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Med Sci (Paris). 2009 August; 25(8-9): 763–766.
Published online 2009 August 15. doi: 10.1051/medsci/2009258-9763.

Conversion de cellules α pancréatiques en cellules β

Patrick Collombat1,2* and Ahmed Mansouri1,3*

1Max-Planck Institute for Biophysical Chemistry, Department of Molecular Cell Biology, Am Fassberg, D-37077 Göttingen, Allemagne
2Nouvelle adresse : Inserm U636, Équipe génétique du diabète, Faculté des sciences, 06108 Nice, France
3Department of Clinical Neurophysiology, University of Göttingen, Robert-Koch Strasse 40, D-37075 Göttingen, Allemagne
Corresponding author.

MeSH keywords: Différenciation cellulaire, Diabète de type 1, Glucagon, Cellules à glucagon, Humains, Hypoglycémie, Incidence, Insuline, Cellules à insuline, Ilots pancréatiques, Pancréas

 

Le pancréas joue un rôle prépondérant dans le maintien de l’équilibre nutritionnel par la sécrétion d’enzymes et d’hormones. Cet organe est composé de trois types cellulaires majeurs : les cellules acinaires (sécrétant des enzymes digestifs), les cellules canalaires (formant un réseau de canaux assurant le transport des enzymes digestifs) et les cellules endocrines (produisant différentes hormones). Ces dernières sont organisées en îlots de cellules appelées îlots de Langerhans composés de 5 types cellulaires : α, β, δ, ε et PP, sécrétant respectivement les hormones glucagon, insuline, somatostatine, ghréline et PP (polypeptide pancréatique). Parmi ces hormones, l’insuline induit une diminution de la glycémie en cas d’excès de glucose sanguin, alors que le glucagon a un effet inverse en promouvant une augmentation de la glycémie dans l’éventualité d’une hypoglycémie. Notre groupe étudie le diabète de type I, une maladie touchant plus de vingt millions de personnes dans le monde et que caractérise la perte sélective des cellules β sécrétant l’hormone insuline. Il en résulte une hyperglycémie pouvant s’avérer létale malgré l’administration quotidienne d’insuline.

Afin de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la genèse des différents types cellulaires endocrines au cours du développement embryonnaire avec l’espoir de pouvoir appliquer ces connaissances à la génération de cellules β in vitro et/ou in vivo, nous nous sommes focalisés sur deux facteurs de transcription. Ces facteurs, Arx (aristaless related homeobox) et Pax4 (paired box 4 gene) jouent un rôle prépondérant durant la formation du pancréas endocrine, ce que nous avons démontré en générant puis analysant des souris mutantes pour chacun de ces facteurs. Les souris déficientes en Arx meurent d’une hypoglycémie causée par la perte des cellules α, celle-ci s’accompagnant d’une augmentation proportionnelle du nombre de cellules β et δ [ 1]. La situation inverse fut observée en cas de déficience en Pax4 : la perte des cellules β et δ et un accroissement relatif du nombre de cellules α entraînent une hyperglycémie létale [ 2]. En outre, des expériences supplémentaires montrèrent que les protéines Arx et Pax4, bien que coexprimées précocement, inhibent mutuellement la transcription de leurs gènes [1, 3]. Notre conclusion fut la suivante : au cours du développement embryonnaire, Arx et Pax4 sont initialement produites sous une forme inactive dans les cellules précurseurs des cellules endocrines. L’activation de l’un des facteurs (probablement par des signaux extrinsèques) conduit à l’extinction de l’autre : si Pax4 prévaut, les destins cellulaires β et δ sont favorisés aux dépens de la formation des cellules α. Inversement, seules les cellules α se développent lorsque Arx prédomine.

