5Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm recherche clinique en pédiatrie, quels besoins, quelles solutions ? François Faurisson (Eurordis) 1. Qu’est-ce que la recherche clinique ? petits rappels La recherche clinique est une recherche menée sur l’homme. Elle fait suite à toutes sortes d’expérimentation en laboratoire et sur des modèles animaux. La recherche sur l’homme comprend une grande diversité de type d’études, on peut citer : • Les études épidémiologiques qui permettent d’identifier des caractéristiques d’une maladie à l’échelle d’une population. • Les études physiopathologiques qui visent à comprendre les mécanismes biologiques et les facteurs qui induisent des troubles ou des maladies. Les études physiopathologiques sont essentielles pour ouvrir de nouvelles pistes de recherche ; en effet, celles-ci visent à comprendre les causes et non uniquement les symptômes ; elles permettent également de trouver des tests de diagnostic plus précoce. • Les études de nouvelles molécules, des « candidats médicaments » ou de nouveaux dispositifs médicaux, qui conduisent au traitement. La route est longue entre la découverte d’une molécule potentiellement intéressante et le médicament. Après un grand nombre d’études de laboratoire et chez l’animal, différentes étapes sont nécessaires pour évaluer chez l’homme le « candidat médicament » et obtenir des autorités de santé, françaises ou européennes, l’autori- sation de mise sur le marché (AMM). 6Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm recherche clinique en pédiatrie * Les essais de phase I ne sont pas menés chez les enfants, de même dans certains cas en oncologie. ** Les estimations budgétaires sont très variables selon les auteurs ! Après l’obtention d’une AMM, le médicament est toujours surveillé. En effet, même si les recherches cliniques sont conduites avec toute la rigueur scientifique possible, elles ne peuvent anticiper tous les aspects d’une utili- sation du médicament dans la population générale. Cette surveillance est appelée pharmacovigilance. La pharmacovigilance vise à garantir la sécurité de l’emploi des médicaments. Les professionnels de santé et les industriels sont dans l’obligation de signaler tout effet indésirable grave ou inattendu au centre de pharmacovi- gilance régional (CRPV) dont ils dépendent. Le CRPV analyse les informations qui lui sont transmises et les trans- met à l’Afssaps. Celle-ci peut être amenée à mettre en place des études et prendre des mesures qui peuvent conduire au retrait du médicament ou simplement à une restriction d’emploi. Un système de pharmacovigilance existe également à l’échelon européen (Eudravigilance). 2. Pourquoi faut-il des médicaments adaptés aux enfants ? Actuellement, pour certaines maladies ou certains troubles, les enfants ne bénéficient pas de traitements adaptés à leur âge. C’est surtout le cas pour les maladies graves et rares mais pas uniquement. Les médecins sont souvent amenés à prescrire aux enfants des médicaments conçus pour les adultes, ce qui peut avoir des consé- quences graves voire dramatiques. La physiologie humaine est un système d’une extrême complexité ; notamment chez l’enfant où les organes, le métabolisme, l’immunité évoluent chaque année de la naissance à l’adolescence. Il est donc nécessaire de mener des études spécifiques chez l’enfant pour prendre en compte les paramètres physiologiques particuliers aux tranches d’âge concernées ainsi qu’évaluer les effets à long terme; ces études sont indispensables pour assurer non seulement une efficacité mais aussi une sureté maximales. 2.1 Il n’y a pas assez de médicaments adaptés aux enfants Le plus souvent, les enfants présentent des maladies qui ont été identifiées chez l’adulte. Pour qu’un médecin prescrive un médicament, il faut que celui-ci ait obtenu une autorisation de mise sur le mar- ché (AMM). L’AMM est donné sur la base des résultats des études réalisées : si les études n’ont été réalisées que chez l’adulte, le médicament ne pourra être prescrit que chez l’adulte. En conséquence, les médecins, s’ils respectent la règlementation, ne traitent pas les enfants malades même s’il existe des médicaments efficaces pour la même maladie chez l’adulte. Souvent, pour ne pas laisser l’enfant sans traitement, les médecins vont procéder à des « bricolages » avec des médicaments pour l’adulte : • Bricolages thérapeutiques au niveau de l’indication : doses et durée du traitement (comme par exemple évaluer une dose en fonction du poids : cet enfant est 2 fois moins lourd qu’un adulte donc je vais lui donner une demi-dose !) Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm 7 • Bricolages techniques pour adapter les médicaments à la morphologie ou à l’acceptabilité de l’enfant (comme écraser des comprimés qui seraient impossibles à avaler pour un enfant) • Bricolage règlementaire : le prescripteur est seul responsable devant la loi d’une prescription hors AMM. Il existe également de nombreux troubles ou maladies qui sont spécifiques de l’enfance et qui nécessitent des approches diagnostiques ou thérapeutiques particulières. Dans ce cas, il n’est même pas envisageable d’« adap- ter » une médecine adulte. 2.2 Pourquoi ce manque de médicaments pédiatriques ? La première explication du manque de motivation des laboratoires pharmaceutiques pour développer des médi- caments pédiatriques est l’étroitesse du marché. L’investissement nécessaire est très lourd et la rentabilité n’est pas évidente si la maladie est peu fréquente. La deuxième concerne les difficultés particulières dans la conduite de la recherche chez des enfants : • Difficultés techniques : il faut concevoir des appareils adaptés, affiner les méthodes (par exemple, le volume de sang prélevé sera moindre, il faut des techniques d’analyse plus fines). • Difficultés logistiques pour permettre de concilier la participation de l’enfant au protocole et à sa vie scolaire et familiale. • Difficultés éthiques ou d’image : l’enfant est considéré comme une personne vulnérable. C’est ainsi que l’on pourrait comparer le médicament pédiatrique au médicament orphelin. 3. La première réponse à ce déficit : les dispositifs européens et français Comme pour les maladies rares, les associations de malades se sont mobilisées pour faire avancer l’adoption d’un règlement européen, « cousin » du règlement sur les médicaments orphelins. Le Règlement Européen 1901/2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique a ainsi pour objectifs de : • Faciliter le développement et l’accès aux médicaments pour la population pédiatrique; • assurer que les médicaments utilisés en pédiatrie feront l’objet de recherches de grande qualité, offrant toutes les garanties d’efficacité et de tolérance; • améliorer les informations disponibles sur l’utilisation des médicaments en pédiatrie. Il comporte des incitations financières pour les industriels mais également des obligations et un cadre de déve- loppement des études. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/oj/2006/l_378/l_37820061227fr00010019.pdf Cette règlementation a été assortie de recommandations de la Commission Européenne, auxquelles ont colla- boré les associations de patients, pour harmoniser l’évaluation éthique des protocoles de recherche clinique chez les enfants au sein des pays de l’Union européenne. Ethical Considerations for Clinical Trials Performed in Children Recommendations of the Ad Hoc Group for the development of implementing guidelines for Directive 2001/20/EC relating to good clinical practice in the conduct of clinical trials on medicinal products for human use. http://ec.europa.eu/health/files/paediatrics/docs/paeds_ethics_consultation20060929_en.pdf recherche clinique en pédiatrie, quels besoins, quelles solutions ? 8Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm recherche clinique en pédiatrie 3.1 Le règlement pédiatrique européen 1901/2006 : incitations et obligations > Lorsqu’un l’industriel souhaite développer un nouveau médicament, il doit élaborer un Plan d’Investigation Pédiatrique (PIP) sauf s’il peut démontrer que le médicament n’a pas d’utilité chez l’enfant. Le PIP est un programme de recherche et de développement qui vise à assurer que les données nécessaires à l’autorisation du médicament pédiatrique seront bien collectées. Il contient notamment un calendrier détaillé du développement du futur médicament et présente les études prévues pour en démontrer l’innocuité et l’efficacité sans oublier l’adéquation de sa formulation ; ces études impliquent des recherches cliniques chez l’enfant dans les différentes catégories d’âges concernées. Le PIP doit être validé par l’Agence Européenne du Médicament (EMA). En conséquence, le dossier d’enregistrement d’un nouveau médicament pour adulte doit inclure des données pédiatriques. En contrepartie, l’industriel bénéficie d’une protection supplémentaire pour sa commercialisation de six mois (cela paraît peu, mais c’est très intéressant pour les industriels !). En pratique, le PIP a pour avantages : • Une collaboration scientifique gratuite entre promoteur et agence du médicament • Un engagement des deux partenaires • Une extension de la protection de commercialisation > Si le médicament concerné est déjà commercialisé et encore sous licence de l’industriel, celui-ci