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Med Sci (Paris). 2009 August; 25(8-9): 756–760.
Published online 2009 August 15. doi: 10.1051/medsci/2009258-9756.

Intégrer l’éthique dans les programmes de recherche de l’Union européenne

François Hirsch,* Isidoros Karatzas, and Peteris Zilgalvis

Commission européenne, DG Recherche, Unité « Gouvernance et éthique », Square de Meeûs, 1050 Bruxelles, Belgique
Corresponding author.
L’encadrement éthique des programmes-cadres de l’Union européenne

C’est suite aux conclusions publiées en novembre 1991 par le groupe européen d’experts sur les applications des sciences et technologies (Group of Advisers on the Ethical Implications of Biotechnology) que la Commission européenne (CE) a clairement affiché son souhait de « mettre la science et la technologie européennes au service des intérêts de la société, tout en respectant les droits fondamentaux de chaque citoyen ».

Lors du 6e programme-cadre pour la recherche et le développement, la CE a décidé d’évaluer de manière systématique les enjeux éthiques des projets retenus pour financement. Cependant, un renforcement de cette évaluation a été nécessaire pour faire face à l’afflux de projets très innovants attirés par les sommes importantes mises à disposition dans le cadre du 7e PCRD. Certains de ces nouveaux projets sont en rapport avec les thématiques déjà financées lors du 6e PCRD1, mais d’autres couvrent de nouveaux champs de recherche. Il s’agit des technologies sécuritaires aux impacts sociétaux considérables, des nouvelles applications en sciences de l’information et enfin de certains projets financés par le Conseil européen de la recherche, institution créée dans le cadre du 7e PCRD afin de permettre à la recherche européenne d’atteindre son plus haut niveau d’excellence.

À l’issue de la première année de fonctionnement du 7e PCRD, il nous a semblé intéressant d’analyser la manière dont les questions éthiques sont appréhendées par les chercheurs qui sollicitent ces fonds et de rappeler quelles sont les attentes de la CE en matière d’accompagnement éthique des projets de recherche qui lui sont soumis.

Des objectifs ambitieux sur des bases légales contraignantes

L’objectif essentiel de l’évaluation éthique des projets retenus pour financement après évaluation scientifique est de s’assurer que ces recherches ne contreviendront pas aux principes éthiques fondamentaux. Ces derniers sont énoncés dans divers documents nationaux et internationaux auxquels les chercheurs qui présentent une demande de financement doivent se conformer lors de la rédaction de leur projet. Certains sont juridiquement contraignants telles les directives et régulations européennes, les textes de loi nationaux et certaines conventions internationales2,. D’autres, bien que non contraignants, doivent cependant être pris en compte dans la conception d’un projet, telles la Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) et certaines conventions internationales encadrant la recherche sur l’homme3.

L’évaluation éthique de l’ensemble des projets soumis à la CE pour financement est organisée par le secteur éthique de l’unité « gouvernance et éthique » de la Direction générale de la Recherche. Les modalités de son déroulement ont été fixées par plusieurs décisions votées par le Parlement et le Conseil européens4 dans lesquelles sont également mentionnés les thèmes de recherche qui ne peuvent être financés dans le cadre du 7e PCRD et qui sont les mêmes que lors du 6e PCRD :

  • toute recherche ayant pour objet le clonage humain reproductif ;
  • toute recherche entraînant la modification du patrimoine génétique humain transmissible à l’exception des recherches menées dans le cadre de cancers des organes sexuels ;
  • toute recherche entraînant la création d’embryons humains à but cognitif ou pour en dériver des lignées de cellules souches, y compris par transfert de noyau de cellules somatiques.

Il est cependant important de souligner que, quelles que soient les thématiques, l’avis rendu par les autorités des pays dans lesquels se déroulent les recherches sera primordial pour l’octroi du financement.

