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Med Sci (Paris). 35(5): 431–439.
doi: 10.1051/medsci/2019076.

Prévention de la fibrose et du cancer du foie liés au virus de l’hépatite B en Afrique
Le projet Prolifica

Damien Cohen,1* Yusuke Shimakawa,2 Gibril Ndow,6 Amina Sow,6 Saydiba Tamba,6 Ramou Njie,3 Gora Lo,5 Sumantra Ghosh,1 Coumba Toure-Kane,6 Mourtalla Ka,5 Souleymane Mboup,5 Edith Okeke,7 Souleymane Toure,5 Madoky Diop,5 Umberto D’Alessandro,4 Simon Taylor-Robinson,6 Maimuna Mendy,4 Fabien Zoulim,1 Mark R. Thursz,6 Maud Lemoine,6 and Isabelle Chemin1**

1Inserm U1052, CNRS UMR 5286, Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL), Université de Lyon (UCBL), 151, cours Albert Thomas, 69008Lyon, France
2Unité d’Épidémiologie des Maladies Émergentes, Institut Pasteur, Paris, France
3Medical Research Council Laboratories, The Gambia Unit, Fajara, Gambie
4International Agency for Research on Cancer (IARC), Lyon, France
5Department of bacteriology and Virology, CHU Le Dantec, Dakar, Sénégal
6Division of Digestive Diseases, St Mary’s Hospital, Imperial College London, London, Royaume-Uni
7Department of Internal Medicine, Jos University Teaching Hospital, Jos, Nigéria
Corresponding author.
 

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Vignette (© Prolifica).

L’infection due au virus de l’hépatite B à l’échelle mondiale

Un tiers de la population mondiale a été ou est encore infecté par le virus de l’hépatite B (HBV, hepatitis B virus). L’Organisation mondial de la santé (OMS) estime actuellement à 257 millions le nombre de porteurs chroniques (patients positifs pour l’antigène de surface du virus pendant plus de 6 mois) [1]. Ce virus infecte les hépatocytes et engendre des hépatites aiguës qui peuvent devenir chroniques. Certains patients développeront une cirrhose ou un carcinome hépatocellulaire (CHC) [2]. Malgré l’existence d’un vaccin préventif efficace à 95 %, depuis 1982, le CHC est placé au second rang mondial des cancers les plus meurtriers [3]. En 2015, 887 000 patients sont décédés des suites d’une hépatite B principalement lié à la cirrhose ou au CHC. Ce taux de mortalité serait d’ailleurs sous-estimé en raison d’une surveillance inadaptée dans les pays à faibles ressources [1]. L’Afrique subsaharienne (ASS), les îles du Pacifique et l’Asie du Sud-Est sont principalement frappées. Ces éléments font de l’infection par HBV un problème de santé publique majeur (Figure 1) alors qu’il est encore largement sous-étudié dans les pays du sud [4]. À l’inverse, le combat contre le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) est bien engagé en Afrique. En 2015, les 25 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre comptaient 6,5 millions de personnes vivant avec le virus. La région supporte 18 % de la charge de morbidité mondiale du VIH (alors qu’elle n’abrite que 6 % de la population de la planète) en partie liée à la tuberculose qui touche entre 38 % des patients positifs pour le VIH et jusqu’à 75 % dans certaines régions d’Afrique.

L’hépatite B et le carcinome hépatocellulaire en Afrique subsaharienne

En Afrique subsaharienne, avant l’introduction d’un vaccin contre HBV dans le programme élargi de vaccination, le risque de contracter une infection par le virus pendant l’enfance était de plus de 70 % [5]. Aujourd’hui encore, la majorité des cas de CHC est liée au HBV dont la prévalence dépasse 8 % dans la population générale adulte [6]. Ainsi, dans cette région, le cancer du foie est en deuxième position en terme d’incidence alors qu’il n’est que le 7e cancer le plus fréquent dans le reste du monde. C’est également le cancer le plus meurtrier en Gambie, contre le quatrième mondialement (Figure 2) ; le pronostic de survie pour le CHC est très bas (avec un ratio mortalité/incidence de 0,95). D’après la base Globocan 20181, entre 1990 et 2009, le CHC représentait dans cette région, à lui seul, plus de la moitié de tous les cas de cancers chez les hommes, soit 2 486 sur 4 144 cas, et un tiers chez les femmes, soit 1 254 sur 3 763 [7, 8]. S’ajoute les effets de l’aflatoxine, une mycotoxine classée facteur de risque de groupe 12 par le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) [9]. Cette mycotoxine produite par le champignon Aspergillus flavus contaminant les céréales est présente dans la nourriture stockée dans un environnement chaud et humide. Elle agit en synergie avec le HBV, augmentant considérablement le risque de CHC [10, 11].