pourra obtenir cette incitation de six mois supplémentaire avec le développement d’un PIP pour une indication pédiatrique. > Si le médicament est dans le domaine public, il existe désormais une autorisation de mise sur le marché spécifique : le PUMA (Paediatric Use Marketing Autorisation). Grâce au développement d’une forme pédiatrique et à l’obtention de ce PUMA, le médicament ancien sera considéré comme une nouvelle molécule et l’industriel bénéficiera de l’exclusivité de 10 ans. > Pour développer la recherche, le règlement prévoit des financements communautaires et nationaux et le soutien au développement d’un réseau européen d’investigation clinique dans le domaine des médicaments en Pédiatrie (European Paediatric Network). > Pour améliorer l’accès du public à diverses informations sur les thérapeutiques en pédiatrie, il prévoit l’accès public de deux bases de données : • La base européenne des essais cliniques en pédiatrie (EudraCT) • La base des médicaments autorisés en pédiatrie en Europe (Eudrapharm) 3.2 Les nouveaux cadres du développement des médicaments A l’échelon européen L’agence européenne du médicament s’est structurée pour intégrer un comité dédié aux médicaments pédia- triques, le PDCO (Paediatric Committee). Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm 9 Le Comité pédiatrique : PDCO (Paediatric Committee) Le comité pédiatrique a pour missions : • D’évaluer le contenu des plans d’investigation pédiatriques (PIP) et des éventuels délais et exemptions • De suivre les PIP: qualité, sécurité et efficacité des produits (en lien avec le comité des médicaments à usage humain CHMP) • De dresser un inventaire, régulièrement réévalué, des besoins pédiatriques • De conseiller : création d’un réseau européen d’experts en recherche clinique pédiatrique. D’autre part, bien que le PDCO n’est pas en charge de l’évaluation des dossiers d’AMM, il peut conseiller le CHMP à sa demande pour les données collectées dans le cadre des PIP Le comité pédiatrique est composé de : • 1 représentant de chaque état membre, dont 5 choisis par le CHMP • 3 représentants des professionnels de santé • 3 représentants d’associations de malades Notions de besoins pédiatriques « officiels » (exemption et délais) Un inventaire des besoins en médicaments pédiatriques a été réalisé de 2001 à 2007 par le CHMP et il a été réé- valué par le Comité pédiatrique en 2009. Il est à noter que l’autorité publique s’implique dans l’orientation des industriels vers les médicaments priori- taires à développer. http://www.ema.europa.eu/htms/human/paediatrics/inventory.htm A l’échelon national L’agence française de sécurité sanitaire des produite de santé, l’AFSSAPS a mis en place également des structures dédiées au médicament pédiatrique. • Cellule des Médicaments Pédiatriques au sein de la Direction d’Evaluation des Médicaments et des produits Biologiques (DEMEB) : elle coordonne les activités relatives aux médicaments pédiatriques et contribue à l’évaluation des PIP de l’EMEA. • Comité d’Orientation Pédiatrique (COP): il contribue au niveau national à la sécurité d’utilisation des médica- ments chez l’enfant tout en favorisant l’amélioration des soins thérapeutiques • Groupe de Travail Pédiatrique pluridisciplinaire pour l’évaluation des PIP (GT PIPs) : Sa principale mission est de contribuer à l’évaluation des plans d’investigations pédiatriques (PIPs) en fonction des critères établis par le Comité Pédiatrique de l’EMA et selon les délais réglementaires. Des représentants d’associations participent désormais au COP et au GT PIP. http://www.afssaps.fr/Activites/Medicaments-en-pediatrie/Medicaments-en-pediatrie/(offset) recherche clinique en pédiatrie, quels besoins, quelles solutions ? 10 Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm recherche clinique en pédiatrie 3.3 Bilan de deux ans de cette réglementation (juillet 2009) Au juillet 2009, 538 dossiers ont été soumis. Parmi ceux-ci, 65% concernaient des PIP ou des demandes d’exemp- tion de PIP pour des produits non encore autorisés chez l’adulte et 31 % des produits déjà commercialisés mais sans l’indication pédiatrique. Répartition thématique des produits concernés Bilan des avis sur les nouveaux dossiers (n:293) Bilan des avis sur le suivi de dossiers (n:41) Source : EMA Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm 11 4. La recherche clinique et l’éthique Après la Seconde Guerre Mondiale, certaines pratiques médicales et expériences scientifiques inhumaines ont été révélées ; des critères de qualité scientifique et des règles éthiques ont été progressivement définis. On peut en citer les principales étapes : • Le code