Une méthodologie originale

L’évaluation éthique s’appuie sur un groupe d’une centaine d’experts indépendants, femmes et hommes issus de disciplines diverses (médecine humaine et vétérinaire, sciences, droit, philosophie, etc.), venant en très grande majorité de l’ensemble des pays de l’Union européenne mais également de pays non membres. Pour faire face à un afflux de demandes de financement dû notamment à des montants disponibles plus importants et à de nouvelles thématiques désormais couvertes par le 7e PCRD, le secteur éthique a proposé une nouvelle méthodologie d’évaluation. Une première phase dite de « sélection éthique » a été mise en place pour permettre une étude rapide des projets par quelques experts. Cette étape a pour finalité : (1) d’éliminer les projets ne soulevant aucun problème d’ordre éthique (par exemple le développement de nouveaux appareillages de séquençage ou de nouveaux logiciels) ; (2) de soumettre directement aux autorités locales des projets jugés à faible risque et dont les thèmes sont couverts par une législation nationale (des essais cliniques non interventionnels, des enquêtes anonymes par exemple) ; (3) de retenir les autres projets pour une évaluation organisée par la CE. Cette dernière catégorie couvre des champs de recherche divers : essais cliniques interventionnels, développement de nanotechnologies ou de technologies liées à la sécurité, utilisation de cellules/tissus humains embryonnaires ou fœtaux ou de primates non humains.

Une fois la sélection terminée, deux méthodologies d’évaluation sont mises en œuvre, l’une à distance, l’autre organisée sur site dans les locaux de la CE.

La première fait appel à une plate-forme internet développée en interne et dénommée SINAPSE5. Une « communauté » virtuelle y a été créée permettant à l’ensemble de nos experts indépendants de recevoir toutes sortes d’informations en rapport avec l’éthique de la recherche, et surtout de lire et commenter les projets de recherche qui leur sont soumis pour évaluation. Bien entendu, cette plate-forme bénéficie d’un haut degré de sécurisation, notamment en ce qui concerne son accès (un expert donné ne verra que les projets qu’il doit évaluer) et sa pérennité (deux serveurs distincts localisés au Grand Duché du Luxembourg sont dédiés à la sauvegarde de l’ensemble des données stockées dans SINAPSE). Grâce aux différents modules constituant cette « communauté » dédiée à l’évaluation éthique, les représentants de la CE (ceux du secteur éthique mais également les points de contact en éthique des autres services de la CE) peuvent suivre en temps réel le déroulement des évaluations. Chaque projet est revu par un groupe d’au moins cinq experts sous la conduite d’un médiateur. En cas de difficulté à dégager un avis consensuel sur un projet, la CE se réserve le droit de convoquer les experts pour une réunion finale dans ses locaux.

Le deuxième type d’évaluation, plus classique, consiste à réunir des groupes d’experts qui réaliseront leurs évaluations dans les locaux de la CE, en présence de l’un des représentants du secteur éthique.

Quel que soit le type d’évaluation choisi, les projets seront classés en trois catégories. Les projets notés « suffisants » sont acceptés tels quels. Les projets jugés « insuffisants » devront subir des modifications avant la signature du contrat définitif qui liera les porteurs de projet à la CE (cela peut être la demande d’une meilleure rédaction d’une fiche de consentement, par exemple). Parmi les projets classés « insuffisants », un troisième groupe fera l’objet d’un suivi tout particulier par un « audit éthique » qui sera réalisé en cours de projet. Dans cette dernière catégorie figurent essentiellement des recherches dont les problèmes éthiques qu’elles soulèvent n’avaient pas été abordés par les porteurs de projets.

Bien entendu, cette évaluation a un coût financier non négligeable mais qui est accepté pour le bon fonctionnement du 7e PCRD6.

Quelques chiffres

Au cours des premiers dix-huit mois du 7e PCRD, plus de 500 projets ont été soumis pour expertise éthique, et après la phase de présélection, une centaine de projets étaient soumis directement aux comités d’éthique des pays où doivent être menées les recherches retenues pour financement.

Comme le montre la Figure 1, les projets les plus fréquemment évalués proviennent des programmes de recherche financés par la direction Santé (programme Coopération). Ils comprennent essentiellement des recherches sur l’homme comportant souvent des études précliniques menées chez l’animal ; ils nécessitent donc une attention toute particulière. Le second « gros client » du secteur éthique est le programme Mobilité qui finance la mobilité des chercheurs du monde entier grâce aux bourses Marie Curie. Il s’agit aussi souvent de projets innovants en sciences de la vie. Une attention particulière est portée par les experts de nos comités d’éthique sur le fait que ce sont fréquemment de jeunes chercheurs qui postulent à ce programme, dont les connaissances dans le domaine de l’éthique sont limitées. Nos experts formulent donc de nombreuses recommandations dans le but d’améliorer la qualité éthique des projets. Une part importante des projets provient également du Conseil européen de la recherche (programme Idées). La dimension éthique des appels d’offres est prise en compte dans les deux types d’appels à projets (« jeunes chercheurs » et « chercheurs confirmés »).

