III. Déficiences, mécanismes et modèles explicatifs

2019


ANALYSE

11-

Pistes génétiques

Il existe à ce jour très peu d’études analysant les aspects génétiques du TDC. Historiquement, les premières études ont porté sur l’origine génétique des troubles moteurs observés dans le cadre d’un TDA/H. En effet, il est actuellement admis que le TDA/H est au moins en partie d’origine génétique. Bien que les gènes de susceptibilité n’aient pas été clairement identifiés, il existe plusieurs gènes candidats. Partant du constat qu’environ la moitié des enfants TDA/H présentent également un TDC, plusieurs auteurs ont proposé l’hypothèse d’une étiologie commune à ces deux troubles, et en particulier une composante génétique. Plusieurs travaux ont ainsi été réalisés afin de tester cette hypothèse. Ainsi, une étude hollandaise menée auprès d’enfants TDA/H et leurs frères et sœurs porteurs ou non d’un TDA/H a montré une corrélation phénotypique entre TDA/H et troubles moteurs : on observe plus de troubles moteurs chez les enfants TDA/H et leurs frères et sœurs présentant un TDA/H que chez ceux qui n’en ont pas (Fliers et coll., 2009renvoi vers). La présence de troubles moteurs chez les enfants TDA/H serait d’origine familiale, c’est-à-dire donc en partie d’origine génétique. Une étude australienne menée auprès d’une large cohorte de jumeaux sur la co-occurence des troubles moteurs chez les enfants TDA/H a mis en évidence une étiologie commune à ces deux troubles, due à la fois à des facteurs génétiques et à des facteurs environnementaux communs (Martin et coll., 2006renvoi vers). L’héritabilité, c’est-à-dire la part génétique, est estimée à environ 66 % (Martin et coll., 2006renvoi vers ; Fliers et coll., 2009renvoi vers). Dans ces deux études, la corrélation la plus importante entre inattention et troubles moteurs est observée pour la motricité fine et/ou l’écriture. Cette observation est en accord avec le fait que les performances motrices fines sont moins précises chez les enfants TDA/H (Kaiser et coll., 2015renvoi vers). Bien que les résultats de ces études soient à considérer avec prudence car basés uniquement sur l’utilisation de questionnaires pour l’estimation des troubles moteurs, le nombre très important de sujets analysés et la concordance des résultats dans les différents pays sont clairement en faveur de la validité de ces observations. Une étude plus récente analysant la motricité fine, à l’aide d’une tâche motrice et non pas d’un questionnaire, chez des enfants TDA/H a mis en évidence une héritabilité de la motricité fine de la main non dominante chez ces sujets mais pas de la main dominante, suggérant donc que les bases génétiques de ces troubles sont sans doute complexes (Polderman et coll., 2011renvoi vers).
Avec le développement fulgurant, au cours des dix dernières années, des techniques de séquençage et d’analyse du génome, de nouvelles pistes de recherche pour la recherche de gènes candidats impliqués dans un certain nombre de pathologies sont aujourd’hui explorées. C’est le cas pour les troubles développementaux comme le TDA/H, la dyslexie, ou encore le TDC.
Ainsi, une étude familiale récente portant sur près de 1 000 sujets TDA/H présentant ou non des troubles moteurs a mis en évidence un certain nombre de gènes impliqués dans des pathologies neurologiques ou dans le comportement moteur, et qui représentent des gènes candidats potentiels pour les troubles moteurs observés dans le contexte du TDA/H (Fliers et coll., 2012renvoi vers).
