2008


ANALYSE

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Conditions et pré-requis de l’autopsie médicolégale : aspects pratiques et juridiques

La France dispose d’un double circuit d’informations concernant les morts violentes – donc celles liées au suicide (Debout, 2002renvoi vers) – un circuit médical (épidémiologique) et un circuit judiciaire. Mais avant que ces deux instances ne soient saisies du décès d’une personne, celui-ci est nécessairement constaté par un médecin sans que ce dernier n’ait de statut particulier : il peut être le médecin traitant habituel de la personne décédée, le praticien hospitalier en cas de mort à l’hôpital, un médecin urgentiste intervenant dans un cadre privé (SOS Médecin) ou public (SAMU) appelé sur les lieux d’un accident ou de la découverte d’un cadavre.

Circuit médical

Après avoir examiné le corps de la personne défunte, le praticien doit faire à la fois le diagnostic positif de l’état de mort ainsi que le diagnostic étiologique concernant la cause de ce décès, avant d’établir le certificat de décès.
Le certificat de décès est une pièce administrative qui a une double destination :
• la partie nominale pour l’état civil permet d’inscrire dans le registre ad hoc le décès de la personne avec mention du jour et de l’heure ;
• la partie anonyme pour le Centre d’épidémiologie des causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm (via la Ddass) renseigne à la fois sur les causes immédiates de la mort, sur les pathologies associées, sur certaines circonstances de survenue du décès (sur le lieu de travail, à l’hôpital, au domicile…), et sur certaines données personnelles (âge, sexe, grossesse…). Cette deuxième partie du document servira à connaître la mortalité et la morbidité des Français ; elle a une utilité essentielle pour la politique de santé publique.
Cette procédure est relativement simple et précise, mais elle suppose que le médecin soit toujours en état de définir la cause de la mort. Si ce n’est pas le cas, du fait de circonstances problématiques de la survenue du décès, de l’absence d’antécédent médical de la personne…, il doit considérer que la mort est d’origine indéterminée. Dans cette situation, le médecin doit indiquer sur la partie nominale du certificat qu’il y a un obstacle médicolégal à l’inhumation, ce qui entraîne de facto l’information du Procureur de la République, qui diligente alors une enquête médico-judiciaire aux fins de connaître les causes de la mort.
C’est dans cette catégorie que l’on trouve les personnes décédées à domicile sans indices explicatifs particuliers, et pour lesquelles aucune pathologie connue ne permet d’envisager la survenue d’une complication létale. Dans un tel cas, une éventuelle intoxication doit toujours être recherchée, provoquée volontairement ou involontairement par la personne elle-même ; l’hypothèse du suicide doit obligatoirement être évoquée, et seule l’enquête médicolégale permettra de la confirmer.
Il en va de même pour toutes les morts violentes. La mort violente se définit comme celle provoquée par l’intervention d’un agent extérieur à l’organisme, que cet agent soit physique (un coup, un projectile, l’eau, le feu…) ou chimique (intoxication médicamenteuse, toxique domestique, industriel…). Dans la plupart des cas, l’intervention de cet agent laissera des marques sur le corps qui permettront d’orienter le diagnostic. Dans toutes ces situations, le médecin devra indiquer que la nature du décès entraîne un obstacle médicolégal à l’inhumation.

Circuit judiciaire

Sur le plan judiciaire, les morts violentes sont classées en trois catégories :
• criminelle, qui impose la recherche de l’auteur et sa poursuite ;
• accidentelle, qui met en cause d’éventuelles responsabilités d’un tiers ;
• suicidaire, qui entraîne alors, selon la formule consacrée, « l’extinction des poursuites pénales ».
C’est pour cette raison qu’informé d’une mort violente vraisemblablement liée à un geste suicidaire (une personne dépressive qui s’est pendue qui a laissé un mot pour faire pardonner son geste, un corps noyé pour lequel on retrouve certains effets personnels bien rangés au bord de la berge…), le Parquet pourra décider non seulement d’éteindre les poursuites mais aussi de stopper l’enquête, ce qui aura pour conséquence l’absence d’examen du corps par un médecin légiste et de toute investigation médicale toxicologique.
Cette pratique judiciaire repose non seulement sur le Code de procédure pénale1 (qui la valide parfaitement), mais plus encore sur l’idée qu’il s’agit de la pratique la moins coûteuse :
• moins coûteuse financièrement puisqu’il n’y aura pas à engager des frais de justice pour payer les différents experts concourant à l’autopsie médicolégale. Dans une période d’encadrement strict des dépenses de justice, il s’agit là d’une pression forte ;
• moins coûteuse humainement car beaucoup de magistrats ont la conviction que la réalisation d’une autopsie constitue toujours une épreuve pour les proches qu’il est préférable de leur éviter chaque fois que faire ce peut. C’est une idée répandue que l’autopsie constitue un traumatisme s’ajoutant à celui de la mort, et qu’en dehors des cas où la recherche de responsabilité s’impose, les familles doivent être « épargnées » de l’effraction médicale du corps de leur défunt.
Tous les médecins légistes, qui pratiquent les autopsies et qui ont l’habitude de rencontrer les familles, savent qu’au contraire beaucoup d’entre elles – surtout quand il y a eu suicide – ont un immense besoin de savoir ce qui s’est réellement passé, dans quel état se trouvait leur parent au moment où il s’est donné la mort ; seul un examen médical approfondi (autopsie mais aussi recherche toxicologique et tous autres examens appropriés) permet de donner des explications face à un questionnement qui envahit souvent la vie émotionnelle et affective de ceux qui restent. C’est pourquoi la réalisation d’une autopsie, même si elle peut choquer les proches surtout au moment où le décès est survenu, leur sera finalement très utile lorsqu’ils commenceront à réaliser le travail de deuil.
Cependant, tout concourt aujourd’hui pour que l’on ne s’intéresse pas véritablement aux morts par suicide, comme si le suicide effaçait toute nécessité de mieux connaître, de mieux inventorier, de mieux comprendre.

