NK et une diminution de CD30 soluble dans le sang
périphérique, sans provoquer d’effet secondaire important [21]. Cette molécule est
actuellement testée dans deux essais de phase II contre les lymphomes exprimant
CD30 (NCT02321592, NCT03192202). Utilisant le même format mais ciblant cette
fois BCMA, AFM26 est en phase préclinique contre le myélome multiple [22]. Le
TandAb AFM24, qui cible l’EGFR dans les tumeurs solides, a,
quant à lui, démontré une efficacité in vivo dans un modèle de
souris humanisée hu-NOG (souris NOD/SCID/IL2Rγnull), tout en
présentant un profil d’innocuité favorable chez les singes
cynomolgus [23].Les formats TriKE et aTriFlex D’autres formats plus récents semblent être encore plus prometteurs. Les TriKE
(trispecific NK cell engager) sont constitués de deux scFv
fusionnés en N et C-terminal à l’IL-15. Ce format permet d’activer les cellules
NK via l’engagement du CD16a, mais aussi de provoquer leur
prolifération et une survie prolongée grâce à l’action ciblée de l’IL-15, ce qui
n’est pas le cas du format BiKE. Des résultats précliniques très prometteurs ont
ainsi été obtenus avec un TriKE ciblant CD133, un marqueur identifié comme étant
fréquemment exprimé par les cellules souches cancéreuses de différents types de
tumeurs [24].Le format aTriFlex utilise le concept du double ciblage, c’est-à-dire le ciblage simultané de deux antigènes de surface présentant une faible expression sur les cellules normales mais co-exprimés par une tumeur, en utilisant des affinités modérées pour favoriser la spécificité tumorale par un effet de gain d’avidité. Une preuve de concept a ainsi été établie avec un format trispécifique tétravalent présentant un site de liaison pour BCMA et CD200 et deux sites de liaison pour CD16a [25]. Les NK cell engagers ciblant d’autres récepteurs
activateurs Finalement, de récents travaux suggèrent la possibilité de recibler les cellules
NK par des récepteurs activateurs autres que CD16. Ainsi, le format BiKE a été
utilisé pour cibler simultanément CS1 (ou CD319/SLAMF7), une molécule
d’activation lymphocytaire de surface notamment surexprimée par les cellules de
myélomes multiples, et NKG2D, un des récepteurs activateurs des cellules NK, des
lymphocytes T CD8+, Tγδ et des cellules NKT. Des résultats
précliniques in vitro et in vivo suggèrent
ainsi que l’activation de plusieurs types de cellules effectrices immunitaires
via NKG2D permet d’améliorer la cytotoxicité anti-tumorale
[26].NKp46 (ou NCR1) appartient à la famille des récepteurs de cytotoxicité naturelle (NCR). Il est considéré comme un récepteur majeur activant les cellules NK, et est impliqué dans l’élimination des cellules cibles [27]. Il a été montré récemment in vitro qu’il était possible de recibler des cellules NK vers des cellules tumorales Daudi exprimant CD20, grâce à un Abs CD20 x NKp46 de façon plus efficace que l’anticorps anti-CD20 obinutuzumab. Dans un modèle de souris CB17 SCID greffées avec des cellules Raji, cette molécule a, là aussi, surpassé les résultats de survie obtenue avec l’obinutuzumab. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Depuis l’énorme succès médical des anticorps ciblant l’axe PD-1 (programmed cell death protein 1)/PD-L1(programmed cell death-ligand 1), un grand nombre d’essais cliniques combinant ces inhibiteurs à d’autres anticorps anti-points de contrôle immunitaire (ICP), inhibiteurs ou co-stimulateurs, ont été initiés, parfois avec des résultats mitigés ou une toxicité accrue [28, 29]. Ces résultats ont également ouvert la porte à la conception de nouveaux Abs combinant le ciblage de deux ICP inhibiteurs, ou le co-ciblage tumoral d’une protéine de co-stimulation, ou encore co-ciblant une cytokine. Co-ciblage d’immunomodulateurs co-inhibiteurs Inhibition de l’axe PD-1/PD-L1 Le ciblage de PD-1 ou PD-L1 a été combiné à celui d’autres ICP inhibiteurs,
comme LAG-3 (lymphocyte activation gene 3), TIM-3
(T cell immunoglobulin and mucin domain-containing protein
3) ou CTLA-4 (cytolytic T-lymphocyte-associated protein
4), en utilisant des formats bispécifiques différents. La
régulation des LT par les différents récepteurs inhibiteurs et
co-activateurs est schématisée dans la Figure 2. Les Abs sont présentés dans le
Tableau
II.