Plasticité des cellules α et β des îlots de Langerhans

Afin de déterminer si les fonctions inductives de ces deux facteurs de transcription pouvaient aussi s’appliquer à des cellules endocrines différenciées et non pas seulement à leurs précurseurs immatures, nous avons tout d’abord généré des souris transgéniques permettant l’expression conditionnelle et inductible du gène Arx dans des cellules β adultes [ 4]. En combinant cette approche avec une analyse du devenir de ces cellules, nous avons pu montrer que ces cellules β exprimant Arx de façon ectopique étaient littéralement converties en cellules présentant toutes les caractéristiques de cellules α ou PP. Ces résultats suggéraient donc que les cellules β sont en fait plus plastiques que nous ne l’avions pensé précédemment. Dans le cadre de la recherche sur le diabète de type I et du besoin associé de remplacer les cellules β perdues, nous nous sommes alors demandé si la conversion inverse (de cellules α en cellules β) pouvait être réalisée. Nous avons donc généré des souris dans lesquelles il est possible d’induire l’expression du gène Pax4 spécifiquement dans les cellules α exprimant l’hormone glucagon (souris conditionnelles Pax4Glu) [ 5]. Les animaux les plus jeunes étaient initialement hypoglycémiques et devenaient hyperglycémiques avec l’âge, ne survivant pas plus de douze semaines. En outre, une hyperplasie des cellules exprimant l’insuline fut aussi observée, les îlots de Langerhans de ces animaux Pax4Glu étant approximativement six fois plus volumineux que ceux des animaux sauvages. Une analyse approfondie de ces cellules exprimant l’hormone insuline indiqua qu’elles présentaient toutes les caractéristiques de cellules β normales et qu’elles dérivaient toutes de cellules α.

Régénération de cellules α compensant la diminution du glucagon

La démonstration de la conversion des cellules α en cellules β ne suffisant pas à expliquer le surnombre de ces dernières, nous avons essayé d’en comprendre le mécanisme et la genèse. Notre étude révéla la présence continuelle de cellules exprimant l’hormone glucagon dans les îlots de Langerhans des souris Pax4Glu, ces cellules étant toujours détectées au voisinage de canaux pancréatiques. Les cellules α Pax4Glu ayant été « transdifférenciées » en cellules β sécrétant de l’insuline ne pouvaient pas être à l’origine de cette hyperplasie ; nous avons donc conclu que la régénération des cellules α faisait intervenir la prolifération d’une autre population de cellules qui se trouvaient dans un état de transition avant l’induction de Pax4 et leur transformation en cellules β. Plusieurs modèles de souris transgéniques caractérisées par une hyperplasie des cellules α ont été décrits antérieurement, et leur dénominateur commun était une altération des voies de signalisation du glucagon induisant une augmentation compensatrice du nombre de cellules α. Nous étions dans une situation similaire, où la perte des cellules α provoquée par leur transformation en cellules β pouvait expliquer leur régénération. Pour le vérifier, nous avons traité nos souris Pax4Glu avec l’hormone glucagon durant trois semaines. De fait, le nombre de cellules β et donc la taille des îlots diminuèrent significativement indiquant que la déficience en glucagon provoquée par l’expression ectopique de Pax4 dans les cellules α et leur conversion en cellules β était le stimulus responsable de la régénération des cellules α. Ce cycle glucagon-dépendant de régénération/conversion semblait donc à l’origine de l’hyperplasie des cellules β observée dans nos animaux.

Réactivation de Ngn3 dans les cellules canalaires : source de nouvelles cellules α

Une hypothèse plausible impliquait les cellules canalaires : elles peuvent exprimer le gène Ngn3, normalement détectable exclusivement au cours du développement embryonnaire et responsable de la spécification vers le destin endocrine [ 6]. En effet, le groupe de H. Heimberg a récemment observé la réactivation de ce gène dans les canaux pancréatiques de souris secondairement à leur ligature [ 7] et la conversion des cellules canalaires en cellules endocrines. En collaboration avec ce groupe, nous avons alors suivi le devenir des cellules canalaires dans le pancréas de nos souris Pax4Glu. Ce travail nous permis de démontrer la réactivation de Ngn3 et de suggérer la conversion des cellules canalaires en cellules endocrines, un processus requérant l’expression de Ngn3. Reste à comprendre les mécanismes précis par lesquels le déficit en glucagon stimule l’expression de Ngn3 dans les cellules canalaires, et leur spécification en cellules endocrines…

