Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 35(4): 385–387.
doi: 10.1051/medsci/2019064.

Couleur de la peau chez l’homme : de nouvelles surprises
Chroniques génomiques

Bertrand Jordan1,2*

1UMR 7268 ADÉS, Aix-Marseille, Université/EFS/CNRS; 
2CoReBio PACA, case 901, Parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 09, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Antigènes néoplasiques, Antiports, Évolution biologique, Études de cohortes, Fréquence d'allèle, Variation génétique, Étude d'association pangénomique, Génotype, Séquençage nucléotidique à haut débit, Humains, Amérique latine, Protéines membranaires, Protéines de transport membranaire, Polymorphisme de nucléotide simple, Relations raciales, Pigmentation de la peau, génétique, physiologie, ethnologie

 

inline-graphic msc190069-img1.jpg

Un caractère majeur, une étude délicate

La couleur de la peau est l’un des caractères qui différencient de la manière la plus évidente différents groupes humains, et elle sert souvent de base à une différenciation, parfois une discrimination, entre ces différents groupes. Les analyses d’association génétique à grande échelle (GWAS, genome-wide association studies) ont été largement employées depuis une dizaine d’années et ont identifié une vingtaine de gènes dont les plus importants, SLC24A5 (solute carrier family 24 member 5) et SLC45A2 (solute carrier family 45 member 2) interviennent dans la synthèse et le transport de la mélanine [1]. Ces gènes, présents sous forme d’un allèle peu actif dans les populations européennes, sont responsables de la majeure partie de la différence de pigmentation entre Européens et Africains. Mais la plupart des analyses, pratiquées sur des échantillons de populations européennes, restaient de ce fait limitées. Une première étape a été franchie avec une étude publiée fin 2017 [2] qui portait sur des populations africaines différant fortement au niveau de la pigmentation (entre l’Afrique du Sud et l’Éthiopie). Comme détaillé dans une Chronique parue début 2018 [3] (), cette étude apportait une surprise, le fait que la fréquence de l’allèle « clair » du gène SLC24A5 soit notable au sein de certains de ces groupes, alors qu’on aurait pu s’attendre à la présence exclusive de l’allèle « foncé », et une nouveauté, la mise en évidence du gène MSFD12 (major facilitator superfamily domain containing 12) comme déterminant majeur des différences de pigmentation entre ces différents groupes : une faible expression de ce gène augmente la quantité d’eumélanine (foncée) dans la peau et protège des rayons ultra-violets. Ces résultats soulignaient l’intérêt d’études pratiquées sur différents groupes de population pour arriver à une vision complète des déterminants génétiques de la pigmentation.

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 1, janvier 2018, page 93

Les Latino-Américains, une population mixte

L’article qui fait l’objet de cette chronique [4] poursuit dans cette voie en s’intéressant aux gènes de pigmentation dans un échantillon de population latino-américaine dans laquelle les ascendances européenne et amérindienne sont dominantes, avec une contribution plus faible d’ascendance africaine (voir plus bas). Plus précisément, la cohorte étudiée (cohorte CANDELA) comporte 6 357 personnes (originaires de Colombie, du Brésil, du Chili, du Mexique et du Pérou) ; les profils génétiques permettent d’établir les ascendances de chacune de ces personnes et de montrer que, en moyenne, l’échantillon présente 48 % d’ascendance européenne, 46 % d’ascendance amérindienne et 6 % d’ascendance africaine. Bien entendu, les proportions sont différentes pour chaque individu ; la Figure 1 montre les proportions d’ascendance pour l’ensemble des sujets de l’étude.

Les auteurs se sont efforcés de mettre au point des techniques quantitatives pour mesurer, pour chaque personne de la cohorte, la pigmentation de la peau (par réflectométrie), la couleur des cheveux et celle des yeux (teinte, saturation, brillance). Ils trouvent que ces différents phénotypes sont corrélés de manière significative, la corrélation la plus forte étant observée entre couleur des yeux et des cheveux (r = 0,50), elle est plus faible entre ces deux traits et la pigmentation de la peau (r = 0,30 et 0,31) mais reste significative. D’une manière générale et comme on pouvait s’y attendre, les pigmentations claires sont corrélées avec la proportion d’ascendance européenne, mais la corrélation n’est pas très forte (r variant de 0,31 à 0,39). Comme on le verra par la suite, l’ascendance amérindienne peut apporter un variant « clair » dont l’effet est important.

Études d’association : des variants connus… et des nouveaux

Venons-en maintenant aux études d’association génétique concernant la pigmentation de la peau au sein de la cohorte CANDELA. Cette étude a été menée de manière classique, en génotypant chaque personne pour 674 971 SNP (single nucleotide polymorphism) grâce à une puce microarray Illumina et en étendant, pour l’analyse d’association, ce jeu à plus de huit millions de SNP par imputation grâce aux déséquilibres de liaison [5], comme décrit dans une chronique récente [6] ().

