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Med Sci (Paris). 35(4): 302–304.
doi: 10.1051/medsci/2019062.

Moteurs moléculaires et microtubules : relation libre, imposée ou sélective ?

Adeline Mallet1,2,3** and Philippe Bastin2*

1Unité de technologie et de service UBI (Ultrastructural BioImaging), Institut Pasteur, 25, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
2Unité de biologie cellulaire des trypanosomes, Institut Pasteur, Inserm U1201, 25, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
3Sorbonne université, École doctorale complexité du vivant, ED 515, 7, quai Saint-Bernard, case 32, 75252Paris Cedex 05, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Flagelles, Humains, Kinésine, Microtubules, Modèles biologiques, Moteurs moléculaires, Trypanosoma brucei brucei, métabolisme, physiologie

 

La cellule eucaryote est compartimentée et composée d’organites tels que le noyau, le réticulum endoplasmique ou encore les mitochondries. Des échanges moléculaires entre ces divers compartiments sont indispensables pour assurer le bon fonctionnement cellulaire. Comprendre comment fonctionnent ces échanges est un thème central de la biologie cellulaire. Les modes de communication à l’intérieur de la cellule sont nombreux et dépendent du type et de la fonction de la cellule concernée. Les cellules eucaryotes présentent plusieurs voies d’échanges intracellulaires, comme les réseaux d’actine et de tubuline qui servent de rails sur lesquels des moteurs moléculaires transportent des complexes protéiques ou des vésicules.

Les microtubules : des voies de transport pour les moteurs moléculaires

Dans cette Nouvelle, nous discuterons des interactions entre les moteurs moléculaires et les microtubules. Les microtubules sont formés de dimères de tubulines α et β qui sont assemblés en protofilaments [1] ().

(→) Voir la Synthèse de K. Sadoul et al., m/s n° 12, décembre 2018, page 1047

L’extrémité (+) des microtubules est très dynamique tandis que l’extrémité (-) est plus stable. Dans la cellule, les déplacements polarisés se produisent le long des microtubules grâce à l’action de moteurs moléculaires spécifiques qui permettent d’acheminer divers composants moléculaires vers la périphérie ou le centre de la cellule. Une première famille de moteurs a été découverte en 1965 par Ian Gibbons, qui a nommé dynéines des protéines capables de se déplacer de l’extrémité (+) à l’extrémité (-) des microtubules en présence d’ATP. À l’inverse, les kinésines correspondent à une autre famille de protéines motrices, mise en évidence par Ronald Vale, et qui entraînent leur cargaison du (-) vers le (+) des microtubules.

Le transport intraflagellaire

La majorité des cellules eucaryotes présentent des extensions nommées cils ou flagelles (termes interchangeables). Dans les cils, les microtubules forment une structure cylindrique appelée axonème qui dérive d’un centre organisateur de microtubules, le corps basal. L’axonème est composé de neuf doublets de microtubules entourés d’une membrane. Entre les deux, la zone de transition filtre les échanges entre le corps cellulaire et le compartiment ciliaire (Figure 1A). Au cours de son élongation, l’incorporation de protéines a lieu à l’extrémité distale de l’organite. Le cil est dépourvu de ribosomes, impliquant que le site d’assemblage s’éloigne du site de synthèse lors de la construction. Ceci est compensé par le transport intraflagellaire (IFT, intraflagellar transport) qui permet l’acheminement des protéines de la base au bout distal du flagelle [2, 3]. L’IFT est le mouvement de complexes protéiques (ou trains) entre la membrane flagellaire et les doublets de microtubules. Ces trains sont déplacés par le complexe kinésine II de la base vers l’extrémité distale du flagelle (transport antérograde) et dans le sens inverse par la dynéine cytoplasmique de type 2 (transport rétrograde) [4] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Fort et P. Bastin, m/s n° 11, novembre 2014, page 955

L’IFT est visualisé par microscopie à contraste interférentiel, comme des particules se déplaçant le long des cils. Par microscopie corrélative1,, un lien a été fait avec les structures denses aux électrons situées entre l’axonème et la membrane flagellaire observées en microscopie électronique en transmission [2]. La longueur de ces trains IFT avoisine les 250 nm, et ils se déplacent dans le sens antérograde à une vitesse de 0,5-3 µm/s et dans le sens rétrograde à 1-5 µm/s avec une fréquence de 1 à 3 trains par seconde. L’IFT est essentiel pour l’élongation et la maintenance des cils.

Le déplacement des trains IFT le long des microtubules soulève de nombreuses questions et en premier lieu, celle de savoir si ces trains IFT sont véhiculés de façon similaire sur les 9 doublets de microtubules. Trypanosoma brucei est un modèle de choix pour répondre à cette question. Ce protiste possède un flagelle composé d’un axonème de 9 doublets de microtubules (comme chez l’homme) et les trains IFT peuvent être détectés aussi bien en microscopie électronique qu’en utilisant des cellules vivantes [5]. Pour étudier le positionnement des trains IFT, une méthode de microscopie électronique en 3-D a été utilisée : le FIB-SEM2 (focused ion beam – scanning electron microscopy) qui permet d’analyser des échantillons en trois dimensions à l’échelle nanométrique après inclusion en résine [6]. La reconstruction des trains IFT sur les axonèmes des trypanosomes a révélé que seulement deux voies étaient utilisées : les doublets 3/4 et 7/8. La microscopie photonique à haute résolution a révélé que ces deux voies étaient utilisées comme des rails bidirectionnels, c’est-à-dire que les trains s’y déplacent dans les sens antérograde et rétrograde [6].

