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Med Sci (Paris). 35(8-9): 613–615.
doi: 10.1051/medsci/2019117.

Un nouveau mécanisme de résistance aux antibiotiques
Le recyclage des ribosomes

Mélodie Duval1,2,3 and Pascale Cossart1,2,3*

1Département de biologie cellulaire et infection, Unité des interactions bactéries-cellules, Institut Pasteur, 25-28, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France.
2Inserm, U604, F-75015Paris, France.
3INRA, unité sous contrat H2020, F-75015Paris, France.
Corresponding author.

MeSH keywords: Protéines bactériennes, Résistance microbienne aux médicaments, Érythromycine, Protéines G, Régulation de l'expression des gènes bactériens, Lincomycine, Listeria monocytogenes, Biosynthèse des protéines, Ribosomes, Transcription génétique, génétique, physiologie, pharmacologie, effets des médicaments et substances chimiques, métabolisme

L’enjeu de la résistance aux antibiotiques

Chez les bactéries, résister aux antibiotiques est un enjeu majeur pour leur survie. Si ces agents anti-bactériens sont depuis les années 1950 largement utilisés dans des stratégies thérapeutiques, leur origine est bien plus ancienne. En effet, les microbes qui les produisent (les champignons, les bactéries) en font usage depuis toujours afin de coloniser des niches écologiques en inhibant, voire en tuant, leurs compétiteurs. Afin de résister à ces antibiotiques, les bactéries possèdent initialement, ou ont acquis par transfert, de nombreux gènes leur permettant de s’en protéger. Leurs capacités de résistance sont ainsi en fait soit intrinsèques, c’est-à-dire dues à des propriétés qui leur sont spécifiques, comme la présence d’une membrane externe qui les protège, soit acquises, provenant d’autres bactéries via des éléments génétiques mobiles et transmissibles, tels que les plasmides ou les transposons.

Les mécanismes de résistance les plus répandus permettent aux bactéries soit d’expulser les antibiotiques dès leur pénétration, soit d’en empêcher l’entrée. Elles peuvent aussi les dégrader ou les modifier, les rendant ainsi inefficaces. Elles peuvent enfin transformer la cible de l’antibiotique, de sorte que celui-ci ne puisse plus agir (Figure 1).

Un nouveau mécanisme de résistance

Notre laboratoire étudie depuis de nombreuses années, la bactérie Listeria monocytogenes responsable de la listériose, et devenue un modèle pour la recherche en biologie des infections [1]. Cette bactérie pathogène possède une extraordinaire capacité à s’adapter aussi bien aux stress de l’environnement, ce qui lui permet, par exemple, de survivre et de se multiplier sur le sol, qu’aux différents traitements qu’elle rencontre dans la chaîne alimentaire (addition de sel, congélation, etc.). Cette adaptabilité résulte d’un arsenal de gènes qu’elle possède, et dont elle régule finement l’expression, grâce à différents mécanismes comme les thermoswitchs 1, qui lui permettent de détecter par la température son entrée dans un organisme, et ainsi d’exprimer des gènes critiques pour sa virulence [2].

Nos collaborateurs de l’Institut Weizmann (Israël), avec qui nous avions identifié les sites de démarrage de l’initiation de transcription de tous les gènes de Listeria exprimés après sa croissance dans différentes conditions de culture [3], ont récemment développé une technique, appelée «term-seq», permettant d’identifier précisément, non seulement les sites de fin de transcription, mais aussi la quantité de transcrits produits selon les conditions de culture. En effet, la transcription de certains gènes, après son démarrage, peut soit s’arrêter très rapidement, le gène n’est alors pas exprimé, soit continuer jusqu’à transcription complète du gène (Figure 2). La technique «term-seq» permet d’identifier les gènes qui sont soumis à cette régulation.

Nous avons étudié par cette méthode, le comportement de Listeria en l’absence ou en la présence de deux antibiotiques, la lincomycine et l’érythromycine [4]. Ces antibiotiques agissent sur les ribosomes, une machinerie essentielle à la croissance des bactéries, et altèrent ainsi la synthèse protéique. Les résultats que nous avons obtenus montrent que plusieurs gènes sont spécifiquement exprimés en présence de ces antibiotiques: en leur absence, un court transcrit est détecté, mais le gène lui-même n’est pas transcrit; en leur présence, un long transcrit est produit et le gène est alors exprimé.

L’un des gènes soumis à cette régulation, le gène hflX, est particulièrement intéressant. Il avait été étudié chez deux bactéries, Escherichia coli et Staphylococcus aureus, et le mode d’action de la protéine produite par ce gène, identifié: la protéine HflX permet en effet le recyclage des ribosomes qui ont été bloqués par un choc thermique [5, 6]. HflX dissocie le ribosome en deux sous-unités libres, qui peuvent se réassembler et réamorcer la synthèse protéique. Il était donc tentant de penser que chez Listeria monocytogenes ce gène puisse être un équivalent qui serait actif en présence des antibiotiques qui bloquent le ribosome.

