2008


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Cet ouvrage présente les travaux du groupe d’experts réuni par l’Inserm dans le cadre de la procédure d’expertise collective (annexe 1), pour répondre à la demande de la Direction générale de la santé sur la problématique de santé publique associée aux jeux de hasard et d’argent. Ce travail s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du premier trimestre 2008. Près de 1 250 articles ont constitué la base documentaire de cette expertise.
Le Centre d’expertise collective de l’Inserm a assuré la coordination de cette expertise collective.

Groupe d’experts et auteurs

Jean adès, Service de psychiatrie, Hôpital Louis Mourier, Colombes

Elisabeth belmas, Histoire moderne, Université Paris XIII, Maison des sciences de l’Homme, Paris-Nord

Jean-Michel costes, Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis

Sylvie craipeau, Sociologie, Institut national des télécommunications, Évry

Christophe lançon, Service de psychiatrie adulte, CHU Sainte-Marguerite, Marseille

Michel le moal, Neurogenèse et physiopathologie, unité Inserm 862, Neurocentre Magendie, Bordeaux

Jean-Pierre martignoni, Groupe de recherche sur la socialisation, Faculté d’anthropologie et de sociologie, Université Lumière-Lyon 2, Bron

Sophie massin, Économie de la santé publique, Université du Panthéon-Sorbonne (Paris I), Paris

Jean-Pol tassin, Collège de France, Génétique moléculaire, neurophysiologie et comportement, unité Inserm UMR 7148, Paris

Marc valleur, Psychiatrie, Hôpital Marmottan, Centre de soins et d’accompagnement des pratiques addictives, Paris

Martial van der linden, Unité de psychopathologie et neuropsychologie cognitive, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève, Genève, Suisse

Jean-Luc venisse, Centre de référence sur le jeu excessif, Pôle universitaire d’addictologie et psychiatrie, CHU Nantes, Nantes

A rédigé une note de lecture

Michel lejoyeux, Unité fonctionnelle de psychiatrie d’urgences adultes, tabacologie, alcoologie, Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris

Ont présenté une communication

Christian bucher, Psychiatre des Hôpitaux, CH de Jury, Metz

Colas duflo, Philosophie, Université de Picardie Jules Verne, Amiens

Alain ehrenberg, Centre de recherche psychotropes, santé mentale, société (CESAMES), UMR 8136 CNRS, unité Inserm 611, Université René Descartes-Paris 5, Paris

Robert ladouceur, École de psychologie, Université Laval, Québec, Canada

Etienne marique, Président de la commission des jeux de hasard, Bruxelles, Belgique

Gilles pagès, Laboratoire de probabilités et modèles aléatoires, UMR-CNRS 7599, Université Pierre et Marie Curie, Paris

Olivier simon, Centre du jeu excessif, Section d’addictologie, Service de psychiatrie communautaire, Département de psychiatrie du CHUV, Lausanne

Serge tisseron, Laboratoire de psychopathologie des atteintes somatiques et identitaires, Université Paris X, Nanterre

Coordination scientifique, éditoriale, bibliographique et logistique

Elisabeth alimi, chargée d’expertise, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Fabienne bonnin, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Catherine chenu, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Jeanne étiemble, directrice, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Cécile gomis, secrétaire, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Anne-Laure pellier, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Chantal rondet-grellier, documentaliste, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris


