Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 35(12): 924–925.
doi: 10.1051/medsci/2019244.

Anticorps médicaments 
un regard américain sur un présent et un futur fascinants

Janice M. Reichert1*

1Ph.D, Editor-in-Chief, mAbs, Executive Director, The Antibody Society, Framingham, MA, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords:

 

Au cours de ces vingt dernières années, j’ai eu l’immense plaisir d’observer l’intérêt croissant porté au développement des anticorps thérapeutiques et d’être le témoin de la capacité incroyable de ces molécules à obtenir des autorisations de mise sur le marché. Depuis que j’ai commencé le suivi de ce champ en 2001, j’ai essayé de rester une observatrice impartiale pour documenter au mieux les tendances du développement commercial des anticorps thérapeutiques, une façon pour moi d’évaluer ainsi l’innovation dans l’industrie biopharmaceutique. De plus, depuis 2008, j’ai l’honneur d’être rédactrice en chef de mAbs, un journal biomédical qui publie des articles portant sur la recherche et le développement des anticorps. À ce titre, j’ai analysé de nombreux aspects de cette recherche et de ces développements, ce qui m’a permis d’avoir une connaissance détaillée de la complexité et des subtilités des sujets liés à l’amélioration des anticorps thérapeutiques étudiés par un très grand nombre de scientifiques de ce domaine. Pour ces deux activités, j’ai eu l’aide amicale et généreuse de scientifiques français remarquables, comme Alain Beck, André Pélegrin, Hervé Watier et Jean-Luc Teillaud. Je suis donc très honorée d’apporter ma vision personnelle comme introduction à ce numéro de médecine/sciences dédié aux anticorps monoclonaux.

Sans conteste, des avancées remarquables dans le domaine de la recherche et du développement des anticorps ont été faites au cours des dix dernières années. Comme cela est détaillé dans nombre d’articles de ce numéro, les recherches visant à élucider la physiopathologie de différentes maladies, particulièrement celles visant à comprendre comment l’utilisation d’anticorps peut agir sur celles-ci, se sont considérablement renforcées. Un domaine particulier de ces recherches, couronnées par l’attribution du prix Nobel de Physiologie ou Médecine en 2018, est celui de l’exploration de la modulation des points de contrôle immunitaire, afin d’utiliser les connaissances acquises pour contrôler les cellules cancéreuses. De plus, l’imagination créatrice des scientifiques a conduit à la mise au point de nombreux nouveaux formats d’anticorps, comme les anticorps bispécifiques et les anticorps couplés à diverses petites molécules et toxines. Bien que moins mises en avant, des avances graduelles dans notre maîtrise du développement des anticorps et dans la résolution des problèmes de production industrielle de ces molécules ont également contribué à l’obtention continue d’un nombre croissant d’anticorps en développement clinique. Toutes ces avancées ont fait que nous avons maintenant de nouveaux formats d’anticorps thérapeutiques qui peuvent être produits de façon fiable à des échelles adéquates pour leur utilisation en clinique et que nous disposons d’approches nouvelles pour soigner des maladies avec de nouvelles molécules, grâce à la recherche menée au cours de la dernière décennie.

Pour évaluer avec honnêteté la situation actuelle et prédire les directions futures que vont prendre la recherche et le développement dans le domaine des anticorps, des considérations commerciales, tenant compte des forces du marché, à la fois au niveau global et au niveau de chaque pays, doivent être prises en compte, à l’instar des avances technologiques. Il est de notoriété publique que le développement de molécules thérapeutiques est un business risqué, cher en termes de coûts directs et indirects (c’est-à-dire, de temps et du coût du capital) [1]. Les données historiques montrent que seulement environ 20 % des anticorps qui entrent dans des études cliniques obtiennent une autorisation de mise sur le marché [2]. Ce taux de succès est cependant notablement plus élevé que celui des petites molécules thérapeutiques et est resté stable tout au long des vingt dernières années, ce qui a contribué au maintien de l’attractivité industrielle des anticorps thérapeutiques. L’accroissement du nombre d’anticorps évalués dans des études cliniques ces dernières années a eu pour conséquence un nombre accru d’anticorps approuvés. Par exemple, en 2018, un total cumulé de 73 et 78 anticorps et dérivés avaient reçu une autorisation de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis, alors que ces chiffres étaient respectivement de 27 et 26 dix ans plus tôt. Encore plus spectaculaire est le fait qu’au cours de la période 2009-2018, le nombre de nouveaux anticorps thérapeutiques entrant dans des essais cliniques chaque année a plus que doublé (d’environ 60 à plus de 130), suggérant que de nombreux anticorps vont recevoir des autorisations dans les prochaines années. En termes commerciaux, un taux de succès stable et relativement élevé devrait continuer à être le facteur critique maintenant l’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour le développement d’anticorps au cours de la prochaine décennie.