Options thérapeutiques contre le HBV et le CHC

Les traitements disponibles contre le CHC sont très limités et quasi inexistants dans les pays à faibles ressources. Le principal levier se situe en amont avec la vaccination préventive, le dépistage précoce des infections par HBV et de la cirrhose ainsi que l’initiation d’un traitement antiviral destiné à ralentir le processus [12, 13]. Le dépistage du cancer permet également de détecter précocement les CHC traitables en identifiant les patients à haut risque [14]. Ces deux volets permettent de réduire l’incidence du CHC et d’améliorer la prise en charge des patients.

En Afrique subsaharienne, région à faibles ressources, l’accès restreint à un système de santé est un des facteurs majeurs limitant la prise en charge des sujets infectés par le HBV. Les traitements antiviraux par analogues de nucléosides restent peu ou pas administrés, malgré une nette réduction de leur coût.

Pour le CHC, peu de traitements sont accessibles. Ils se limitent souvent à l’injection percutanée d’éthanol, disponible dans un petit nombre de centres et efficace aux stades précoces, les hépatectomies et les radiofréquences étant souvent limitées au secteur privé [15, 16].

Il faut également considérer l’absence de programme de surveillance systématique de la cirrhose et du CHC, avec parfois l’absence d’infrastructures qui permettraient un suivi et un traitement à long terme. La plupart des cas sont ainsi détectés tardivement, avec des soins palliatifs très limités [17]. Un autre facteur aggravant, repose sur le fait qu’en Afrique subsaharienne, les cas de CHC sont souvent observés chez des sujets jeunes (moins de 40 ans) qui constituent la population active, ce qui maximise les effets socioéconomiques négatifs [15, 18]. À l’heure actuelle, l’OMS considère le contrôle de la prévalence mondiale du HBV comme un objectif majeur et met l’accent en particulier sur les pays africains [1].

L’étude PROLIFICA

L’étude PROLIFICA (prevention of liver fibrosis and cancer in Africa) fut lancée en 2011 dans le but de permettre de répondre à des besoins urgents en matière de recherche contre le HBV en Gambie, au Sénégal et au Nigéria. Cette étude translationnelle initialement financée par la Commission européenne (programme FP7) puis par l’Agence nationale de recherches sur le Sida et les hépatites virales (ANRS) et le Medical Research Council (MRC) britannique, avec le soutien de l’entreprise américaine Gilead, représente une collaboration unique entre l’Imperial college de Londres, le Centre de recherche en cancérologie (CRCL) et le CIRC à Lyon, le MRC en Gambie, l’hôpital Le Dantec de Dakar et l’université Thiès au Sénégal, ainsi que l’université Jos au Nigéria.

Le but initial du projet était de mettre en place une intervention de dépistage et de traitement à l’échelle populationnelle afin de prévenir les complications liées au HBV, en particulier le CHC.

Plus précisément, les différents axes incluaient : la détection et la caractérisation des infections HBV à large échelle ; la sélection de patients pouvant être traités par analogues de nucléosides pour contrer l’évolution de la maladie hépatique liée au HBV selon les critères de l’EASL (European association for the study of liver cancer) ; une étude « coût-efficacité » du dépistage de l’infection chronique de l’hépatite B ; l’identification de biomarqueurs de fibrose liée à la maladie hépatique due au HBV.

Organisation du projet

Le projet PROLIFICA a permis d’établir deux cohortes de patients.

