I. Définitions, épidémiologie et troubles associés
2019
| ANALYSE |
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Motricité et langage
décrit le premier cas d’apraxie chez l’adulte et lui donne le nom d’asymbolie motrice. Il constate qu’il est plus souvent rapporté des apraxies en cas de lésion hémisphérique gauche qu’en cas de lésion hémisphérique droite. Il en déduit qu’il existe, comme cela a été montré par Broca (1865)
pour le langage, une possible spécialisation hémisphérique gauche pour la fonction praxique. Il pourrait donc exister, au sein de l’hémisphère gauche, une zone commune au geste et au langage, représentée par l’aire de Broca. L’aire de Broca (Habib, 2014
) serait ainsi impliquée dans la production et la compréhension du langage et dans la reconnaissance et la production de l’action. Sur le plan développemental, certaines théories suggèrent que le langage se serait développé à partir de gestes. En neuropsychologie cognitive, certains modèles des praxies gestuelles tels que celui de Rothi (1997)
sont élaborés en analogie avec les modèles du langage. Et Dewaele et coll. (2015)
montrent qu’il existe une relation entre TDC et dyslexie chez des enfants avec troubles d’apprentissage. Par ailleurs, la présence de troubles de la motricité dans les troubles neuro-développementaux (à l’époque ces troubles étaient désignés sous le terme de Minimal Brain Dysfunction ou Dysfonctionnement cérébral minime) avaient été décrits par Pretchl et Stemmer (1962)
, Touwen et Pretchl (1970)
et Touwen (1973
, 1985
). Selon ces auteurs, la présence de ces signes témoignerait d’anomalies ou de lésions cérébrales minimes, c’est-à-dire non détectables à l’aide de l’imagerie cérébrale et ne pouvant faire l’objet d’un syndrome neurologique avéré. En revanche, la présence de ces signes, selon leur intensité et leur localisation, pourrait être un argument pour mener un diagnostic différentiel à la recherche d’une véritable lésion cérébrale de type vasculaire, inflammatoire ou tumorale.Fréquence des troubles de la motricité chez les enfants
avec un trouble du développement du langage
) et des habiletés motrices, mesurées à l’aide la MABC, significativement plus faibles que celles d’un groupe d’enfants contrôles, appariés en âge (Hill, 1998
). Trauner et coll. (2000)
trouvent que 70 % des enfants avec TSLO présentent des troubles moteurs de type syncinésies, déficits moteurs, hyperréflexie. Albaret et De Castelnau (2009)
, rapportant les résultats de différentes études (Cermak et coll., 1986
; Robinson, 1991
; Hill, 1998
; Hill et Bishop, 1998
; Rintala et coll., 1998
; Fernell et coll., 2002
; Asikainen, 2005
; Webster et coll., 2006
, Visscher et coll., 2007
; Cheng et coll., 2009
), montrent que 30 à 90 % des enfants présentant un trouble de l’articulation, de la parole et du langage ont des performances inférieures au 15e percentile à la MABC, soit plus d’un enfant sur 2. Cette association est montrée précocement par Gooch (2014)
dans une étude portant sur 29 enfants avec troubles du langage entre 3,5 ans et 4,5 ans. Elle est aussi montrée sur une tranche d’âge plus large allant de 2 à 21 ans par Rechetnikov et Maitra (2009)
. Ces auteurs proposent une méta-analyse de la littérature qui porte sur les études publiées entre 1960 et 2006 sur des personnes âgées de 2 à 21 ans, répondant au diagnostic de trouble du langage, avec groupes contrôles, dont les performances motrices ont été évaluées à l’aide des tests moteurs standardisés ou non. Trois scores ont été calculés : un score d’erreur correspondant au nombre d’erreurs effectuées au cours du test, un score moteur correspondant au score obtenu au test et un score de temps correspondant au temps mis pour réaliser le test. Les résultats montrent que les enfants avec TSLO ont des troubles moteurs, relevés aux trois types de scores (score d’erreur, score moteur et score de temps) significativement plus importants que les enfants au développement typique. Bishop (2002)
rapporte une étude montrant que les jumeaux avec trouble du langage ont des performances plus faibles dans des épreuves motrices comme le déplacement de chevilles sur une tablette que les jumeaux sans trouble du langage. Après analyse génétique, l’auteur conclut que les facteurs de risque génétique pour développer un trouble du langage pourraient être responsables du trouble de la motricité.