La structure de la molécule MGD013 est fondée sur le format propriétaire DART®. Mais, à la différence du flotétuzumab, le module DART ciblant PD-1 et LAG-3 possède une région Fc d’IgG4 stabilisée dans sa région charnière3,. Cette molécule est ainsi bispécifique et bivalente pour ses 2 cibles et capable de les lier simultanément. MGD013 induit également une modulation de la signalisation intracellulaire induite par PD-1 et LAG-3 et stimule fortement la production d’interféron-g dans un modèle de stimulation de cellules mononucléées du sang périphérique (CMSP) par une entérotoxine staphylococcale. Son administration à des primates non humains a été bien tolérée jusqu’à une dose de 100 mg/Kg/semaine4. Ces données encourageantes ont permis le démarrage d’une étude clinique chez des patients atteints de tumeurs solides métastatiques (NCT03219268). La structure de la molécule FS118 est fondée sur le format Fcab® [30]. Il s’agit d’un anticorps ciblant PD-L1 auquel a été greffé au niveau de sa région Fc un nouveau domaine de liaison ciblant LAG-3. Le module de liaison LAG-3 a été sélectionné à partir d’une série de mutants du domaine CH3 présentant une forte liaison à la cible et une puissance de l’ordre du nanomolaire dans un test d’activation de lymphocytes T et d’inhibition de liaison du ligand, les molécules du CMH-II [31]. L’addition d’un site de liaison LAG-3 à un anticorps anti-PD-L1 permet à ce dernier d’induire une activation des LT CD8+ supérieure à celle induite par l’anticorps anti-PD-L1 seul5. En utilisant un composé apparenté, capable de se lier aux cibles LAG-3 et PD-L1 de souris, des études de xénogreffes de tumeurs de côlon de souris MC38 à des animaux immunocompétents ont montré une activité anti-tumorale de l’Abs comparable à celle obtenue avec la combinaison anticorps anti-LAG-3/anti-PD-L1, associée à une modification du rapport LT CD8/Treg dans l’infiltrat tumoral. Le composé FS118 est actuellement en essai clinique précoce chez des patients atteints de cancers et ayant progressé sous traitement ciblant l’axe PD-1/PD-L1 (NCT03440437). À ce jour, les inhibiteurs de LAG-3 sont principalement évalués pour leur capacité à bloquer l’interaction avec son ligand, les molécules du CMH-II. Néanmoins, un second ligand de LAG-3 a été identifié très récemment, FLP-1 (fibrogen-like protein 1) [32]. Il sera important de connaître la capacité des molécules existantes à inhiber l’action de ce nouveau ligand, cette découverte ouvrant aussi la porte à de nouvelles molécules bispécifiques au mécanisme d’action différent. TIM-3 est une autre protéine de contrôle immunitaire combinée à un ciblage de PD-1. Bien que la biologie de cette cible soit plus complexe [33], son rôle dans l’échappement ou la résistance à un traitement par anticorps anti-PD-1 a été montré et deux molécules co-ciblant PD-1 et TIM-3 ont été produite (RO7121661 et MCLA-134, voir Tableau II). La conception de RO7121661 est fondée sur le format CrossMab® de type [1+1] chargéVH-VL+/- [34]: le domaine variable de l’un des bras d’anticorps possède une commutation (« switch ») CH1-CL et l’association VH-VL sur l’autre bras est favorisée par l’introduction de résidus chargés dans les domaines CH1-CL, permettant ainsi l’association spécifique de la chaîne légère avec la chaîne lourde appropriée, l’hétérodimérisation des chaînes lourdes étant réalisée grâce à l’introduction de mutations KIH [34]. Ce produit est actuellement en développement clinique précoce chez les patients atteints de tumeurs solides métastatiques (NCT03708328). Le second produit co-ciblant PD-1 et TIM-3, MCLA-134, est fondé sur la technologie Biclonics®. À partir de deux anticorps sélectionnés par immunisation de souris MeMo6 et par ingénierie du domaine CH3 de leur région Fc, des Abs sont produits par hétérodimérisation avec une grande efficacité et une production robuste. Inhibition de CTLA-4 Le ciblage du point de contrôle immunitaire CTLA-4 a également été travaillé