Note de lecture

Étape après étape, la question du jeu d’argent dans ses formes pathologiques intègre la médecine la plus scientifique. L’existence de relation d’emprise entre un individu et son besoin de jouer est de mieux en mieux reconnue. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie a depuis peu fait figurer la question du jeu pathologique dans ses préoccupations. Le fait qu’une expertise collective de l’Inserm s’ouvre aussi à cette question valide encore davantage l’importance des conduites de jeu dans la clinique médicale mais aussi la recherche. L’expertise collective « Jeux de hasard et d’argent » ne manquera pas de représenter une date marquante dans la description et la compréhension du phénomène du jeu en France. Elle a su concilier ce qui apparaissait difficile à réunir dans une même dynamique de travail : les approches sociologiques, psychologiques et médicales. Le sous-titre est explicite. Cette expertise concerne tout d’abord le contexte du jeu ; c’est-à-dire le jeu social, le jeu culturel, le jeu libre de toute la légèreté et du ludisme des activités échappant à la contrainte. Parallèlement, elle décrit les signes cliniques d’une nouvelle toxicomanie. Elle en propose des explications psychopathologiques. Elle dessine des possibilités de traitement faisant appel au travail cognitif sur les croyances, les pensées automatiques. Elle suggère l’indication des traitements médicamenteux faisant tomber la fièvre du jeu.
Bien que le jeu se nourrisse du hasard, ce document ne doit pas être feuilleté de manière aléatoire ! Il réalise une synthèse dont aucun des éléments ne saurait être négligé. Cette leçon scientifique sur le jeu est aussi une leçon de méthode pour des chercheurs tentant de rendre compte d’un phénomène tout à la fois collectif et individuel, psychologique et biologique, social et parfois médical. La seule attitude scientifiquement défendable est celle de la pluralité des points de vue. Les historiens, les sociologues et les psychanalystes ont trouvé ici un espace dans lequel ils sont invités à travailler ensemble. Les articles épidémiologiques réalisent une synthèse jusqu’à maintenant inédite en France. Ils présentent les chiffres de l’économie du jeu. Ils soulignent aussi un nouveau jeu auquel sont particulièrement exposés les adolescents : le jeu en ligne et les offres de jeu sur Internet. Quand les références françaises manquent, l’apport québécois est considérable. Il l’est dans la conceptualisation du gambling. Les réflexions des équipes canadiennes sur l’évaluation du jeu, sur le jeu responsable et la prévention du jeu pathologique sont exposées en détail.
À ceux qui pourraient encore douter du risque addictif inhérent à la pratique des jeux d’argent, l’expertise collective apporte une réponse peu discutable. Il est à espérer que ce travail connaîtra un double développement, dans le champ de l’évaluation et de la recherche bien sûr, et aussi du soin. Il est à souhaiter que des observatoires authentiquement épidémiologiques du jeu se mettent en place et que ceux-ci puissent rendre disponibles, en temps réel idéalement, la fréquence du jeu normal, du jeu pathologique et l’identification des profils des personnes à risque. L’autre développement possible et souhaitable de cette expertise Inserm est une structuration et une rationalisation du soin offert aux joueurs. Des techniques psychothérapiques, des approches standardisées existent. Elles gagneront à être généralisées et évaluées. Le chemin a été long de l’ivrognerie et du mythe du bon vivant à la reconnaissance de l’alcoolo-dépendance. Une démarche comparable s’engage autour du jeu. Elle ne prône ni l’ascétisme ni la prohibition, mais la reconnaissance et le traitement des formes les plus pathologiques de jeu d’argent.
Enfin, il n’est pas impossible que cette « nouvelle » addiction aide à la compréhension de l’ensemble du phénomène addictif. L’addiction comportementale est, en effet, un phénomène de dépendance particulièrement pur. Il n’est pas « pollué » par les effets d’un toxique sur la personnalité, sur le fonctionnement cognitif, sur l’état psychologique. Les travaux de recherche sur l’addiction au jeu, maintenant que cette dépendance est reconnue comme telle, portent bien sur le cœur de l’addiction. Ils éclairent l’ensemble du spectre addictif, de manière multidisciplinaire dans ses aspects sociaux, psychologiques, cliniques et biologiques. C’est en parcourant les limites du champ de l’addiction et les domaines de connaissance les plus variés que l’on comprendra cette étrange maladie qui fait passer du plaisir à la contrainte, du jeu léger à la dépendance.

Michel Lejoyeux

Professeur de psychiatrie et d’addictologie
UFR de Médecine Paris VII
Chef de Service de Psychiatrie et d’Addictologie
Hôpital Bichat-Claude Bernard


Avant-propos

L’industrie du jeu de hasard et d’argent constitue un secteur économique et financier important qui draine de l’emploi (direct et indirect), de la fiscalité et concerne une population de joueurs qui se chiffre en millions de personnes. D’après l’Insee, en 2006, près de 30 millions de personnes en France, soit trois sur cinq en âge de jouer, ont tenté leur chance au moins une fois par an à un jeu d’argent. Depuis 1975, le montant global des enjeux a doublé. D’après le rapport Trucy, le chiffre d’affaires de l’industrie des jeux autorisés est passé de l’équivalent de 98 millions d’euros en 1960 à 37 milliards en 2006.
Les jeux de hasard et d’argent sont des pratiques sociales et culturelles inscrites dans une histoire très ancienne des loisirs. Aujourd’hui, ils tiennent une place importante dans la vie quotidienne, le temps libre ou festif. Alors que pour un grand nombre de personnes, ces jeux constituent une activité récréative, leur pratique peut être préjudiciable pour certains individus avec des conséquences au niveau individuel, familial et socio-professionnel. Chez certains joueurs, le jeu peut atteindre la dimension d’une conduite addictive.
Les méfaits possibles du jeu attirent de plus en plus l’attention des pouvoirs publics et des opérateurs de jeu eux-mêmes. La nécessité d’apporter aide, soutien et soin aux personnes en difficulté avec le jeu a motivé la demande faite à l’Inserm par la Direction générale de la santé, d’une expertise collective.
Afin de répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts en histoire, sociologie, économie de la santé, épidémiologie, psychologie, neurobiologie, psychiatrie et addictologie. Ce groupe a structuré sa réflexion sur les jeux de hasard et d’argent ainsi que sur les jeux vidéo et Internet  autour de plusieurs approches : historique et sociologique, psychologique et neurophysiologique, clinique et enfin une approche de santé publique. La manière d’appréhender les problèmes de jeu dans quelques pays a constitué un autre axe de réflexion.
Au cours de dix séances de travail, le groupe d’experts a analysé environ 1 250 articles rassemblant les données disponibles au plan national, européen et international sur le jeu, son contexte, les comportements ludiques et l’addiction. Il a conservé dans l’expertise les termes de jeu problématique et jeu pathologique1 tels qu’ils sont utilisés dans la plupart des études pour désigner des pratiques de jeu à problèmes.
Le groupe d’experts a consulté plusieurs rapports et auditionné 8 personnalités engagées sur ces problématiques. À l’issue de l’analyse critique de la littérature, il a élaboré une synthèse et proposé quelques recommandations d’action et de recherche.

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