évaluent, à l’âge scolaire, les performances motrices de 43 enfants ayant été diagnostiqués avec un trouble du langage avant d’entrer à l’école. Plus de la moitié de ces enfants présentaient un trouble moteur. 12 % seulement étaient suivis en ergothérapie tandis que 69 % étaient suivis en orthophonie. Seulement 24 % des parents pensaient que leur enfant avait des difficultés motrices. Il semble donc que les troubles moteurs sont sous-estimés lorsqu’ils sont associés avec un trouble du langage.
trouvent que 32,3 % des 65 enfants présentant un TSLO avaient aussi un TDC. Par ailleurs, les enfants TSLO avec TDC avaient des scores plus faibles au questionnaire de qualité de vie rempli par les parents et les enseignants et un quotient intellectuel plus faible que les enfants TSLO sans TDC.Modèles d’explication de l’association trouble
de la motricité et trouble du langage
Une dépendance du développement du langage
vis-à-vis du développement du système moteur ?
et de Meteyard et coll. (2012)
. Selon ces théories, le langage sémantique serait fondé sur les systèmes sensori-moteurs. La compréhension du langage et des actions nécessiterait donc une représentation interne des schémas moteurs associés au mot ou à la phrase. Et l’activation du système moteur serait nécessaire pour comprendre le sens du lexique d’action. Le déficit de représentation du mouvement, c’est-à-dire d’élaboration d’un modèle interne de l’action motrice (Adams et coll., 2014
) pourrait ainsi être responsable d’un trouble de la compréhension du langage de l’action.
ont tenté de comprendre le rôle du système moteur dans le langage de l’action en comparant les performances d’enfants au développement typique (DT) avec celles d’enfants présentant un TDC dans des tâches de go-no go où l’enfant est sollicité pour faire le mouvement avec son bras ou sa jambe lorsque le verbe exprime une action concrète et ne pas faire le mouvement lorsque le verbe exprime une action abstraite. Les résultats montrent des temps de réaction différents entre les enfants DT et les enfants présentant un TDC. Le résultat est en faveur d’une anomalie du fonctionnement du système moteur chez les enfants présentant un TDC qui affecte le langage.
montrent que les régions corticales hémisphériques gauches dédiées au langage et à la motricité sont connectées. Ainsi l’activation des régions motrices influence le développement des mots sémantiquement liés aux actions.Le trouble du développement du langage n’intéresse pas
que le langage ?
propose une revue de la littérature portant sur l’étude de la prévalence de la comorbidité entre la présence d’un trouble du langage et des troubles de la motricité. L’auteur retrouve 28 études portant sur ce sujet. Les troubles de la motricité sont variés. Ils portent sur la motricité fine et/ou la motricité globale. Pour l’auteur, le TSLO ne se limite pas au langage, c’est un tableau clinique qui comporte un large éventail de troubles associant des troubles de l’attention, de la perception et de la motricité. Plusieurs auteurs (Diamond, 2000
; Flöel et coll., 2003
; Pulvermüller et coll., 2005
; Wassenberg et coll., 2005
) avancent l’hypothèse que le langage et la motricité sont liés car le langage fait partie des fonctions cognitives dites de haut niveau. Pour eux, lorsque le langage est touché, les fonctions motrices le sont également souvent. Pour appuyer cette hypothèse, Diamond (2000)
rappelle que les troubles moteurs sont également présents dans d’autres pathologies développementales telles que la dyslexie, le trouble du spectre autistique et le trouble de l’attention.
ont comparé les performances motrices, à l’aide de la MABC-2, de trois groupes d’enfants, appariés en âge : un groupe répondant aux critères du TSLO, un groupe ayant des troubles du langage mais ne relevant pas du diagnostic de TSLO et un groupe ayant un développement typique du langage. Les auteurs montrent que le groupe TSLO a des scores plus faibles et en concluent que le TSLO est un trouble développemental plus complexe qu’une seule altération du langage, qui intéresse plusieurs dimensions du développement dont la motricité et que les enfants TSLO nécessitent une large investigation ne portant pas uniquement sur le langage.Un déficit cognitif commun sous-jacent ?