La cohort WATCH (West african treatment cohort for HBV)
Cette cohorte a été elle-même sous-divisée en deux parties :
Une étude observationnelle de l’infection à HBV Basée au Sénégal et en Gambie, cette étude a permis de dépister, via un test rapide, 11 539 personnes dans les communautés, sur le lieu de travail, chez les professionnels de santé et dans les centres de don du sang [19]. En Gambie, les participants furent principalement recrutés dans les communautés par une sélection aléatoire et stratifiée (zone urbaine ou zone rurale) et dans les centres de don du sang. Au Sénégal, le dépistage eut lieu en majorité sur le lieu de travail et chez les professionnels de santé. Dans les communautés, entre décembre 2011 et janvier 2015, 5 980 des 8 170 personnes éligibles participèrent au dépistage de l’antigène « s » du HBV (AgHBs) et 495 (8,8 %) furent identifiées comme étant positives (Figure 3). À la banque du sang, en 2013, sur 6 832 individus venus pour un don, 5 559 furent dépistés, parmi lesquels 721 se sont révélés positifs pour l’antigène AgHBs (13 %). Les principales raisons données pour ne pas participer furent les contraintes de travail ou de voyage et le manque d’intérêt, dans les communautés, du fait de l’absence de symptômes et la faible compréhension de la pathologie. La prise en charge médicale chez les dépistés dans les centres de dons du sang fut plus faible (41,6 %) que dans les communautés (81 %), probablement en raison de l’absence d’infirmière, en particulier pendant la période du Ramadan et le dernier mois de l’année.

Par la suite, tous les participants porteurs de l’AgHBs et une proportion de ceux négatifs pour cet antigène furent invités pour une évaluation clinique complète par un hépatologiste3. Les porteurs chroniques (AgHBs positifs) ont été suivis.

Une étude ouverte non randomisée des porteurs chroniques de HBV traités par Ténofovir Pour cette deuxième partie de WATCH, les patients furent répartis en quatre groupes suivant les critères de l’EASL 2012 pour la thérapie par analogues de nucléosides [2] : (a) cirrhose (score Metavir F44 après biopsie hépatique ou Fibroscan®) avec une charge virale HBV détectable ; (b) niveau d’ADN viral HBV supérieur à 2 000 UI/mL et fibrose modérée (Metavir ≥ F2) identifié par élastographie ou biopsie du foie ; (c) niveau d’ADN viral HBV supérieur à 2 000 UI/mL et nécro-inflammation modérée (Metavir ≥ A2) identifié par biopsie du foie ; (d) niveau d’ADN supérieur à 20 000 UI/mL et ALT (alanine aminotransférase) > 80 UI/mL.

En parallèle, les patients positifs pour l’AgHBs mais ne respectant pas les critères de l’EASL ont été régulièrement suivis et ont bénéficié d’un dépistage régulier du CHC par ultrasonographie [2, 15]. Les participants éligibles au traitement antiviral ont reçu un traitement par Tenofovir Disoproxiol Fumarate. L’efficacité et la tolérance de ce traitement ont été évaluées.

La cohorte HC4 (hepatocellular carcinoma case-control study)
Environ 400 patients avec une maladie terminale du foie ont été inclus après une consultation à l’hôpital dans cette étude qui a permis d’explorer des biomarqueurs du CHC et d’étudier les principaux facteurs de risque [20].
La plateforme de recherche PROLIFICA
Épidémiologie de l’infection par le HBV et de la maladie du foie associée
L’étude PROLIFICA a permis d’apporter des données sur la prévalence de l’infection virale, sur les facteurs de risques pour la positivité à l’antigène AgHBs, et sur la couverture vaccinale en Gambie et au Sénégal. C’est aussi la première étude à grande échelle qui a permis de décrire la prévalence et l’amplitude de la maladie hépatique causée par le HBV et l’incidence de la cirrhose et du cancer dans cette région du monde.

Dans cette région, la prévention de la transmission du HBV de la mère à l’enfant devrait être une priorité. En effet, l’apparition d’une infection chronique est très fréquente pour les enfants infectés par leur mère ou avant l’âge de 5 ans (ce qui est le cas en Afrique de l’Ouest). La transmission mère-enfant du virus de l’hépatite B est la principale cause de portage chronique de l’AgHBs en Asie où l’immense majorité des futures mères sont positives pour l’antigène viral (AgHBe) et ont de fortes charges virales. La prévention de cette transmission repose principalement sur la sérovaccination du nouveau-né. Le traitement préventif de la mère par des antiviraux serait soumis dans cette région du monde au test préalable de l’AgHBs, mais aussi à l’évaluation des charges virales et/ou à la détection des AgHBe [21]. En Afrique de l’Ouest, les adultes sont très tôt peu virémiques pour HBV et ils sont négatifs pour l’antigène AgHBe, ce qui explique le faible pourcentage de transmission verticale du virus et plutôt une transmission horizontale dans l’enfance.