Nécessité d’un protocole médico-judiciaire

Depuis des années, des programmes de recherche, mis en œuvre notamment par la Police et la Gendarmerie Nationale, ont permis de préciser non seulement des causes directes d’accidents de voies publiques, mais aussi indirectes (état de santé du conducteur, consommation de médicaments, de drogues, ou encore événements de vies difficiles…) qui ont débouché sur des politiques préventives aux effets indiscutables. La mort violente par accident de la route intéresse la justice, la police et les médecins.
Il est nécessaire qu’il en soit de même pour la mort violente liée au suicide. Cela suppose trois obligations en direction des médecins, des magistrats et des enquêteurs :
• tous les médecins (quel que soit leur mode d’exercice, y compris en zone rurale) amenés à constater la mort par suicide d’une personne ou évoquant cette cause pour expliquer le décès doivent mentionner « un obstacle médicolégal à l’inhumation » sur le certificat de décès, ceci quelles que soient les pressions qu’ils puissent subir, venant parfois des enquêteurs eux-mêmes (« puisque le suicide est évident, il n’est pas nécessaire de poursuivre les investigations ! ») ;
• tous les procureurs informés d’un suicide ou de l’hypothèse d’un suicide doivent confier le corps à un service de médecine légale pour qu’un examen approfondi soit réalisé, le plus souvent l’autopsie avec dans tous les cas les recherches toxicologiques appropriées ;
• la mise en œuvre des fiches précisant, de la part des enquêteurs (policiers, gendarmes), les données personnelles et sociales du défunt ; de la part du médecin légiste la cause médicale du décès, l’état de santé de la personne décédée, et son statut toxique.
Ce dernier point est essentiel pour mieux comprendre les situations que l’on place parfois dans la rubrique des suicides « impulsifs » afin de connaître si oui ou non ils sont facilités par la prise de certaines substances psychoactives et/ou médicaments, à quelles doses, et pour préciser les rôles facilitateurs versus protecteurs de la chimiothérapie dans la survenue de passage à l’acte mortel.
Le groupe de travail recommande pour la mise en œuvre de ce protocole, qu’une conférence commune associant le ministère de la Santé, le ministère et les organismes de la Recherche, le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur, la Police et la Gendarmerie soit organisée aux fins de définir un plan national de prise en compte médico-judiciaire des morts par suicide. Ceci permettrait de déboucher sur des recherches multidisciplinaires et multicentriques, en particulier la réalisation d’autopsies psychologiques.
En conclusion, la France dispose à la fois d’un circuit médical et judiciaire concernant les morts violentes par suicide. La mise en place d’un protocole médico-judiciaire sur lequel les travaux de recherche pourraient s’appuyer serait d’une grande utilité. Il pourrait déboucher sur un certain nombre de propositions utiles à une meilleure connaissance de la réalité du suicide et une meilleure information des familles. Il permettrait entre autres :
• de préciser le rôle pivot du Procureur de la République qui met en œuvre les examens médicaux à la suite d’un décès par suicide. La recherche toxicologique doit être considérée comme un des éléments majeurs de cet examen médical même si le suicide n’est pas directement lié à une intoxication ;
• de rappeler que les familles peuvent avoir accès aux dossiers médicolégaux et rencontrer à cette occasion le médecin légiste qui donnera toutes les explications utiles. Le praticien pourra proposer à la famille de participer à une autopsie psychologique en en précisant l’intérêt et la méthodologie ;
• d’établir après l’examen médicolégal et les recherches complémentaires, notamment toxicologiques, la partie du certificat de décès destinée au CépiDc de façon à améliorer la connaissance statistique et épidémiologique des morts par suicide.

Bibliographie

[1] debout m. La France du Suicide. Édition Stock. 2002; Retour vers

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