dans un contexte bispécifique de co-engagement avec un second ICP, tel que
PD-1 ou LAG-3. Deux molécules de ce type, XmAb20717 et XmAb22841, sont
fondées sur une bispécificité combinée à une technologie de modulation de la
pharmacocinétique nommée Xtend® [35]. Le format
bispécifique mis en œuvre combine (1) l’utilisation d’un scFv en tant que
l’un des domaines variables et d’un Fab et (2) l’ingénierie du domaine CH3
de la région Fc afin de favoriser l’association hétérodimérique des 2
chaînes lourdes par l’introduction de mutations ponctuelles sur chaque
chaîne [36]. Dans
les 2 situations, la molécule est bispécifique et monovalente pour chacune
des cibles. Pour les deux molécules, une activité anti-tumorale
significative est observée dans des modèles murins de co-greffes de cellules
tumorales humaines et de cellules mononucléées du sang périphérique. La
molécule XmAb20717 est actuellement en essai clinique précoce chez des
patients atteints de tumeurs solides métastatiques (NCT03517488). Le format
DART® a également été appliqué pour cibler CTLA-4 et PD-1. La
molécule générée, MGD019, est constituée d’un DART fusionné à la région Fc
d’une chaîne lourde d’IgG4 stabilisée au niveau de sa région charnière. Ce
produit est ainsi bivalent et se lie simultanément aux deux cibles. Il
montre une puissance et efficacité comparable à la combinaison ipilimumab /
nivolumab, mais est bien mieux toléré par les primates7. Ce produit est évalué chez des patients atteints de
tumeurs solides métastatiques dans le cadre d’un essai clinique précoce
(NCT03761017). Ciblage d’immunomodulateurs co-inhibiteurs et co-stimulateurs Une seconde classe d’Abs immunomodulateurs ciblent simultanément un point de
contrôle immunitaire inhibiteur et co-stimulateur. Il s’agit dans ce cas de «
lâcher le frein et appuyer sur l’accélérateur » pour faire une métaphore de
conduite automobile. Même si cette image peut suggérer un possible emballement
de la réponse immune, un tel co-ciblage permet au contraire de diriger l’action
de co-stimulation au sein de la tumeur en ciblant, par exemple, PD-L1. Ceci
permettrait potentiellement de limiter les effets secondaires indésirables
(inflammation du foie) observés chez des patients traités par l’urélumab [37].Six molécules de ce type, co-ciblant PD-L1 et 4-1BB (ou tumor necrosis factor receptor superfamily member 9, TNFRSF9) sont actuellement en développement préclinique démontrant le fort engouement de la communauté médico-scientifique pour cette approche. Elles ont toutes été présentées très récemment par la communauté scientifique. La première molécule, PRS-344/ONC055 est construite par fusion d’un anticorps anti-PD-L1 à une charpente protéique de type Anticalin®, générant ainsi une molécule bispécifique et bivalente pour ses 2 spécificités. Cette molécule induit un signal de co-stimulation dépendant de l’expression de PD-L1, mais conserve toutes les fonctionnalités de l‘anticorps anti-PD-L1 parental. Son efficacité est comparable, voire supérieure à la combinaison des 2 composés parentaux dans des modèles pharmacologiques d’activation des LT induite soit par allo-réactivité soit par une entérotoxine staphylococcale8. La seconde molécule, MCLA-145 est conçue sur la base de la technologie Biclonics® identique à celle décrite précédemment pour MCLA-134. Au contraire de PRS-344, MCLA-145 est monovalent pour ses 2 cibles. La structure du composé FS222 est fondée sur un format Fcab similaire à celui du FS118. Un composé bispécifique PD-L1x4-1BB incorporant également un domaine de liaison à la sérum albumine humaine pour augmenter sa demi-vie, a été décrit également. Les technologies Duobody et DART ont été également utilisées pour co-cibler ces deux points de contrôle immunitaire. Le format duobody génère une molécule bispécifique et monovalente symétrique par hétéro-dimérisation des régions Fc, alors que le format DART permet d’obtenir une molécule bispécifique, monovalente, mais asymétrique, ainsi qu’une variante bispécifique, bivalente pour 