Mise en place d’un dépistage du HBV, évaluation de la maladie hépatique et traitement
L’un des éléments clés de cette étude visait à démontrer que le dépistage du HBV en Afrique de l’Ouest - qu’il ait lieu dans les communautés ou dans les centres de don du sang - est à la fois réalisable et bénéfique (Tableau I).

Avec un âge médian de 38 ans dans les communautés contre 31 ans dans les centres de don du sang, aucune différence n’a été observée dans le nombre des participants déclarant consommer de l’alcool. Les antécédents familiaux de CHC se sont révélés similaires dans les deux conditions. L’AgHBe a été détecté chez 13 individus dans les communautés et 23 chez les donneurs de sang. Un peu plus de 10 % des participants des communautés avaient un niveau d’ADN HBV de 2 000 UI/ml ou plus, contre 14,4 % dans les centres de don du sang.

Les génotypes A et E de HBV ont été détectés respectivement chez 16,8 % et 83,2 % des participants dans les communautés, contre 14,4 % et 85,6 % chez les donneurs de sang, sans différence significative. Une coinfection avec le VIH, le HCV (virus de l’hépatite C) ou le HDV (virus de l’hépatite D) a été respectivement détectés dans les communautés chez 3,3 %, 1 % et 2 % des participants, contre 0,3 % et 1,8 % pour HDV et HCV chez les patients donnant leur sang. Parmi les individus issus de la banque de don du sang, 18,8 % avaient un niveau d’ALT plus élevé que la normale, contre 12,2 % dans les communautés. Enfin, 17,5 % des donneurs de sang avaient un score Metavir synonyme d’une fibrose avancée ou cirrhose (≥ F3) contre 5,5 % dans les communautés. Au final, selon les critères de l’EASL, seuls 6,7 % des 702 individus infectés par le HBV ont été éligibles pour le traitement. La plupart ignoraient qu’ils étaient porteurs [22].

Le projet a donc permis de montrer la faisabilité de la mise en place du dépistage et du suivi de l’infection par le HBV dans le contexte africain. Parallèlement, bien que le dépistage communautaire de l’AgHBs en Gambie ait pu faire ses preuves (77,2 %), les résultats montrent une faible participation des hommes jeunes (36,8 %). Cela s’expliquerait par un manque de temps en raison de leur travail. Ils représentent une population plus à risque et donc à mieux considérer [22]. Parmi les femmes n’ayant pas été dépistées, 44,4 % ne l’ont pas été par refus. Une meilleure prise de conscience par la population est donc à développer puisque quasiment aucun des participants n’avait été testé auparavant ou n’avait eu connaissance de son statut HBV. En Gambie, il est par exemple intéressant de noter qu’en Mandinka - le langage local – un mot spécifique évoque l’ascite, le signe de la cirrhose décompensée : Konofa Jankaroo (maladie de l’estomac plein). Mais, comme l’explication locale de cette maladie est la sorcellerie ou l’empoisonnement, les patients visitent préférentiellement des tradipraticiens, plutôt que des cliniciens [23].

La thérapie anti-HBV par le Ténofovir est reconnue comme étant efficace et engendrant peu de résistants viraux [2, 24]. Parmi les participants des communautés dépistés dans le cadre de PROLIFICA, 81 % avaient une bonne observance du traitement un an après le début de la thérapie, et 91,5 % ont eu une réponse virologique attendue [25].

Les données que nous rapportons montrent donc la faisabilité d’un programme de dépistage et de traitement institué directement dans les communautés en Afrique subsaharienne. In fine, 4 millions de personnes chroniquement atteintes par HBV (soit environ 5 % des 80 millions d’habitants) pourraient bénéficier d’un traitement anti-HBV [25].