Une étude récente s’est intéressée aux aspects génétiques chez des enfants présentant un TDC (Mosca et coll., 2016renvoi vers). Cette étude a mis en évidence des variations du nombre de copies (CNV, copy-number variations) pour un certain nombre de gènes ou loci exprimés dans le cerveau et/ou impliqués dans des troubles neuro-développementaux. 64 % de ces CNV sont hérités d’un parent présentant lui-même un trouble neuro-développemental, confortant donc l’hypothèse d’une origine génétique commune au TDC et à d’autres troubles neuro-développementaux. Enfin une seconde étude, analysant les performances et les troubles moteurs et cognitifs chez des enfants présentant des anomalies du nombre de copies d’une région particulière du chromosome 16, montre que plus de la moitié de ces enfants présentent en fait un TDC (Bernier et coll., 2017renvoi vers).
L’identification de gènes de susceptibilité pour les TDC constituerait une réelle avancée, en offrant un nouvel outil diagnostic fiable, et de nouvelles pistes thérapeutiques potentielles. À ce jour, quelques gènes candidats pour les troubles de la coordination motrice ont été proposés. C’est le cas par exemple pour certains gènes impliqués dans les voies dopaminergiques (Fliers et coll., 2009renvoi vers). En effet, différentes études utilisant des souris mutantes chez lesquelles ces gènes ont été invalidés mettent en évidence des difficultés motrices et des troubles de la coordination chez ces souris (Qian et coll., 2013renvoi vers). En particulier, les variations de neurotransmission dopaminergique frontostriatale joueraient un rôle important dans les différences individuelles concernant l’apprentissage des compétences motrices. D’autres gènes impliqués dans la communication, la croissance ou la migration neuronale semblent également impliqués dans la coordination motrice chez la souris (Porro et coll., 2010renvoi vers ; Müller Smith et coll., 2012renvoi vers). Bien que ces résultats ne soient pas directement transposables aux troubles de la coordination motrice chez l’Homme, ils offrent cependant des gènes candidats potentiels pour les TDC. En outre, le travail récent de Bernier et coll. (2017)renvoi vers montre qu’une région particulière du chromosome 16 représente une région d’intérêt pour la recherche de gènes candidats pour le TDC. Les récentes études particulièrement prometteuses soulignent donc la nécessité d’études génétiques sur de larges cohortes de patients présentant un TDC. Il sera en particulier important de mener ces analyses génétiques auprès d’enfants présentant un TDC isolé, afin de pouvoir identifier les gènes impliqués spécifiquement dans ce trouble et de les différencier de ceux impliqués dans d’autres troubles comorbides, en particulier le TDA/H. Dans ce contexte, la constitution d’une banque de données de matériel génétique d’enfants porteurs d’un TDC et de leur famille représenterait un outil précieux. Ces recherches devraient également bénéficier des progrès constants des techniques d’analyse génétique ainsi que des avancées du séquençage du génome. En particulier, le séquençage de la région d’intérêt sur le chromosome 16 pourra permettre d’identifier des gènes candidats.