4-1BB, monovalente pour PD-L1. Ces approches exploratoires permettent d’évaluer l’importance de paramètres de liaison telles l’affinité, la valence et la distance entre les deux modules de liaison permettant un engagement préférentiel des cibles en cis et/ou en trans. Le composé XmAb23104 combine l’inhibition de CTLA-4 avec la co-stimulation de ICOS (inducible T cell costimulator) à partir du format bispécifique incorporant également la technologie Xtend d’augmentation de la demi-vie plasmatique (voir plus haut). Cette molécule permet un co-engagement des deux axes PD-1 et ICOS comme démontré par la supériorité de XmAb23104 comparé à chacun des produits parentaux dans des modèles d’activation de LT par la toxine staphylococcale9. La signature transcriptomique induite par XmAb23104 magnifie la réponse obtenue par la combinaison des anticorps anti-PD-1 et anti-ICOS. Cette molécule est actuellement en développement clinique précoce chez des patients atteints de tumeurs solides métastatiques (étude DUET-3 – NCT03752398). Ciblage d’immunomodulateurs spécifique de tumeurs Une troisième classe d’Abs agit au niveau de point de contrôle de co-stimulation
des LT infiltrant les tumeurs. Pour cela, la seconde spécificité cible un
antigène tumoral, voire un antigène du microenvironnement. Les récepteurs de
co-stimulation appartiennent principalement à la super-famille des récepteurs du
TNF, comme par exemple 4-1BB, OX40, GITR et CD40 (Figure 2) [38] ; ils s’activent par liaison de ligands
trimériques. Ainsi, leur activation par des anticorps passe par la formation
d’agrégats de récepteurs au niveau de la membrane des LT, dont la formation est
favorisée par la densité antigénique de l’antigène tumoral ciblé. Un tel
mécanisme d’action permettrait également de diminuer les effets indésirables
tels que les dysfonctionnements hépatiques observés chez les patients traités
par des anticorps agonistes de 4-1BB et de CD40, en augmentant l’exposition
tumorale des Abs.Le prototype de ce nouveau mécanisme d’action est représenté par PRS-343. Il s’agit d’un anticorps bispécifique issu de la fusion d’un anticalin10 dirigé contre 4-1BB en C-terminal de la chaîne lourde d’une version modifiée du trastuzumab (anticorps anti-HER2/neu) d’isotype IgG4. Cette molécule bispécifique et bivalente présente de bonnes propriétés physico-chimiques et une pharmacocinétique chez la souris comparable à celle d’anticorps conventionnels [39]. Dans un modèle de xénogreffe de cellules de tumeur mammaire humaine SKOV-3 et de CMSP, PRS-343 induit une forte régression de la tumeur associée à une augmentation de l’infiltration en cellules immunes CD45+ [39]. Ce composé est actuellement en essais cliniques précoces chez des patientes atteintes de tumeurs solides métastatiques soit en monothérapie (NCT03330561), soit en combinaison avec l’atézolizumab (NCT03650348). Fondé sur le même concept, un second projet ciblant l’antigène oncofœtal tumoral glypican-3 (GPC-3) associé au co-ciblage de 4-1BB est actuellement développé. À la différence de PRS-343, PRS-342 combine deux modules de liaison de type anticalin pour les deux spécificités ciblées reliés entre eux par une région Fc [39]. La molécule AGL.APV-527 est fondée sur un mécanisme d’action similaire à celui du PRS-343 mais cible un autre antigène oncofœtal tumoral, 5T4, toujours associé au point de contrôle co-stimulateur 4-1BB. Le format de cette molécule bispécifique et bivalente est ADAPTIR: il consiste à fusionner deux fragments simple-chaîne dérivés des deux anticorps parentaux à une région Fc dépourvue de fonctions effectrices. De par la forte expression de l’antigène 5T4 à la surface de nombreux types de cellules tumorales, l’agrégation de 4-1BB induite par la liaison de AGL.APV-527 au LT provoque leur activation et la sécrétion de cytokines. Ce mécanisme est associé à une forte inhibition de la croissance tumorale observée dans un modèle de xénogreffe de cellules tumorales de colon HCT11611. Le format DARPIN® a été