envisagent un facteur étiologique commun à ces deux troubles, qui épargnerait certains aspects non verbaux de la cognition. Ils évaluent 11 enfants TSLO (10 ans) et 12 contrôles (9 ans 6 mois) avec la Clinical Evaluation of Language Fundamentals-4 (CELF-4), le Peabody Picture Vocabulary Test 3rd Edition pour le langage, la MABC pour la motricité, et la Wechsler Intelligence Scale for Children 4e édition (WISC-IV) pour les capacités intellectuelles. Les résultats indiquent des différences significatives entre les deux groupes pour la CELF-4, la MABC et l’indice « raisonnement perceptif » (cubes, identification de concepts, matrices) de la WISC-IV. Cependant, les résultats obtenus à cet indice de la WISC-IV et à ses sous-tests ne diffèrent pas significativement des normes publiées. De plus, la différence entre les résultats à cet indice et ceux à la CELF-4 est significative chez les sujets TSLO alors qu’elle ne l’est pas chez les sujets contrôles. Ces différents éléments vont, pour les auteurs, dans le sens de facteurs biologiques communs responsables des troubles des fonctions verbales et motrices épargnant certains aspects non verbaux. Il reste néanmoins hasardeux de proposer des mécanismes d’action sur la base de 23 sujets divisés en 2 groupes.Hypothèse du déficit procédural
proposent une étiologie commune à la co-occurrence des troubles du langage et de la motricité appelée Procedural Deficit Hypothesis selon laquelle l’enfant ne pourrait apprendre et appliquer un ensemble de règles dans ces domaines. Cette incapacité serait la conséquence d’un développement anormal des structures cérébrales composant le système de mémoire procédurale (Albaret et De Castelnau, 2009
) qui intervient dans l’apprentissage de nouvelles habiletés ou de « savoir-faire » et le contrôle d’« habitudes » motrices et cognitives établies depuis longtemps et possédant un certain degré d’automatisation (marche, pratique d’un instrument de musique ou d’une activité sportive par exemple). Concernant le langage, la mémoire procédurale serait impliquée dans les différents aspects de la grammaire, dans les procédures gouvernant les régularités du lexique et dans les règles combinatoires de la phonologie.
) caractérisé par un apprentissage explicite tandis que le système procédural est caractérisé par le recours à l’apprentissage implicite, une phase d’acquisition lente, un traitement séquentiel et une exécution automatique rapide. Les systèmes procédural et déclaratif interviennent de façon compétitive dans le traitement de l’information (Thomas, 2005
; Ardila, 2015
). Un déséquilibre entre les deux systèmes pourrait entraîner une surcompensation de l’un au détriment de l’autre et générer des effets indésirables. Cette hypothèse qui sous-tendrait le lien entre le langage et la motricité est reprise par d’autres auteurs (Bussy et coll., 2011
; DiDonato Brumbach et Goffman, 2014
). Mayor-Dubois et coll. (2014)
et Magallon et coll. (2015)
l’étendent également à d’autres troubles cognitifs développementaux tels que le trouble de la lecture ou le trouble de l’attention.
. En effet, dans ce modèle, les troubles spécifiques reposeraient sur une atteinte du système d’apprentissage procédural alors que les troubles généralisés des apprentissages, à savoir les déficiences intellectuelles, dépendraient d’une atteinte du système d’apprentissage déclaratif. Ces auteurs relient les anomalies de la boucle cortico-striatale au TSLO et au TDC et celles de la boucle cortico-cérébelleuse aux dyslexies et au TDA/H de type inattention prédominante. Les auteurs indiquent toutefois que les délimitations des catégories diagnostiques utilisées dans le modèle peuvent être amenées à évoluer parce que reposant sur des aspects comportementaux alors que le modèle s’appuie sur des distinctions neuro-anatomiques. Néanmoins, aucun modèle n’a encore fait la preuve définitive de sa pertinence et la poursuite des travaux de recherche est essentielle pour mieux comprendre ce qui sous-tend l’association des différents troubles.Hypothèse du déficit de la mémoire de travail
), chez des enfants TSLO et TDC (Alloway et Archibald, 2008
) et chez des enfants TSLO, TDC, avec trouble de l’attention et hyperactivité et avec syndrome d’Asperger (Alloway et coll., 2009
). Les enfants présentant un TDC apparaissent touchés sur les 4 mesures de mémoire tandis que les enfants TSLO ne sont touchés que sur la mémoire auditive à court-terme et de travail. Leurs capacités en langage écrit et numération ont été également évaluées et les liens entre la mémoire et les apprentissages sont explicités.