Le cas particulier de la dyspraxie verbale

La production de parole fluente et intelligible est le produit de multiples processus sensoriels et cognitifs impliquant des systèmes neuronaux complexes interagissant entre eux. Certaines formes de trouble du langage et de la parole sont héritées. La dyspraxie verbale notamment, un trouble moteur de la parole, est hautement héritable (pour revue, Liégeois et coll., 2007renvoi vers). Cependant, l’identification de facteurs génétiques est rendue difficile par la complexité phénotypique et génotypique de ces troubles (Vernes et coll., 2009renvoi vers). La seule exception est l’implication du gène FOXP2 dans un syndrome rare caractérisé par des troubles dans les séquences de mouvements articulatoires entraînant une dyspraxie verbale sévère (Lai et coll., 2001renvoi vers).
Les anomalies du gène FOXP2 ont été montrées associées à des troubles de la parole et du langage dans 3 familles (Vargha-Khadem et coll., 1995renvoi vers ; Lai et coll., 2001renvoi vers ; MacDermot et coll., 2005renvoi vers). FOXP2 a été identifié dans une grande famille de 3 générations, la famille KE, dont la moitié des membres présentent un trouble du langage et de la parole sévère, transmis de manière monogénique autosomale dominante (Lai et coll., 2001renvoi vers). Le principal déficit observé chez les membres affectés de cette famille est une dyspraxie développementale orofaciale et verbale (DVOFD), sévère et chronique. Ce déficit interfère avec la sélection rapide, le séquençage et l’exécution des sons, limitant donc fortement la production d’une parole articulée et intelligible. D’autres déficits sont également observés chez ces patients, sans que l’on sache s’ils résultent directement de la dyspraxie ou s’ils constituent des déficits secondaires indépendants de celle-ci.
Sur le plan phénotypique, cette dyspraxie DVOFD, qui résulte de la mutation de FOXP2, ne peut être distinguée de la dyspraxie verbale développementale (DVD) car les symptômes cliniques observés sont très similaires entre ces deux troubles, suggérant donc que les dyspraxies verbales pourraient également être au moins en partie liées à des modifications du gène FOXP2. Depuis, de nombreux cas familiaux de troubles sévères de la parole associés à des mutations de FOXP2 ont été rapportés. Ces modifications incluent des altérations de séquence, des translocations, des disomies uniparentales, et des variations du nombre de copies du gène. Zeesman et coll. (2006)renvoi vers par exemple rapportent le cas d’une patiente de 5 ans présentant un trouble de la communication sévère avec notamment un trouble de la parole et du langage et une dyspraxie verbale et oromotrice. Cette enfant est porteuse, sur un de ses chromosomes 7, d’une large délétion dans la région 7q31 impliquant 52 gènes dont FOXP2, qui est donc entièrement délété sur ce chromosome. Plus récemment, un nouveau variant issu d’une petite délétion dans le gène FOXP2 a été identifié chez un patient présentant un trouble sévère de la parole associé à des problèmes de langage et de litéracie (Turner et coll., 2013renvoi vers).
La protéine FOXP2 est un facteur de transcription de la famille « forkhead », contenant un domaine de liaison à l’ADN et des motifs permettant l’homo- et l’hétérodimérisation. Cette protéine est exprimée au niveau de plusieurs structures cérébrales, et jouerait un rôle dans le développement de circuits neuronaux impliqués dans le contrôle moteur (Lai et coll., 2001renvoi vers). Une haploinsuffisance en FOXP2 induit des troubles dans les séquences de mouvements et dans l’apprentissage procédural.
Chez le sujet sain, les études en IRMf montrent que FOXP2 est associé avec l’activation de régions frontales gauches, près des régions corticales présentant des anomalies dans la famille KE (Liégeois et coll., 2003renvoi vers). Plus spécifiquement, le gyrus frontal inférieur gauche joue un rôle crucial dans les pathologies du langage. Il est impliqué dans la perception et la production du langage (Pinel et coll., 2012renvoi vers). FOXP2 présente plusieurs variants dont les fonctions n’ont pas été élucidées. Certaines isoformes sont exprimées préférentiellement dans le thalamus, une région importante pour le langage. Certaines isoformes pourraient également être exprimées durant le développement (Pinel et coll., 2012renvoi vers). En outre, les mutations FOXP2 affectent de manière bilatérale les réseaux neuronaux moteurs et liés au langage (Liégeois et coll., 2007renvoi vers). Ainsi les membres de la famille KE atteints d’un trouble de la parole porteurs d’une mutation FOXP2 présentent un pattern d’activation en IRMf plus postérieur et beaucoup plus bilatéral que les sujets sains (Liégeois et coll., 2003renvoi vers). L’aire de Broca notamment, située dans l’hémisphère gauche, est clairement sous-activée par rapport aux membres de la famille non atteints, de même que le putamen et d’autres régions corticales impliquées dans le langage. FOXP2 jouerait donc un rôle critique dans le développement de systèmes neuronaux impliqués dans le langage et la parole.
FOXP2 n’est sans doute pas le seul gène impliqué dans la dyspraxie verbale et les troubles de la parole en général. Un autre gène dont la séquence est très proche de celle de FOXP2, le gène FOXP1, pourrait également être impliqué. En effet, la protéine FOXP1 peut interagir directement avec FOXP2 et est co-exprimée dans des structures neuronales impliquées dans les troubles du langage et de la parole. Il a en outre été montré que cette protéine joue un rôle dans le développement du système nerveux (Dasen et coll., 2008renvoi vers). Cependant, une étude visant à chercher les mutations du gène FOXP1 chez des enfants porteurs d’une DVD n’a pas mis en évidence de corrélation entre les variants FOXP1 et un risque plus élevé de DVD (Vernes et coll., 2009renvoi vers). Il est donc peu probable que les mutations de FOXP1représentent une cause majeure de DVD. D’autre part, la région chromosomique 11p13 pourrait également être impliquée. En effet, les troubles de parole observés dans le contexte d’une épilepsie rolandique impliquent la région 11p13 (Pal et coll., 2010renvoi vers). Ce locus chromosomique pourrait donc contenir des gènes impliqués dans les troubles de la parole, mais aucun gène candidat n’a été identifié à ce jour.

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