Modèle de simulation de l’épidémie de HBV mondiale et étude « coût-efficacité » en Gambie
La vaccination des enfants et des nouveau-nés permet d’ores et déjà une diminution des néo-infections (210 millions de cas évités en 2015 et 1,1 million de décès d’ici 2030). Mais sans intensification des interventions existantes, 63 millions de nouvelles infections chroniques et 17 millions de décès devraient advenir d’ici 2030, du fait des transmissions en cours dans certaines régions (principalement en Asie et en Afrique) et du faible accès au traitement pour les personnes déjà infectées [26]. Une étude de modélisation montre que 90 % des néo-infections et 65 % de la mortalité pourraient être réduits en augmentant la couverture vaccinale des enfants (jusqu’à 90 % des enfants) et la vaccination à la naissance (jusqu’à 80 % des nouveau-nés), en utilisant des antiviraux en période périnatale (chez 80 % des mères positives pour l’antigène « e »), et en mettant en place un dépistage et un traitement pour 80 % des personnes éligibles. Ces interventions permettraient d’éviter 7,3 millions de décès d’ici 2030, dont 1,5 million dus au cancer. Dans ces conditions, un seuil d’élimination des nouvelles infections chroniques serait atteint d’ici 2090. Le coût annuel mondial de telles interventions atteindrait 7,5 milliards de dollars (6,8 milliards d’euros) mais il diminuerait rapidement. En Afrique subsaharienne, le nombre de personnes nécessitant un traitement contre l’infection par le HBV dans le cadre de cette stratégie est similaire au nombre de personnes nécessitant un traitement contre le VIH. En Asie, le nombre de personnes nécessitant un traitement contre le HBV dépasse de loin celui des personnes atteintes par le VIH, avec un ratio supérieur à dix dans certaines régions.

En Gambie, où la prévalence de l’AgHBs est de 8,8 % chez les plus de 30 ans, une étude démontre un rapport coût-efficacité positif du dépistage et du traitement de HBV, avec un rapport coût-efficacité différentiel (ICER) de 540 dollars par espérance de vie corrigée de l’incapacité (DALY), 645 dollars par année-vie et 511 dollars par année de vie pondérée par la qualité (QALY) gagnée [27]. Cette analyse économique se fonde sur le coût et l’efficacité des interventions afin de fournir un cadre de réflexion pour les politiques de santé publique. Il serait cependant possible d’améliorer encore ces coûts en intégrant la détection de l’HBV lors d’autres interventions de santé publique, comme c’est le cas pour le VIH par exemple.

Déterminants virologiques dans l’infection par le HBV
Une technique de quantification par qPCR (PCR [polymerase chain reaction] quantitative), peu onéreuse, a été transférée vers les centres de recherche et hospitaliers d’Afrique de l’Ouest [28]. Il a pu ainsi être confirmé que la majorité (86 %) des infections étaient liée au génotype E du virus et une minorité au génotype A (14 %). Un variant portant une délétion dans le gène preS2 du virus a également été retrouvé chez les patients à une fréquence importante, sa prévalence augmentant en fonction des scores de fibrose : de 24 % des porteurs chroniques à 38 % des patients cirrhotiques, elle atteint jusqu’à 55 % dans les cas de CHC (Figure 4)5. La forte prévalence des mutants HBV délétés dans cette région préS2 du génome viral pourrait aggraver la pathogenèse hépatique. Déjà décrits dans la littérature, ces variants de la protéine de surface sont connus pour s’accumuler dans le réticulum endoplasmique (RE) des hépatocytes [29]. Probablement du fait d’une mauvaise conformation et malgré une réplication maintenue, les protéines ainsi altérées ne permettent plus au virus de former des virions infectieux. À terme, la ségrégation dans le RE induit un stress du réticulum qui engendre des dommages directs à l’ADN.

Un autre élément décrit est l’inhibition de l’importine alpha 1, impliquée dans la translocation de NBS1 (Nijmegen breakage syndrome 1), un facteur de réparation de dommages à l’ADN [30]. L’absence de recrutement nucléaire de cette protéine l’empêche de jouer son rôle réparateur, augmentant ainsi le nombre de cassures double brins dans les cellules infectées.