(→) Voir la Synthèse de J.-P. Henry, m/s n° 1, janvier 2019, page 39

Cette analyse, menée d’une manière qui semble très rigoureuse du point de vue statistique, montre une association significative dans cet échantillon entre sept régions génomiques et la pigmentation de la peau. Sur ces sept régions, cinq avaient déjà été repérées dans les études menées sur des populations européennes ou asiatiques [1]. On retrouve dans cette catégorie, avec une validité statistique très élevée, les gènes SLC45A2 et SLC24A5 déjà mentionnés, indiquant donc que ceux-ci jouent un rôle important dans la pigmentation de la peau au sein du groupe étudié. Les nouveaux signaux d’association concernent les régions 10q26 et 19p13. Pour la première, le SNP index1, se trouve dans le site de liaison d’un facteur de transcription et pourrait influencer l’expression d’un gène voisin impliqué dans la production de mélanine, mais cela reste une hypothèse. De manière plus intéressante, le SNP index pour la deuxième région s’avère être situé dans le troisième exon du gène MFSD12, celui-là même dont un variant a été récemment impliqué dans la pigmentation très accentuée des Éthiopiens nilo-sahariens [2] suite aux premières études GWAS menées sur des populations africaines [3]. Mais le variant trouvé ici est associé à une pigmentation plus faible (une peau plus claire), contrairement à celui précédemment identifié chez les Africains [2]. On voit donc que l’étude par GWAS de populations non européennes aboutit à l’identification d’un gène dont un allèle est associé à la pigmentation très accentuée de certains Africains, tandis qu’un autre est impliqué dans la faible pigmentation des Amérindiens. Comme la population amérindienne provient d’une migration de populations asiatiques survenue il y a environ 15 000 ans via la région qui correspond aujourd’hui au détroit de Béring, il est probable que ce variant était déjà présent en Asie à cette époque [8] ().

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 10, octobre 2018, page 885

De fait, l’analyse de la région du gène MFSD12 dans les populations de référence du 1000 Genomes Project [7] montre des signaux forts de sélection2, dans cette région, et une évaluation de la date d’apparition de l’allèle « clair » la situe entre 5 000 et 34 000 années dans le passé – une fourchette très large mais compatible avec son apparition après la séparation entre Européens et Asiatiques et avant le peuplement des Amériques. En fait, une analyse sur 64 populations de référence (en principe « pures ») montre que cet allèle est fréquent en Asie ainsi qu’en Amérique centrale et du Sud, et pratiquement absent ailleurs (Figure 2). Rappelons que l’allèle « foncé » du même gène est, lui, présent uniquement dans certaines populations africaines [3].

Peau claire : un exemple d’évolution convergente

Cette étude sur une population latino-américaine met ainsi en évidence le rôle d’un gène, MFSD12, dont un allèle « clair » est présent chez les Asiatiques et contribue à la faible pigmentation de leur épiderme. Comme le montre la Figure 2, la fréquence de cet allèle en Asie augmente nettement avec la latitude, ce qui, avec les signaux de sélection décelables à l’analyse, suggère fortement qu’il s’agit d’une adaptation aux faibles éclairements, apparue de manière indépendante (mais convergente) chez les Asiatiques, alors que chez les Européens le même phénotype est lié à d’autres gènes, en particulier SLC45A2. On note par contre, toujours sur la Figure 2, que la fréquence de l’allèle « clair » de MSFD12 ne semble pas corrélée avec la latitude chez les populations amérindiennes3,. Et, de fait, ces populations ne présentent pas une variation nette de la pigmentation selon la latitude [4] : cela correspond sans doute au fait qu’elles se sont réparties le long des Amériques à une époque relativement récente (de -15 000 à -10 000 ans) ce qui n’a pas laissé suffisamment de temps pour qu’agisse la sélection liée à la pigmentation de la peau.

En tous cas, cette étude, comme celle précédemment pratiquée sur des populations africaines [2, 3], montre tout l’intérêt que présente l’analyse de populations non européennes, aboutissant à la mise en évidence de nouveaux variants qui influencent la pigmentation de la peau et révélant des phénomènes d’évolution convergente qui affinent notre compréhension de l’histoire de nos ancêtres après leur migration hors d’Afrique il y a 60 ou 70 mille ans.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 C’est-à-dire le SNP présentant la plus forte association avec le caractère étudié.
2 Un excès de mutations silencieuses par rapport à celles qui sont susceptibles d’inactiver les gènes.
3 Rappelons que la Figure 2 résume les analyses de populations de référence, donc Amérindiennes pour ce qui est des Amériques.
References
1.
Han J, Kraft P, Nan H, et al. A genome-wide association study identifies novel alleles associated with hair color and skin pigmentation . PLoS Genet. 2008; ; 4 : :e1000074..
2.
Crawford NG, Kelly DE, Hansen MEB, et al. Loci associated with skin pigmentation identified in African populations . Science. 2017;; 358 : eaan8433..
3.
Jordan B.. Une question de pigmentation. Med Sci (Paris). 2018; ; 34 : :93.–96.
4.
Adhikari K, Mendoza-Revilla J, Sohail A, et al. A GWAS in Latin Americans highlights the convergent evolution of lighter skin pigmentation in Eurasia . Nat Commun. 2019; ; 10 : :358..
5.
Bycroft C, Freeman C, Petkova D, et al. The UK biobank resource with deep phenotyping and genomic data . Nature. 2018; ; 562 : :203.–209.
6.
Jordan B.. Balayage du génome et repérage des personnes à risque : des GWAS aux GPS . Med Sci (Paris). 2018; ; 34 : :885.–888.
7.
Genomes Project Consortium. , Auton A, Brooks LD, et al. A global reference for human genetic variation . Nature. 2015; ; 526 : :68.–74.
8.
Henry JP. Génétique et origine d’Homo sapiens . Med Sci (Paris). 2019; ; 35 : :39.–45.