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Med Sci (Paris). 35(3): 209–212.
doi: 10.1051/medsci/2019044.

Visualisation en temps réel de l’infection de la muqueuse génitale par le VIH

Fernando Real1,2,3 and Morgane Bomsel1,2,3*

1Laboratoire Entrée Muqueuse du VIH et Immunité Muqueuse, Département Infection Immunité et Inflammation, Institut Cochin, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, 22, rue Méchain, 75014Paris, France
2CNRS UMR8104, 75014Paris, France
3Inserm U1016, Institut Cochin, 22, rue Méchain, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Cellules cultivées, Systèmes informatiques, Imagerie diagnostique, Réservoirs de maladies, Femelle, Système génital, Infections à VIH, VIH-1 (Virus de l'Immunodéficience Humaine de type 1), Humains, Mâle, Modèles biologiques, Muqueuse, Uretère, Urètre, méthodes, virologie, - traduction non trouvée, anatomopathologie, diagnostic

Les muqueuses génitales, principale porte d’entrée du VIH-1

Le Sida (syndrome d’immunodéficience acquise) est une maladie sexuellement transmissible. Son vecteur, le virus de l’immunodéficience humain (VIH-1), est majoritairement transmis lors de rapports sexuels non protégés. Le virus est en effet présent dans les sécrétions génitales infectées. Il traverse les barrières épithéliales de la muqueuse génitale pour infecter des cellules immunitaires qui constitueront des réservoirs cellulaires pour le virus. Nos études précédentes ont suggéré que l’entrée du VIH dans l’organisme au niveau des muqueuses se fait efficacement par contact entre les cellules infectées présentes dans les sécrétions génitales infectieuses et les cellules épithéliales recouvrant les muqueuses génitales. Le virus libre, quant à lui, ne pénètre pas sauf s’il est présent en quantités bien supérieures à celles détectées dans les secrétions génitales infectieuses [1-3]. Cependant, la séquence des évènements permettant l’entrée du virus dans la muqueuse, puis l’infection des cellules immunitaires insérées dans cette muqueuse, reste mal comprise. D’autres voies d’entrée du virus au travers des muqueuses ont par ailleurs été proposées.

Muqueuse immuno-compétente reconstruite in vitro pour l’observation des premières étapes de la pénétration de la muqueuse par le VIH-1

Afin d’étudier ce processus, nous avons développé un modèle original in vitro permettant de suivre en temps réel par vidéomicroscopie multidimensionnelle en temps réel l’infection du VIH au niveau d’une muqueuse [4]. Nous avons ainsi reconstruit in vitro des tissus humains muqueux d’urètre pénien immuno-compétents et polarisés, constitués d’un épithélium cultivé sur un stroma. Celui-ci est composé de fibroblastes (tissu de soutien des cellules épithéliales) dans lequel sont insérés des macrophages, les cellules immunitaires qui caractérisent ce tissu et qui sont les premières cellules infectées par le virus à ce niveau [3]. Cette muqueuse est cultivée pendant plusieurs semaines sur un support perméable dans un système de deux chambres permettant la polarisation du tissu en reconstruction. De plus, cette méthode de culture facilite un accès sélectif à la surface de la muqueuse de l’épithélium reconstruit et permet l’inoculation directe du virus, comme in vivo, sans contact avec le stroma.

Pour suivre la pénétration virale dans la muqueuse, nous avons utilisé, comme source infectieuse, une lignée de cellules lymphocytaire T CD4+ infectées par un virus VIH-1 (gag-iGFP HIV-1) exprimant la protéine fluorescente verte (GFP) insérée au niveau de sa protéine de capside gag. En conséquence, les cellules infectées sont fluorescentes et sont aussi capables de produire des virus également fluorescents. Il est ainsi possible de visualiser les cellules infectées, mais aussi d’observer le mouvement des protéines virales de capside gag accompagnant la formation des virus prêts à bourgeonner au niveau de la membrane de la cellule infectée. D’autre part, il est possible de suivre les virus nouvellement produits qui apparaissent comme des points fluorescents.

Le virus pénètre dans l’épithelium et le traverse par transcytose suite à la formation d’une synapse virologique

En observant le processus infectieux par microscopie confocale multidimensionnelle avec ce modèle expérimental, nous avons pu suivre pour la première fois en temps réel, à l’échelle de temps de la minute, les premières étapes de l’entrée du virus dans une muqueuse génitale. Nous avons pu montrer que les cellules lymphocytaires infectées par le VIH interagissaient spécifiquement avec la surface muqueuse de l’épithélium via la protéine d’enveloppe virale qu’elles expriment à leur surface. En effet, des lymphocytes T CD4+ infectieux dépourvus de cette protéine d’enveloppe (DEnv) ne s‘attachent plus à l’épithélium. Ce contact entre les lymphocytes T CD4+ infectés et l’épithélium s’établit dans les premières 30 minutes après l’inoculation (Figure 1A). Il est suivi du recrutement des protéines de capside (que nous avons pu suivre) vers cette zone de contact, ainsi que, probablement, des protéines d’enveloppe, présentes dans la membrane plasmique des lymphocytes (Figure 1A). Ce recrutement prépare le bourgeonnement de nouveaux virus conduisant à l’apparition de nouvelles particules virales dont nous observons la libération à partir de la membrane du lymphocyte T CD4+ (Figure 1AB). Une synapse virologique entre cellule infectée et cellule épithéliale est ainsi formée [5]. Ce type de contact infectieux est utilisé par d’autres virus comme le virus humain lymphotropique –1 (HTLV-1) par exemple ().