utilisé pour le ciblage d’une protéine du microenvironnement tumoral liée à l’activation des fibroblastes (la FAP ou fibroblast activation protein). Ainsi MP310 cible 4-1BB et FAP sous forme d’une molécule bispécifique et monovalente, sans module d’extension de demi-vie. L’expression de FAP est nécessaire et suffisante pour induire l’activation des LT par engagement de MP310. Dans un modèle de xénogreffes de cellules tumorales HT-29, MP310 induit une forte régression de la croissance tumorale en combinaison avec une molécule engageant directement le récepteur des LT via CD312. Une seconde molécule a été conçue de manière similaire en engageant le point de contrôle de co-stimulation CD40 associé à l’expression de FAP. Association d’un immunomodulateur avec une cytokine Bien que l’association, sur une même molécule, d’un module d’immunomodulation et
d’une cytokine soit très rationnelle [40], seuls deux exemples de ce type de composés existent
dans la littérature, tous deux ayant pour but de bloquer l’action pro-tumorale
du TGF-b (tumor growth factor beta) [41] par l’utilisation d’un récepteur-leurre
(« decoy ») du récepteur de type 2 du TGF-b (ou TGFBRII). Une première molécule,
M7824, conçue par l’équipe de Jeffrey Schlom [National Cancer Institute
(NCI)-National Institutes of Health (NIH)], utilise l’anticorps anti-PD-L1
avelumab auquel est fusionnée en C-terminal de la chaîne lourde la séquence du
domaine extracellulaire du TGFBRII. Ce composé s’associe simultanément au TGFβ1
et à PD-L1 et diminue la signalisation induite par ce ligand [42]. Dans des modèles syngéniques
de tumeurs mammaires et de côlon, M7824 réduit fortement la croissance tumorale
et augmente la survie des animaux traités via l’activation de LT CD8+
et des cellules NK [42], l’efficacité du
composé étant supérieure à un traitement par monothérapie ciblant soit le TGF-b,
soit PD-L1. L’activité de ce composé chez l’homme est actuellement testée dans
une dizaine d’essais cliniques soit en monothérapie, soit en combinaison avec de
la chimiothérapie ou des agents immunomodulateurs. Les résultats précoces sur 19
patients d’une étude en monothérapie de recherche de dose et de toxicité
montrent que le produit est toléré aux doses évaluées malgré l’apparition
d’effets secondaires indésirables de grade supérieur ou égal à 3 chez quatre
patients [43]. Un
bénéfice clinique a été observé chez six patients, dont une réponse complète
chez une patiente atteinte d’un cancer du col de l’utérus [43].Utilisant le même concept, l’équipe de Atul Bedi de l’école de Médecine John Hopkins à Baltimore, a conçu un Abs à partir de la séquence de l’ipilimumab ciblant CTLA-4 fusionné en C-terminal de sa chaîne lourde au domaine extracellulaire de TGFBRII [44]. Cet Abs inhibe fortement l’infiltration de lymphocytes Treg et la différenciation des LT en Th17 dans un modèle de souris NSG (nod-scid gamma) humanisée avec des cellules souches hématopoïétiques humaines et greffées avec des cellules de lignées de mélanome A375 ou SK-MEL-5 [44]. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L’utilisation d’Abs dans la conception de récepteurs chimériques pour l’antigène (ou chimeric antigen receptor, CAR) est une avancée récente dans ce domaine. Un CAR est une protéine hybride simple chaine composée d’un domaine extracellulaire de liaison à l’antigène ciblé et dérivé d’un fragment d’anticorps fusionné à un espaceur, un domaine transmembranaire suivi d’une région intracellulaire de signalisation combinant un domaine d’activation (CD3z) et un domaine de co-stimulation (CD28 ou 4-1BB [45]). Ces protéines sont ensuite exprimées dans des LT soit de donneurs sains (thérapie allogénique) soit de patients (thérapie autologue), le produit cellulaire recombinant ainsi obtenu étant ensuite injecté aux patients et représentant le produit thérapeutique [45]. Malgré l’extraordinaire efficacité clinique observée chez des patients atteints de leucémie aiguë lymphoblastique et de myélome multiple, un