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Med Sci (Paris). 35(12): 997–1000.
doi: 10.1051/medsci/2019197.

Neuroblastome de haut risque
Place actuelle et perspectives de l’utilisation des anticorps monoclonaux anti-GD2

Dominique Valteau-Couanet,1* Véronique Minard-Colin,1 and Claudia Pasqualini1

1Département de Cancérologie de l’enfant et de l’adolescent, Gustave Roussy, 94800Villejuif, France
Corresponding author.
 

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Neuroblastome de haut risque: place actuelle de l’immunothérapie par anticorps monoclonal anti-GD2

Le neuroblastome est une tumeur pédiatrique du système nerveux sympathique dont la localisation initiale est soit les glandes surrénales, soit le tissu sympathique para-vertébral ou péri-vasculaire. Il représente 7 à 8 % des cancers pédiatriques, soit environ 120 à 150 nouveaux cas par an en France [1]. C’est une tumeur de l’enfant jeune: la moitié des patients ont moins de 18 mois au diagnostic et 90 % sont âgés de moins de 5 ans.

Les tumeurs de haut risque représentent environ 50 % des cas. Elles sont caractérisées par: les formes métastatiques chez des enfants de plus de 18 mois, quelle que soit la biologie de la tumeur ; la présence d’une amplification de l’expression de l’oncogène NMYC (ou N-myc) dans la tumeur quel que soit le stade de la maladie et l’âge du patient ; et l’existence d’anomalies chromosomiques segmentaires chez les enfants âgés de 12 et 18 mois.

Le pronostic de ces formes de haut risque reste sombre malgré des stratégies thérapeutiques lourdes avec une survie qui reste inférieure à 50 %.

Leur prise en charge repose sur quatre phases de traitement :

1. Un traitement d’induction constitué de cures de chimiothérapie conventionnelle dont l’objectif est de diminuer la masse tumorale, en particulier métastatique,

2. Un traitement local par une chirurgie de la tumeur primitive, réalisée avant la phase de consolidation, et une radiothérapie, qui sera dispensée après la consolidation,

3. Une consolidation par un traitement par chimiothérapie à hautes doses nécessitant une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques,

4. Une phase de traitement d’entretien, qui consistait initialement en l’administration d’un traitement oral par l’acide rétinoïque avec pour objectif d’induire la maturation des neuroblastes.

C’est dans cette dernière phase de traitement qu’une immunothérapie utilisant les anticorps monoclonaux (AcM) ciblant le disialoganglioside 2 (GD2), exprimé à la surface de la majorité des neuroblastes, a été développée et a permis une amélioration du pronostic des patients.

La première étude randomisée qui a démontré l’intérêt de cette immunothérapie est l’étude du COG (Children Oncology Group) dans laquelle l’anticorps anti-GD2 (dinutuximab) a été administré en combinaison avec, en alternance, du GM-CSF (granulocyte-macrophage colony-stimulating factor) (3 cures) et de l’interleukine 2 (IL-2) (2 cures), pour un total de 5 cures. Ce traitement, combiné à des cures d’acide rétinoïque, a montré une amélioration de 20 % de la survie sans événement à 2 ans par rapport à un traitement ne comportant que de l’acide rétinoïque (66±5 % de survie versus 46±5 %, P = 0,01) [2].

Le groupe européen SIOPEN (Société internationale d’oncologie pédiatrique – Europe – neuroblastome, ou international Society of pædiatric oncology european neuroblastoma), a développé en Europe un anticorps anti-GD2 de structure très proche de celle de l’anticorps chimérique américain CH14.18/CHO (dinutuximab bêta). Les mécanismes d’action de cet anticorps combinent une cytotoxicité cellulaire dépendant des anticorps (ADCC), une cytotoxicité dépendant du complément (CDC) et une phagocytose accrue par les macrophages (Figure 1). Les lymphocytes NK (natural killer) jouent un rôle majeur dans l’action de cet anticorps. Une première étude randomisée du dinutuximab bêta en perfusion courte de 8 heures, combinée ou non à de l’IL-2 en 5 cures, et associée dans les deux cas à un traitement par l’acide rétinoïque a montré que la combinaison avec l’IL-2 présentait davantage de toxicité sans bénéfice pour la survie des patients [3]. Il s’est avéré néanmoins possible de diminuer la toxicité de l’IL-2 en espaçant les traitements ou en les modifiant.

L’étude LTI (long-term infusion), une étude de phase I/II mise en œuvre pour déterminer le meilleur schéma d’administration réduisant les effets secondaires de l’immunothérapie, a évalué si l’administration par perfusion continue de dinutuximab bêta durant 10 jours (10 mg/m2/jour) chez des patients atteints de neuroblastome récidivant/réfractaire pouvait limiter les effets secondaires de l’immunothérapie (douleur, allergie, etc.) tout en maintenant l’efficacité immunomodulatrice de l’IL-2. Les résultats de cette étude ont montré que la perfusion continue de 10 jours, associée au traitement par l’IL-2 (à une dose de 6 × 106 IU/m2/jour) était mieux tolérée [4] et qu’elle n’avait pas d’impact sur les effets immunomodulateurs de cette cytokine [5]. Le groupe SIOPEN a adopté ce schéma dans le protocole HR-NBL1 (high-risk neuroblastoma 1) destiné aux patients en première intention en utilisant des doses réduites d’IL-2 afin d’évaluer les bénéfices de son association au dinutuximab bêta. Dans cette étude randomisée, il est apparu que la combinaison IL-2-dinutuximab bêta augmentait la toxicité du traitement sans apporter de bénéfice pour la survie des patients [6].