ont étudié le profil cognitif de 52 enfants présentant un TDC à l’aide de la WISC-IV. Les résultats étaient significativement plus faibles pour l’indice de mémoire de travail, composé de 2 épreuves de mémoire auditivo-verbale à court terme et de mémoire de travail auditivo-verbale. Ces auteurs montrent qu’un des déficits retrouvés chez les personnes présentant un TDC concerne l’indice de mémoire de travail auditivo-verbale qui est également un déficit marqueur des TSLO. Ces résultats sont néanmoins à nuancer au regard des limites des études portant sur la mémoire de travail qui seront détaillés dans le chapitre « La cognition dans le trouble développemental de la coordination (TDC) ».Description des troubles du langage chez les enfants diagnostiqués TDC en comparaison avec les enfants diagnostiqués TSLO
; Visser, 2003
; Piek et coll., 2004
; Wilson, 2005
). Sur le plan de la parole et du langage, Cermak et coll. (1986)
ont montré que le TDC pouvait être associé à des problèmes articulatoires, et Fletcher-Flinn et coll. (1997)
, à un trouble du développement du langage. Cependant, le profil linguistique des enfants présentant un TDC reste encore mal connu. Archibald et Alloway (2008)
proposent une étude comparative du langage entre 2 groupes d’enfants présentant un TDC et un trouble spécifique du langage oral (TSLO) et un groupe d’enfants contrôles, au développement typique du langage, les trois groupes d’enfants étant appariés en âge. Les trois groupes d’enfants sont évalués à l’aide d’une batterie de tests de langage assez large, portant sur l’articulation, la répétition de non-mots et de phrases, le lexique, la sémantique, la syntaxe et l’organisation narrative, évaluée à l’aide d’une épreuve de rappel d’une histoire. Les enfants présentant un TSLO avaient au moins un score égal ou inférieur à 1,25 DS à au moins deux des trois tests suivants : British Picture Vocabulary Scale, 2nd edition (BPVS-II), (Dunn et coll., 1997
) ; Test for Reception of Grammar (TROG), (Bishop, 1982
) ; Recalling sentences subtests of Clinical Evaluation of Language Fundamentals-UK3, (Semel et coll., 1995
). Les enfants présentant un TDC obtenaient un score au moins égal à 85 au BPVS-II, (Dunn et coll., 1997
) et au TROG, (Bishop, 1982
). Les résultats montraient que les enfants présentant un TDC avaient un trouble de l’expression du langage, caractérisé par un trouble de la répétition des non-mots, de la répétition de phrases et du rappel de l’histoire. Ces troubles étaient similaires à ceux des TSLO. Le groupe des TDC avait de meilleurs résultats que les TSLO en expression syntaxique et pourtant 36 % des TDC avaient des troubles dans ce domaine. Concernant l’articulation, les deux groupes TDC et TSLO avaient des performances moindres que les contrôles mais les TSLO articulaient avec plus de lenteur que les TDC. Les enfants présentant un TDC ont donc bien un risque de co-occurence de troubles du langage en partie similaires à ceux des TSLO.Vers une prise en charge plus globale des enfants présentant un TDC, un TSLO ou des troubles neuro-développementaux
indiquent par exemple que les thérapeutes de la motricité tels que les psychomotriciens et les ergothérapeutes devraient être plus largement impliqués dans la prise en charge, diagnostique et thérapeutique, des sujets présentant des troubles du langage. Notamment, l’évaluation des performances motrices chez un enfant présentant un trouble du langage apparaît nécessaire, de même que l’évaluation du langage chez un enfant présentant des troubles moteurs. En effet, si ces enfants ne sont pas reconnus précocement dans leurs difficultés motrices, cela pourra avoir un impact, à plus ou moins long terme, dans leur vie personnelle, sociale et scolaire et plus tard professionnelle (Albaret et De Castelnau, 2009
). Ainsi Gaines et Missiuna (2007)
ont mené une étude sur le développement moteur de 40 enfants détectés dès les premières années, avant l’entrée en maternelle, comme ayant un retard de parole et du langage. Réévalués à la maternelle, entre 5 et 6 ans, 18 de ces enfants présentaient des troubles moteurs significatifs. 2/3 d’entre eux répondaient aux critères du TDC. Douze avaient des troubles persistants du langage et 9 d’entre eux présentaient des troubles de la coordination motrice associés. Les résultats de ces études plaident pour une prise en charge plus globale impliquant les thérapeutes de la motricité et du langage et invitent à développer des recherches dans le domaine de l’approche thérapeutique intégrative (Rechetnikov et Maitra, 2009
).Références
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