En tant qu’entités commerciales, les compagnies qui assument le risque et les dépenses afférentes au développement d’anticorps attendent un retour sur investissement. Les brevets en sont un élément critique, parce que, en récompense de la divulgation de l’invention, la loi sur les brevets interdit aux compétiteurs de copier le travail et la molécule obtenue. Typiquement, les prix de nouveaux anticorps thérapeutiques sont élevés tant que les brevets les protègent d’une compétition. Cependant, ces prix élevés peuvent restreindre l’accès à ces médicaments pour les patients. Ces dix dernières années, la technologie et l’expertise requises pour produire des anticorps se sont disséminées sur toute le globe et sont désormais communément disponibles dans un grand nombre de pays ; de plus, les brevets protégeant de nombreux anticorps à haut rendement ont expiré. En conséquence, de nombreux anticorps princeps présents sur le marché (ou produits de référence) doivent maintenant faire face à une compétition par des anticorps biosimilaires. L’accroissement du nombre d’anticorps biosimilaires et les diminutions des prix de vente qui s’en sont suivies ont permis l’accès à ces thérapies pour un nombre plus important de patients. Cependant, la diversité d’indications des biosimilaires reste limitée, car un grand nombre d’anticorps thérapeutiques sont encore protégés par des brevets. Par exemple, de mars 2015 à juillet 2019, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a approuvé un total de 16 anticorps biosimilaires correspondant à seulement 5 produits de référence : le trastuzumab (5 biosimilaires), l’adalimumab (4 biosimilaires), l’infliximab (3 biosimilaires), le bévacizumab (2 biosimilaires), et le rituximab (2 biosimilaires). Malgré son bénéfice, la mise à disposition des biosimilaires n’a pas à ce jour résolu la question du coût élevé des anticorps thérapeutiques dans de nombreux pays, y compris aux États-Unis.

Comme alternative au développement de nouveaux anticorps ou de biosimilaires, les compagnies peuvent adopter une autre approche, dite du « fast-follower », consistant à développer de nouveaux anticorps dirigés contre des antigènes déjà connus et ciblés, visant une indication pour des groupes de patients bien définis, anticorps qui ont été appelés les « biobetters » car pourvus d’améliorations structurales et/ou fonctionnelles [3]. Le risque d’échec lors du développement de ces molécules est notablement réduit, du fait de la grande quantité d’informations accessibles concernant le développement d’anticorps similaires, susceptibles d’ailleurs d’être déjà sur le marché. La connaissance de ces informations accélère ainsi significativement le développement clinique de ces « biobetters », en permettant potentiellement l’utilisation des données cliniques antérieures d’essais pivots de phase II pour l’autorisation de mise sur le marché, ou le passage direct d’essais de phase I à des essais de phase III, ce qui est déjà une pratique standard lors du développement de biosimilaires. Cette approche « fast-follower » semble avoir été largement adoptée en République populaire de Chine. Conséquences de son investissement dans les technologies et la formation de chercheurs de haut niveau, l’industrie biopharmaceutique chinoise a récemment fait de remarquables progrès dans ses capacités de recherche sur les anticorps et à assurer leur développement. Notons de plus que les compagnies chinoises discutent non seulement avec l’administration nationale chinoise des produits médicaux (China’s national medical products administration, CNMPA), mais également avec les agences réglementaires d’autres pays, notamment avec la FDA et l’Agence européenne des médicaments (EMA). En conséquence, on peut penser que des anticorps thérapeutiques développés en Chine peuvent désormais potentiellement obtenir des autorisations de mise sur le marché non seulement dans ce pays, mais aussi dans le reste du monde. De nombreuses compagnies chinoises développent actuellement de nouveaux anticorps ciblant des antigènes bien connus, tels que PD-1 (programmed death 1), l’EGFR-2 (epidermal growth factor receptor 2), ou le TNF-α (tumor-necrosis factor alpha), susceptibles de devenir des alternatives aux produits de référence, ainsi qu’aux anticorps biosimilaires ciblant le même antigène.

En regardant l’avenir, nous pouvons nous attendre à ce que l’intérêt de l’industrie pour les anticorps thérapeutiques se poursuive au cours des années 2020, parce que les compagnies, notamment aux États-Unis et en Europe, continueront à recueillir le fruit de leurs investissements dans la recherche et le développement d’anticorps thérapeutiques innovants. En particulier, la tendance au développement d’anticorps bispécifiques, d’anticorps couplés à de petites molécules thérapeutiques et d’anticorps modulant les points de contrôle immunitaire, notamment pour le traitement des cancers, va se poursuivre. Cependant, les compagnies qui innovent dans ce domaine doivent garder à l’esprit la nature potentiellement disruptive de l’approche « fast-follower », qui introduit une compétition commerciale beaucoup plus rapidement que le modèle actuel de développement d’un anticorps thérapeutique. À l’aube des années 2020, l’approche « fast-follower » est une stratégie nouvelle, dans laquelle relativement peu de compagnies se sont engagées. Cependant, des investissements substantiels de la part d’investisseurs ou d’entités non commerciales comme des agences gouvernementales pourraient changer la donne. Ce type de bouleversement est déjà survenu dans les années 2010, quand la Corée du Sud a fortement investi dans le développement d’anticorps biosimilaires, ce qui a fait progresser l’ensemble du champ [4]. Quoi qu’il en soit, l’approche « fast-follower » est peut-être le bon moyen pour accélérer la mise à disposition de nouveaux médicaments aux patients de certains pays.

In fine, quelle que soit l’approche utilisée, les objectifs de la recherche sur les anticorps thérapeutiques et de leur développement sont d’améliorer nos connaissances scientifiques biomédicales et de faire de nouvelles découvertes permettant de soigner des patients et d’améliorer leurs vies. L’industrie biopharmaceutique relèvera sans aucun doute ces défis tout au long des années 2020.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
DiMasi JA, Grabowski HG, Hansen RW , Innovation in the pharmaceutical industry: New estimates of R&D costs . J Health Econ . 2016;;47::20.–33.
2.
Kaplon H, Reichert JM , Antibodies to watch in 2019 . MAbs . 2019;;11::219.–238.
3.
Beck A , Biosimilar, biobetter and next generation therapeutic antibodies . MAbs . 2011;;3::107.–110.
4.
Beck A, Reichert JM , Approval of the first biosimilar antibodies in Europe: a major landmark for the biopharmaceutical industry . MAbs . 2013;;5::621.–623.