Autre innovation : l’évaluation éthique systématique des projets de recherche financés par la direction générale Entreprise de la CE sur les technologies liées à la sécurité. Il s’agit d’importants projets mêlant des industriels, des universitaires et souvent des institutions publiques (police, justice) qui cherchent à doter nos sociétés des outils de plus en plus performants pour assurer notre sécurité. Bien évidemment, les discussions des comités d’éthique ont trait essentiellement au juste équilibre à trouver entre le bien-être du citoyen ainsi protégé et la protection de ses droits fondamentaux, dont le respect de sa vie privée.

Les autres projets évalués portent sur d’autres thèmes du programme Coopération qui suscitent également des interrogations d’ordre éthique ou sociétal. Ils concernent les sciences humaines et sociales, dont certaines enquêtes peuvent poser des problèmes d’ordre éthique, le développement des sciences de l’information, qui a également un impact social important (notamment pour les projets de surveillance), et des biotechnologies dans le domaine de l’alimentation, de l’environnement (ENV) et des nanotechnologies. Concernant ces dernières, chercheurs et experts doivent désormais prendre en considération le « Code de bonne conduite pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies » introduit en février 20087.

Grâce au travail de formation mené en amont par les points de contact nationaux formés notamment par les outils mis à disposition par le secteur éthique de la CE8, seuls 22 % des projets évalués ont été classés « insuffisants », 2 % subiront un audit éthique et moins de 1 % a nécessité une seconde évaluation éthique avant la signature finale du contrat de financement.

Retour d’expérience

Afin d’améliorer les procédures d’évaluation développées par le secteur éthique de la CE, nous interrogeons très régulièrement les experts impliqués dans nos évaluations.

En effet, à l’issue de chaque session d’évaluation (sur site ou à distance), nous recevons un rapport des panels d’experts qui est lu avec attention. Il peut contenir des remarques techniques concernant l’amélioration de notre outil SINAPSE, mais également des suggestions de préparation de matériel éducatif. Certains projets éducatifs sont destinés aux experts eux-mêmes ; ainsi un travail a été réalisé récemment sur une meilleure définition des actes invasifs. Un autre sur la définition de la notion de technologies à double usage (dual use) est en préparation. D’autres documents sont destinés aux chercheurs tel que le guide actualisé de rédaction d’un consentement informé. Un guide de gestion des données est en préparation car des données nominatives et/ou génétiques souvent très sensibles sont collectées dans près de 80 % des projets soumis.

Nous organisons également de fréquentes enquêtes via notre communauté SINAPSE et avons convié un certain nombre d’experts à une journée de réflexion sur notre méthodologie. Les propositions intéressantes recueillies ont été mises à disposition de tous via SINAPSE.

Conclusion

Le 7e PCRD offre une opportunité unique de soutenir la recherche. Les chercheurs doivent prendre en compte les impacts sociétaux de leurs travaux afin que la société en accepte mieux le coût et les conséquences qu’elles pourraient entraîner pour son avenir. C’est dans ce but que la CE a mis en place cette procédure unique dans le domaine du financement public qui permet une évaluation éthique rigoureuse des projets retenus pour financement.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Santé, sciences humaines et sociales, mobilité des chercheurs (au travers des bourses Marie Curie), EURATOM, environnement, agriculture, biotechnologies (incluant les gros programmes sur les nanotechnologies).
2 Conventions rédigées par le Conseil de l’europe ou les différents organismes onusiens (OMS, UNESCO, etc.).
3 Déclaration d’Helsinki (http://www.wma.net/f/policy/b3.htm) ou du Conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS,http://www.cioms.ch/frame_french_text.htm).
4 Decision 1982/2006/EC of the European parliament and of the council (Recital 30 and Article 6), Council decision 2006/970/Euratom concerning FP7 of the European atomic energy community for nuclear research and training activities (Recital 6 and Article 5), the Council Decisions of 19 December 2006 concerning the EC and Euratom specific programmes and the EC and Euratom rules for participation.
5 Scientific information and expertise for policy support in Europe (http://europa.eu/sinapse/).
6 À titre informatif, le budget 2008 dévolu à l’évaluation éthique (hormis la partie « sélection éthique » financée par chaque programme) s’est élevé à un peu plus d’un million d’euros, sans compter le salaire des personnels du secteur éthique.
7 Recommandation de la CE 07-02-08.
8 Un site internet actualisé est disponible sur http://cordis.europa.eu/fp7/ethics_en.html.