Nouveaux marqueurs de diagnostic pour le CHC
Plusieurs groupes du programme PROLIFICA ont étudié les biomarqueurs génétiques, protéomiques et métabolomiques pour le diagnostic du CHC. Les modalités actuelles de diagnostic, comme l’IRM (imagerie par résonance nucléaire) ou le scanner avec injection de produit de contraste, ne sont pas disponibles dans la majorité des pays africains. Pour pallier ce manque, des métabolites urinaires ont été identifiés. Un panel de métabolites comprenant l’inosine, l’indole-3-acétate, le galactose et une forme N-acétylée d’acides aminés (NAA) s’est révélé d’une grande sensibilité (86,9 %) et spécificité (90,3 %) pour discriminer les CHC des cirrhoses, avec des performances meilleures que celles de la détection de l’alpha-fœtoprotéine (AFP) couramment utilisée [20]. Simple et peu coûteux, ce type de test sera utile pour le diagnostic de cancer dans les régions à faibles ressources [20, 31] avec la possibilité de diagnostiquer un cancer par une simple analyse d’urine au moyen d’une bandelette réactive. Il pourraient ainsi permettre d’identifier et de prendre en charge plus précocement les CHC en Afrique de l’Ouest [32-34].
Bénéfice global de l’étude PROLIFICA
La plateforme de PROLIFICA a permis un fort développement des compétences dans chacun des trois pays impliqués dans l’étude. Les infrastructures locales de santé ont ainsi pu bénéficier de nouvelles technologies, comme le Fibroscan® afin d’évaluer la fibrose hépatique (par élastographie), un système de spectroscopie de masse pour la recherche de biomarqueurs, en Gambie, ou un séquenceur, à l’hôpital le Dantec de Dakar. S’ajoute également le transfert de compétences pour renforcer les capacités de prise en charge du cancer du foie en Afrique de l’Ouest. L’étude a d’autre part permis de développer des scores simplifiés de fibrose [35] et un score simple (TREAT-B), fondé sur le niveau d’ALAT et le statut des patients pour l’antigène AgHBe, afin de sélectionner les patients pour un traitement antiviral [32]. Ceci est très utile dans un contexte où l’accès aux outils de diagnostic pour évaluer les patients qui remplissent les critères (biopsies, Fibroscan®, charges virales) demeure un obstacle pour la mise en place des traitements anti-HBV à grande échelle.

Les données fournies par l’étude PROLIFICA sont d’une importance cruciale pour établir des recommandations locales pour la gestion de l’infection par le HBV et du CHC (que ce soit pour le dépistage ou le traitement). La plateforme avait également pour but de former les personnels pour une gestion efficace et sécurisée des données et pour les pratiques éthiques de la recherche. Le personnel infirmier, médical et laborantin a ainsi pu bénéficier de cette formation.

En définitive, PROLIFICA a permis d’élaborer une quantification de la charge virale de l’HBV pour un faible coût [28]. La sensibilisation du grand public à l’infection par le HBV, aux modes de transmission mais aussi aux moyens de prévention, qui a été réalisée dans le cadre de la plateforme, a eu un impact positif sur la connaissance de la maladie par les patients.

Elle a également permis d’établir de solides bases pour de futures collaborations entre centres académiques, tout en offrant une meilleure compréhension de la prise en charge du HBV et du CHC en Afrique subsaharienne. Les projets de collaboration entre les institutions académiques en Afrique et le reste du monde représentent une extraordinaire opportunité pour le partage d’idées, d’expertises ou de nouvelles technologies. Ces collaborations permettent de plus d’interpeller les différents acteurs gouvernementaux et pharmaceutiques pour le traitement de l’hépatite B et la prévention du CHC dans cette région du monde.

Conclusion

L’accès au dépistage de l’infection par le HBV, l’évaluation clinique, pour déterminer l’éligibilité des patients aux traitements antiviraux, et son traitement, restent urgents en Afrique subsaharienne. Ces constats révèlent l’importance primordiale de la recherche sur le HBV au niveau mondial, en particulier pour les études prouvant que le dépistage et les traitements sont « coût-efficaces ». De nouveaux marqueurs et de nouvelles techniques ont émergé. Ils contribuent à une meilleure efficacité de la prise en charge des patients infectés par le HBV en Afrique subsaharienne. Le suivi à long terme des patients infectés par le virus en Gambie et au Sénégal devrait permettre d’améliorer les connaissances de cette infection qui reste négligée en Afrique de l’Ouest.

Site : http://www.prolifica.africa/

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Il s’agit d’une base de données de l’International Agency for Research on Cancer (IARC) donnant les estimations de cancers selon leur site.
2 Cancérogène pour l’homme.
3 Ultrason, élastographie transitoire (Fibroscan®, Echosens), biopsie du foie et tests sanguins.
4 Le Score Metavir est utilisé pour quantifier l’atteinte tissulaire du foie (fibrose : F0, absence d’atteinte à F4, cirrhose) et l’activité de l’hépatite (A0 à A4).
5 D. Cohen, projet ANRS « 12357 ».
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