de Nuremberg, adopté en août 1947, acte fondateur de l’éthique médicale moderne • La déclaration d’Helsinki, élaborée par l’Association médicale mondiale en juin 1964 et révisée régulièrement • Apparition, dans certains pays, de comités d’éthique dédiés à la validation de protocole de recherche clinique • Développement de standards comme les essais randomisés comparatifs (RCT) • Publication de directives sur les bonnes pratiques cliniques (GCP,1985), Conférence d’harmonisation (ICH, 1990), Directive Européenne (2004) La déclaration d’Helsinki Paragraphe 3 : Le devoir du médecin est de promouvoir et de sauvegarder la santé des patients, y compris celles des personnes impliquées dans la recherche médicale…. Paragraphe 5 : Le progrès médical est basé sur la recherche qui, en définitive, doit comprendre des études impliquant des êtres humains………... Paragraphe 7 : L’objectif premier .est de comprendre …et d’améliorer les interventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques. Même les meilleures interventions courantes doivent être éva- luées en permanence Paragraphe 8 : Dans la pratique médicale et la recherche médicale, la plupart des interventions comprennent des risques et des inconvénients. Paragraphe 9 : La recherche médicale est soumise à des normes éthiques …. Certaines populations faisant l’objet de recherches sont particulièrement vulnérables et ont besoin d’une protection spéciale. … Les trois principaux principes éthiques considérés dans la recherche clinique : • L’autonomie Le libre choix des individus et/ou de leurs représentants doit être respecté. Les personnes qui sont sollicitées pour participer à une recherche clinique doivent donner leur accord de façon totalement libre et sans pression. Pour pouvoir prendre leur décision, elles doivent obtenir tous les éléments d’information sur la recherche sous une forme compréhensible. On parle de « consentement libre et éclairé ». • La bienveillance ou la non malveillance Le principe est d’agir avant tout dans l’intérêt des participants à l’étude. Le but est de ne pas nuire même si cela implique des contraintes au niveau expérimental. • La justice Les résultats de la recherche doivent bénéficier aux participants et/ou à d’autres malades de la même population. recherche clinique en pédiatrie, quels besoins, quelles solutions ? 12 Séminaire Ketty Schwartz 2010 - Inserm recherche clinique en pédiatrie Voir le dossier « La recherche biomédicale et la protection des personnes en France » de Grégoire Moutel, Labora- toire d’éthique médicale et de médecine légale, Faculté de médecine, Université Paris 5 http://www.ethique.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/937238520af658aec125704b002bded2/d58ce05b3098a503c12570fa004e750f?OpenDocument Ces avancées dans la qualité scientifique et méthodologique des protocoles de recherche et dans les considéra- tions éthiques qui y sont inhérentes font que la pratique médicale évolue également. La notion d’une médecine basée sur les meilleures données scientifiques pour prendre en charge les patients apparaît au Canada dans les années 1980 et est reprise à l’échelon mondial : il s’agit de l’Evidence Based Medicine (EBM). L’EBM est aussi appelée médecine factuelle puisque basée sur les faits, les niveaux de preuves. Cette médecine repose donc sur l’analyse combinée d’études cliniques qui suivent une méthodologie rigoureuse. Cette analyse doit conduire aux meilleures prises de décision thérapeutique pour les patients. Le processus EBM intègre un niveau de preuve sur un résultat en fonction de la façon dont les protocoles de recherche clinique ont été conduits. Les recommandations des autorités de santé découlent de ces niveaux de preuves. Voir l’article Wikipedia sur l’EBM : http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_ fond%C3%A9e_sur_les_ faits 5. Position des associations vis-à-vis des essais cliniques Les associations de patients ont une double position : Elles représentent les malades pour lesquels les études cliniques sont développées. Les associations font remon- ter auprès des scientifiques et des autorités de santé les attentes des malades. Elles représentent les malades qui participent à ces études. Elles doivent s’assurer que l’éthique et la protection de la personne sont bien respectées. Voir les collaborations des associations dans les essais cliniques Inserm : http://www.associations.inserm.fr/associations-de-malades/collaborations/recherche-clinique Voir l’implication des associations membres d’Eurordis dans la recherche clinique européenne : http://stars.eurordis.org/fr/content/impliquer-les-malades-dans-lassistance-au-protocole