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Med Sci (Paris). 35(10): 746–748.
doi: 10.1051/medsci/2019145.

Un nouveau talon d’Achille du bacille de la tuberculose

Claude Gutierrez1* and Olivier Neyrolles1

1Institut de pharmacologie et biologie structurale (IPBS), université de Toulouse, CNRS, UPS, 205 route de Narbonne, 31000Toulouse, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Antitoxines, Toxines bactériennes, Mycobacterium tuberculosis, Nicotinamide nucleotide adenylyltransferase, génétique, physiologie, effets des médicaments et substances chimiques

 

La tuberculose, infection principalement pulmonaire due à la bactérie Mycobacterium tuberculosis, est la maladie infectieuse due à un agent unique la plus meurtrière à l’échelle mondiale1. L’expansion de souches de M. tuberculosis multi-résistantes, voire totalement résistantes, aux antibiotiques fait craindre l’apparition d’une pandémie incontrôlable. Ainsi, bien que la tuberculose soit, dans l’imaginaire collectif, une maladie associée au passé, elle reste un problème de santé majeur, et la recherche de nouvelles pistes thérapeutiques est plus que jamais nécessaire. Dans une étude récente, menée par un consortium associant notre équipe et deux équipes du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) à Hambourg et de l’Institut Francis Crick à Londres, nous avons identifié une nouvelle piste thérapeutique, fondée sur l’activation d’un système toxine/antitoxine (TA) pouvant entraîner le « suicide » des cellules de M. tuberculosis [1].

Les systèmes toxine/antitoxine

Chez les bactéries, les systèmes TA sont des modules formés d’un gène codant une toxine protéique, capable d’intoxiquer la cellule productrice en bloquant un processus essentiel de son métabolisme (synthèse des protéines par exemple), et d’un élément d’immunité contre cette toxine, l’antitoxine, qui peut, en inhibant la production et/ou l’activité de la toxine, protéger la bactérie productrice [2, 3]. Ces systèmes sont regroupés en diverses familles (de I à VI) selon la nature de l’antitoxine (protéine ou ARN), et le mécanisme d’inactivation de la toxine. Par exemple, dans les systèmes TA de type II, les plus étudiés, l’antitoxine est une protéine qui se lie directement à la toxine pour l’inactiver. Pour les systèmes TA de type IV, la toxine est aussi une protéine, mais elle empêche l’action de la toxine sans interaction directe avec celle-ci. La clé du fonctionnement des systèmes TA est que la toxine et l’antitoxine sont stables en conditions physiologiques standard, mais que l’antitoxine est déstabilisée dans certaines conditions de stress, libérant l’activité de la toxine qui bloque alors la croissance ou peut même entraîner la mort des bactéries soumises au stress. Initialement identifiés comme des systèmes « d’addiction » à des plasmides, les systèmes TA sont présents dans la plupart des génomes bactériens, et ils participent à diverses fonctions biologiques, dont la stabilisation de réplicons ou d’îlots génomiques, la lutte contre les infections par les bactériophages, ou l’entrée en persistance des bactéries. Cependant, le rôle effectif de la plupart des systèmes TA reste une question ouverte [4, 5]. Ceci est particulièrement vrai pour M. tuberculosis, dont le génome est très riche en systèmes TA. En effet, on retrouve dans le génome de M. tuberculosis plus de 80 systèmes TA, principalement de type II, dont un grand nombre sont portés par des îlots génomiques acquis par transfert horizontal chez l’ancêtre de M. tuberculosis [6].

Le système MbcTA de M. tuberculosis

Utiliser les toxines des systèmes TA comme outils antibactériens a été souvent proposé (voir par exemple [7, 8]). Cependant, la découverte du lien entre certains systèmes TA et la persistance a remis cette idée en question, puisque l’activation d’une toxine risquerait de rendre les cellules bactériennes tolérantes aux antibiotiques. Afin d’éviter cet écueil, nous avons utilisé les résultats d’études de mutagénèse à saturation de M. tuberculosis, qui ont montré que parmi les nombreux systèmes TA présents chez cette espèce, seulement trois possèdent un gène d’antitoxine qui est essentiel [9], c’est-à-dire qui ne peut pas être inactivé génétiquement. Nous avons fait l’hypothèse que cela était dû à une toxicité létale de la toxine associée, et nous avons analysé plus avant l’un de ces systèmes, codé par l’opéron formé des gènes appelés Rv1990c et Rv1989c. Nous avons alors confirmé que l’opéron Rv1990c-Rv1989c code bien un système TA, mais surtout que l’action de la toxine a un effet bactéricide chez M. tuberculosis (Figure 1). Nous avons alors nommé ce système MbcTA (mycobacterial cidal toxin/antitoxin).