Afin d’étudier si le gène hflX était impliqué dans la résistance aux antibiotiques de L. monocytogenes, nous l’avons éliminé du génome de la bactérie, et avons exposé les bactéries à différentes doses d’antibiotiques. Les bactéries dont le gène hflX avait été supprimé se sont révélées plus sensibles à l’action de l’antibiotique, démontrant l’implication de HflX dans la résistance de la bactérie aux antibiotiques. Nous avons renommé hflXr, ce gène chez L. monocytogenes, «r» signifiant résistance.

Afin de tester si, comme chez S. aureus et E. coli, hflXr de Listeria participait au recyclage des ribosomes, nous avons analysé la répartition des sous-unités des ribosomes chez des bactéries possédant ou non le gène hflXr lorsqu’elles croissent en présence d’antibiotiques. Une augmentation du nombre de ribosomes assemblés a été observée dans les bactéries dont le gène hflXr avait été éliminé, signe d’un dysfonctionnement du recyclage ribosomique. Ainsi, comme chez les autres bactéries, hflXr semblait impliqué dans le recyclage des ribosomes. Un tel mécanisme de recyclage, bien connu lors des chocs thermiques, n’avait jusqu’alors jamais été montré comme jouant un rôle dans la résistance aux antibiotiques. Ce mécanisme permet le recyclage de sous-unités ribosomiques fonctionnelles, pourvu qu’un autre mécanisme chasse l’antibiotique de son site [4].

Un gène parfaitement régulé

Afin de comprendre les mécanismes permettant l’induction de l’expression du gène hflXr en présence d’antibiotiques (autrement dit, pourquoi on observe un transcrit court en absence d’antibiotique et un transcrit long en présence d’antibiotique), nous avons analysé la région située en amont du gène. Cette région présente une petite phase de lecture ouverte (ou ORF pour open reading frame) qui code un peptide. En induisant des mutations dans cette région du gène, nous avons pu montrer qu’en présence d’antibiotique, cette séquence n’était pas traduite, les ribosomes effectuant une pause au niveau de cette région, ce qui empêche la formation d’un «terminateur de transcription». En l’absence d’antibiotique, cette petite ORF est traduite, et le terminateur de transcription peut se former, empêchant l’expression du gène hflXr [7] ().

(→) Voir la Synthèse de J. Manry et L. Quintana-Murci, m/s n°12, décembre2012, page1095

Soulignons que deux études de métagénomique fonctionnelle du sol au voisinage d’une ferme utilisant des antibiotiques, ou près d’une usine fabriquant des antibiotiques, ont montré la présence de gènes de résistance chez Simkania negevensis et chez Emergensia timonensis, dont le gène hflX [8, 9], ce qui renforce sous un autre angle la pertinence de notre étude sur hflXr.

Conclusion

Cette étude a donc permis de mettre en évidence un nouveau mécanisme de résistance aux antibiotiques potentiellement répandu chez de nombreuses bactéries, qui est fondé sur le recyclage des ribosomes grâce au gène hflXr. Les niveaux de résistance apportés par ce gène ne permettent pas aux bactéries de survivre à des concentrations élevées d’antibiotiques, telles que celles utilisées en thérapeutique, mais nous pensons que ce gène confère à la bactérie qui en est pourvue un avantage au sein des communautés microbiennes colonisant le sol. Cette étude montre également comment les bactéries peuvent utiliser un mécanisme de réponse au stress, tel que le recyclage des ribosomes, dans des contextes différents: la réponse aux chocs thermiques ou la lutte contre les antibiotiques. Cette découverte nous révèle aussi que la diversité des mécanismes permettant aux bactéries de lutter contre les antibiotiques est encore plus grande que ce que l’on pensait.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Notre laboratoire est financé par les organismes suivants : European Research Council (ERC) Advanced Grant BacCellEpi (670823), Agence Nationale de la Recherche Investissement d’Avenir Programme (10-LABX-62-IBEID), Fondation le Roch les Mousquetaires, l’Institut Pasteur, l’Inserm et l’INRA.

 
Footnotes
1 Interrupteurs thermiques.
References
1.
Cossart P , Lebreton A . A trip in the New Microbiology with the bacterial pathogen Listeria monocytogenes . FEBS Lett. 2014; ; 588 : :2437.–2445.
2.
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3.
Wurtzel O , Sesto N , Mellin J , et al. Comparative transcriptomics of pathogenic and non-pathogenic Listeria species . Mol Syst Biol. 2012; ; 8 : :583..
4.
Duval M , Dar D , Carvalho F , et al. HflXr, a homolog of a ribosome-splitting factor, mediates antibiotic resistance . Proc Natl Acad Sci USA. 2018; ; 115 : :13359.–13364.
5.
Zhang Y , Mandava CS , Cao W , et al. HflX is a ribosome-splitting factor rescuing stalled ribosomes under stress conditions . Nat Struct Mol Biol. 2015; ; 22 : :906.–913.
6.
Coatham ML , Brandon HE , Fischer JJ , et al. The conserved GTPase HflX is a ribosome splitting factor that binds to the E-site of the bacterial ribosome . Nucleic Acids Res. 2016; ; 44 : :1952.–1961.
7.
Macé K , Giudice E , Gillet R . La synthèse des protéines par le ribosome : un chemin semé d’embuches . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :282.–290.
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9.
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