Une « transdifférenciation » fonctionnelle in vivo

Finalement, dans le but de vérifier si les cellules β induites dans les souris Pax4Glu étaient fonctionnelles, nous avons induit un diabète de type I chimique par l’injection de streptozotocine, un composé provoquant la destruction sélective des cellules β. Les souris contrôles soumises à un tel traitement, mais aussi les souris Pax4Glu âgées de plus de 4 semaines, décédèrent rapidement des conséquences d’une hyperglycémie. Il est important de noter que de plus amples analyses des souris Pax4Glu les plus vieilles montrèrent que celles-ci étaient déjà hyperglycémiques et affaiblies du fait d’une insensibilité à l’insuline et d’une intolérance au glucose très probablement provoquées par le nombre excessif de cellules β. Cependant, et de façon étonnante, les souris Pax4Glu les plus jeunes résistèrent : après une augmentation massive de la glycémie, un retour progressif à la normale fut mis en évidence. Des analyses détaillées indiquèrent qu’après la destruction des cellules β par la streptozotocine, une régénération de ces dernières était survenue, ces cellules dérivant toutes de cellules α.

« Conversion cellulaire », une stratégie d’avenir pour le traitement du diabète de type I ?

En résumé, nos découvertes les plus récentes indiquent que l’expression de Pax4 dans les cellules α induit leur conversion en cellules β (Figure 1). La déficience en glucagon qui en résulte induit la régénération continuelle des cellules α, celles-ci étant par la suite converties en cellules β. Nous montrons, en outre, qu’un tel cycle nécessite la ré-expression du gène Ngn3 et que les cellules β ainsi générées sont capables de remplacer les cellules β de souris chez lesquelles un diabète de type I était induit chimiquement, et par là même de traiter ce diabète. Ces résultats suggèrent donc que la modulation de Pax4, ou de l’une de ces cibles moléculaires pourrait représenter une nouvelle voie de recherche vers le traitement du diabète de type I, mais aussi contribuer à l’établissement de protocoles de différenciation de cellules β in vitro et/ou in vivo.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Le travail des auteurs est aidé par des financement de la société Max-Planck, la fondation Dr H. Storz und Alte Leipziger, l’INSERM, le programme INSERM-Avenir, la Juvenile Diabetes Research foundation (26-2008-639), et le NIH Beta Cell Biology Consortium (U19 DK 072495-01).

References
1.
Collombat P, Mansouri A, Hecksher-Sorensen J, et al. Opposing actions of Arx and Pax4 in endocrine pancreas development. Genes Dev 2003; 17 : 2591–603.
2.
Sosa-Pineda B, Chowdhury K, Torres M, et al. The Pax4 gene is essential for differentiation of insulin-producing beta cells in the mammalian pancreas. Nature 1997; 386 : 399–402.
3.
Collombat P, Hecksher-Sorensen J, Broccoli V, et al. The simultaneous loss of Arx and Pax4 genes promotes a somatostatin-producing cell fate specification at the expense of the alpha- and beta-cell lineages in the mouse endocrine pancreas. Development 2005; 132 : 2969–80.
4.
Collombat P, Hecksher-Sørensen J, Krull J, et al. Embryonic endocrine pancreas and mature β cells acquire α and PP cell phenotypes upon Arx misexpression. J Clin Invest 2007; 117 : 961–70.
5.
Collombat P, Xu X, Ravassard P, et al. The ectopic expression of Pax4 in the mouse pancreas converts progenitor cells into alpha and subsequently beta cells. Cell 2009; 7 : 449–62.
6.
Gradwohl G, Dierich A, LeMeur M, Guillemot F. Neurogenin3 is required for the development of the four endocrine cell lineages of the pancreas. Proc Natl Acad Sci USA 2000; 97 : 1607–11.
7.
Xu X, Dhoker J, Stange G, et al. β cells can be generated from endogenous progenitors in injured adult mouse pancreas. Cell 2008; 132 : 197–207.