MbcT est une NAD+ phosphorylase

Afin d’analyser le mécanisme d’action de cette toxine, nous avons déterminé sa structure tridimensionnelle. Il a été possible de surproduire et cristalliser un complexe de protéines MbcTA, démontrant qu’il s’agit d’un système de type II. Ce complexe a une organisation en dodécamère (trimère de tétramères [MbcTA]2). La signification biologique de cette association reste à comprendre. En revanche, bien que la séquence primaire de la toxine MbcT ne présente aucune similarité avec des protéines de fonction connue, sa structure tridimensionnelle ressemble à celle des exotoxines bactériennes de la famille des ADP-ribosyl-transférases, comme les toxines diphtérique ou cholérique. L’analyse biochimique et métabolomique de MbcT a montré que cette toxine a une activité originale. En effet, elle catalyse la dégradation du coenzyme essentiel NAD+ par phosphorolyse, produisant du nicotinamide et de l’ADP-ribose-1’’-phosphate (Figure 2). Une telle activité de phosphorolyse du NAD+ n’avait encore jamais été identifiée. En accord avec cette activité, nous avons montré que l’induction de MbcT conduit à un effondrement du contenu en NAD+ dans les cellules de M. tuberculosis.

L’activation de MbcTA peut protéger contre l’infection par M. tuberculosis

L’étape suivante de notre travail a été d’apporter « la preuve de concept » que l’activation de MbcT pourrait être utilisée dans une stratégie thérapeutique, en complément de l’antibiothérapie antituberculeuse. Nous avons utilisé une souche de M. tuberculosis dépourvue (par génie génétique) du système MbcTA chromosomique et exprimant une copie de MbcT sous le contrôle d’un promoteur inductible par des analogues de la tétracycline, l’anhydro-tétracycline (ATc) et la doxycycline. Nous avons alors montré que l’addition d’ATc à des macrophages humains en culture infectés par cette souche permet de réduire la charge bactérienne, démontrant que l’action bactéricide est conservée dans la niche cellulaire principale de M. tuberculosis que sont les macrophages de l’hôte. De plus, l’administration orale de doxycycline à des souris infectées par cette souche diminue la charge bactérienne dans les poumons, et cet effet est synergique avec celui d’un traitement par l’isoniazide, un antibiotique de première ligne utilisé dans le traitement de la tuberculose.

L’ensemble de ces travaux ouvre la voie à l’analyse d’une nouvelle classe d’enzymes, les NAD+ phosphorylases, présentes non seulement chez M. tuberculosis, mais aussi chez d’autres espèces bactériennes [10]. De plus, nos travaux en cours visent à exploiter le système MbcT pour identifier des molécules capables d’activer la toxine, soit en interférant avec le complexe MbcTA, soit en stimulant la dégradation de l’antitoxine MbcA. Pour cela, nous développons des cribles sur cellules entières, dont nous espérons qu’ils identifieront de nouvelles molécules antituberculeuses.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Rapport de l’Organisation mondiale de la santé 2018.
References
1.
Freire DM, Gutierrez C, Garza-Garcia A, et al. An NAD+ phosphorylase toxin triggers Mycobacterium tuberculosis cell death . Mol Cell. 2019; ;73((1282–91)) ::e8..
2.
Harms A, Brodersen DE, Mitarai N, Gerdes K. Toxins, targets, and triggers: an overview of toxin-antitoxin biology . Mol Cell. 2018; ;70 ::768.–784.
3.
Page R, Peti W. Toxin-antitoxin systems in bacterial growth arrest and persistence . Nat Chem Biol. 2016; ;12 ::208.–214.
4.
Magnuson RD. Hypothetical functions of toxin-antitoxin systems . J Bacteriol. 2007; ;189 ::6089.–6092.
5.
Van Melderen L. Toxin-antitoxin systems: why so many, what for? Curr Opin Microbiol. 2010; ;13 ::781.–785.
6.
Sala A, Bordes P, Genevaux P. Multiple toxin-antitoxin systems in Mycobacterium tuberculosis . Toxins (Basel). 2014; ;6 ::1002.–1020.
7.
Chan WT, Balsa D, Espinosa M. One cannot rule them all: Are bacterial toxins-antitoxins druggable? FEMS Microbiol Rev. 2015; ;39 ::522.–540.
8.
Lee KY, Lee BJ. Structure, biology, and therapeutic application of toxin-antitoxin systems in pathogenic bacteria . Toxins (Basel). 2016; ;8 ::E305..
9.
DeJesus MA, Gerrick ER, Xu W, et al. Comprehensive essentiality analysis of the Mycobacterium tuberculosis genome via saturating transposon mutagenesis . MBio. 2017; ;8 ::e02133.–16.
10.
Skjerning RB, Senissar M, Winter KS, et al. The RES domain toxins of RES-Xre toxin-antitoxin modules induce cell stasis by degrading NAD+ . Mol Microbiol. 2019; ;111 ::221.–236.