Comment expliquer un tel déterminisme moléculaire et cellulaire avec des trains IFT se déplaçant sur seulement 4 des 9 voies en théorie disponibles ? Plusieurs hypothèses peuvent être proposées. La composition moléculaire des microtubules de ces doublets pourrait être différente. Les tubulines sont sujettes à un grand nombre de modifications post-traductionnelles qui ont été assimilées à un « code » tubuline [1, 7]. La polyglutamylation a lieu sur la queue C-terminale des tubulines qui se trouvent à la surface des microtubules. Cette modification a un impact sur la vélocité et l’activité des moteurs moléculaires [8]. Si un niveau de glutamylation différent était associé aux doublets 3/4-7/8, il pourrait conférer une meilleure affinité pour les moteurs IFT et impliquer une relation sélective avec ces microtubules (Figure 2A). Un autre cas de figure reposerait sur une relation imposée que l’on pourrait comparer à un aiguillage (Figure 2B). Les trains se forment à la base du cil dans une région appelée zone de transition. Si les trains étaient assemblés seulement sur certains doublets dans la zone de transition, leur positionnement serait imposé à ces microtubules. Cette dernière hypothèse est soutenue par la diversité structurale observée dans la zone de transition [9].

Chez Chlamydomonas, un organisme flagellé également étudié pour comprendre l’IFT [1, 2], la microscopie corrélative a permis de démontrer qu’au moins 7 des 9 doublets de microtubules sont utilisés par les trains IFT, suggérant une relation libre entre moteurs et microtubules (Figure 1C) [10]. Les deux seuls modèles étudiés à ce jour présentent donc un positionnement différent des trains IFT et donc une relation différente entre moteurs moléculaires et microtubules. Ces résultats posent plusieurs questions : (1) Quels sont les mécanismes responsables de cette diversité ? (2) Quel est l’avantage de limiter ou non l’IFT à certains doublets ? (3) Quelle est la situation dans d’autres cellules ciliées ? Pour y répondre, des études approfondies seront nécessaires avec des approches permettant de détecter les trains IFT par microscopie électronique dans d’autres types cellulaires. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 La microscopie corrélative combine différentes modalités d’imagerie, comme la microscopie photonique et la microscopie électronique.
2 La sonde ionique focalisée, ou FIB (focused ion beam), utilise un faisceau d’ions focalisés, généralement du gallium, quand un microscope électronique à balayage classique (scanning electron microscopy) utilise un faisceau d’électrons focalisés.
References
1.
Sadoul K, Joubert C, Michallet S, et al. Déchiffrage du code tubuline - Le voile se lève sur le rôle de l’acétylation et de la détyrosination . Med Sci (Paris). 2018; ; 34 : :1047.–1055.
2.
Kozminski KG, Johnson KA, Forscher P, Rosenbaum JL. A motility in the eukaryotic flagellum unrelated to flagellar beating . Proc Natl Acad Sci USA. 1993; ; 90 : :5519.–5523.
3.
Craft JM, Harris JA, Hyman S, et al. Tubulin transport by IFT is upregulated during ciliary growth by a cilium-autonomous mechanism . J Cell Biol. 2015; ; 208 : :223.–237.
4.
Fort C, Bastin P. Élongation de l’axonème et dynamique du transport intraflagellaire . Med Sci (Paris). 2014; ; 30 : :955.–961.
5.
Absalon S, Blisnick T, Kohl L, et al. Intraflagellar transport and functional analysis of genes required for flagellum formation in trypanosomes . Mol Biol Cell. 2008; ; 19 : :929.–944.
6.
Bertiaux E, Mallet A, Fort C, et al. Bidirectional intraflagellar transport is restricted to two sets of microtubule doublets in the trypanosome flagellum . J Cell Biol. 2018; ; 17 : :4284.–4297.
7.
Magiera MM, Singh P, Gadadhar S, Janke C. Tubulin posttranslational modifications and emerging links to human disease . Cell. 2018; ; 173 : :1323.–1327.
8.
Sirajuddin M, Rice LM, Vale RD. Regulation of microtubule motors by tubulin isotypes and post-translational modifications . Nat Cell Biol. 2014; ; 16 : :335.–344.
9.
Trépout S, Tassin AM, Marco S, Bastin P. STEM tomography analysis of the trypanosome transition zone . J Struct Biol. 2018; ; 202 : :51.–60.
10.
Stepanek L, Pigino G. Microtubule doublets are double-track railways for intraflagellar transport trains . Science. 2016; ; 352 : :721.–724.