Le traitement d’entretien qui a été choisi pour le prochain protocole européen thérapeutique des neuroblastomes de haut risque (SIOPEN/HR-NBL2) comportera ainsi une alternance de 6 cures d’acide rétinoïque avec 5 cures de dinutuximab bêta administré seul (sans IL-2) en perfusion continue de 10 jours à la dose de 10 mg/m2/jour.

Une étude historique comparant les stratégies de traitement des neuroblastomes de haut risque du groupe SIOPEN, dont les groupes de patients étaient comparables en termes de présentation de la maladie et de traitement préalable au traitement d’entretien, a montré un bénéfice de l’administration du dinutuximab bêta avec une augmentation de la survie sans événement à 2 et 5 ans de 15 % [7].

En fonction des résultats obtenus par les différentes études réalisées par le groupe européen SIOPEN, le dinutuximab bêta a obtenu le 8 mai 2017 une autorisation de mise sur le marché par l’agence européenne des médicaments (EMA). Il est désormais commercialisé sous le nom de Qarziba®.

Perspectives

La faisabilité et l’efficacité de la combinaison de l’immunothérapie avec la chimiothérapie ont été démontrées chez les patients en rechute [8] et lors du traitement initial [9]. Ces résultats ont incité le groupe SIOPEN à évaluer une utilisation plus précoce des anticorps anti-GD2, dès le diagnostic, lors du traitement d’induction en combinaison avec la chimiothérapie. Une étude pilote est en cours de mise en place afin de définir les doses et modalités de combinaison de l’anticorps dinutuximab bêta avec les deux chimiothérapies d’induction évaluées dans le nouveau protocole SIOPEN/HR-NBL2. Le schéma sélectionné sera comparé ensuite au traitement par la chimiothérapie seule afin d’évaluer l’impact de la combinaison précoce de la chimiothérapie avec une immunothérapie sur le taux de réponse métastatique en fin de traitement d’induction et la survie des patients.

Les patients porteurs de neuroblastome de haut risque réfractaire ou en rechute pourront également être traités dans le cadre du protocole Beacon du consortium européen ITCC (innovative therapies for children with cancer), qui évalue le bénéfice de l’utilisation du dinutuximab bêta combiné à une chimiothérapie utilisant le témozolomide seul ou avec du topotécan. Les patients dont la maladie ne sera pas contrôlée par cette première ligne de traitement auront accès à un traitement combinant dinutuximab bêta et l’association topotécan-cyclophosphamide. Cette stratégie permettra d’évaluer ce traitement lors de la rechute dans les protocoles européens.

En complément des stratégies combinant AcM anti-GD2 et chimiothérapies, des combinaisons impliquant des molécules activant les lymphocytes NK et/ou les macrophages sont également en cours d’exploration dans des études précliniques.

Afin de limiter la fixation des anticorps anti-GD2 sur les nerfs périphériques, et donc de diminuer la toxicité neurologique du traitement, une équipe nantaise développe actuellement un anticorps anti-GD2-O-acétylé qui ciblera plus spécifiquement les cellules tumorales, le GD2-O-acétylé n’étant pas présent sur les membranes des cellules nerveuses contrairement au GD2. Les résultats précliniques utilisant cet anticorps sont encourageants et indiquent une meilleure tolérance neurologique chez la souris [10]. Les études cliniques sont à venir.

En conclusion

L’immunothérapie utilisant des AcM qui ciblent le ganglioside GD2 a une place qui est désormais établie dans la stratégie de prise en charge des neuroblastomes de haut risque au cours du traitement d’entretien de ces patients. Sa combinaison avec l’IL-2 n’a pas apporté de bénéfice anti-tumoral et, au contraire, a accru la toxicité du traitement.

Les voies d’amélioration de l’efficacité de cette immunothérapie sont de deux ordres :

  • Définir des combinaisons plus efficaces, notamment avec la chimiothérapie et /ou avec d’autres immunothérapies ou thérapeutiques ciblées. Cet axe conduira à explorer aussi le moment où l’utilisation de cet anticorps sera la plus efficace: traitement d’entretien, traitement d’induction, ou les deux ?
  • Une autre voie concerne le développement de nouveaux anticorps plus spécifiques des cellules tumorales: ils limiteront la toxicité et permettront d’améliorer la qualité de vie des patients durant le traitement.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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Ladenstein R, Poetschger U, Valteau-Couanet D, et al. Interleukin 2 with anti-GD2 antibody ch14.18/CHO (dinutuximab beta) in patients with high-risk neuroblastoma (HR-NBL1/SIOPEN): a multicentre, randomised, phase 3 trial . Lancet Oncol. 2018; ; 19: :1617.–1629.
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Ladenstein R, Poetschger U, Valteau-Couanet D, et al. Randomization of dose-reduced subcutaneous interleukin-2 (scIL2) in maintenance immunotherapy (IT) with anti-GD2 antibody dinutuximab beta (DB) long-term infusion (LTI) in front–line high-risk neuroblastoma patients: early results from the HR-NBL1/SIOPEN trial . J Clin Oncol. 2019;; 37 ( abstract 10013.).
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