(→)Voir la Synthèse de G. Rizkallah et al., m/s n° 6-7, juin-juillet 2015, page 629

À notre surprise, le virus VIH-1 bourgeonne pour être relargué de manière latérale, à la surface de l’épithélium (Figure 1B), mais pas dans l’espace synaptique qui s’établit entre cellule infectée et cellule épithéliale, comme le suggérait des études morphologiques réalisées sur des cellules fixées. Cependant, ces virus nouvellement produits sont ensuite internalisés par les cellules épithéliales et transportés vers le pôle basal de l’épithélium par transcytose, puis libérés dans le stroma.

Le virus transcytosé infecte les macrophages tissulaires qui deviennent des réservoirs viraux

En parallèle à la formation de la synapse virologique et à la transcytose des virus nouvellement formés, les macrophages du stroma commencent également à se mouvoir en réponse à des signaux qui restent cependant à caractériser [6] ().

(→) Voir la Nouvelle de C. Vérollet et al. m/s n° 8-9, août-septembre 2015, page 730

À leur sortie de la cellule épithéliale, les virus transcytosés seront internalisés par ces macrophages qui seront alors infectés (Figure 1C). Ainsi, 15 jours après l’infection dans le tissu reconstruit, les macrophages ont les caractéristiques d’un réservoir viral : ils contiennent le virus sous la forme d’ADN proviral qui est intégré, comme nous l’avons montré par hybridation in situ [5], mais aussi sous forme de virions qui sont localisés dans un compartiment spécifique, appelé VCC (pour virus-containing compartment) (Figure 1D). De plus, leur activation via la stimulation du récepteur de l’immunité innée TLR-4 (Toll-like receptor-4) réinitie la production de virus. Ces réservoirs viraux établis in vitro au niveau des macrophages correspondent à ceux que nous avons très récemment caractérisés ex vivo sur des tissus de patients infectés par le VIH sous traitement antiviral efficace [7]. Ce sont ces réservoirs que l’on ne parvient pas à éliminer et qui empêchent l’éradication du virus in vivo chez les patients séropositifs sous traitement anti-rétroviral (combinaison de traitement antiviraux, cART) et avirémiques [7].

Ainsi, l’ensemble de ces résultats fondés sur des observations réalisées en temps réel, nous a permis, comme schématisé dans la Figure 2, de faire pour la première fois la démonstration que l’infection des macrophages par le VIH peut avoir pour origine la formation de synapses virologiques entre des lymphocytes T CD4+ infectés et la surface des cellules épithéliales de la muqueuse. Le transport transcellulaire (transcytose) du virus à travers l’épithélium conduit in fine à l’infection et à l’établissement de réservoir viraux dans les macrophages tissulaires du stroma. Ces observations sur les mécanismes d’entrée muqueuse du virus menant à l’établissement de réservoirs viraux, obtenues in vitro, nécessitent désormais d’être confirmées en utilisant des modèles physiologiques intégrés, en présence de sécrétions génitales, ou in vivo.

Conclusion et perspectives

Le modèle de reconstruction de muqueuses in vitro que nous avons développé, ainsi que la technique de visualisation utilisée, ont été déterminants pour observer en temps réel la séquence d’évènements aboutissant à l’infection des cellules immunitaires cibles du VIH dans un tissu. Ce modèle pourra être étendu à l’étude d’autres infections pour comprendre les premières étapes de l’invasion d’une muqueuse par d‘autres pathogènes, virus ou bactéries (à la condition qu’ils puissent être également rendus fluorescents). Cette technique de visualisation dynamique que nous avons mise au point pourrait constituer un outil de choix pour évaluer l’efficacité de vaccins ou de médicaments qui bloqueraient la formation des synapses virologiques ou l’accès du virus aux réservoirs cellulaires, voire à leur réactivation.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Matériel supplémentaire
References
1.
Anderson DJ. Modeling mucosal cell-associated HIV type 1 transmission in vitro . J Infect Dis. 2014; ; 210 : :S648.–S653.
2.
Bomsel M.. Transcytosis of infectious human immunodeficiency virus across a tight human epithelial cell line barrier . Nat Med. 1997; ; 3 : :42.–47.
3.
Ganor Y, Zhou Z, Bodo J, et al. The adult penile urethra is a novel entry site for HIV-1 that preferentially targets resident urethral macrophages . Mucosal Immunol. 2013; ; 6 : :776.–786.
4.
Real F, Sennepin A, Ganor Y, et al. Live imaging of HIV-1 transfer across T cell virological synapse to epithelial cells that promotes stromal macrophage infection . Cell Rep. 2018; ; 23 : :1794.–1805.
5.
Rizkallah G, Mahieux R, Dutartre H. Transmission intercellulaire de HTLV-1: des mécanismes loin d’être complètement élucidés . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :629.–637.
6.
Vérollet C, Souriant S, Raynaud-Messina B, et al. Le VIH-1 pilote la migration des macrophages . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :730.–733.
7.
Ganor Y, Real F, Sennepin A, et al. HIV-1 reservoirs in urethral macrophages of patients under suppressive antiretroviral therapy . Nat Microbiol. 2019 ; doi 10.1038/s41564-018-0335-z