échappement au traitement est parfois observé. C’est principalement pour éviter ce type de rechute que sont aujourd’hui conçus et développés des CAR bispécifiques fondés sur un module de reconnaissance portant deux sites de liaison à deux antigènes tumoraux différents. Un CAR ciblant à la fois les molécules des lymphocytes B CD19 et CD20 a été conçu comme un format associant deux fragments d’anticorps simple-chaîne fusionné par un espaceur de type glycine-sérine [46]. Ce produit est pleinement actif contre les cellules tumorales exprimant CD19 ou CD20 [46] et maintient son activité cytolytique même après perte d’expression de l’un des deux antigènes. Un autre CAR ciblant simultanément CD19 et CD22 a été conçu par l’équipe de Crystal Mackall, à Stanford. La structure du double module de liaison est différente de celle décrite précédemment: les deux domaines Fv sont contenus dans une structure en boucle de type [VL1-VL2-VH2-VH1] liés par des espaceurs appropriés13. Des charpentes non-Ig ont également été utilisées pour construire le module de liaison de CAR, notamment des DARPIN. Ainsi la fusion d’un fragment d’anticorps simple-chaîne dirigé contre l’EGFR et d’un DARPIN ciblant HER2/neu a permis de construire un module de liaison bispécifique, présentant une plus grande sélectivité pour le tissu tumoral par rapport aux tissus sains exprimant également l’un ou l’autre antigène [47]. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Capitalisant à la fois sur le succès médical et commercial des inhibiteurs de PD-1/PD-L1 et CTLA-4, sur l’augmentation de nos connaissances sur la biologie et l’immunologie des tumeurs, ainsi que sur la conception de nouveaux formats d’anticorps et autres charpentes protéiques, une explosion de nouvelles molécules à visée thérapeutique a vu le jour au cours de ces dix dernières années, associée dans la plupart des cas à la création de jeunes pousses industrielles soutenues activement par des sociétés de capital-risque et des fonds d’investissements largement dotés. Les Abs ont une place de choix dans ce nouvel arsenal thérapeutique en développement, tout particulièrement dans le domaine de l’immuno-oncologie. Ils permettent en effet, soit d’apporter des propriétés biologiques inédites à l’Abs, associées au co-engagement des deux cibles, soit d’améliorer le profil de sécurité par rapport à une combinaison d’anticorps, en restreignant sa localisation tissulaire, soit également de combiner en une seule molécule les activités de deux anticorps conventionnels, réduisant ainsi les coûts de développement clinique et de fabrication. La majorité de ces produits sont encore à un stade de développement clinique précoce. Dans les années à venir, des données cliniques plus robustes permettront de faire émerger les meilleurs formats et associations de cibles et, ainsi, de mieux explorer le potentiel de cette classe émergente de nouvelles molécules thérapeutiques. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
1
Technique qui permet d’améliorer l’association entre régions Fc des chaînes
lourdes en modifiant des acides aminés des domaines CH3.
2
Un diabody est un dimère non covalent formé de deux scFv dont le
peptide de liaison entre les domaines VH et VL est trop court pour permettre un
appariement VH/VL d’une même polypeptide, conduisant ainsi à des interactions
VH/VL entre deux peptides. Le format DART possède de plus une cystéine
C-terminale conduisant à la stabilisation du dimère ainsi formé par un pont
disulfure.
3
Une mutation Sérine228 en Proline dans la région charnière d’un anticorps
d’isotype IgG4 permet d’éliminer la formation de demi-anticorps par le phénomène
d’échange de fragments Fab appellé “Fab arm exchange”.
6
La souche MeMo de souris permet la génération d’anticorps composés d’une chaîne
légère unique et donc identique pour tous les anticorps, facilitant ainsi
l’obtention d’Abs.
| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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